TATSUMI célèbre l’œuvre et la vie du mangaka japonais Yoshihiro Tatsumi. Dans le Japon occupé de l’immédiat après-guerre, la passion du jeune Tatsumi pour la bande dessinée deviendra finalement le moyen d’aider sa famille dans le besoin. En plus d’être publié dès l’adolescence, sa rencontre avec son idole Osamu Tezuka, le célèbre mangaka que l’on compare à Disney, lui offrira une source d’inspiration supplémentaire. Tatsumi va remettre en question le manga qui n’offre aux enfants que des scénarii et des dessins au contenu mièvre et sot. En 1957, il va inventer le terme gekiga (littéralement « images dramatiques »), développant ainsi une nouvelle forme de manga destinée à un public adulte. Fortement influencé par les thématiques du cinéma néo- réaliste, Tatsumi, nous offre une vision du Japon de l’après-guerre.
SÉLECTION UN CERTAIN REGARD – FESTIVAL DE CANNES 2011
Avec les voix de Tetsuya Bessho, Yoshihiro Tatsumi
Réalisateur et Scénariste Eric Khoo • Inspiré de UNE VIE DANS LES MARGES et autres œuvres de Yoshihiro Tatsumi • Directeur Animation Créative Phil Mitchell • Directeur Artistique Widhi Saputro • Directeur du son Kazz • Musique Christopher Khoo • ProductionZhao Wei FIlms (Singapour), Infinite Frameworks (Singapour) • ProducteursTan Fong Cheng, Phil Mitchell, Freddie Yeo, Eric Khoo
Eric Khoo
Grâce à son premier film MEE POK MAN (1995), Khoo a propulsé Singapour sur le marché international du film. Le film a remporté de nombreux prix, tout comme son second film 12 STOREYS (1997) qui a aussi été le premier film singapourien à participer officiellement au Festival de Cannes. Son troisième film BE WITH ME, a été sélectionné pour l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2005. Depuis, le film a remporté de nombreuses récompenses à l’étranger et a été présenté à divers grands festivals, notamment à Toronto, Telluride et Pusan. En 2006, Eric a été invité au Festival du Film Numérique à Jeonju en Corée pour y mettre en scène NO DAY OFF, l’histoire d’une femme de ménage indonésienne. Khoo a reçu la plus grande distinction singapourienne des Arts : la médaille de la Culture. En France, en 2008, il a été fait « Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres ». Depuis 2007, Eric Khoo est membre du conseil d’administration de la New York University Tisch School of the Arts Asia.
Un film d’animation en l’honneur de la vie et de l’œuvre du mangaka japonais Yoshihiro Tatsumi (Extrait)
UNE VIE DANS LES MARGES
J’étais un grand fan des histoires courtes de Yoshihiro Tatsumi il y a plus de vingt ans, et j’ai été submergé par la lecture de son autobiographie de 800 pages, UNE VIE DANS LES MARGES. L’histoire de sa vie m’a beaucoup inspiré. J’ai été extrêmement bouleversé par l’amour et la passion qu’il a pour son métier, et par les épreuves qu’il a dû subir pour pouvoir l’exercer. Au dos du tome illustré, j’ai vu une photo de l’homme en personne, tenant ses joues dans les paumes de ses mains. Bien des nuits plus tard, son visage m’est apparu à l’esprit, et je me suis senti agité… et inspiré. J’ai éprouvé l’envie irrésistible de relire ses histoires courtes, qu’il avait écrites à la fin des années 60/70. L’émerveillement et le profond respect qui m’avaient envahi à la première lecture, il y a de cela des années, sont revenus tels quels. Yoshihiro Tatsumi ne se contente pas d’être un conteur accompli, il est également un observa- teur incroyablement astucieux et honnête de l’amour, de la vie et de la condition humaine. Et ces observations me hantent et me troublent encore aujourd’hui.
JAMAIS ADAPTE AUPARAVANT
Les œuvres de Yoshihiro Tatsumi n’ont jamais été portées à l‘écran avant TATSUMI. Bien sûr, elles ont suscité beaucoup d’intérêt au fil des ans, mais cela n’a jamais été matérialisé. Lorsque je suis allé au Japon pour rencontrer M. Tatsumi, notre premier rendez- vous a eu lieu dans le sous-sol d’un vieux coffeeshop. On s’était arrangé pour qu’il voie mes films avant de me rencontrer, et j’étais content quand il m’a dit qu’il se reconnaissait dans mes films et leurs personnages. Mais je pense que ce qui l’a mis encore plus à l’aise avec moi, c’est quand je lui ai montré que je savais dessiner. J’avais illustré la façon dont j’envisageais de construire le film. Nous avons passé plus de trois heures ensemble, et il a fini par me donner le feu vert pour faire le film.
