Film soutenu

Soy libre

Distribution : Les Alchimistes

Date de sortie : 09/03/2022

France/ Belgique / 2021 / 1h18 / format 16.9

Arnaud, c’est mon petit frère.
Un jour, je me suis rendu compte qu’il était déjà grand. Il est né là où on ne choisit pas et cherche ce qu’il aurait dû être. Libre.

Sélection ACID à Cannes – FIFIB, Bordeaux – Carte blanche Acid / Ciné-Festival en Pays de Fayence / Festival du cinéma de Saint-Paul-Trois-Châteaux /Ecrans Documentaires, Arcueil / WIPP, Paris / Directors’ Week – Brussels International Film Festival – Jury Prize / Zurich Film Festival – Mention Spéciale / Film Festival En ville ! Bruxelles – Agnès Award for Best First Feature

AVEC : Arnaud Gomez et Jacqueline Puygrenier

Réalisation et image : Laure Portier • Montage image : Xavier Sirven • Montage son et mixage : Mikaël Barre • Musique originale : Martin Wheeler • Production : Gaëlle Jones, Perspective Films • En coproduction avec Need Productions • Avec le soutien du Centre National de la Cinématographie, de la Région Provence Alpes Côte d’Azur, du CBA Centre de l’Audiovisuel à Bruxelles

Laure Portier

Laure Portier est née en 1983 dans les Deux-Sèvres.
Après une licence de Lettres Modernes à Toulouse et une année à l’ESAV, elle intègre l’INSAS à Bruxelles en section Image.
Diplômée, elle devient assistante caméra et accompagne des longs métrages de fiction. En 2019, elle présente son premier court-métrage, DANS L’ŒIL DU CHIEN, lauréat du Prix court-métrage au festival Cinéma du réel.
SOY LIBRE est son premier long-métrage.

Filmographie

2019 DANS L’ŒIL DU CHIEN (cm)

2021 SOY LIBRE
Sélection ACID à Cannes – FIFIB, Bordeaux – Carte blanche Acid / Ciné-Festival en Pays de Fayence / Festival du cinéma de Saint-Paul-Trois-Châteaux / Ecrans Documentaires, Arcueil / WIPP, Paris / Directors’ Week – Brussels International Film Festival – Jury Prize / Zurich Film Festival – Mention Spéciale / Film Festival En ville ! Bruxelles – Agnès Award for Best First Feature

SOY LIBRE est également soutenu par L’ACID

ENTRETIEN AVEC LAURE PORTIER

Depuis quand filmes-tu ton frère et depuis quand l’envie de le filmer s’est transformée en l’envie d’en faire un film ? 

Le moment où je suis entrée à l’Insas coïncide avec l’entrée de mon frère Arnaud dans un centre éducatif fermé. Dans le rapport de grande soeur à petit frère, je ressentais le besoin ou le devoir de partager avec lui l’éducation que je recevais. Et peut-être aussi que vu notre rapport, il était nécessaire de mettre quelque chose d’autre entre lui et moi. Une caméra, un projet. Mais je n’en avais pas cette conscience-là lorsque j’ai commencé à le filmer en 2005. En 2012, j’apprends qu’il est à la prison des Baumettes et là, nous sommes dans l’urgence que quelque chose se passe. Et pour que le film existe un jour sur le grand écran, je veux écrire un film et qu’il soit produit. C’était ma motivation dès l’écriture du projet.

Tu avais décidé très vite qu’il y aurait des parties, en cas de voyage, qui seraient filmées par lui ? Qu’est-ce qu’il faisait, il filmait, il t’envoyait ? Comment recevais-tu ces éléments visuels ?

Dès le départ, alors que je n’avais pas encore de production, lorsque j’ai eu l’aide à l’écriture, je lui ai payé les voyages, l’énorme amende dont il devait s’acquitter, et une caméra. Pas tant pour nourrir le film mais plutôt pour qu’il en fasse des choses. Qu’il passe à autre chose, si ça l’intéressait. Je n’étais pas sûre du tout qu’il aimerait ça. Ça n’a jamais été convenu entre nous. Il a dû filmer différentes choses mais les premières images que j’ai reçues de lui datent de 2016 lorsqu’il s’est retrouvé à la rue. 

C’est Une fois que j’ai mesuré ce qu’il me fournissait comme matière, que j’ai su que le film allait se composer avec ses images.

À quel moment sais-tu que le film va s’arrêter ?

Lorsque je suis partie le rejoindre au Pérou en 2019, rien ne fonctionnait. Arnaud refusait d’être filmé. Je n’avais pas de quoi finir le film tel que je l’avais en tête. Mais le tournage était fini. La caméra était devenue de trop entre nous. Quand j’ai commencé à monter en septembre 2020, je n’avais pas encore les dernières images tournées par Arnaud. Tout ce que je savais, c’est que je finirai le film sur son dessin, sans savoir exactement comment. C’est un dessin que je lui ai demandé de faire en 2013. Je lui avais demandé de dessiner la dernière image du film. Pour qu’il me raconte ce vers quoi il voulait aller. Quelle direction, il voulait que sa vie prenne.  Ce dessin est plein de vie et de lumière. Il me fallait donc soit attendre, soit tordre le film pour qu’il s’y plonge. Et il y a eu un peu des deux… Arnaud a continué à m’envoyer de la matière filmée jusqu’en janvier 2021 et c’est ce qui a permis de créer cette fin.

