PART I
Au début des années 80, Julie, une jeune étudiante en cinéma qui se cherche encore, rencontre Anthony, un dandy aussi charismatique que mystérieux. Prise sous le charme de cet homme plus âgé, elle se lance aveuglément dans ce qui s’avère être sa première véritable histoire d’amour. Malgré les mises en garde de son entourage, Julie s’enferme peu à peu dans une relation toxique, qui pourrait bien menacer son avenir.
PART II
Sortant d’une relation éprouvante avec un homme séduisant et manipulateur, Julie tente de démêler l’écheveau de ses sentiments à travers son film de fin d’études, cherchant à faire la lumière sur l’existence fictive que cet homme s’était inventée. Chatoyante chronique d’un premier amour et récit d’apprentissage, THE SOUVENIR PART II dresse un portrait d’artiste qui sublime les fragments du quotidien, où réminiscence et fantasme se mêlent au point de fusionner.
Quinzaine des Réalisateurs 2021
JULIE Honor Swinton Byrne • ROSALIND Tilda Swinton • ANTHONY Tom Burke • GARANCE Ariane Labed • PATRICK Richard Ayoade • JIM Charlie Heaton
RÉALISATION & SCÉNARIO Joanna Hogg • PRODUCTION Joanna Hogg, Luke Schiller, Ed Guiney (THE SOUVENIR Part II), Emma Norton (THE SOUVENIR Part II), Andrew Lowe (THE SOUVENIR Part II) • PRODUCTION DELEGUÉE Rose Garnett, Michael Wood, Lizzie Francke, Martin Scorsese, Emma Tillinger Koskoff, Dave Bishop, Andrew Starke (THE SOUVENIR) • PRODUCTION EXÉCUTVE Lesley Stewart (THE SOUVENIR), Eimhear McMahon (THE SOUVENIR Part II) • ASSISTANT DE PRODUCTION Crispin Buxton • IMAGE David Raedeker • DÉCORS Stéphane Collonge • MONTAGE Helle le Fevre • SON Jovan Ajder • COSTUMES Grace Snell • COIFFURE MAQUILLAGE Siobhán Harper-Ryan •1er ASSISTANT RÉALISATEUR Paolo Guglielmotti • CASTING Olivia Scott-Webb
© 2018 The British Film Institute, British Broadcasting Corporation & The Souvenir Film Limited
© 2020 Souvenir 2 Productions Limited / The British Film Institute / British Broadcasting Corporation.
Joanna Hogg
Joanna Hogg est considérée comme l’une des meilleures cinéastes du Royaume-Uni. Son premier long métrage, UNRELATED (2008), avec Tom Hiddleston, a remporté le prix de la FIPRESCI et le prix du meilleur premier film décerné par le Guardian et le prix du meilleur premier film aux Evening Standard British Film Awards. Elle a enchaîné avec ARCHIPELAGO (2010), de nouveau interprété par Tom Hiddleston, qui a reçu une mention spéciale au London Film Festival. En 2013, elle signe EXHIBITION 2013, avec Viv Albertine des Slits, Liam Gillick de YBA et Hiddleston. THE SOUVENIR, dont la production exécutive a été assurée par Martin Scorsese, a été plébiscité par la critique américaine et remporté le Grand Prix du jury au festival de Sundance dans la catégorie cinéma du monde. Il a été présenté dans la section Panorama du festival de Berlin et cité à l’Independent Spirit Award. La deuxième partie, THE SOUVENIR PART II, est présentée au festival de Cannes.
Joanna Hogg achève la post-production de THE ETERNAL DAUGHTER, avec Tilda Swinton.
Rencontre(s) avec Joanna Hogg
THE SOUVENIR part I
Ce récit fascinant d’un premier amour vénéneux a le parfum d’un souvenir entêtant, comme l’image
figée dans le temps d’une relation explosive, déstabilisante et inoubliable, à la fois délicieusement
chaotique, séduisante et sombre, qui fait partie intégrante de notre identité. Honor Swinton Byrne
fait ici ses débuts dans le rôle de Julie, jeune étudiante anglaise de cinéma qui, dans les années 1980,
vit une passion amoureuse avec le redoutable Anthony (Tom Burke, ONLY GOD FORGIVES).
