Les Ta’ang, minorité ethnique birmane, sont au cœur d’une guerre civile à la fron- tière chinoise. Depuis début 2015, de violents conflits ont contraint des milliers d’enfants, de femmes et de personnes âgées à s’exiler en Chine. Le film suit la vie quotidienne de ces réfugiés.
Réalisation WANG BING • Image WANG BING, SHAN XIAOHUI • Montage ADAM KERBY, WANG BING • Son EMMANUEL SOLAND • Consultant artistique ZHU ZHU • Producteurs MAO HUI WANG YANG • Co-producteurs WANG JIA, FRANCESCA FEDER, DANIÈLE PALAU • Producteur délégué WANG DI • Producteurs associés NICOLAS DE LA MOTTE, SYLVIE FAGUER, LIANG YING • Production CHINESE SHADOWS, WIL PRODUCTIONS
Wang Bing
Né à Xi’an (Chine), dans la province du Shaanxi, en 1967, Wang Bing a étudié la photographie à l’Ecole des Beaux Arts Lu Xun puis le cinéma à l’Institut du Cinéma de Pékin (1995).
Il débute sa carrière de cinéaste indépendant en 1999 avec le tournage au long court de A l’ouest des rails.
Filmographie
2003 A L’ouest des rails (Tiexi qu / 铁西区 )
Festival du film de Montréal 2004 – Grand Prix du Jury Documentaire
FID Marseille 2003 – Prix du Meilleur Documentaire
Festival des 3 continents 2003 – Montgolfière d’or du Jury Documentaire
Doc Lisboa 2002 – Grand Prix
2007 L’Etat du monde (film collectif) / segment Brutality factory (Baoli Gongchang)
Festival de Cannes 2007/ Quinzaine des réalisateurs
2007 Fengming, Chronique d’une femme chinoise (He Fengming 和凤鸣)
Festival de Cannes 2007 – Sélection officielle
FID Marseille 2007 – Compétition internationale – Prix Georges de Beauregard
Festival international du film de Toronto 2007 – Sélection officielle
2008 Crude Oil (Yuan You / 原油)
Festival international du film de Rotterdam 2008
FID Marseille 2008
2008 L’Argent du charbon (Tong Dao 通道)
Cinéma du Réel 2009
2009 L’Homme sans nom 无名者
Doc Lisboa 2010
Etats généraux du film documentaire de Lussas 2010
2010 Le Fossé (Jia Bian Gou 夹边沟)
Festival du film de Venise 2010 – Compétition
Festival international du film de Toronto 2010 – Sélection officielle
2012 Seules – Dans les montagnes du Yunnan (Gudu 孤独)
Festival international du film de Rotterdam 2012
Festival Black Movie – Prix de la Critique
2012 Les trois soeurs du Yunnan (San Zimei 三姊妹)
Festival de Venise 2012 – Prix Orizzonti
Festival des 3 continents 2012 – Montgolfière d’or / Prix du Public
Festival Doc Lisboa – Best Film Award
Festival de Fribourg – Best Film Award/ Don Quijote Award/ Prix Oecumenique du Jury
2013 À la folie ( ‘Til Madness Do Us Part) (Feng Ai 疯爱)
Festival de Venise 2013- Hors compétition
Festival des 3 continents 2013 – Montgolfière d’argent
2017 Madame Fang (方 绣 英 )
Festival de Locarno 2017 – Pardo d’Or
2017 15 Heures (15 小 时 )
Dokumenta Kassel 2017
ENTRETIEN AVEC WANG BING
Ta’ang a été filmé pendant que vous travailliez à un autre film. Qu’est-ce qui vous a incité à changer de projet ?
Le film précédent racontait l’histoire de très jeunes enfants chinois
quittant leur domicile pour aller travailler à Shanghai. En suivant
certains d’entre eux, nous sommes arrivés à la frontière entre la Chine
et la Birmanie, dans la province de Yunnan, alors même que la guerre
venait de commencer. J’ai rencontré des femmes fuyant avec leurs enfants
et j’ai décidé de filmer les réfugiés. A ce mo- ment-là, il n’y avait
personne sur place pour les aider : ni ONG ni qui que ce soit d’autre.
