Film soutenu

The We And The I

Michel Gondry

Distribution : Mars Distribution

Date de sortie : 12/09/2012

États-Unis - 2012 - 1h43 - format image 1.85 - DCP - Dolby SR SRD

C’est la fin de l’année. Les élèves d’un lycée du Bronx grimpent dans le même bus pour un dernier trajet ensemble avant l’été. Le groupe d’adolescents bruyants et exubérants, avec ses bizuteurs, ses victimes, ses amoureux… évolue et se transforme au fur et à mesure que le bus se vide. Les relations deviennent alors plus intimes et nous révèlent les facettes cachées de leur personnalité.

Quinzaine des Réalisateurs – Festival de Cannes 2012

INTERPRÉTATION
Michael MICHAEL BRODIE • Teresa TERESA LYNN • Laidychen LAIDYCHEN CARRASCO Little Raymond RAYMOND DELGADO • Jonathan JONATHAN ORTIZ • Big T JONATHAN WORRELL • Alex ALEX BARRIOS • Niomi MEGHAN « NIOMI » MURPHY

FICHE TECHNIQUE
Réalisation Michel Gondry • ScénarioMichel Gondry, Paul Proch et Jeff Grimshaw • Image Alex Disenhof • Montage Jeff Buchanan • DécorsTommaso Ortino • Costumes Sarah Mae Burton • Producteur exécutif Becky Glupcunski • 1er assistant réalisateurJesse Nye • Producteurs Michel Gondry, Julie Fong et Raffi Adlan • Produit parGeorges Bermann • Production Partizan Films 

Michel Gondry

Michel Gondry réalise en 2001 son premier long métrage, la fable HUMAN NATURE, satire anthropologique emmenée par Patricia Arquette et Tim Robbins. Trois ans plus tard, il réalise ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND, comédie romantico-futuriste portée par Jim Carrey et Kate Winslet qui lui vaut l’Oscar du Meilleur Scénario Original, partagé avec Charlie Kaufman et Pierre Bismuth. En 2005, il écrit et réalise un film plus autobiographique, LA SCIENCE DES RÊVES, pour lequel il fait tourner à Paris Gael Garcia Bernal, Charlotte Gainsbourg, Alain Chabat et Miou-Miou. BLOCK PARTY, documentaire sur un concert rap à Brooklyn lui fait rencontrer Mos Def, qu’il retrouvera en 2007 avec Jack Black, tous deux les héros de SOYEZ SYMPAS, REMBOBINEZ. LA SCIENCE DES RÊVES et SOYEZ SYMPAS, REMBOBINEZ ont été sélectionnés aux Festivals de Sundance et de Berlin. Il enchaîne sur un épisode de TOKYO, présenté à Cannes en 2008 puis sur L’ÉPINE DANS LE CŒUR, présenté en Sélection Officielle en 2009. En 2010 il se lance dans une adaptation du comics des années 60 Le Frelon Vert, THE GREEN HORNET puis en 2011 tourne THE WE AND THE I. En 2013 Gondry réalise l’ECUME DES JOURS et en 2014 CONVERSATION AVEC NOAM CHOMSKY-  IS THE MAN WHO IS TALL HAPPY ?

Entretien avec Michel Gondry

Quand avez-vous eu l’idée de THE WE AND THE I ?
Il y a plus de vingt-cinq ans. Je prenais le bus 80, à Paris, et je suis tombé sur une vingtaine d’écoliers qui sont montés au même arrêt à la sortie du lycée. Comme ils repartaient un à un à des stations différentes, leurs conversations et leur attitude changeaient en fonction du nombre d’individus. J’avais un peu mis cette idée en pratique – mais sans dialogues – dans un clip pour Amina. L’effet de groupe m’a toujours intrigué, parce que moi je ne me suis jamais senti appartenir à aucun groupe. De l’extérieur, je pouvais voir des gens dont la person- nalité changeait selon qu’ils étaient en groupe ou seuls. Cela me paraissait étrange, alors que chez nous, on se disait sans cesse qu’il fallait être soi même. Être naturel était une qualité que l’on prisait.

