affiche Sortilège Tlamess de Ala Eddine Slim
Film soutenu

Sortilège (Tlamess)

Ala Eddine Slim

Distribution : Potemkine Films

Date de sortie : 19/02/2020

Tunisie / France - 2h00

Dans une caserne en Tunisie, un jeune soldat informé du décès de sa mère se voit accorder une permission. Il déserte et s’enfonce dans une mystérieuse forêt…

Sélection QUINZAINE DES RÉALISATEURS CANNES 2019
Prix de la mise en scène au MedFilm Festival Rome  
Golden Alexander Award – Meet the Neighbors de la 60e édition du Festival international de Thessalonique
Prix de la Mise en scène au Festival International du Film de Marrakech

Avec : Abdullah MINIAWY, Souhir BEN AMARA, Khaled BEN AISSA

Réalisateur Ala Eddine SLIM • Scénario Ala Eddine SLIM • Chef opérateur Amine MESSADI • Son Moncef TALEB • Décors Malek GNAOUI • Montage Ala Eddine SLIM • Musique Oiseaux-Tempête • Produit par Exit Productions et Still Moving • Co-produit par Inside Productions et Madbox Studios • Producteurs Ala Eddine SLIM, Juliette LEPOUTRE, Ali HASSOUNA, Chawki KNIS & Pierre MENAHEM • Avec l’aide de Fond Franco-Tunisien du CNC & CNCI Ministère de la culture Tunisien, Aide aux Cinémas du Monde du CNC, World Cinema Fund Europe, La fondation Kamel Lazaar & la SACEM

Ala Eddine Slim

Ala Eddine Slim est né en 1982 à Sousse, Tunisie. Ala Eddine Slim est né en Tunisie.
Il intègre l’Institut supérieur des arts multimédia de La Manouba (ISAMM)
en technologies de l’audiovisuel (section assistanat à la réalisation).
En 2005 qu’il confonde avec Ali Hassouna la société Exit Productions.
En 2007, il réalise son premier court métrage intitulé L’Automne.
Il réalise par la suite plusieurs courts métrages, installations vidéo, documentaires et films de fiction sélectionnés dans de nombreux festivals : Clermont-Ferrand, Grand Prix du FID Marseille 2012 pour BABYLON,
Lion du Futur à Venise et Tanit d’Or à Carthage 2016 pour THE LAST OF US (Akher Wahed Fina).

Filmographie

2010 : THE STADIUM (cm)
2012 : BABYLON (documentaire)
2016 : THE LAST OF US (AKHER WAHED FINA)
2019 : SORTILÈGE (TLAMESS)

ENTRETIEN AVEC ALA EDDINE SLIM

Quel est ton parcours ?
Je suis né en 1982, à Sousse, une ville côtière touristique de Tunisie. Quand j’avais 14 ans ma famille a déménagé à Tunis. Entre 2001 et 2004, j’y ai fait des études d’audiovisuel. En 2005 j’ai créé une société de production avec deux amis. On a commencé à faire des films en petite équipe, des clips, avec peu d’argent. J’ai appris à faire du cinéma en faisant des films. J’ai réalisé trois courts métrages, coréalisé un documentaire. Et puis j’ai réalisé mon premier long métrage, The Last of Us, en 2016 Sortilège est mon deuxième long métrage. Je produis aussi des amis cinéastes même si je n’aime pas le terme « produire » auquel je préfère celui d’ « accompagner ». Ça fait donc 14 ans que je fais des films. Je ne suis plus tout à fait un jeune cinéaste !

