Film soutenu

Théo et les métamorphoses

Damien Odoul

Distribution : Wild Bunch

Date de sortie : 09/03/2022

France/Suisse - 2020 - 1h36

Théo, un jeune trisomique de 27 ans, vit avec son père dans une maison isolée au coeur d’une forêt. Ils cohabitent en harmonie avec la nature et les animaux, mais un jour le père s’absente laissant son fils seul avec ses visions… Théo commence alors son odyssée dans laquelle il va se réinventer, s’ouvrir au monde, expérimenter la liberté, et tenter d’y découvrir la nature des choses tout comme la nature des êtres.

Festival de la Rochelle 2021
Festival international de Berlin 2021

TO Théo Kermel • SON PÈRE Pierre Meunier LA NINJA Ayumi Roux L’IMPÉRATRICE Louise Morin• LA MOITIÉ Elia Sulem

Image DAMIEN ODOUL, THIBAULT MAZARS et SYLVAIN RODRIGUEZ • Son FRÉDÉRIC DABO • Direction de production MÉLANIE DIETER et RONAN LEROY • Montage image ANNE DESTIVAL • Montage son CLÉMENT CHAUVELLE • Mixage MAXENCE CIEKAWY • Étalonnage et FX BORIS RABUSSEAU • Post-production FRANÇOIS NABOS (KIDAM) et JEAN-CHARLES WEBER (FREESTUDIOS)

Damien Odoul

Né en 1968, Damien Odoul est un artiste pluridisciplinaire qui s’est particulièrement illustré dans le cinéma mais aussi à travers ses poèmes et ses photographies. Laissant derrière lui une enfance qu’il juge “triste”, il se plonge dès l’adolescence dans l’écriture et la photographie, qui lui enseigne la rigueur du cadrage. Précoce, il réalise à seulement 23 ans son premier long-métrage, Morasseix (1992), dans lequel il s’offre le rôle principal. Ce drame romantique restera inédit jusqu’à sa projection aux Giornate degli Autori à Venise, en 2004.

Bien qu’il joue dans plusieurs de ses films, Damien Odoul reste un cinéaste discret et sans limite. Il poursuit ainsi sa carrière de cinéaste tout en se tournant vers la littérature et l’image le temps d’une exposition, Virtual fight et lymphatique en 2007. Dix ans plus tard, il réside à la Villa Kujoyama pour concevoir son projet Oneiros ou l’homme qui revient, et prouve qu’il est un artiste accompli en mêlant le genre documentaire à une installation sonore et visuelle inédite. De retour à la Berlinale 2021 avec son expérimental Théo et les métamorphoses, Damien Odoul confirme sa singularité dans le cinéma français, en posant un regard sensible sur son héros atteint de trisomie.

ENTRETIEN AVEC DAMIEN ODOUL

Comment définir THÉO ET LES MÉTAMORPHOSES ? Comme une odyssée intime ?

Une odyssée en huis clos. J’aime effectivement le personnage antique d’Ulysse dans L’ODYSSÉE
d’Homère, j’aime aussi, celui plus contemporain de James Joyce. THÉO ET LES MÉTAMORPHOSES,
c’est aussi une utopie réaliste pleine d’hallucinations, de décalages, de résilience, dans laquelle l’inconscient
joue un rôle primordial. L’utopie, ça résume tout. C’est tout ce qui convoque l’imaginaire.
On a besoin de savoir qu’il y a encore des hommes, des femmes, des jeunes gens, et des personnes
âgées, qui croient toujours en l’utopie, afin que la poésie, par exemple, ait à nouveau toute sa place
dans notre société. Donc ce film est réalisé avec cette aspiration, celle de croire qu’il peut toujours
y avoir des renaissances dans les périodes troubles, complexes et lourdes que nous vivons actuellement.
Voilà, THÉO ET LES MÉTAMORPHOSES, c’est une proposition qui présente un autre monde.
C’est un film très politique finalement parce qu’il est éthique, mais, paradoxalement, la politique n’est
jamais frontalement évoquée. J’expérimente encore et toujours avec ce nouveau film. Je travaille
aussi la notion de la liberté, évidemment avec un héros qui me ressemble, c’est-à-dire qui est inadapté
à notre monde actuel.

Comment avez-vous déterminé le titre de votre film ?

Au départ le titre c’était To. Mon héros s’appelle Théo, et comme c’est un jeune homme qui «s’invente»,
il se renomme, et passe de Théo à To. Et puis j’ai pensé ensuite à Théo et les utopies pour aboutir à
THÉO ET LES MÉTAMORPHOSES, car il y a cette idée de métamorphose, de changement, de transformation,
qui innervait absolument toute l’histoire comme une immense et permanente vibration. Avant
tout, mon film parle de la façon dont un être est au monde et de quelles manières il prend le risque de
changer, de se métamorphoser. Et puis j’aime le mot métamorphose, c’est un mot visuel et souple. Peu
utilisé au cinéma, on l’emploie plus volontiers en littérature.

On parle de littérature, est-ce par influence littéraire que votre film est structuré en chapitres titrés,
musicaux et dessinés ?


Ce chapitrage, c’est une scansion inspirée par une musique indienne, le râga. J’écoute cette musique
depuis trente ans, mais c’est la première fois que je l’utilise dans un film. Le râga est comme une parenthèse
qui s’ouvre et se ferme. Il y a le râga du matin, et le râga du soir. C’est un rapport au temps qui convenait
parfaitement pour marquer l’évolution du récit du film. Et les voix de cette musique râga, ce sont donc
des chants indiens qui fonctionnent comme des percussions vocales, dans une sorte d’improvisation.

La nature de ce film est très multiple. Pour vous, THÉO ET LES MÉTAMORPHOSES, est-ce une vraie
fiction ? Un documentaire ? Un poème ?


