Film soutenu

The Day He Arrives (Matins calmes à Séoul)

Hong Sangsoo

Distribution : Les Acacias

Date de sortie : 16/05/2012

Corée du Sud – 2011 – 1h19 – 35 mm – 1.85 – Dolby SR

Seungjun, un professeur de faculté autrefois cinéaste, vient rendre visite à son ami Youngho à Séoul. Il déambule dans le quartier de Bukchon, au nord de la capitale. Il rencontre de jeunes étudiants en cinéma qui finissent par l’exas- pérer puis renoue, le temps d’une nuit, avec son ancienne maîtresse Kyungjin. Le lendemain, il rejoint dans le restaurant « Le Roman » Yungho et son amie Boram et fait connaissance de Yejeon, la jeune et jolie patronne de l’établissement. Les rencontres et discussions se poursuivent au fil des jours, dans un espace- temps indéfinissable, jusqu’à ce qu’une jeune inconnue ne le prenne en photo, ne fixant de lui qu’un visage mélancolique et distrait…

Un Certain Regard – Festival de Cannes 2011

LISTE ARTISTIQUE ET TECHNIQUE
SEONGJUN YU Junsang • YOUNGHO KIM Sangjoong • BORAM SONG Sunmi • KYUNGJIN/YEJEON KIM Bokyung
Réalisation et Scénario HONG Sangsoo • Image KIM Hyungkoo • Lumière YI Yuiheang Son KIM Mir • Prise de sonSONG Yeajin • Montage HAHM Sungwon • Musique JEONG Yongjin • Producteur exécutif HONG Sangsoo • Productrice KIM Kyounghee

Hong Sangsoo

Entretien avec Hong Sangsoo

« En attendant la neige sur Séoul »

Je me rappelle que vous avez commencé à tourner Oki’s Movie pour vous prouver que vous pouviez filmer dans n’importe quelles conditions, même les pires. Quelle fut votre motivation pour The day he arrives ?
J’ai fini Oki’s Movie en hiver 2009, puis le film est sorti en salles et je suis allé dans quelques festivals. Le temps est passé très vite sans que je m’en aperçoive. Vaguement, je pensais tourner un nouveau film avant la fin 2010. Pour trouver des idées, j’ai passé quelques jours dans la petite ville de Buan dans la province de Jeollabuk-do, mais je n’arrivais pas à avancer. J’ai eu ensuite l’occasion de passer quelques jours dans un hôtel-résidence d’Insadong à Séoul. Ma chambre était à un étage très élevé et je fumais par- fois au balcon. Depuis mon balcon je voyais le quartier de Bukchon.
Je regardais ce quartier sans y prêter attention mais peu à peu l’idée du film m’est venue comme ça. Bukchon est un des rares quartiers que je connais sur la rive droite de Séoul. Lorsque j’ai un rendez-vous sur la rive droite, je vais toujours dans les deux ou trois mêmes restaurants et toujours dans les mêmes cafés. C’est comme ça qu’une idée m’est naturellement venue : « un homme va trois fois au même endroit». Cette fois, je voulais répéter une situation, alors que dans mes précédents films seule la structure était répétée.

Dans Oki’s Movie, vous avez d’abord filmé le premier épisode qui décrit une journée de Jingu et puis, pour avoir un long métrage, vous avez assemblé 3 autres épisodes. Dans le cas de The day he arrives, votre point de départ était : Seongjun, un cinéaste, se rend à Séoul.
J’ai d’abord fait le casting de Yu Junsang puis celui Kim Bokyung et Song Sunmi. Je n’avais au départ qu’une seule idée en tête : que les personnages aillent plusieurs fois au même endroit. Après avoir choisi les acteurs, pen- dant à peu près un mois, j’ai pris quelques notes. J’ai hésité à écrire un trai- tement mais, finalement, je ne l’ai pas fait. Pour Les femmes de mes amis, j’avais 10 pages de traitement et pour Hahaha, quelques pages. Mais depuis Oki’s Movie, j’ écris de moins en moins. Pour The day he arrives, je n’avais que quelques mémos, comme un journal intime. Je me suis dit : «tournons au jour le jour, on verra bien». Parfois, un dialogue du jour pré- cédent me donnait des idées pour le tournage du jour même. En procédant de cette façon, j’ai tourné pendant 6 jours.
La dernière séquence de ce «6ème jour» était la scène où Seongjun quitte le bar «Roman». J’ai alors demandé à mon équipe de me donner quelques jours de réflexion. D’autre part, j’avais entendu à la météo qu’il allait neiger et j’ai voulu attendre.

Parmi les endroits de Bukchon où les personnages se rencontrent, aviez-vous en tête un endroit principal ?
Même quand je décide d’un lieu principal, souvent je change en cours de tournage. Comme je ne peux pas toujours bien payer les frais de location, je me prépare à toutes les éventualités. En revanche, je savais qu’un des endroits principaux serait le bar où ils se retrouvent pour boire. L’ambian- ce que créait le nom du bar «Roman», l’allée qui y mène, la décoration intérieure, tout m’a plu.