À quel moment l’envie est-elle devenue un film ?
Très progressivement. J’ai beaucoup d’idées de films que je garde dans un coin de ma tête, et qui peuvent mettre du temps à mûrir. Parfois je prends des notes, parfois non. Il y a cinq ou six ans, j’ai finalement écrit un texte d’une vingtaine de pages. Les personnages étaient inspirés de gens que je connaissais, par exemple les copains avec lesquels je faisais de la musique au Lycée de Sèvres, au tournant des années 80 : il y avait trois ou quatre garçons, plus une fille un peu forte qui restait avec nous parce que mes copains étaient moins cruels avec elle que ne pouvaient l’être les autres filles… Mais ils ne la traitaient pas bien non plus, ce qui me perturbait, et pourtant elle restait. C’est un peu ce qui a donné le personnage de Teresa.

À partir de ce traitement, comment avez-vous rédigé le scénario ?
Je voulais qu’on aille dans une école new yorkaise, qu’on réunisse un groupe : comme dans le film, ceux qui auraient les histoires les plus riches à raconter seraient ceux qu’on suivrait jusqu’à la fin… Certains achèvent leur dernière année, juste avant d’aller ou non à l’université – l’équivalent du bac en France, mais qui intervient un peu plus tôt aux États-Unis – d’autres sont plus jeunes, etc. On a atterri dans un centre d’activités du Bronx qui s’appelle The Point. Un endroit très actif où les ados vont après l’école faire de la photo, du théâtre, de la gym. Il y a même un cours d’activisme ! The Point rayonne dans tout le Bronx, qui reste un quartier assez dur. On s’est installés là, et on a commencé à interviewer les jeunes. C’est un processus qui a duré environ trois ans. On voyait quels personnages pouvaient naître de leurs récits, et je réécrivais l’histoire en l’adaptant. Des archétypes se dégageaient : le gars qui avait perdu son père, la fille qui se fait un peu molester par les petits durs, celle qui aime qu’on la regarde, et prend un peu sa copine pour sa secrétaire, etc.

Cette genèse collective évoque un peu le système de « L’usine de films amateurs », que vous avez installée au Centre Georges Pompidou l’année dernière : vous croyez à la créativité des anonymes… 
C’est quelque chose que j’avais testé au moment de SOYEZ SYMPAS, REMBOBINEZ. J’expérimentais un peu ce qui allait devenir l’usine en proposant aux jeunes de Passaic, dans le New Jersey, d’improviser le tournage du clip de Fats Waller, qui est inséré dans le film. À cause des syndicats, on ne pouvait engager ces gamins que comme danseurs, pas comme acteurs, et je leur avais demandé d’imaginer des chorégraphies. J’avais trouvé un système d’autogestion qui permettait que même avec soixante gamins en liberté dans une grande salle, ce ne soit pas un bordel total. Et ça avait marché ! J’ai toujours aimé l’identité des communautés, c’était aussi présent dans BLOCK PARTY, et j’ai toujours eu envie de donner leur chance à des gens qui n’ont pas le privilège de faire un métier créatif, mais qui en ont le désir. C’était le cas des gamins de The Point. Petit à petit, j’ai ressenti un engagement moral vis-à-vis d’eux : il fallait faire ce film ensemble, sans tricher. Par exemple, on ne fait pas venir une actrice pour jouer la conductrice du bus, on prend une vraie conductrice. Et travailler avec des gens qui ne sont pas blasés, qui sont encore émerveillés, c’est très gratifiant !

Vous avez tourné SOYEZ SYMPAS, REMBOBINEZ dans le New Jersey, vous vivez entre Brooklyn et Montmartre, quel est votre rapport avec le Bronx ?
En fait, le film aurait pu se passer un peu partout autour de New York. Mais les écoles publiques qu’on a contactées étaient très inquiètes, trop prudentes. Finalement, cette partie sud du Bronx m’allait très bien : c’est un des berceaux du rap, où l’art du graffiti a été très présent. C’est un quartier qui a été détruit par les autoroutes, l’urbanisation selon Robert Moses, qui a cassé la « grille » urbaine traditionnelle. Les échangeurs géants ont éventré le Bronx à la fin des années 50, les autoroutes ont été tracées en diagonale, ce qui fait qu’au lieu de détruire un pâté de maisons, on en détruisait quatre ! Alors que jadis c’était un quartier où les communautés cohabitaient très bien ensemble. Aujourd’hui il y a d’énormes problèmes, notamment de pollution, asthme chez les enfants, etc. Toutes les mar- chandises transitent par le Bronx avant d’arriver à Manhattan, mais ses habitants n’en profitent pas, ils n’ont que le gaz d’échap- pement des camions !

