C’est le coup de foudre quand Lisa et Giorgi se rencontrent par hasard dans les rues de Koutaïssi. L’amour les frappe si soudainement, qu’ils en oublient même de se demander leur prénom. Avant de poursuivre leur chemin, ils décident de se retrouver le lendemain. Ils sont loin de se douter que le mauvais œil leur a jeté un sort.
Giorgi Giorgi Bochorishvili •Lisa Ani Karseladze • Lisa (avant le sort) Oliko Barbakadze • Giorgi (avant le sort) Giorgi Ambroladze • Le patron du bar Vakhtang Panchulidze
Scénariste et réalisateur Alexandre Koberidze • Image Faraz Fesharaki • Montage Alexandre Koberidze • Musique et son Giorgi Koberidze • Décors Maka Jebirashvili • Costumes Nino Zautashvil • Coproduction Anna Dziapshipa, Ketevan Kipiani, Luise Hauschild • Production Mariam Shatberashvili
Alexandre Koberidze
Après avoir étudié la microéconomie et la production cinématographique à Tbilissi, Alexandre Koberidze s’est installé à Berlin pour étudier la réalisation à l’Académie allemande du cinéma et de la télévision (DFFB). Pendant ses études, il réalise de nombreux courts-métrages, et notamment Colophon (2015) primé au Kurzfilmtage Oberhausen. Son premier long-métrage Let the summer never come again (2017) remporte notamment le Grand Prix au FID Marseille.
Filmographie
2021 Sous le ciel de Koutaïssi
2018 Linger on some pale blue dot (cm)
2017 Let the summer never come again
2017 The perfect spectator (cm)
2015 Colophon (cm)
2014 Looking back is grace (cm)
NOTE D’INTENTION
C’est étrange d’écrire sur le film que j’ai réalisé, c’est étrange parce qu’il y a tant de choses sur lesquelles je voudrais écrire. Je pourrais écrire sur la raison pour laquelle notre film commence avec une image d’enfants quittant l’école.
Je pourrais m’exprimer sur mes regrets rétrospectifs de ne pas avoir commencé le film comme le prévoyait le scénario, avec l’image d’une marche. Je pourrais expliquer pourquoi nous avons tourné une partie du film en 16 mm et une autre en numérique ou pourquoi les enfants commandent 11 cornets de glace et non 12 comme le fait Bondo Dolaberidze dans le film auquel cette scène fait référence.
Je pourrais écrire sans m’arrêter sur mes acteurs ; sur Giorgi Bochorishvili avec qui j’ai grandi et qui est toujours le premier dans ma tête quand je pense au casting ; sur Ani Karseladze qui est née pour se tenir devant une caméra ; sur Oliko Barbaqadzeq qui apparaît peu de temps à l’écran, mais pour qui chaque seconde me rend heureux d’avoir fait ce film ; sur Giorgi Amrboldze qui est parti après ses quelques jours de tournage et qui est devenu le champion d’Europe de bras de fer, sur Vakhtang Panchulidze qui est une star du cinéma géorgien depuis les années 70 et avec qui j’ai eu la chance de travailler.
Je pourrais écrire encore davantage sur la raison pour laquelle j’ai donné à mes parents les rôles de la cadreuse et du réalisateur.
Je pourrais mettre en avant les similitudes entre le foot et le cinéma, deux jeux que j’adore pratiquer.
Je pourrais écrire sur le geste que Leo Messi fait chaque fois qu’il marque un but, ce qu’il signifie pour moi et l’impact de ce geste sur ce film.
Je pourrais vous dire que j’ai passé le meilleur moment de ma vie à travailler sur la musique avec mon frère Giorgi, et comment cette musique a changé le film.
Je pourrais me rappeler le temps que j’ai passé avec notre productrice Mariam Shatberashvili et notre cadreur Faraz Fesharaki à Koutaïssi et comment, en fin de compte, j’ai voulu écrire sur Koutaïssi, mais comme l’a écrit un écrivain : qui suis-je pour écrire sur Koutaïssi ?
Honnêtement, je voulais écrire sur tout cela et bien plus encore. À un moment donné, j’ai réalisé que si je continuais, le texte qui en résulterait serait au moins aussi long que le scénario du film. Comment choisir les sujets à traiter et ceux à laisser de côté, en donnant plus d’importance à certains sujets et moins à d’autres, ce qui est la dernière chose que je souhaite faire ? Je pense que si ce film a un sens, c’est en parlant de toutes les choses ci-dessus et de bien d’autres encore, ensemble et non séparément. Mais comme je devais écrire quelque chose, j’ai écrit un petit poème. Le voici :
Toi et moi
Quand j’ouvre mes yeux, je te vois.
Quand je ferme mes yeux, je te vois.
On pourrait dire que je suis aveugle, mais je ne le suis pas.
Je te vois, je te vois, je te vois…
ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR
Votre film met en place une histoire d’amour et entretient le suspense pour savoir si elle se concrétisera un jour. Comment vous est venue l’idée de la malédiction et des connexions manquées ?
Quand j’étais enfant, je devais souvent porter une pierre de jais, généralement sur ma main, pour me protéger du mauvais œil. Aujourd’hui, presque plus personne ne le fait, et je cherche à savoir pourquoi. Le mauvais œil n’existe-t-il plus ou est-ce simplement que plus personne n’y croit ? Bien entendu, mon histoire ne porte pas seulement sur le mauvais œil, mais aussi, de manière générale, sur les forces, bonnes et mauvaises, qui semblent avoir été exclues de notre monde matérialiste, et qui se manifestent pourtant de temps à autre. Je m’intéresse à l’inexplicable et à la place que ces phénomènes occupent dans la vie quotidienne. L’attraction de deux personnes l’une pour l’autre est une chose tellement inexplicable.