Malgré la force de leurs sentiments, la fébrilité des rapports entre les deux amants menace d’anéantir
les rêves de Julie, au moment où elle commence à être reconnue.
THE SOUVENIR s’attache non seulement à ce que nous vivons au cours de nos relations les plus
fondatrices, mais à ce que nous en retirons – la part de réalité, la part de fantasme, et cet espace
indicible où elles se rejoignent totalement, si bien qu’on n’arrive plus à les distinguer.
Il s’agit du quatrième long métrage de la cinéaste anglaise Joanna Hogg. C’est aussi son œuvre la
plus émouvante, la plus sensuelle et la plus personnelle – un portrait libre et sensible d’une jeune
réalisatrice – fictive – qui ressemble, du moins en apparence, à Joanna Hogg elle-même. Une femme
qui cherche à s’affirmer artistiquement, tout en vivant une histoire d’amour ravageuse qui la
transporte et la réduit au désespoir.
Joanna Hogg s’est faite connaître pour ses études sans concession du couple et des rapports
familiaux, mais aussi pour le climat si particulier de son oeuvre : grâce à la précision de son trait, à
ses plans picturaux et à la force émotionnelle de ses récits, ses films sont envoûtants. Cette fois,
elle s’empare des codes de la tragédie romantique et du parcours initiatique pour en proposer une
œuvre résolument personnelle. Les scènes se répondent de manière mystérieuse, comme les pages
empreintes de souvenirs d’un album photo, évocatrices d’une époque et d’un lieu, mais aussi d’un
monde intime. Et tandis que le spectateur semble feuilleter ces pages, il est, tout comme Julie,
surpris, émerveillé, bouleversé.
THE SOUVENIR part II
Si la première partie du film plongeait dans le souvenir indélébile d’une passion amoureuse, le second chapitre se présente comme le prélude à un rêve. C’est à la fois la trajectoire d’une jeune femme qui tente de se reconstruire après une relation amoureuse douloureuse et le portrait incandescent d’une artiste s’inspirant de sa vie pour ses films. Enfin, c’est une déclaration d’amour au cinéma, sincère et joyeuse, et à la manière dont il influence nos vies et nos créations.
Si la cinéaste a conservé la précision de son style et sa démarche sans concession, ce deuxième opus nous précipite dans le rêve – dans l’univers envoûtant créé par l’imaginaire, par le cinéma, par le besoin impérieux de faire surgir la beauté et la liberté à partir de l’angoisse.
On retrouve Julie Harte, quelques jours après la fin du premier volet. Suite à son aventure tragique avec Anthony, elle a perdu tous ses repères et commence à s’interroger sur son avenir. Peu à peu, elle reprend pied et retrouve ses points d’ancrage – l’école, ses amis, ses parents, ses amants, le cinéma, son travail – mais son regard sur le monde a changé.
Le spectateur qui a vu le premier opus aura le sentiment, du moins dans un premier temps, de revenir dans un environnement familier : l’espace confiné de l’appartement de Julie, encombré de souvenirs viscéraux. Mais à présent, poussée par le désir de finir son film, Julie évolue entre son quotidien instable et l’univers fantasmatique du cinéma. C’est à travers son travail qu’elle trouve le salut de son âme. Tandis qu’elle tente d’échafauder sa propre interprétation de son histoire avec Anthony, de mettre au point son propre langage, elle s’aventure dans le labyrinthe du deuil, défiant ses professeurs et affrontant ses collaborateurs, pour affirmer la force et la singularité de son regard.