Vous avez étudié la sociologie des organisations ?
Avec mes yeux et mes oreilles. J’ai lu des choses mais je n’ai pas une très bonne mémoire. J’ai lu par exemple pourquoi les déci- sions de groupes sont généralement moins bonnes que les décisions individuelles : on n’est pas soi-même, on veut faire plaisir au chef. J’ai beaucoup observé, depuis mon adoles- cence : comment les groupes se forment, comment certains parlent beaucoup sans écouter les autres, comment certains aiment être au centre alors que les autres sont plus en retrait, etc.

L’idée, c’est que le groupe dissout forcément l’identité de chacun ?
Absolument. Au niveau scolaire, aux États-Unis, on le voit avec le phénomène du “bullying”, qui est une forme de bizutage. J’ai eu de longues discussions avec mon fils, et on n’est pas d’accord : lui voit ça comme un rituel social qui permet de fonder des amitiés. Moi, je trouve que ça renforce le mauvais côté des gens. En fait, j’étais plutôt du côté des malmenés, je garde toujours en tête la position du plus faible, et je m’interdirai toujours d’abuser du pouvoir quand j’en ai un. Par ailleurs, je crois que c’est clair dans le film : je voudrais que le fort soit indulgent avec le faible, mais j’aimerais aussi que le spectateur soit indulgent avec le fort qui a mal usé de sa force.

Comment s’est déroulé le tournage proprement dit ? Le bus BX 66, il existe vraiment ? 
Non, la ligne est inventée, mais le bus est un vrai bus du service de transports new yorkais. Le parcours n’est pas réel, je ne pense pas qu’on puisse conduire aussi longtemps sans sortir du Bronx, mais la topographie est très variée : il y a le zoo, le Yankee stadium, l’East River, des parcs et des zones ultra- industrielles. On déterminait une boucle d’environ dix minutes de trajet par jour : vingt jours de tournage, vingt boucles à travers le Bronx, pour pouvoir bien raccorder champs et contrechamps…

Il y a cette espèce de point culminant du récit où les trois vidéos s’en- tremêlent : l’un des deux garçons gays avec Roxanne, la fille au “water-bra”, Teresa et Ladychen… 
Oui, il fallait qu’on puisse respirer un peu en dehors du bus. Mais surtout, c’est le moment où les fragments qu’on a eus jusque-là commencent à se mélanger. Et puis c’est leur vie : ils sont tout le temps en train de prendre des photos ou des vidéos sur leurs téléphones et ils se les échangent. On a ajouté tardi- vement la scène de la consigne au début ; chaque jour, ils doi- vent payer un dollar pour déposer leur téléphone et le récupérer le soir, et c’est pareil dans tous les lycées publics américains…

Ces trois films expliquent d’une certaine manière la complexité de leurs rapports, montrent le passé par rapport au présent du bus. Et puis il y a le rêve de Sam, qui s’invente un personnage… 
Oui, c’est différent. Il était comme ça, prétentieux, frimeur. Le pre- mier jour, il m’a parlé de physique quantique, mais il n’y connais- sait rien. On lui demandait : « à quoi pouvez-vous vous com- parer ?» Il répondait « l’infini ». Il a un côté hip-hop, très “show off” doublé d’un geek. Un mélange inédit. D’ailleurs, tous ces jeunes sont des mélanges uniques. J’aime beaucoup quand Sam est avec le faux Donald Trump et qu’on a écrit “Trump tower” sur une HLM… On a fait ça à la fin du tournage, c’était assez drôle et détendu.

Quand les Chen descendent du bus, il y a un mini-suspense. On se demande d’où vient leur changement d’attitude. D’avoir découvert la vidéo de leur soeur, d’autre chose ? 
Cela montre comment les humeurs changent instantanément, à cause des informations qui arrivent à toute allure sur les télé- phones, par sms, photos ou vidéo. Personne n’a jamais le temps de digérer ces nouvelles… Michael, par exemple, on ne pouvait pas lui parler, il était tout le temps en train d’écrire des textos. Il a appris la mort de sa tante par sms pendant le tournage, et ce qui est arrivé à Elijah est réellement arrivé à l’un de leurs amis : tué dans la rue, à coups de couteaux, pour dix dollars. C’était le meilleur ami de Chen et c’est le message qu’il reçoit vers la fin. Il n’a pas eu de mal à jouer la scène… Le drame est présent dans leur vie, il peut surgir n’importe quand. Je les com- parais à mon fils et ses amis : s’ils font une connerie, leurs parents iront les chercher au poste. Eux, non, ils y passeront la nuit, juste pour avoir fraudé dans le métro.
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