Comment est né Sortilège ?
De plusieurs sources. C’est un patchwork de moments, de lieux, de choses personnelles liés à une image, une odeur, une situation, une rencontre, un état d’âme. Pour donner un exemple, la deuxième partie du film je l’ai écrite en moins de 24 heures. D’autres fois je prends beaucoup de temps. Le film est venu comme ça, de manière éparpillée. Je savais que le soldat allait avoir des seins, je savais que la femme allait tomber enceinte et allait rencontrer ce personnage mystérieux dans la forêt. Mais le serpent et la toute dernière séquence où le mari vient chercher sa femme dans la forêt, tout cela a été écrit au moment des repérages. L’écriture évolue tout le temps, elle n’est jamais figée et se réinvente aussi au tournage. Quand j’écris le scénario, je fume souvent du cannabis. De façon à perdre le contrôle. Il y a des idées ou des scènes qui ne pourraient pas naître autrement. Cela me permet de suivre mon instinct. Je n’ai pas envie de tout comprendre. J’ai d’abord besoin de sentir la mer dans laquelle je me baigne et j’y vais à l’aide de tous mes sens. Pour donner un exemple plus précis, l’une des inspirations du film c’est un tableau que j’avais repéré dans une série, The Young Pope de Paolo Sorrentino. A plusieurs reprises le personnage passe devant un tableau qui, ce que je croyais à l’époque, représente un homme avec des seins qui allaite un bébé. Cette scène m’a fasciné. En fait c’est une femme avec une barbe mais quand je l’ai appris mon imagination était déjà partie très loin. A la même époque, mon ex-femme était enceinte de notre deuxième fille. Je ne comprenais pas pourquoi c’est toujours la femme à qui on donne tout le bénéfice de la grossesse. Durant ces 9 mois, le père souffre autrement. Faire allaiter le bébé par le soldat était une façon de prendre ma revanche !

On a le sentiment très fort en voyant le film que la narration vient des lieux, des images, des situations plus que du scénario en tant que tel.
Pour moi le scénario n’est pas un objet sacré. C’est juste un outil technique, pas une œuvre en soi. D’ailleurs, la veille du premier jour de tournage j’ai brûlé le scénario et j’ai dit à mon équipe, voilà, maintenant on peut faire le film. Même si je ne peux pas tout changer car j’ai une équipe qui doit pouvoir me suivre. Je connais souvent le point de départ et le point de chute mais le chemin à emprunter peut varier considérablement. Le fait de travailler avec les mêmes collaborateurs depuis dix ans me permet de prendre des raccourcis, d’aller plus vite, notamment avec le noyau dur constitué du chef opérateur, de l’ingénieur du son, du chef décorateur et de la production exécutive.

Du coup les choses se passent de mot ?
Oui, même de regard ! On n’a pas de hiérarchie dans l’équipe. Tout le monde peut discuter même si bien sûr c’est moi qui décide à la fin. Je suis très ouvert aux propositions des collaborateurs.

Le film est très libre. On est toujours surpris par les bifurcations du récit.
Je n’aime pas quand le chemin est trop prévisible. En faisant le film j’essaie de me surprendre moi-même. Je suis mon premier spectateur. Je n’ai pas cette arrogance de penser que mon film est fait pour tout le public. J’essaie d’abord d’éprouver du plaisir. Et laisser une certaine liberté aux futurs spectateurs. Parfois je suis surpris par les réflexions des spectateurs, qui me donnent des lectures auxquelles je n’avais pas pensé et qui peuvent coïncider avec mes intuitions. Cela montre que le film n’est pas figé, qu’il est une sorte d’objet vivant. Le montage ne change pas, mais en fonction de l’humeur où on voit le film, les interprétations peuvent varier. Ça me plait beaucoup.

Le plan en drone est très impressionnant. Il part du minaret, passe devant les banques, bifurque et arrive sur ce brasier, c’est littéralement une narration par l’image : la religion, l’argent, la révolte semblent se succéder.
Et le drone passe aussi devant la cité dormante. Ce plan je l’ai minutieusement préparé. Le chemin que fait le plan, c’est celui que j’emprunte pour retourner chez moi quand je suis ivre, de la banlieue nord à la banlieue sud. Pour moi il représente le corps du serpent. Le minaret c’est la tête, l’avenue c’est le corps et le feu c’est sa queue. Et puis ce qu’on voit dans ce plan me rappelle un peu un Gotham City mais à la sauce arabe !

Dans Sortilège comme dans Last of Us, on décèle un goût pour l’errance, le vagabondage. Les personnages quittent un territoire urbain et s’enfoncent dans la nature.
Ils dévient, ils ont des accidents, ils ne contrôlent pas les choses. Ce n’est pas toujours par choix qu’ils quittent ainsi leur territoire. A chaque fois quelque chose les pousse à aller dans une certaine direction.