Après La Vierge mise à nu par ses prétendants, ceci est votre deuxième film en noir et blanc. A quel moment avez-vous fait ce choix ?
Lors du montage, j’ai essayé de, passer l’image en noir et blanc, et j’ai apprécié l’ambiance. J’ai présenté mes excuses à mon chef opérateur Kim Hyungkoo et lui ai demandé son autorisation. Comme cela fait plusieurs fois que nous travaillons ensemble, il m’a compris. J’aime beaucoup les paysages hivernaux de Séoul en noir et blanc, comme ceux que j’avais déjà filmés dans La Vierge mise à nu par ses prétendants.

« S’en remettre au hasard »

Je crois que ce n’est pas la peine de vous demander quelles étaient vos intentions pour ce film. Au cours du tournage vous pouvez changer d’idée selon les acteurs et les imprévus. Il me semble que c’est en grande partie le hasard qui dirige vos films. J’ai donc plutôt envie de vous demander si cette fois le hasard a bien fonctionné.
Oui, comme je vous l’ai dit, jusqu’au 6ème jour de tournage, tout s’est bien passé. Par exemple, le premier jour, j’ai filmé la scène où Seongjun rencontre l’actrice dans la rue. J’ai rajouté une phrase de dialogue, lorsqu’elle lui dit : «je vais voir mes élèves». Je ne pensais pas que ce bout de dia- logue me servirait plus tard lorsque Seongjun les rencontre. J’ai mis ce dialogue au hasard mais il s’est révélé utile par la suite. La plupart des événements de notre vie sont le fruit du hasard, ce n’est qu’ensuite que nous les relions artificiellement.

Cette fois-ci l’apparence de Yu Junsang (Seongjun) vous ressemble beaucoup. Est-ce voulu ? 
Le pull de Yu Junsang est en effet le mien. Le premier jour de tournage, j’avais mis ce vêtement, Yu Junsang l’a adoré et a insisté pour le porter.

On peut diviser vos films en deux sortes. Ceux où les personnages voyagent et les autres. Cette fois-ci, le lieu est Séoul mais comme une destination de voyage. Quelle est la différence entre le Séoul de ses habitants et le Séoul des voyageurs ?
Seongjun vit maintenant dans une autre ville mais avant il était séoulien. On peut alors dire que c’est moitié-moitié. Séoul est à la fois la ville où l’on voyage et celle dont on se souvient. C’est ce double statut de la ville qui m’a plu.

Si on ôte la scène d’amour, le lieu d’hébergement de Seongjun n’est jamais déterminé. Est-ce volontaire ?
Il y a un petit indice dans un dialogue lorsqu’il dit que l’appartement de son frère est vide. Le film est un récit jour après jour, mais en même temps chaque jour semble le premier. Si je l’avais montré sortant d’un hôtel ou de chez son frère, cela aurait créé un repère temporel. On se serait dit : c’est le lendemain et cela aurait déterminé une temporalité.

Dans Oki’s Movie l’identification des personnages était ambigüe, mais dans The day he arrives, c’est le temps qui est ambigu. Notamment, la scène du bar «Roman», le temps est chaotique. Les personnages portent toujours les mêmes habits, parfois ils vivent une seconde situation comme si c’était la première fois.
Par exemple, Seongjun et Youngho, les deux garçons, croisent l’actrice. Celle-ci dit alors à Seongjun: « Vous m’avez dit que vous alliez voir Youngho et voilà, vous êtes avec lui ». Ce dialogue contient l’information que Seongjun et l’actrice se sont déjà vus une fois. Mais comme la tempo- ralité est floue, on ne sait pas s’ils se sont vus la veille ou le jour même. Le film possède ainsi deux axes. Dans le premier, les sentiments des person- nages et les informations s’accumulent. Dans le second, chaque jour semble nouveau et les événements ont l’air de se produire pour la première fois. Ces deux axes vont et viennent, jamais totalement confondus, jamais totalement séparés.

Lorsque Seongjun embrasse la propriétaire du bar, Yejeon pour la deuxième fois, Yejeon semble ne pas se souvenir de premier baiser.
A 70% peut-être ne se souvient-elle de rien. Mais à 30% elle peut aussi bien mentir. J’ai parlé des deux axes que prend le film : à cet instant ils se croisent. Après qu’ils se soient embrassés contre le mur, soudain Yejeon appelle Seongjun «chéri». On a alors l’impression que Yejeon se métamorphose en Kyungjin (l’ancienne petite amie de Seongjun). Dans cette scène je voulais que la Kyungjin du passé et la Yejeon du présent soient réunies en une seule figure, qu’elles forment une seule entité, un seul corps.