Si chaque chapitre peut être vu comme une oeuvre à part entière, réunis, ces deux opus semblent explorer la dialectique entre l’action et la réaction, le deuil et la résilience, l’enchevêtrement du passé et du présent. Alors que Julie cherche à faire revivre ses souvenirs les plus forts et les plus lointains, à se nourrir de ses sources d’inspiration tout en exprimant sa propre lecture des événements, Joanna Hogg aborde, mine de rien, les mêmes questions fascinantes. En bouclant la boucle, pour ainsi dire, de la trajectoire de sa protagoniste, elle tente d’y répondre.
Une trajectoire qui n’exclut pas le spectateur, bien au contraire, car, en fonction de ses propres expériences, THE SOUVENIR résonnera différemment. « Quand je travaille sur un film, je me replonge dans mes souvenirs et m’investis pleinement dans la création », note la réalisatrice. « Mais quand le film est terminé, tout cela s’efface et l’oeuvre appartient désormais au public ».
À PROPOS DE JOANNA HOGG
Le personnage fictif de Julie dans THE SOUVENIR ne saurait se confondre avec Joanna Hogg, d’autant que celle-ci ne considère pas le film comme autobiographique. Pour autant, la cinéaste et sa protagoniste ont de nombreux points communs. « Je me suis nourrie de mon propre parcours, que j’ai réinventé pour ainsi dire, parce que je voulais faire un vrai film de fiction », raconte Joanna Hogg. Tout comme Julie, la réalisatrice a été fascinée par le cinéma dès l’enfance et a intégré la National Film and Television School, située dans les studios de Beaconsfield, dans les années 1980. Tout comme la protagoniste, elle a voulu raconter des histoires qui ne sont ni marquées par le réalisme le plus radical, ni par un univers de pur conte de fée (son court métrage de fin d’études, CAPRICE, était un hommage aux comédies musicales hollywoodiennes, où elle dirigeait Tilda Swinton, alors inconnue). Tout comme Julie, elle a longtemps vécu dans la ville portuaire de Sunderland, dans le nord-est de l’Angleterre, qu’elle a photographiée : à l’époque de Margaret Thatcher, on y voyait de nombreux chantiers navals à l’agonie, signe d’une époque de crise. (Les photos mélancoliques de Joanna Hogg ouvrent le film, tandis que Julie tente de présenter son film, se déroulant à Sunderland, à une radio locale). Tout comme Julie, la cinéaste a vécu des histoires d’amour très fortes, même si la relation évoquée dans THE SOUVENIR est seulement semi-autobiographique. Après ses études, Joanna Hogg a commencé par réaliser des clips et des programmes pour la télévision, tout en enrichissant sa culture artistique et littéraire – en attendant de se sentir prête à raconter ses propres histoires. Elle n’a réalisé son premier long métrage qu’en 2007.
Mais UNRELATED, récit hypnotique d’une femme qui passe ses vacances en Italie loin de sa famille, l’a aussitôt imposée comme une artiste singulière. Peter Bradshaw, du Guardian, écrivait : « Comme surgissant de nulle part, une réalisatrice débutante vient de signer un premier film subtil et parfaitement maîtrisé, témoignant d’une grande originalité et d’un soin rigoureux apporté à la mise en scène ».
Elle a enchaîné avec ARCHIPELAGO, où une mère et ses deux enfants, devenus adultes, se déchirent dans une maison de vacances, sur une île britannique reculée. En 2014, elle tourne EXHIBITION, où deux artistes d’une cinquantaine d’années sont assaillis par leurs souvenirs au moment où ils tentent de revendre leur maison d’architecte. La cinéaste y explore le télescopage entre notre vie personnelle et nos lieux de vie. Joanna Hogg n’a pas la notoriété qu’elle mérite et, si le milieu du cinéma attend son nouveau film avec impatience, elle est encore méconnue aux États-Unis. Cependant, avec THE SOUVENIR, un plus large public est susceptible de découvrir son oeuvre. Si le film est incontestablement personnel, il raconte une histoire émouvante, celle d’un premier amour déchirant, dans laquelle chacun peut se reconnaître.