Le personnage de Sortilège décide quand même de brûler sa carte militaire.
Oui, il décide de ne plus revenir. Mais il part seulement après la visite de la police militaire. J’erre moi-même souvent. J’aime beaucoup marcher dans la ville. J’étais très attaché à la ville de Tunis, mais depuis 2011 je m’en suis éloigné. C’est avec ce film que j’y suis revenu. Et puis je fais parfois le régisseur sur des films, ce qui m’amène à faire beaucoup de route où je croise des militaires. Je les prends en stop dans ma voiture et ainsi je discute avec eux. Ces soldats sont en bas de l’échelle, ce sont les gens les plus exposés et sacrifiés au nom de la guerre contre le terrorisme. Bien sûr le terrorisme existe en Tunisie mais parfois il a quelque chose de fantomatique. En tout cas c’est en errant que je croise des gens qui provoquent en moi un début d’histoire. Et puis j’aime ce mouvement qui consiste à errer.

Qu’est-ce qui te plaît dans l’errance ?
L’idée de la liberté surtout. Mais aussi le fait que cela peut t’entraîner dans un tourbillon. On croit être libre mais en même temps on est aspiré par une force qui nous échappe.

Dans The Last of Us et dans Sortilège, l’avancée sur un territoire mystérieux va de pair avec un changement intérieur d’un personnage.
Oui, et même un changement extérieur, physique. Tout “mute” en quelque sorte. Peut-être que le lieu influe sur le personnage. Le changement physique est la représentation du changement plus profond chez le personnage. C’est une façon de m’éloigner de la psychologie.

Ce refus de la psychologie passe par ce silence.
Le silence est venu par accident, dès mon premier court métrage. Ça m’a plu de raconter une histoire avec les premiers outils, ceux d’un cinéma plus primitif, juste avec l’image, le montage, les décors. Je trouve qu’on parle souvent pour ne rien dire, dans la vie comme dans le cinéma. Et plus simplement c’est aussi pour moi une façon d’expérimenter.

C’est pour cela que tu inventes cet incroyable champ contrechamp avec les yeux ?
Oui, je pense que le premier contact entre deux personnes passe par le regard. Je suis allé jusqu’à l’œil, jusqu’à une vision macro. Cette idée je l’ai eue deux semaines avant le tournage. Dans le scénario il s’agissait de dialogues, mais je savais qu’ils seraient dits de façon non verbale. Ces yeux sont des ouvertures, tout est rond.

Chacun des paysages que tu filmes a quelque chose d’étrange même quand les lieux semblent réalistes.
J’essaie de faire sortir l’histoire de la terre de la Tunisie, de m’éloigner de ce qui est reconnaissable là-bas. Et surtout de voir avec mes propres yeux. Généralement ce qui me guide c’est la lumière. Ce qui rend ces lieux un peu différents pour moi c’est la lumière. Je m’intéresse beaucoup à la façon dont elle transforme le paysage. Mais tout ça est très intuitif. Et c’est un travail commun avec le chef opérateur et le chef décorateur qui est une sorte de directeur artistique du film.

Et les lieux sont souvent déserts.
Pour moi l’humain n’est pas l’élément le plus important dans un film. Les décors sont des personnages à part entière. D’ailleurs le film nous l’avions divisé en quatre types de lieux : le désert, la ville et ses environs, la campagne avec la villa et ensuite la forêt avec la mer. C’était à chaque fois des personnages différents. Le héros ne fait que passer d’un territoire à un autre.

Dès le début on sent l’importance donnée à la lumière. Je pense aux flashs, à la lumière intermittente qui passe sur son visage quand il est dans le camion de police. Tu cherches toujours une solution lumineuse pour chaque scène.
Ce qui rend alléchant un lieu pour moi, c’est la façon dont il va être éclairé. Mais j’aime aussi ce que cache la lumière. Dans la scène du camion, ce qui m’intéresse c’est aussi les moments de noirs entre deux flashs. Ce sont des trous noirs où l’imagination peut s’engouffrer.