CHACUNE DE SES HISTOIRES EST UN BIJOU
Yoshihiro Tatsumi a aimé l’idée de combiner son autobiogra- phie UNE VIE DANS LES MARGES avec ses histoires courtes. A mes yeux, chacune de ses histoires est un bijou, et c’est dom- mage qu’on n’ait pas pu toutes les inclure dans le film. Mais ça n’était pas possible dans un film de moins de 100 minutes. Si je suis amené à faire un autre film d’animation, il traitera des autres histoires courtes de M. Tatsumi, celles que je n’ai pas pu insérer dans TATSUMI.
RISQUE ET CONTROVERSE
Les histoires reprises dans TATSUMI illustrent combien son œuvre était destinée aux adultes, et à quel point elle était risquée pour les années 70. On était très loin des habituels mangas pour enfants. Ces histoires étaient extrêmement controversées et en ont choqué plus d’un à l’époque. Mais il y avait aussi un nombre croissant de lecteurs alternatifs, qui sont tombés amoureux des histoires qu’il racontait dans son propre style de gekiga. Même l’auteur Yukio Mishima était fan de cette nouvelle forme audacieuse de récit.
SOMBRE, TRISTE ET BEAU
J’adore les personnages de M. Tatsumi, parce qu’ils reflètent le quotidien et la réalité. Il y a quelque chose de sombre et de triste, mais aussi de beau à la fois dans son œuvre. Et il y a tellement de créativité qui ressort de ses scénarii si originaux, qui sont tout autant intemporels, dans la mesure où ils traitent de la condition humaine d’une façon vraiment unique. J’adore la façon dont l’intrigante histoire de L’ENFER évolue, vous engloutissant peu à peu. MONKEY MON AMOUR est vraisemblablement l’histoire la plus triste de sa collection, et est également l’histoire favorite de M. Tatsumi dans le film. JUSTE UN HOMME englobe tout à la fois: humour, douleur, drame. Le protagoniste de cette histoire est un per- dant triste, qu’on a envie de voir devenir champion. L’idée de s’ins- pirer de graffitis pornographiques dans OCCUPÉ m’a littérale- ment enthousiasmé. Et je pense que le GOOD BYE de Tatsumi est l’histoire la plus audacieuse et la plus dure de toutes. C’est à la fois merveilleusement tragique et tordu. Cette histoire a eu sur moi un tel impact quand je l’ai lue il y a plus de vingt ans que j’ai décidé d’en faire la dernière histoire du film.
LA TECHNIQUE DU ONE-COLOUR PRINTING
J’ai précisé à Phil Mitchell, le directeur de l’animation créative, que le film devait avant tout refléter fidèlement le style artistique de M. Tatsumi. Je voulais que le film ait à la fois un charme un peu vieillot, mais qu’il propose aussi un côté frais dans le monde de l’animation. Je voulais que l’histoire de sa vie soit racontée dans des couleurs vives, et que ses histoires courtes revêtent des couleurs individuelles inspirées de la technique japonaise du one-colour printing. Nous demandions des directives à M. Tatsumi à chaque fois que nous étions bloqués – jusqu’à la couleur du train qu’il prenait quand il était enfant. Nous vou- lions surtout que TATSUMI soit le plus précis possible. Il nous fallait sans cesse l’avis du grand artiste pour nous en assurer.
UNE NOUVELLE VOIX
L’équipe d’animation travaillait à partir des strips et des cadrages de M. Tatsumi. Il adore le cinéma, et il a produit des œuvres qui ressemblent plus à des story-boards de films qu’aux traditionnels strips de 4 cases propres au manga. Tout ce qu’il nous restait à faire, c’était de les déployer au format d’un écran large. Et de leur conférer des multi-plans, un peu comme différentes couches, afin d’en accen- tuer la profondeur. Bien sûr, certains croquis ont été légèrement modifiés, ce qui me fait dire qu’en les adaptant pour le cinéma, les histoires de M. Tatsumi ont revêtu une nouvelle voix.
ENTENDRE PARLER SON CŒUR
Je voulais que M. Tatsumi fasse le voice-over pour les chapitres sur sa vie. Je sentais que cela donnerait plus de sens au film et qu’on pourrait ainsi entendre parler son cœur. C’est un homme très timide et très humble, et il a vraiment fallu le harceler pour qu’il accepte. De même, l’acteur japonais Tetsuya Bessho a élevé le film à un tout autre niveau, grâce à ses incroyables timbres de voix. Il est aussi un acteur de théâtre très talentueux, et il a donc pu inter- préter plusieurs rôles : deux personnages dans L’ENFER – le rôle principal et le fils malade, le rôle principal dans MONKEY MON AMOUR, le narrateur dans JUSTE UN HOMME, et le rôle prin- cipal dans OCCUPÉ, ainsi que l’éditeur qui le licencie.