Juste après la scène où Seongjun et Kyungjin s’enlacent sur le lit, on voit tout de suite Seongjun sortir de chez elle presque en continuité. Au moment du tournage, connaissiez-vous déjà la structure temporelle du film ?
Le raccord que vous avez cité n’a pas été créé par le montage. Je l’ai prévu le matin même du tournage, et je l’ai filmé ainsi. Concernant la structure temporelle, je l’ai conçue dès le 2ème jour de tournage.

Les fantômes mélancoliques du bar «Roman»

L’actrice Kim Bokyung joue un double rôle. Comment l’avez-vous dirigée ? 
Je ne lui ai pas donné beaucoup d’explication. Je lui ai juste passé les dia- logues et demandé de les lire. Lorsque son expression correspondait à peu près à mon intention, je ne rajoutais pas grand chose. Si c’était trop différent, je corrigeais quelques phrases. Je ne demande pas à mes acteurs d’analyser en profondeur leur personnage. En règle générale, ça se passe naturellement bien entre les acteurs et moi, sans que j’aie à donner beaucoup d’explication. Je crois qu’il y a une sorte de magie entre nous.

La veille du dernier jour de tournage vous avez demandé à l’actrice Go Hyunjung d’amener un appareil photo. Vous aviez déjà écrit la dernière image du film à ce moment-là ?
J’ai décidé que ces 4 personnages apparaitraient continuellement dans la scène : le réalisateur, le producteur, une ancienne compositrice pour le cinéma et une fan des films de Seongjun. Il m’a semblé qu’il était naturel que cette dernière ait un appareil photo.

Le dernier plan du film est très marquant, à cause de l’expression de Seongjun qui se fait photographier. Pour beaucoup de spectateurs, ce dernier plan donne une tonalité de cauchemar au film entier. Comment avez-vous dirigé le jeu d’acteur ?
Je lui ai juste demandé d’avoir l’air concentré. Je ne lui ai d’ailleurs pas dit que ce serait le dernier plan du film. Pour que ce soit plus naturel, il ne devait penser à rien d’autre qu’à la situation d’être photographié. Les gens ont des réactions différentes au sujet de mon film. Certains pensent que c’est une comédie, d’autres sont effrayés. C’était mon souhait : je voulais des réactions contrastées.

Qu’est-ce qui leur fait peur ?
Lorsque Kyungjin et Yejeon se superposent, des spectateurs ont été troublés. D’autres ont perçu les clients du bar comme des fantômes. Certains m’ont dit que cela décrivait le destin des hommes qui se répète à l’infini. Quelqu’un m’a dit aussi : « D’habitude, après tes films, j’ai toujours envie d’aller boire, mais celui-ci m’a donné envie de vivre correctement. » D’autres personnes ont trouvé le film très drôle. Donc, les réactions sont très variées.

Comment évaluez-vous votre propre travail ? Quels sont vos critères pour savoir si un de vos films est réussi ?
J’ai bien sûr quelques principes, auxquels je tente de me tenir, lorsque je commence un film. Mais ceux-ci évoluent sans arrêt avec les acteurs, les gens que je rencontre, les innombrables hasards et le temps qui passe. Cela me convient. Je ne me fixe pas d’objectif. Je ne sais pas si je change ni même si je vais dans une quelconque direction.

En se séparant de Yejeon, Seongjun lui demande d’écrire son journal intime. Y a-t-il pour vous un point commun entre écrire son journal intime et faire un film ?
Ça dépend de quelle sorte de journal intime. Normalement on écrit un journal intime en le remplissant de regrets. On vit dans un certain cadre, on a une idéologie ou des responsabilités, et on confie à son journal ses frustrations : pourquoi n’ai-je pas pu faire telle chose, avoir une autre existence, etc. Ce genre de journal intime n’a rien à voir avec faire un film. En revanche, si on tient son journal d’une autre façon, par exemple en décrivant nos réactions devant les événements qui nous arrivent, alors ça pour- rait ressembler à faire un film. Parfois l’acte d’écrire nous amène à des conclusions qu’on n’aurait pas imaginées. Ecrire pour regretter, pour se consoler ou s’encourager n’a rien à voir avec le cinéma. Avec le cinéma, je me sens libéré de ce genre d’entrave.

Vous pensez à quoi après avoir tourné un film ?
Après le tournage, j’attends. Je montre le film à mes proches et j’attends que le film sorte en salle. Mes films ne procurent pas le plaisir du cinéma de genre et ils ne délivrent pas non plus de message. Ce que les spectateurs retirent de mes films dépend de leur humeur ou de leur situation. C’est en lisant ou écoutant les réactions des spectateurs que je comprends enfin la façon dont mon film existe. Cela me permet de tourner la page. Je fais seulement mon travail. Tant que je sens que je bouge continuellement, je suis content.

Propos issus d’entretiens réalisés pour Ciné 21, Movie Week.
Traduction : Seo Seung-hee
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