J’ai eu le sentiment qu’à la fin, les rôles permutent. La femme va voyager vers l’horizon, le soldat a nourri le bébé, le mari devient une mère.
Peut-être. Je n’y ai pas pensé aussi explicitement même si ça participe de la mutation continuelle des êtres. Pour moi c’est surtout un film sur l’échec. Au fond tous les personnages échouent. Le soldat au début est censé protéger des gens mais rien n’arrive, il ne réussit pas à voir sa mère avant sa mort, il déserte, il ne sait pas protéger ni la femme ni le bébé. La femme n’arrive pas à avoir du lait pour son bébé, le mari ne peut rassurer sa femme. Ce sont des personnages qui n’accomplissent pas leur mission. A certains égards ce bébé est maudit. En tout cas à la fin, on ne sait pas où sont passés le soldat et la femme. Peut-être qu’ils réapparaîtront dans un autre film. Ce qui est sûr c’est que le bébé va réapparaître dans une prochaine histoire. J’essaie créer des liens entre mes films. Le dernier plan de Sortilège est le même que celui de The Last of Us. C’est quasiment le même cadrage, un plan général en plongée sur une cascade. Dans The Last of Us le personnage disparaît lentement de l’image, dans Sortilège le personnage principal a disparu.

La femme retrouve d’ailleurs une boussole qui semble être celle que le personnageThe Last of Us perdait en chemin. 
Oui, exactement. Et dans les deux films on trouve le cadavre d’un immigrant échoué. Cet immigrant échoué dans Sortilège c’est peut-être le personnage principal de The Last of Us. C’est comme si le personnage avait deux vies. J’aime bien ces parallèles. Au début deSortilège, je fais ce plan circulaire qui montre tous les soldats, l’homme à la peau noire, celui qui va se suicider, etc. A partir de là, le film aurait pu bifurquer vers l’histoire de l’un ou l’autre.

Cette idée de connecter les films entre eux, ces univers parallèles qui cohabitent, rappelle la logique du rêve.
Oui, exactement. Ces réflexions m’arrivent souvent quand j’ai fumé du cannabis. Quand je fume je ne me rappelle pas toujours par quoi je suis passé. Du coup je fonctionne avec des images perdues. Si je ne garde que 10% de ce que j’ai imaginé pendant que je fumais c’est suffisant, je sais que je vais avancer avec 90% d’images fantômes. Mais leur effet est là, de manière sous-jacente. C’est aussi la part de mystère que j’aime avoir dans un film. Si on a connaissance de tout, alors pourquoi faire un film, pourquoi faire l’expérience, pourquoi vivre ça ?

Le tournage devient alors une véritable expérience où tu découvres ou redécouvres les choses ? 
Oui. J’aime beaucoup les accidents heureux. Deux jours avant de tourner dans le château d’eau on s’est rendu compte qu’il avait beaucoup plu et que le sol était détrempé. Le chef décorateur essayait tant bien que mal d’évacuer toute cette eau. J’observais cette eau et soudain je me suis dit qu’il fallait la laisser telle quelle, que justement c’est ce qui pouvait accentuer cette impression d’organicité, le sentiment de se trouver dans un ventre, avec sa forme arrondie.

Avec le plan de drone, l’autre plan séquence impressionnant c’est celui de la fuite du personnage, complètement nu. On y sent la fatigue physique, l’investissement de l’acteur. Il a été difficile à tourner ?
C’est l’acteur qui m’a proposé de jouer nu. Ce plan on l’a fait les deux derniers jours du tournage. Le soleil montait vite si bien qu’on n’avait pas beaucoup de temps pour chaque prise. Il fallait aller vite pour ne pas risquer qu’Abdullah tombe malade. Il faisait très froid, c’était en février, toute l’équipe était avec des manteaux et des bonnets ! Il a bu toute une bouteille d’alcool pour pouvoir supporter le froid. On a tourné à la frontière d’un quartier un peu dangereux dans la banlieue sud de Tunis, en équipe très réduite. Un homme nu qui marche sur des tombes c’est un peu risqué !

Abdullah Miniawy est musicien, il n’est pas acteur. Sur The Last of Us tu avais aussi fait appel à un acteur non professionnel. Est-ce un choix délibéré de ta part ou est-ce le fruit du hasard ?
En général je ne fais pas de casting pour les rôles principaux. Je fonctionne au feeling. Abdullah je l’avais invité à jouer au concert d’ouverture d’un festival documentaire que je dirigeais. On s’est rencontré et on est immédiatement tombés amoureux l’un de l’autre !