Comment se tisse le lien qui unit deux personnes et pourquoi est-ce si douloureux lorsque ce lien se rompt ? Personne ne le sait vraiment. Pour moi, la métamorphose dans le film n’est pas tant une allégorie ou une métaphore, mais quelque chose qui se passe sous nos yeux, tout le reste est une question d’interprétation.
Les enfants, les chiens et le football jouent un rôle important dans le film. Pouvez-vous expliquer comment vous avez décidé d’introduire ces éléments dans l’histoire ?
D’une certaine manière, Koutaïssi est une ville qui appartient aux enfants, ou du moins il y a certains moments dans la journée où l’on a ce ressenti. C’est un peu comme la séquence dans Journal intime de Nanni Moretti dans laquelle les enfants ont pris le contrôle de la ville. Comme nous étions très inspirés par ce que la ville avait à offrir, il est rapidement devenu évident que les enfants joueraient un rôle très important. Et de toute façon, y a-t-il quelque chose de plus beau que de filmer des enfants ? Peut-être les chiens ? En ces temps si tristes, l’existence exemplaire des chiens avec leur dévouement, leur honneur et leur dignité est pour moi une véritable consolation lorsque nos chemins se croisent. Dans mes films, j’essaye toujours de leur donner un peu de place pour les remercier. Il y a certaines choses qui me rendent heureux, et parmi elles il y a sans aucun doute le football. Lorsque nous étions en repérage, nous sommes allés dans un vrai stade et nous avons traversé le tunnel pour arriver sur le terrain, comme le font les joueurs. À ce moment-là, j’ai enfin compris ce que serait mon plus grand rêve : courir sur le terrain de foot dans un maillot flambant neuf, me tenir en ligne avec le reste de l’équipe, rayonner de fierté, écouter le thème de la Champion’s League ou l’hymne national tout en me préparant pour le grand match. Cela n’arrivera pas, je le sais, mais grâce aux films que je réalise, je peux me rapprocher un peu plus de ce rêve.
Le titre international (What do we see when we look at the sky?), tout comme le concept du film, évoque un certain sens du réalisme magique, du surnaturel qui affecte nos vies de tous les jours sans que personne ne soit surpris. Diriez-vous que c’est un thème typiquement géorgien ? Pourquoi ce choix stylistique ?
Il y a deux possibilités : soit les personnages du film se demandent effectivement ce qui se passe, mais nous ne les voyons jamais à ce moment-là, soit ils se le demandent, mais ne le montrent pas. D’un côté, il est important pour moi de laisser les gens tranquilles dans les moments cruciaux et intimes. Il y a des choses que l’on doit faire et vivre seul, et cela vaut aussi pour les personnages fictifs. D’autre part, l’éventail des réactions émotionnelles humaines est complètement surfait, et les réactions que nous voyons dans les films n’ont rien à voir avec la réalité. Je ne pense pas nécessairement que les réactions doivent être réalistes, mais je préférerais qu’elles ne suivent pas les modèles que nous sommes habitués à voir dans les films…
Parlez-nous de la musique, elle ajoute un ton charmant et amusant au film : qu’est-ce qui vous a motivé dans votre choix de musique ? Et pourquoi cette grande diversité entre les principaux thèmes au synthétiseur, le chant traditionnel géorgien et Gianna Nannini ?
Je suis souvent nostalgique de l’époque des films muets. Ce genre a été complètement absorbé par les films parlants, comme si l’un allait déranger l’autre ou comme s’il était impossible que les deux formes existent en parallèle. J’essaie souvent de réaliser une sorte de film muet, pas littéralement, mais dans son essence. La musique a toujours accompagné les films muets, et j’essaie de rester fidèle à ce genre. La musique du film a été écrite par mon frère Giorgi Koberidze. C’est lui qui a apporté cette variété. Ce fut une longue collaboration, et nous nous sommes inspirés de diverses sources, de Tom et Jerry, où la musique est directement dérivée des mouvements des personnages, aux grandes bandes originales où la musique est imposante, comme un opéra. Giorgi a composé de nombreux airs très différents qui créent souvent une rupture avec les attentes. C’est important, car il y a toujours besoin d’un contrepoint. Notti magiche de Nannini était la chanson officielle du championnat du monde de 1990 en Italie. Je n’avais que six ans à l’époque, mais cette chanson est restée dans ma mémoire comme un hymne à la passion.
La réalisation d’un film joue un rôle très important dans l’histoire de Sous le ciel de Koutaïssi. Elle est décrite comme un processus long et pénible, parfois le film tourne mal, mais quand il fonctionne, il révèle des vérités que personne ne voyait auparavant. Quel est votre point de vue sur la relation entre le film et la réalité vécue et sur son rôle dans la vie du public ?
Il y a quelques années, j’ai passé quelques jours en Finlande pour le Nouvel An. J’ai eu le sentiment très étrange de ne pas savoir si les choses étaient telles que je les voyais et qu’Aki Kaurismäki les montrait simplement telles qu’elles étaient ou si les choses étaient telles qu’elles étaient parce qu’Aki Kaurismäki les avait montrées ainsi. Le cinéma a un pouvoir immense pour nous influencer dans la façon de voir les choses, et il crée des modèles de comportement qui font ensuite partie de notre répertoire quotidien. Pour donner un exemple, je suis convaincu que la façon dont nous embrassons aujourd’hui est issue du cinéma. Je suis sûr qu’on pourrait faire des recherches empiriques intéressantes à ce sujet. Et n’est-il pas passionnant de savoir qui est responsable des plus beaux moments de notre vie ?