Le film est né de la volonté de Joanna Hogg d’évoquer par la fiction ses propres débuts de réalisatrice qui bousculait les convenances. D’où le personnage de Julie, à la fois réservée et ambitieuse, qui s’affirme comme artiste, tout en étant fascinée par le charisme intellectuel d’un homme dont les apparences sont trompeuses. « J’ai eu l’idée de ce film en repensant à mes débuts de cinéaste », confie Joanna Hogg. « C’est devenu l’histoire d’une femme qui commence tout juste à être reconnue à sa juste valeur en tant qu’artiste ».
INSPIRATIONS ARTISTIQUES
THE SOUVENIR est profondément ancré dans une époque très particulière : le début des années 1980. L’Angleterre traverse alors une période de mutations radicales, au cours de laquelle la doctrine thatchérienne remodèle l’économie britannique en profondeur, ouvrant la voie à une ère d’austérité et de déréglementations. Les fractures sociales s’aggravent, mais le militantisme politique se renouvelle. Le chômage augmente, mais les ambitions de la population gagnent en audace. Les attentats de l’IRA se multiplient, les mineurs se mettent en grève et les ouvriers se révoltent, mais on assiste à la renaissance de Londres au moment où les angoisses existentielles propres au mouvement post-punk donnent lieu à une plus grande diversité culturelle. Bien que Julie se sente transportée dans un autre monde quand elle est avec Anthony, elle est aussi le produit de son époque, tout en gardant un certain recul. La réalisatrice exprime ce sentiment à travers la direction d’acteur et les décors. Pour commencer, elle demande aux comédiens se plonger dans plusieurs oeuvres artistiques – livres, albums, films. Elle leur confie également confie des objets très personnels : ses journaux intimes de jeunesse et ses carnets de note qui, en général, ne sortent pas de chez elle.
Joanna Hogg déclare : « J’ai donné aux acteurs des objets très personnels. J’ai confié mes journaux intimes du début des années 80 à Honor. Je lui ai donné des photos que j’avais prises à cette époque, ainsi que mes premiers courts métrages. C’était parfois assez prenant parce qu’il a fallu que je me replonge dans l’époque où j’avais une petite vingtaine d’années ».
Le climat artistique des années 1980 est aussi palpable à travers la musique qu’écoute Julie dans son appartement, de Joe Jackson aux Psychedelic Furs. « J’écoutais pas mal de Joe Jackson à l’époque », note Joanna Hogg. « Je voulais évoquer l’atmosphère des années 80, mais pas de manière servile et systématique. Il s’agissait plutôt d’une évocation de l’époque, même si on a presque l’impression que le film se déroule de nos jours ».
UNE SUITE HORS DU COMMUN
Dès le départ, Joanna Hogg avait imaginé THE SOUVENIR comme un diptyque, si bien que la perspective d’une suite, totalement inhabituelle pour un film d’auteur, faisait partie intégrante du projet initial. Pour autant, étant donné son approche très libre du cinéma – très peu de dialogues écrits, une large part accordée à l’improvisation –, elle ne connaissait pas forcément le dénouement du second opus.
« J’avais écrit les deux chapitres en même temps et j’avais l’intention de les tourner en même temps », confie la réalisatrice, « mais ça ne s’est pas passé comme ça. Du coup, j’ai réécrit le deuxième volet juste avant de le tourner. C’était un peu déroutant de s’atteler à la seconde partie sans vraiment savoir ce que je pensais de la première. Mais, comme avec tous mes films, mon travail de cinéaste s’inscrit dans un processus évolutif ».
