Film soutenu

Sundown

Michel Franco

Distribution : Ad Vitam

Date de sortie : 27/07/2022

Mexique, France, Suède • 2021 • 1h23 • 2.40:1/ 5. 1

Une riche famille anglaise passe de luxueuses vacances à Acapulco quand l’annonce d’un décès les force à rentrer d’urgence à Londres. Au moment d’embarquer, Neil affirme qu’il a oublié son passeport dans sa chambre d’hôtel. En rentrant de l’aéroport, il demande à son taxi de le déposer dans une modeste « pension » d’Acapulco…

Tim Roth Neil Bennett • Charlotte Gainsbourg Alice Bennett • Iazua Larios Bérénice • Henry Goodman Richard • Albertine Kotting McMillan Alexa • Samuel BottomleyColin

Réalisation et Scénario Michel Franco  • Producteurs Michel Franco, Eréndira Núñez Larios, Cristina Velasco L. • Co-producteurs Jonas Kellagher, Caroline Ljungberg, Hédi Zardi, Fiorella Moretti • Producteurs exécutifs Tim Roth, Lorenzo Vigas • Producteurs associés Luis Romano, Rafael Micha, Grégoire Lassalle • Directeur de la photographie Yves Cape (AFC SBC) • Décors Claudio Ramírez Castelli • Costumes Gabriela Fernández • Montage Oscar Figueroa Jara, Michel Franco • Casting Susan Shopmaker, Viridiana Olvera • Prise de Son Raúl Locatelli • Chefs opérateurs son Alejandro de Icaza, Niklas Sharp • Société de production TEOREMA • Sociétés de co-production LUXBOX, COMMONGROUND PICTURES, Film I Väst • Avec le soutien de EFICINE – Producción 

Michel Franco

Né à Mexico en 1979, Michel Franco est venu placer le cinéma mexicain sous le feu des projecteurs à l’échelle internationale.
Parmi les films qu’il a écrits, réalisés et produits, on retrouve Chronic (Meilleur scénario au Festival de Cannes 2015), Les Filles d’Avril (Prix du jury, Un Certain Regard, Festival de Cannes 2017), et Después de Lucia (Premier Prix, Un Certain Regard, Festival de Cannes 2012). Il a également produit, entre autres, 600 Miles (réalisé par Gabriel Ripstein, Prix du meilleur premier film à la Berlinale 2015), et Les Amants de Caracas (réalisé par Lorenzo Vigas, Lion d’Or au Festival de Venise 2015). Michel Franco fait son retour à Venise avec son 7ème film, Sundown, après avoir remporté le Lion d’Argent, Grand Prix du Jury, avec Nouvel Ordre à l’édition 2020 du festival.

FILMOGRAPHIE
2021 Sundown
2020 Nouvel ordre
2017 Les filles d’avril
2015 Chronic
2013 A los ojos
2012 Después de Lucía
2009 Daniel & Ana

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Quelle est la genèse de ce film, et qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir raconter cette histoire en particulier ? 

Il s’agit d’un ensemble d’éléments. J’ai écrit ce film alors que je traversais une profonde crise existentielle. Je faisais une sorte de bilan de ma vie personnelle, et pour la première fois j’ai réalisé que la vie n’est pas éternelle, que les choses ont une fin. Ceci s’est produit après un voyage à Acapulco avec une amie, et alors que nous avions quitté l’hôtel en voiture pour aller dîner, un peu après 20h, j’ai été arrêté par des policiers fédéraux au comportement très agressif, qui braquaient leurs armes sur moi. Ils se demandaient si mon amie était en danger – si elle était avec moi contre son gré. Ils voulaient me sortir du véhicule, mais je savais que c’était ce qu’il ne fallait surtout pas faire. Mon amie ne comprenait pas ce qu’il se passait, elle me disait d’obtempérer. J’ai réussi à m’en sortir en repartant, et ils nous ont suivis en nous menaçant, mais nous avons réussi à rentrer à l’hôtel sains et saufs. Cela m’a vraiment attristé car Acapulco est un de mes endroits préférés. 

Qu’est-ce qui fait d’Acapulco un endroit qui vous attire tant ? 

C’est une des villes du Mexique que je connais le mieux car j’y suis beaucoup venu quand j’étais plus jeune, parfois j’y restais jusqu’à un mois autour du nouvel an. Cela me brise le coeur de voir combien elle a changé. Elle est souvent classée parmi les villes les plus dangereuses au monde, ce qui peut toucher les touristes, mais pas si souvent que cela. Le paradis qu’elle a un jour été est aujourd’hui délabré, et je ne parle pas de l’Acapulco de Sinatra ou d’Elvis Presley. Sa déchéance symbolise plus généralement la déchéance de mon pays. Il y a beaucoup de tensions à Acapulco ces temps-ci mais au final, pendant le tournage, elle a été très accueillante. J’imagine que je cherchais à prouver que c’était la même Acapulco que celle de mes souvenir de jeunesse. 

