Film soutenu

The Pleasure of Being Robbed

Joshua et Benny Safdie

Distribution : Dulac Distribution (Sophie Dulac Distribution)

Date de sortie : 29/04/2009

USA - 2008 - 1h10 - 35mm - 1.85 - SR - couleurs - 122 813

Eléonore, jeune femme libre et curieuse, déambule dans les rues de New-York.
Pour se distraire, elle vole tout ce qui lui tombe sous la main.
Ce qu’elle trouve dans les sacs des passants déclenche aventures et rencontres.
Au cours d’un vol, Eléonore rencontre Josh…

Quinzaine des Réalisateurs – Festival de Cannes 2008
Prix de la meilleur Actrice pour Eléonore Hendricks – Festival de Belfort 2008

Réalisateur  Josh Safdie
Auteurs  Josh Safdie & Eléonore Hendricks
Idée originale Andy Spade, Anthony Sperduti and Josh Safdie
Cameraman Brett Jutkiewicz and Josh Safdie
Producteurs exécutifs  Andy Spade and Casey Neistat
Producteurs Brett Jutkiewicz, Zachary Treitz, Sam Lisenco and Josh Safdie with help from Alex Orlovsky
Producteur Associé Alex Kalman   
Monteurs Brett Jutkiewicz, Josh Safdie and Benny Safdie

Joshua et Benny Safdie

Joshua et Benny Safdie sont nés et ont grandi à New York, sous l’œil de la caméra super 8 de leur père qui les filmait en continu. Lors de ses études de cinéma à l’université de Boston, Josh fait la connaissance de Sam Lisenco, Brett Jutkiewicz et Zachary Treitz. Ils fondent ensemble avec Benny le collectif Red Bucket Films. Ils vivent et travaillent tous à New York, produisant les films les uns des autres. Josh Safdie a réalisé The Pleasure of being Robbed clôture de la quinzaine des réalisateurs en 2008.
Go get some rosemary (Lenny and  the Kids ) premier long métrage réalisé par les deux frères la été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2009. 

Entretien avec le réalisateur

Parlez-nous de vous…
Je suis né à New York, j’ai déménagé d’un appartement à l’autre sans jamais rester plus de trois ans au même endroit. Mes parents se sont séparés quand j’étais très jeune. Mon frère Bennie et moi avons été élevés par notre père qui avait toujours rêvé de devenir cinéaste. Il a acheté une caméra vidéo quand nous avions deux ans, a arrêté de nous photographier pour nous filmer : il nous regardait et enregistrait tout chaque jour. Cette obsession d’archiver se retrouve dans les films que nous faisons, Bennie et moi. (Bennie Safdie a réalisé plusieurs courts métrages et coréalise le prochain long métrage avec Joshua Safdie). Notre père voulait immortaliser des moments simples du quotidien : nous en train de dormir, de manger, de dessiner, de regarder la télévision. Parfois, il filmait ce qu’il y avait dans le réfrigérateur après les courses… De temps en temps, mon frère et moi lui volions la caméra pour faire quelques films sur un joueur de poker, de basket-ball ou un chien. A d’autres moments, il prenait sa caméra et nous demandait de décrire les rues que nous empruntions, à New York ou à Paris.

Quand avez-vous commencé à réaliser des courts métrages ?
J’ai vraiment commencé à faire des films en adaptant des pièces en un acte de David Ives, des scènes d’Edward Albee ou Samuel Beckett. Mais je n’ai compris profondément ce que j’essayais de dire à travers le cinéma qu’à partir du cinquième ou sixième court métrage, que j’ai écrit et produit. J’ai commencé à être obsédé par le désir de raconter des histoires, mais je voulais laisser les personnages exister comme dans la réalité, créer une interaction entre une histoire et la vie. Je cherchais à retranscrire tout ce qui se passe sur un tournage. C’est ce qui m’a excité le plus quand j’ai vu Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir, la scène filmée depuis une fenêtre, Boudu marche sans but au milieu de la foule avant de sauter dans le fleuve.

Pourriez-vous présenter la comédienne Eléonore Hendricks et son personnage ?
Puis-je présenter Eléonore ? Eh bien, j’ai essayé avec The Pleasure of Being Robbed… C’est une femme à la personnalité tumultueuse, dans la vie comme dans le film. Dans le film, elle fait face à la confusion que l’on ressent quand on est désespéré ou perdu, par exemple quand on repense à son enfance.
Dans la vie, Eléonore est photographe et fait principalement des portraits. Elle est curieuse de manière maladive. Elle peut parfois entrer dans une période de casting sauvage. Elle se perche alors sur un banc et trouve des gens qui pourraient convenir pour certains rôles. En d’autres termes, elle les « vole ». Elle prend une photo d’eux, et s’en va avec un sourire et un échange sincère.