Tu savais que les dessins allaient être un fil conducteur du film ?

Oui, parce que c’est un film qui est fait pour Arnaud. Lorsque nous étions enfants, j’étais la mignonne petite fille et Arnaud, c’était la tornade. On attendait toujours la prochaine connerie qu’il allait faire. Le regard des adultes l’enfermait dans cette attente. Et il finissait par faire une connerie, comme pour leur donner raison. 

Mais à côté de ça, c’était un petit gars qui, dès qu’il dessinait, inventait des endroits extraordinaires. Il gagnait même des concours de dessins. Encore aujourd’hui, il ne reconnaît pas la valeur de son travail et j’ai toujours voulu qu’il réalise qu’il avait un potentiel dans ses dessins.  Je rêvais même qu’il fasse une école d’art. Mais il me disait qu’il s’en foutait de l’école, que c’était pour moi que c’était important. Je pense que je voulais le tirer de cette injustice faite à ce corps d’enfant, à ma manière, alors que lui voulait se tirer de là à sa manière. Ses dessins, c’est sa sensibilité au monde, sa plus profonde personnalité. Ils avaient donc toute leur place dans le film. 

Lorsque tu parles de ton premier film DANS L’OEIL DU CHIEN, tu utilises une expression que je trouve assez belle et qui illustre bien ce film-ci aussi. Tu dis « mettre en cinéma les gens qu’on aime. » 

Lorsque j’ai commencé ces deux films, puisque le tournage de l’un nourrissait l’autre et se faisaient en même temps, je n’avais pas le même âge. J’avais l’arrogance de la vingtaine et je ne me posais pas les mêmes questions qu’aujourd’hui. En ça, je n’ai pas intellectualisé ma démarche. Et c’est tant mieux, je pense. A partir du moment où j’avais des outils de cinéma en main, c’est-à-dire une caméra et un enregistreur son, je me suis naturellement tournée vers ceux que j’aimais. Je n’avais pas d’histoires en tête. Je n’avais pas de sujet à défendre. Je voulais transformer la vie en une histoire de cinéma. Et pour pouvoir y dédier autant de temps, il me fallait être happée, investie affectivement.

Tes films je les vois comme des traits d’union, un refus de la disparation.

C’est vrai que le mot refus est un moteur. C’est un refus d’abdiquer. Le cinéma me sert à tordre le réel et à plonger dans cette torsion pour en faire quelque chose. C’est peut-être naïf de ma part mais j’y crois énormément, je pense que le cinéma pourrait ne servir qu’à réinventer le réel ou du moins proposer autre chose dans ce qui s’y passe. 

Il n’y a pas seulement l’enregistrer, ton travail influe sur le réel.

Je dirais même que ça l’implique et que ça l’impacte. Je crois en l’idée que la manière de poser son regard sur une chose, une situation, et une personne peut en changer la forme. 

Et ta place à toi, à l’intérieur du dispositif ? Tu choisis clairement d’être présente dans le déroulé du film, soit hors-champ, soit à l’image. Tout en refusant toute voix off. Il y a d’une part, une mise en danger et avec ton frère, on sent le bras de fer et une tension permanente. Il semble tout le temps ausculter ta mise en scène. Ce précepte par rapport à ta place te vient d’où ?

Je n’ai jamais eu envie de me filmer, ni d’exister physiquement dans mes films. Mais de toute évidence, j’en suis un personnage. C’est venu naturellement quand j’ai filmé ma grand-mère, car en étant présente, je prenais soin d’elle et je devais être à l’image. Au montage, il a fallu jongler avec ce personnage qui est le mien, jauger sa présence, trouver un équilibre. C’était plus facile que dans SOY LIBRE : la place de petite fille aimante et aimée est plus facile à endosser que celle de la grande soeur malmenée et malmenante. Pour SOY LIBRE, il fallait jouer sur les désaccords entre Arnaud et moi. Et lui laisser la place et le temps de se défendre. On le voit dans les premières images du film, quand il est tout jeune et que je lui demande « Qu’est-ce que tu crois ? que tu vas passer à la télé avec ce film ou sur un internet ? », il répond avec un petit rictus, comme s’il croyait déjà en ce film plus que moi. En tout cas, c’est comme ça que je l’interprète aujourd’hui. C’est moi qui ai eu tort. C’est une manière de dire au spectateur « Si vous aussi vous aviez tort en regardant Arnaud ? ». Et pour cela il faut que mon personnage ait tort. Je ne voulais pas de voix off, parce que ce n’est pas mon écriture. Je peux monter des scènes non synchrones sur des images mais pas de voix off en soi. Ce ne sont pas des films à la première personne. Je n’en suis qu’un personnage.