C’est une nouvelle collaboration avec Tim Roth, qui tenait le rôle principal de votre film intitulé Chronic. Pourquoi vous a-t-il semblé être le bon choix pour Neil, d’ailleurs avez-vous écrit le film spécifiquement pour lui ? 

Je l’ai effectivement écrit pour lui. Je voulais que l’histoire se passe à Acapulco, et elle ne pouvait se dérouler nulle part ailleurs. J’ai immédiatement su que le film serait pour Tim. J’ai donc écrit le scénario avec ces deux éléments en tête. Nous nous connaissons depuis neuf ans, et nous avons traversé un certain nombre de choses ensemble, dont les tournages de Chronic et de 600 Miles. Nos sensibilités sont similaires, et je me suis dit qu’il serait réceptif à cette histoire. J’ai écrit le scénario en quelques semaines, contrairement à Nouvel Ordre, qui m’avait pris des années. Dès la fin de l’écriture du scénario, j’ai pensé à tout ce que je n’avais pas décrit, ce qui est toujours le cas pour un scénariste, surtout quand on a écrit d’une traite. Mais je savais que ce ne serait pas un souci pour Tim, alors je le lui ai envoyé et il a compris exactement où le film voulait en venir. Il m’a dit : ne change rien, on le filme tel quel.

Pourquoi avez-vous souhaité travailler avec Charlotte Gainsbourg ? 

J’ai toujours voulu travailler avec elle, j’ai adoré son jeu dans Antichrist, l’intensité qu’elle dégage. À l’origine, son rôle dans Sundown était moins développé. Mes responsables casting se sont pourtant mis à lancer le nom de Charlotte et cela ne me serait jamais venu à l’idée parce que c’est une des meilleures actrices de notre époque et je ne me voyais pas lui proposer un second rôle. Mais on l’a contactée et elle a tout de suite accepté. Je lui ai laissé beaucoup de liberté ; elle a beaucoup apporté au rôle et mis une grande part d’elle-même dans son personnage. 

Pouvez-vous décrire la dynamique tout à fait unique de cette famille ? Il semblerait qu’un certain type de famille vous fascine – fortunée, guindée, quasi-oligarchique… 

J’imagine en fait qu’au final tous ces moyens qu’ils sont supposés avoir, et qui proviennent de l’argent, de leurs études, d’une vie de privilèges, ne représentent pas grand-chose, parce qu’ils ne cessent de faire les erreurs les plus fondamentales et sont incapables de communiquer les uns avec les autres. J’ai toujours trouvé fascinant de voir combien on peut faire du mal à quelqu’un qu’on aime. Ici encore, on a des individus qui sont censés avoir la capacité d’exprimer leurs idées et leurs sentiments, mais en fait ils passent leur temps à tout gâcher. 

Ce film est l’histoire d’une famille bien spécifique mais il évoque aussi des questions plus vastes, telles que les inégalités économiques, les ruptures dans la communication, diverses formes de violence. 

C’est une famille très particulière. J’espère que les spectateurs se retrouveront dans les thèmes plus universels, mais cette famille, elle, existe dans son propre univers, notamment au regard des relations qu’ils entretiennent entre eux. 

Il y a un fil rouge entre Nouvel Ordre, votre film précédent, et Sundown, en termes de violence, dans la manière dont certaines personnes sont contraintes de la subir. 

On vit avec la violence au quotidien au Mexique, et donc je ne peux pas l’exclure de ce que j’écris. Je pense que c’est insensé de voir à quel point nous normalisons la violence, nous l’acceptons – le moins que je puisse faire est de l’évoquer dans mon travail, de chercher à comprendre comment une société peut avancer en acceptant une telle violence. Je ne connais personne au Mexique qui ne se soit jamais retrouvé sous la menace d’une arme à un moment ou un autre, parfois même celles d’officiers de police et c’est alors encore plus effrayant que lorsqu’il s’agit de malfaiteurs, parce qu’avec eux il suffit de leur donner ce qu’ils demandent. Les crimes et la violence font partie de la vie au Mexique – alors soit on va vivre ailleurs, soit on cherche à comprendre. En tant qu’auteur, je me dois d’étudier cette réalité. 

Il y avait des centaines de figurants dans Nouvel Ordre et d’énormes scènes de foule. Pour sa part, Sundown est un film plus intime, plus circonscrit. Était-ce plus facile de raconter une histoire à une échelle de fait plus intime ici ? 