Comme à son habitude, Joanna Hogg n’a pas fait de découpage. En revanche, elle a mis au point une feuille de route proche d’un traitement, comportant peu de dialogues, mais regorgeant de descriptions précises, et complété par une documentation très riche, et souvent personnelle : albums de musique, reproductions d’oeuvres d’art, films, livres, photos, et même journaux intimes et notes de psychothérapeutes. Cette feuille de route offrait autant de portes d’entrée dans l’univers mental de la cinéaste, ne demandant qu’à s’ouvrir. Mais c’était aussi un simple point de départ que les collaborateurs de la cinéaste pouvaient librement fouiller et s’approprier. Car c’est dans ce télescopage particulier entre précision chirurgicale et spontanéité anarchique que s’exprime le mieux la créativité de Joanna Hogg. Et le chaos inattendu né du cloisonnement en deux tournages distincts s’est révélée des plus féconds. En effet, la réalisatrice n’avait pas envisagé la puissance du film dans le film du second opus – en tout cas, pas le surréalisme fascinant qui semble déployer son propre univers vibrant de secrets et de révélations – avant de réécrire le scénario. « Avec le recul, je suis ravie de ne pas avoir tourné les deux films en même temps car beaucoup de paramètres ont changé », reconnaît-elle. « L’idée que Julie allait consacrer son film de fin d’études à Anthony était présente dès les premières versions, mais pas franchement incarnée. Ce n’est que bien plus tard que le projet de Julie s’est affiné : le spectateur ressent intimement non seulement la création de Julie, mais aussi ses rêves – et le paysage onirique s’est construit tout au long du tournage ».
On pourrait imaginer qu’à partir du moment où Joanna Hogg nourrissait ce projet au plus profond de son être – le film s’inspire de ses propres souvenirs d’une relation dévorante avec un homme intellectuellement fascinant, mais perturbé – la chronologie des événements allait donner le tempo. Mais il n’en a rien été. Plus encore dans le deuxième opus, la cinéaste, loin de se contenter de ses souvenirs les plus précis, a souhaité se plonger dans l’insondable – ses réactions, parfois déroutantes, et le rôle que ces événements ont joué, et jouent encore, dans sa vie et ses films. Pour le second chapitre, elle avait hâte de laisser libre cours à la part la plus puissante de sa créativité : ce moment où l’exploration de ses souvenirs se mêle à l’interprétation et aux révélations soudaines d’Honor Swinton Byrne et finit par lui échapper.
Ce que la cinéaste savait d’emblée, en revanche, c’est que si le premier chapitre retrace la plongée extatique de Julie en plein naufrage, le second s’attacherait à sa remontée à la surface. C’était, d’une certaine manière, la déconstruction d’une reconstruction. Elle a construit le deuxième volet comme la lente ascension vers la lumière d’un être, depuis les profondeurs de sa souffrance, en suivant les étapes classiques d’un travail de deuil. Mais tandis que Julie passe d’une phase de vertige à l’autre, elle parvient peu à peu à canaliser son traumatisme, sa rage, son incompréhension, ses désirs, et ses lueurs d’espoir dans le seul domaine qui englobe toutes ses émotions : ses films. C’est là que la situation a pris une tournure inattendue.