Nous n’étions absolument pas embarqués avec les forces gouvernementales
et le fait de filmer s’est tout de suite avéré extrêmement dangereux.
Que voulez-vous dire ?
Il y avait des soldats, des bandes, des trafiquants de drogue et des
criminels qui profitent du dés- espoir des gens. Ils savaient tous que
nous n’avions pas les autorisations nécessaires pour filmer et ils ont
essayé de nous faire renoncer par tous les moyens possibles. De plus,
les réfugiés avaient du mal à accepter la présence de la caméra : bon
nombre d’entre eux avaient peur d’être filmés et c’est pourquoi nous
avons essentiellement filmé la nuit et non pas à la lumière du jour.
Lorsque nous sommes arrivés au camp, nous ne nous sommes pas mis à filmer
tout de suite. Nous étions égale- ment assez tendus, très inquiets de
la situation autour de nous et nous nous posions des questions sur la
façon de procéder. Nous nous demandions comment filmer ces gens, comment
les cadrer et ainsi de suite. Peu à peu, nous avons noué une relation
avec certains d’entre eux, nous avons fait connaissance et trouvé une
manière de continuer.
Vous avez suivi les réfugiés dans différents endroits. Lesquels ?
Nous avons filmé dans deux camps de réfugiés : Maidhe et Chachang. Dans
ces deux camps, la si- tuation des réfugiés changeait constamment. De
nouvelles personnes ne cessaient d’arriver. Cer- taines d’entre elles
tentaient de pénétrer plus avant sur le territoire chinois. D’autres
changeaient d’endroit pour travailler, faire la récolte de canne à sucre
pour les paysans chinois.
Au camp de Chachang, nous avons rencontré Jin Xiaoman et Jin Xiaoda,
ayant fui leur village avec leurs enfants et quelques personnes âgées.
Comme les autres, elles ont peur. Elles sont préoccupées en permanence
du sort de leurs maris restés en Birmanie. Elles ont tout perdu. Elles
aimeraient donner davantage à leurs enfants, mais ne parviennent pas à
gagner suffisamment d’argent.
L’équipe comprenait combien de personnes ?
Trois. Le producteur, l’opérateur et moi.
La plupart des réfugiés sont des femmes et des enfants. C’est
à travers leurs yeux que l’on découvre le déroulement des faits et leur
ressenti.
Les hommes restent à l’arrière pour s’occuper de leurs maisons, de leurs biens et des personnes
âgées qui n’avaient pas la force de se déplacer. Ce sont les femmes qui sont chargées de sauver les enfants de la guerre.
Vous avez parlé de votre choix de filmer la nuit. Etait-il uniquement destiné à protéger les réfugiés ?
L’image des gens regroupés autour d’un feu revêt également une forte
dimension théâtrale. On se trouve presque en mesure de mettre en scène
des paroles. Cette image évoque une dimension orale et collective, à
savoir l’histoire de leur vie qu’ils racontent à ce moment-là, une
dimension que j’ai voulu intégrer au film. De plus, la nuit, l’atmosphère
était plus intime. Je repense à la sé- quence où les femmes discutent
dans le champ de maïs et que je trouve particulièrement belle. Dans la
salle de montage, nous avons dû faire des choix : je disposais de
nombreuses heures de matériel filmé, particulièrement durant les premiers
jours, lorsque la situation était plus calme. Dès que le conflit s’est
durci, nous avons été soumis à toutes sortes de pression. Je voulais
retourner vers ces femmes, mais cela n’était plus possible.
Votre
présence dans le film est déclarée. A certains moments, les réfugiés
vous regardent et semblent s’adresser directement à vous. Pourquoi ce
choix de ne pas se cacher ?
Je me demandais constamment si la caméra risquait d’ennuyer ces gens
qui vivaient une tragédie aussi terrible. J’ai décidé de conserver les
moments où ils me regardent car cela s’est passé de cette manière et
surtout parce que c’est lié à mon rôle de réalisateur. Pour faire face à
ce type de réalité, il est nécessaire de se remettre soi-même en
question, d’être concentré et de respecter la personne qui se trouve en
face de vous. Je n’aurais pas pu agir différemment.
Extrait d’une interview réalisée par Cristina Piccino à Berlin (Il Manifesto, 23 février 2016)