Le personnage a une silhouette bien particulière.
Les gestes d’Eléonore étaient le plus souvent intuitifs. Je la laissais bouger comme elle voulait et si je n’aimais pas, on en discutait.
Je tourne les scènes de mes films dans l’ordre chronologique, et j’aime bien voir un personnage porter les mêmes habits tout le temps. Cela capture quelque chose du temps qui passe. A la fin du tournage les vêtements sont sales. Son personnage se lave sûrement tous les jours, mais de temps en temps elle oublie tout. Le jour où elle est arrêtée dans le parc, elle ne s’est pas lavée et cela se voit. Ses cheveux ont encore la trace de l’oreiller. C’est très spécial de voir la trace du sommeil. C’est triste et joyeux à la fois.

Vous avez produit le film vous-même…
La production, c’est surtout sur le papier… Dans les faits, c’était parfois uniquement Eléonore et moi dans le métro ou dans la neige, et sans son. Le plus souvent, on était quatre. On impliquait des gens dans l’histoire qui n’avaient même pas conscience d’être dans un film. Ils étaient vraiment attirés par Eléonore, et ils en oubliaient qu’ils étaient filmés. Un des personnages, l’épicier à qui Eléonore vole les raisins, a découvert qu’il avait une réplique en voyant le film à New York !  Il dit : « C’est au poids ! » et paraît timide et presque touché que quelqu’un lui parle un instant. Cela vient, je pense, de la manière dont nous l’avons filmé.
On ne pouvait pas faire un film sur le vol et ne pas être préparés à « voler » nous-mêmes des plans… On a essayé de filmer des vols dans le métro, au téléobjectif. Eléonore a essayé de subtiliser un sac, a mis sa main dessus, mais n’a pas été jusqu’au bout.
Pour les scènes du zoo et du parc d’enfants, on a caché notre équipement. On plaçait la plus petite Bolex super 16 au fond d’un sac. Il fallait alors distraire les gardiens du parc avec des questions, et beaucoup de charme, pour qu’ils ne se rendent pas compte que, dans le sac de Zach, il y avait un énorme matériel de prise de son…

A propos du vol et du titre…
Le titre provient de ces questions éternelles : faut-il mieux être aimé ou pas du tout ? La douleur vaut-elle le coup ? L’expérience vaut-elle le coup ? Oui la femme au début se fait  voler son sac, mais il lui est arrivé quelque chose ; et le soir avant de s’endormir elle se souviendra que quelqu’un lui a parlé, qu’il lui a dit qu’elle ne faisait pas son âge, et Eléonore ne mentait pas. Certes elle planifiait autre chose, mais elle ne mentait pas. Elle n’est jamais perverse.
J’ai été plus proche d’Eléonore que qui que ce soit dans sa vie récente. Elle m’a bouleversé et je lui en suis reconnaissant. Le personnage de Josh, que j’incarne, a son cœur « volé » par Eléonore.
Une anecdote, ma voiture a disparu. J’ai fait moi-même les recherches et je me suis rendu compte que ma plaque d’immatriculation accumulait les PV à Spanish Harlem. Avec un ami, on a cherché dans Harlem et on a trouvé la voiture. J’ai regardé à l’intérieur, le siège arrière était devenu un lit avec une salle de bain. Il y a avait un matelas au sol, un réveil sur l’oreiller, un petit bol d’eau et une brosse à dent. L’avant était un bureau, le siège du passager une penderie, avec des chemises et des valises pleines de vêtements. Et au-dessus, il y avait mon journal intime. Eh bien ce type l’avait utilisé. Il y avait laissé son cœur pleurer. Il parlait à Dieu. Il s’appelait Kurtis et vivait dans ma voiture. C’était plus la sienne que la mienne. Des semaines après, retrouver des pipes à crack m‘était indifférent. En revanche j’étais désolé de lui avoir « piqué » sa maison…