C’est très culotté de récupérer le monolithe de 2001 l’Odyssée de l’espace.
Il y a beaucoup de Kubrick dans le film. Le monolithe de 2001, le suicide du soldat qui rappelle Full Metal Jacket, les macros sur les yeux qui viennent de Orange Mécanique. Pour moi Kubrick est un maître absolu. Pourquoi je me serais empêché de mettre le monolithe dans mon film ? D’autant plus qu’il y trouve sa propre logique. C’est une sorte de porte, parmi celles qu’il y a dans le film. On l’a laissé dans la forêt d’ailleurs. J’imagine des randonneurs qui découvrent l’objet !

La jonction entre les deux parties rappelle un peu la façon dont Kubrick construit son film en grands blocs, avec un montage constitué de vraies ruptures.
C’est vrai. C’est le trou noir du film. Quand on arrive sur la femme d’ailleurs on est perdu. On pense être dans une chambre d’enfant alors qu’on est dans une sorte de reflet de la réalité. Peut-être que tout cela n’est que dans sa tête. Cet enchaînement je l’avais en tête dès l’écriture. En général le montage n’est pas un moment que j’aime beaucoup. Je monte très vite, en deux semaines et puis j’affine les choses. Je ne me laisse pas beaucoup de possibilité de montage au tournage, je ne me couvre pas comme font certains réalisateurs qui multiplient les angles d’une même scène. Je préfère improviser d’autres situations, d’autres gestes, mais je sais assez vite comment je dois filmer telle ou telle scène.

Ton film regorge de signes religieux, de thématiques qui proviennent de textes sacrés. En quoi la religion nourrit ton imaginaire ?
Je ne suis pas religieux. Je viens d’un milieu « conservateur » mais ouvert, comme la plupart des tunisiens. Ce qui m’intéresse dans la religion c’est sa force, sa capacité à réunir tant d’humains autour d’une idée figée, un idéal imaginé, et cela en limitant les gens dans leurs libertés personnelles les plus élémentaires. Par exemple le fait qu’il faut faire le Ramadan pour tout bon musulman. Ces diktats qui font souffrir les adeptes n’empêchent pas ces mêmes adeptes de se donner corps et âme pour une idée, quel que soit leur niveau d’instruction. Du coup, pour moi, la religion est l’envers du cinéma. Elle rassemble pour entasser et homogénéiser les gens alors que le cinéma rassemble pour multiplier les libertés. En concevant Sortilège, je n’avais pas une idée très précise du rapport à la religion, même si l’histoire des deux personnages, avec la pomme et le serpent rappelle bien entendu Adam et Eve. Tout pour moi n’est qu’alibi pour essayer de faire primer le cinéma en tant que langue, langage et même religion. Ce qui m’intéresse c’est d’être une sorte d’invité indésirable, un parasite qui brouille les joies trop installées.

Ton personnage principal semble être une figure inspirée du prophète, mais une figure réinventée, étrange.
Oui, un prophète plus humain que les autres prophètes. Il a mal, peur, il a des douleurs et surtout il échoue à protéger la femme et son bébé, malgré son « pouvoir » presque divin consistant à donner du lait. Au final c’est un marginal et un homme faible.

Tu as un rapport très poétique à la réalité, quel est ton rapport à la poésie ?
Je ne suis pas forcément un grand féru de poésie. J’essaie de sentir, au sens figuré, les choses, les moments, les odeurs, les regards. La fumette, les drogues douces, m’offrent des mers infinies pour m’y baigner. Beaucoup de spectateurs trouvent qu’il y a de la poésie dans mes films, mais plus simplement j’aime m’attarder sur des néons qui vibrent. Ce sont les images et les sons qui me stimulent.