Ça double le film. C’est-à-dire qu’au-delà de retracer un itinéraire, qui est celui de ton frère, c’est un film qui parle très fortement du rapport frère sœur.

C’est ce que j’espère. Qu’il n’en reste que la complicité, la rivalité et la chamaillerie. De l’amour fraternel. C’est parce que nous sommes frère et sœur que le film peut dépasser la facilité de définir Arnaud comme un animal social et de faire de l’anthropologie. Je ne voulais surtout pas en faire de la nourriture pour sociologue. Et en ça, je le qualifierai plus comme film politique que film social.

Tu as choisi de l’appeler SOY LIBRE, tu peux me dire pourquoi ?

Ce sont ses propres mots et non les miens. Il mène un combat pour être libre, je l’entends. 

La scène avec ta grand-mère est bouleversante, tu réussis quelque chose sur la durée. C’est très beau en termes de montage, ce que ton frère dit et le mouvement de la scène. Est-ce que tu t’autorises plusieurs prises en général et comment ça s’est passé pour cette scène là en particulier ? 

De manière générale, je fais souvent refaire, rejouer. Si la scène le permet. Mais pas pour cette scène. J’ai coupé quand Arnaud est trop dans l’émotion. Il y a un moment où je ne tiens pas face à des larmes, je ne suis pas là pour ça. Pour contextualiser cette séquence tournée en 2015, je suis allée chez notre grand-mère avec Arnaud parce que je me disais que cette visite était nécessaire. Parce qu’elle allait mourir et que je pensais qu’il était important qu’il lui dise au revoir.  Il ne l’avait pas revu depuis ses 16-17 ans. Je n’avais pas mesuré qu’il allait replonger dans un univers qu’il avait voulu quitter et qu’il allait être confronté à la proximité de la mort pour la première fois. C’était très dur pour lui. Il m’en a beaucoup voulu. Je trouve important de maintenir le lien dans la filiation, mais si j’avais su que ça le bouleverserait autant, je ne l’aurai pas fait. Je n’aime pas l’idée de jouer avec la vie des gens. Et malgré tout, c’est une séquence clé du film et je l’aime énormément, par ce qui s’y joue, par ce qu’ils se disent. Pour revenir à la question de la durée choisie au montage, c’est un dosage de charge émotionnelle. « Les gens ne comprennent pas ce que c’est que de manger seul. » : Les mots qu’il choisit sont forts. Ça s’éprouve en pensant au spectateur, à ce qu’on veut lui faire vivre à ce moment-là du film. C’est un moment de bascule, on entre dans la fragilité d’Arnaud. Si je devais garder deux séquences du film, je garderais la séquence du scooter en Espagne et celle avec la grand-mère. Ce sont mes deux piliers.

La scène du scooter est assez remarquable, parce que tu es à une place de cinéaste, et donc de regardant, face à un acte transgressif et, compte tenu de son attitude et de la situation, c’est toi qui deviens vulnérable. On pourrait dire ça de plusieurs scènes dans le film. Comment as-tu vécu ces moments où tu le filmes en train de faire une connerie ? 

Et je reste convaincue que son habit était aussi choisi. A moi de me démerder pour en faire quelque chose. Donc on s’amuse. Comme des enfants, un frère et une soeur, avec un des deux qui fait plus de conneries que l’autre et qui se suivent, avec jubilation. Je m’étais fixé des limites. Je ne voulais pas le filmer en train de voler. Pas pour des raisons morales, mais logistiques. Que faire s’il se fait prendre ? Comment le protéger si ça tourne mal ? Je crois qu’ici on s’autorise la connerie, comme des enfants, parce qu’il n’y a que nous. C’est hors d’une certaine réalité. Par contre, j’ai mis un point d’honneur à ne jamais filmer la prison. Pour montrer la direction dans laquelle je voulais que le film nous emmène. C’est une question de ligne de mire. Je lui disais : « Je ne filmerai pas de parloir. Si tu es enfermé je ne filmerai pas. Donc débrouille toi pour ne pas y aller ». 

A chaque film, je me dis qu’on apprend une chose. Qu’est-ce que tu aurais l’impression d’avoir appris avec SOY LIBRE ?

C’est un peu tôt pour faire un bilan. Je dirai que j’ai appris que la grammaire du film s’écrit avec la personne qu’on filme. Que c’est lui qui la définit. Qu’il faut l’accepter et ne pas lutter contre. C’est presque physiologique. C’est la manière dont un corps bouge, dont les mots s’articulent. Je n’aurai jamais fait ce film sans les images d’Arnaud. J’avais très peur d’un film patchwork. Et la force du film vient, je crois, du fait d’avoir réussi à épouser sa grammaire et lui la mienne. Les seuls plans larges du film, c’est lui qui les a faits ! 

Propos recueillis par Frank Beauvais