La musique est discrète mais remarquable. Du piano couvre le tout dans une ambiance un peu Woody Allen, et des chansons pop accompagnent les moments importants.
La musique signifie quelque chose de spécial pour moi. La dernière chanson en particulier. Quand je demande à un ami de composer  une musique pour un film, j’essaie de lui décrire comment je veux me sentir après l’avoir entendue. La plupart  des morceaux sont faits pour le film.
La musique pop est là, tous les jours en fond sonore dans la vie de chacun. Elle nous fabrique. Sa facilité d’accès nous permet de dire tout ce que l’on veut, de masquer la tristesse par la joie, et inversement. Pour la chanson « A lot of it », j’avais un sentiment de mélancolie ; d’ailleurs Eléonore  était triste de devoir retourner à sa vie après ce voyage qui aurait dû la bouger et la mettre sur le bon chemin.
Je vois le côté Manhattan dont vous parlez avec le morceau de Thelonious Monk. Ce morceau relève de la folie, il ne cesse de se répéter. Il est triste et fou, loufoque et souple, comme Thelonious Monk lui-même. J’ai écrit le scénario en l’écoutant peut-être deux cents fois. C’était la seule chose que j’écoutais, avec « Tell Me That It isn’t True » de Bob Dylan.

Vous sentez-vous proche de la scène underground new yorkaise ?
J’ai surtout des liens avec la scène musicale. La plupart des concerts ont lieu dans des appartements transformés en salles ou dans des petits bars miteux. Je vois une forte connexion entre les scènes musicales et le monde du cinéma. Il y a beaucoup d’endroits pour voir des films à New York et c’est très excitant : l’Anthology Film Archives, le Film Forum, Cinema Nolita, Kim’s (R.I.P), le Walter Reade Theater et des lieux comme le IFC Center possèdent des forums et des lieux pour rencontrer des gens qui font des choses intéressantes. C’est ainsi que  j’ai rencontré Ronald Bronstein, réalisateur de Frownland, qui joue dans mon prochain film. Il organisait une projection de Models de Frederik Wiseman.

Il y a un côté féerique dans le film. Mais ce n’est que vers la fin, avec la scène du zoo, que l’on saute dans l’imaginaire.
Cette scène arrive quand on est au plus près d’Eléonore, dans le jardin d’enfants, après son échec. C’est souvent quand on touche le fond, que l’on commence à trouver un sens à sa vie. C’est dans l’obscurité de son esprit, dans ses recoins les plus sombres, qu’elle se met à halluciner de manière sauvage (elle imagine dompter une bête sauvage). La scène est un baptême, mais un baptême raté, une manière de la réveiller, de continuer à aller dans la même direction. C’est comme si la partie recommençait. D’ailleurs il n’y a pas qu’une seule scène imaginaire. Chaque scène est en quelque sorte infusée dans l’imagination et la curiosité d’Eléonore.

Eléonore est une étrange fille… La comédie laisse une drôle d’impression. Après la scène du parc plus rien n’est pareil.
C’est la scène la plus importante à mes yeux. Ce film est le portrait d’une fille troublée et orageuse. C’est aussi un film sur la performance. Que signifie être présent ? Que signifie être là ? Devant des amis, des étrangers, etc. Dans cette scène elle ne peut pas être là, elle est dans un sale état. Peut-être se souvient-elle de son enfance brisée. Elle pense aux enfants qu’elle n’aura jamais, ou qu’elle aura un jour. Ces pensées fugitives altèrent sa capacité à se comporter en voleuse rusée, ça ne marche plus. Elle ne peut pas aller au bout de son geste, alors elle dit : « Je veux juste regarder dans le sac». Ce qui est honnête mais l’honnêteté, dans son cas, n’est pas ce qui la caractérise le plus… C’est pourquoi elle s’effondre presque et pleure. C’est comme dans cette séquence de La Nuit du chasseur dans laquelle Mitchum essaie de faire de l’effet à Lillian Gish mais que ça ne marche pas. Elle voit clair en lui. Il devient maladroit et il échoue. C’est triste mais c’est un moment révélateur de son personnage. C’est au moment où les gens échouent que l’on voit leur vraie nature, quand ils ont baissé leur garde.

Et conduire sans savoir conduire?
Mon personnage veut la mettre au défi. Parce qu’avec Eléonore, c’est comme cela que l’on passe son temps : à la regarder. Elle me dit qu’elle n’a jamais conduit de voiture, et va même jusqu’à couper le moteur au feu rouge… Tout ce que fait mon personnage durant cette scène, c’est rire. Je suis pleinement avec elle et c’est enivrant. En fait Eléonore sait conduire, même si elle ne sait pas bien, mais elle sait conduire.

Entretien réalisé par Stéphane Delorme