Lorsque, vers la fin du film, Julie abandonne son quotidien pour s’aventurer dans son subconscient à travers un souvenir d’Anthony, Joanna Hogg a été aussi surprise que le spectateur le sera sans doute. « Tout ce projet s’est élaboré à partir des souvenirs de cette époque », dit-elle. « Mais le deuxième volet a été davantage nourri d’inventions et de mon imaginaire que de souvenirs, et du coup, c’est devenu un tout autre film ». Entretemps, le premier opus avait rencontré un formidable succès critique, décrochant le Grand Prix du jury du festival de Sundance, dans la catégorie cinéma du monde, avant sa sortie. Puis, il s’est classé en tête des listes de meilleurs films en 2019, et notamment de celle du magazine Sight & Sound. Joanna Hogg a essayé de ne pas se laisser griser par l’accueil enthousiaste du premier chapitre au moment où elle s’apprêtait à tourner le second. Elle espérait retrouver le même genre d’environnement protégé dans la campagne de Norfolk qu’elle avait su mettre en place pour le premier tournage. Mais les acteurs et les techniciens avaient le sentiment d’embrasser un bien plus vaste monde. Car ce nouvel opus ne s’attache pas à la sphère intime de l’histoire d’amour de Julie, mais à l’univers foisonnant et vibrant du cinéma – Julie et ses amis espérant se faire remarquer grâce à leurs films de fin d’étude. Pour la production, il s’agissait d’un tournage de plus grande ampleur, traversant une pluralité de registres, de la science-fiction à la comédie musicale, en passant par l’onirisme envoûtant du film de Julie. Ce deuxième chapitre est ainsi devenu une déclaration d’amour au cinéma – et à sa force évocatrice – qui suscite des passions inextinguibles. « J’ai pris beaucoup de plaisir à réinventer, à ma manière, une diversité de genres cinématographiques », note la cinéaste. « C’était une formidable occasion de remonter à mes sources d’inspiration premières et de livrer une nouvelle interprétation des idées et des influences qui m’obsédaient dans les années 80. C’était une façon de faire un trait d’union entre ces idées et mon approche du cinéma aujourd’hui ». « Il a fallu qu’on passe à la vitesse supérieure et qu’on travaille tout à fait différemment pour ce deuxième volet », reprend-elle. « Le département artistique, notamment, avait la tâche de créer des décors stylisés, mais en très peu de temps. Et pourtant, on ressentait une bien plus grande fluidité que sur le premier opus. Malgré tous les défis techniques, chacun semblait heureux de pouvoir laisser libre cours à son invention et à ses intuitions ».
En réunissant les mêmes chefs de poste, la réalisatrice a pu retrouver le climat propice à la création du premier opus, tandis que ses fidèles collaborateurs se sentaient encouragés à explorer de nouveaux horizons. Le chef-opérateur David Raedeker, dont les plans soigneusement élaborés contribuaient aux compositions picturales du premier opus, insuffle ici dynamisme et énergie. Le chef-décorateur Stephane Collonge, dont le souci du détail donnait à l’appartement de Julie l’allure d’un espace vivant, s’est lancé cette fois dans la création d’un large éventail de décors de cinéma. Quant à la chef-costumière Grace Snell, elle troque les tenues décontractées et classiques d’une étudiante des années 80 pour des vêtements plus avant-gardistes et porteurs de sens (certains évoquent Anthony) au moment où la jeune femme gagne en assurance.
La palette chromatique évolue également au gré de la reconstruction affective de Julie. « On a discuté des différentes étapes du travail de deuil de Julie et on a associé une couleur dominante à chacune qu’on retrouve dans les costumes, les décors et les éclairages », note Grace Snell. « Julie porte du bleu profond pendant la plus grande partie du film, ce qui correspond à son humeur et qui était l’une des couleurs préférées de Joanna dans les années 80. Mais elle ne porte du rouge que lorsqu’elle atteint le stade de la colère. Quand elle en est à l’acceptation, on passe à la couleur or. Et puis, vers la fin, on arrive à une étape où tout est nimbé, presque imperceptiblement, des couleurs de l’arc-en-ciel ».
Les couleurs évoluent, mais les textures aussi, intensifiant l’effet de collage. « On a vraiment varié les formats de film », souligne Raedeker. « On a tourné en numérique 16 mm et en argentique 16 mm, en numérique et argentique 35 mm, et dans d’autres formats encore, comme le Hi8, et on a utilisé les images d’archives de Joanna en Super 8. On a un sentiment d’unité, à mon avis, mais chacun de ces formats apporte une texture différente à l’ensemble, du réalisme à l’hyperréalisme, sans que rien ne soit laissé au hasard ». « C’est assez discret, mais le film suit une sorte d’itinéraire à travers le territoire du deuil », résume la cinéaste. « On ne s’en rend pas forcément compte au premier abord, mais ce dispositif accompagne la renaissance de Julie qui reprend progressivement confiance en elle ».