Mais justement c’est peut-être cela ton rapport à la poésie.
La force paradoxale de la lumière c’est qu’elle n’éclaire pas tout. Ce qui m’intéresse c’est le hors champ lumineux, tout ce qui n’est pas lisible à nos yeux, cette partie plongée dans le noir, comme si le plan comportait en lui-même son  conscient éclairé et son inconscient obscur. Que se passe-t-il dans cette partie proche de nous mais indéchiffrable ? C’est pour ce genre de questions que  j’éprouve un vrai plaisir à aller à la découverte des choses. Quant au son, c’est un élément qui porte la vie. Comme l’eau qui ne s’arrête jamais de bouger, c’est un élément riche et presque infini. Je crois que le son est le trou noir de chaque film, c’est par le son qu’on peut glisser « ailleurs », tout à la fois doucement et sauvagement.

Tu as parlé plusieurs fois d’échec. Quelle leçon peut-on tirer de l’échec ?
L’échec ouvre des possibles d’où on tire la force de pouvoir recommencer, malgré les difficultés que ça suppose. Il faut avoir la foi, à la manière des religieux, mais une foi où il faut apprendre à remettre en doute tout ce qui est donné. On vit tous avec des échecs. Comme je disais, en tant que cinéaste je vis avec des images perdues, je ne crée que très peu de choses comparativement à tout ce dont je rêve. Mais savoir cela me conforte dans ma pratique. Et puis je suis attiré par ceux qui sont fragiles, qui essaient, se perdent, se retrouvent. Au final je crois que ces personnes me ressemblent. Et j’aime qu’un film ne soit pas parfait, un peu mutilé. C’est aussi ce qui fait la beauté des films, leur fragilité témoignant qu’ils sont fabriqués par des êtres humains.

Propos recueillis par Jean-Sébastien Chauvin


LA BANDE ORIGINALE D’OISEAUX-TEMPÊTE

SORTILÈGE (TLAMESS) est la première bande originale de OISEAUX-TEMPÊTE pour le second long métrage de Ala Eddine Slim.

Mariant larsens organiques, synthétiseurs orchestrés, sound-design et pulsations chamaniques

SORTILÈGE (TLAMESS) a été intégralement improvisé devant les rushes du film, entre les studios d’enregistrement Mikrokosm à Lyon et Magnum Diva à Paris, par le quatuor OISEAUX-TEMPÊTE :

Frédéric D. Oberland, Stéphane Pigneul, Mondkopf et Jean-Michel Pirès (Bruit Noir). Entièrement instrumental, incluant des titres inédits, ce score immersif et mutant dévoile leur album le plus électronique à ce jour.
Dans son deuxième long métrage, le réalisateur Ala Eddine Slim présente une intrigante juxtaposition de réalisme brut avec une allégorie hypnotique de la Tunisie contemporaine, réunis par une bande-son intense, grinçante et tellurique.

S’associant régulièrement depuis leurs débuts au cinéma et à la photographie, la musique de OISEAUX-TEMPÊTE a accompagné le travail des vidéastes / cinéastes As Human Pattern (KHAMSIN, prix du jury du meilleur documentaire au Festival du film de Turin), Hinde Boujemaa (Le Rêve de Noura, Tanit d’Or et prix de la meilleure actrice aux JCC de Carthage), Léa Fehner (Les Ogres, meilleur film au Festival de Cabourg) Stéphane Charpentier (The Divided Line, Institut Français d’Athènes), Karel Doing (Palindrome Series, IFFR Rotterdam), Clément Cogitore (durant l’exposition Braguino au BAL), et les projections lives du collectif Temps Zero (à Berlin, Paris, Toulouse avec les photographes Michael Ackerman, Gaël Bonnefon, Adam Cohen, Damien Daufresne, Alisa Resnik, Gilles Roudière, Yusuf Sevincli .

OISEAUX-TEMPÊTE // SORTILÈGE (TLAMESS) OST

Vinyle / CD : https://www.subrosa.net/en/catalogue/soundworks/oiseaux-tempete-tlamess….

Digital : https://oiseaux-tempete.bandcamp.com/album/tlamess-sortil-ge-o-s-t

Sub Rosa (Differ-Ant)
https://www.oiseaux-tempete.com/
https://oiseaux-tempete.bandcamp.com/

Extrait en écoute :
Drone Alpha : https://soundcloud.com/oiseaux-tempete/tlamess-drone-alpha