Ce qui est intéressant, c’est que l’histoire est plus intime en ce qu’il s’agit de l’intériorité du personnage de Tim, que sa famille essaie de comprendre. Ceci dit, dans tous les plans à la plage d’Acapulco il y a au moins une centaine de personnes, et je n’allais pas boucler tout le périmètre de la plage pendant le tournage parce qu’on aurait perdu la véritable ambiance spontanée qui y règne. Alors j’ai positionné nos extras près des caméras mais on n’a pas bloqué le passage. Les vendeurs ambulants sont réels, les vacanciers aussi. Ce n’était pas évident à gérer pendant le tournage lui-même. J’ai dû expliquer à l’équipe de tournage qu’il nous fallait rester extrêmement discrets, et Tim et Charlotte ont dû faire avec. Ensuite, on croise les doigts pour qu’une bonne prise ne soit pas foirée par quelqu’un qui fixe la caméra, ce qui a parfois été le cas. 

Cherchez-vous à confronter différents univers à travers cette histoire ? 

Je voulais montrer toutes les facettes d’Acapulco, et donc le personnage de Tim part à la dérive, depuis son hôtel de luxe jusqu’à l’autre côté de la ville, où se trouve un monde diamétralement opposé. Quand je filme, je ne pense pas en termes de riches ou de pauvres – Acapulco, c’est une mosaïque de couleurs, de musiques, de nourritures, je voulais que le spectateur ait l’impression d’être sur place. 

Parlez-nous de la collaboration avec votre directeur de la photographie sur ce film – dont la texture visuelle est si particulière. 

Au début du tournage, je lui ai dit que je voulais que le spectateur ait le sentiment de se trouver à Acapulco – qu’il ressente la chaleur, le sable, tout cela. Il y est parvenu grâce à ses choix d’objectifs. Par contre, concernant notre collaboration et notre manière de tourner, c’est la première fois que je fais un film sans l’avoir planifié du tout. Bien évidemment, nous discutions ensemble de la manière dont nous allions filmer une scène ou une autre, mais pour mes films précédents, tout était parfaitement planifié à l’avance. Même pour Nouvel Ordre, avec sa caméra portée et ses 3.000 extras, tout était prévu et minuté, jusqu’à et surtout la post-production, avec toute la violence. Il n’était pas possible de filmer Nouvel Ordre autrement. Avec Sundown, on raconte une histoire plus simple en apparence, mais qui reste complexe en ce qu’elle explore l’intériorité des personnages – et c’est ce qu’il y a de plus difficile à saisir avec la caméra. Souvent, on ne savait même pas où serait positionné la caméra, et ça pouvait être éreintant sous la chaleur accablante du soleil. Ici, plus que de la préproduction, nous avons travaillé à l’intuition. Le tout était d’être sur le vif et de rendre l’ensemble aussi naturel que possible. 

La notion de soleil est profondément ancrée dans le film – tout d’abord dans le titre, et puis aussi comme une métaphore pour les personnages. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’importance du soleil dans l’histoire ? 

Le soleil signifie aussi bien la vie que la mort. C’est le fil d’Ariane du film, et en même temps Neil s’expose de plus en plus au soleil, ce qui n’est pas nécessairement une bonne chose. Pour autant, Neil sait exactement ce qu’il fait, donc il y a une certaine contradiction et j’aime bien ça. Cela dit, à titre personnel, je crains franchement le soleil à cause du risque de cancers de la peau. Quand j’étais petit, les gens pensaient encore que le soleil était bon pour eux, qu’on pouvait rester des heures à bronzer, et que c’était une bonne chose. Ce point de vue a bien changé. 

Parlez-nous de la collaboration sur ce film avec votre complice de toujours et associé de la société de production Teorema, Lorenzo Vigas, qui est lui aussi réalisateur. Comment décririez-vous cette relation professionnelle ? 

Notre amitié remonte à plus de 20 ans, et nous avons commencé en faisant des courts métrages ensemble quand nous étions plus jeunes. Au fil du temps, nous avons continué à lire mutuellement nos scénarios, et si j’ai été le premier à faire des films, il s’y est mis aussi, et il a reçu le Lion d’Or en 2015 pour son premier long métrage Les Amants de Caracas. Nous aimons tous les aspects de notre collaboration, les défis, confronter nos opinions, nos différences. Nous sommes très différents en ce qu’il prend son temps – en 2015, j’avais Chronic et lui son film, et entre les films qu’on a produits j’ai aussi réalisé Nouvel Ordre et Les Filles d’Avril. Nous sommes différents de ce point de vue : il prend son temps alors que j’aime quand les choses vont vite. Nous nous efforçons de nous soutenir mutuellement du mieux possible, tout en ayant conscience de nos différences.