Pour moi c’est une fiction. Ça aurait pu être un documentaire, mais non. Toute l’histoire est inventée.
Mon film, c’est trois écritures : la première va du côté du scénario qui ne pouvait jamais être définitif ;
la deuxième, c’est le tournage pendant lequel je réécris chaque jour mon histoire ; et enfin la troisième,
c’est le montage qui a duré un an. Il n’y a aucune place pour l’improvisation dans tout ce processus.
Tout a été très travaillé pour pouvoir tout casser ensuite, être libre de tout explorer ! C’était un processus
risqué, mais mon producteur, Alexandre Perrier, m’a totalement accompagné, il a absolument tout
compris à ma démarche. Il m’a écouté et permis ce montage dans la durée.


Comment avez-vous choisi le comédien qui joue Théo, et qui est un jeune homme handicapé ?

Au départ c’est un autre garçon extraordinaire qui s’appelle Kostia Botkine, qui est trisomique, qui devait
jouer le héros de mon film. Il n’a pas pu le faire finalement, mais il a quand même collaboré avec nous,
puisqu’il a créé les dessins qui illustrent les titres des chapitres. J’ai ensuite rencontré Théo Kermel qui
est lui aussi trisomique. Il se trouve qu’il est comédien. Il fait du théâtre. Il est empreint de ça. Il adore.


Comment lui avez-vous présenté son rôle ?

Théo devait jouer comme à l’intérieur d’un décor dans lequel il créé lui-même son propre théâtre.
Théo s’est révélé. Il s’est transformé, métamorphosé au fur et à mesure du tournage. Il se transfigurait
dès qu’on se mettait à filmer. La caméra l’inspirait. Il me faisait confiance. Et ça fonctionnait. Il s’abandonnait
à l’univers du film. Je lui annonçais ce que l’on faisait au fur et à mesure, étape par étape, de
manière très simple. Il réagissait à chaque moment. Par exemple, il a adoré la séquence avec la Ninja
car il est fan de films de combat. On était donc dans une relation très ludique, on avançait ensemble.
On n’avait pas besoin de se parler beaucoup.


Le personnage de Théo s’inscrit-il dans la tradition des héros de vos films précédents que vous appelez
les simples, en hommage à leur rapport direct et réel à la vie ?


Oui, je tiens à ces êtres qui jalonnent mon cinéma. J’ai tourné avec LA FOLLE PARADE, un de mes
documentaires, pendant trois ans avec des handicapés mentaux en Lozère. Mon acteur «le Stéph» que
j’appelle le simple en friche, était dans RICHARD O, et dans EN ATTENDANT LE DÉLUGE. Le simple,
c’est une figure récurrente de mon cinéma, en fait, puisque c’est moi ! Si j’ai un double, il est là. C’est
profond, à plus de cinquante ans, je m’imagine toujours ainsi. Cela vient de m’être senti très très isolé
dès la petite enfance.


Pourquoi avoir eu recours à la voix off dans votre film ?

Ce n’est pas une voix off, c’est une voix intérieure. Comme je savais que mon film allait être plutôt taiseux,
peu dialogué, notamment entre le héros et son père, et que les rencontres de Théo étaient avec
la nature : la nature des choses comme la nature des êtres ; tout à coup je me suis fait la réflexion qu’il
y avait peu d’occasion de connaître la pensée de Théo. Pour cette raison, j’ai décidé en quelques sortes
de libérer sa voix intérieure, de l’incarner. Ainsi Théo articule ce par quoi il passe. Au fil de ses pensées,
Théo convoque ses personnages, ses désirs, jusqu’à faire apparaître les animaux ! Devant nous,
il s’amuse de tout, crée ses propres tours de magie. S’amuse-t-il de nous ? Certainement. La voix de
Théo renforce l’attention du regardeur. Sa voix permet de créer un autre lien.

L’espace intérieur de Théo/To, semble avoir tous les pouvoirs. C’est la part magique du film ?

Les visions de Théo tiennent du pouvoir de l’écriture et de la parole à convoquer les images, les personnages,
les objets, les événements, de manière immédiate. Simplement en les désignant. Donc la magie
est très clairement là. Par exemple quand Théo vole, c’est une sensation que j’ai moi-même, quand je
rêve et que j’arrive à me réveiller le matin avec mon rêve encore là, j’ai cette impression d’apesanteur
et de vol. Je savais aussi que ça allait faire plaisir à Théo de tourner ces séquences en lévitation. Ça se
voit, son visage s’éclaire à ces moments-là.

On retrouve un autre code de votre cinéma : la liberté des corps, surtout quand ils sont nus. Que
représente la nudité dans ce film-ci ?


C’est vrai que mes personnages sont souvent nus. Par exemple dans LE SOUFFLE, ou dans EN
ATTENDANT LE DÉLUGE où Pierre Richard est nu pour la seule fois de sa carrière ! La nudité c’est
naturel pour moi, c’est la mélancolie du paradis perdu, et d’un endroit où l’on pouvait être soi sans
se préoccuper des apparences, en ne fabricant rien, et en ne portant rien d’artificiel sur soi. Dans
sa nudité, Théo est admirable. Il est beau, animal. J’essaie de revenir à la nudité des poètes des origines
de l’Antiquité. Le corps de Théo quand il est nu, révèle aussi sa souplesse. C’est un danseur.
J’ai pu ainsi répondre à ce qu’il aimait qu’on voie de lui, c’est-à-dire vivre dans un corps vif et leste.

Votre film se déroule loin des villes. Pour quelles raisons avez-vous choisi une fois de plus, de tourner
au milieu de la nature plutôt qu’au creux de paysages urbains ?

J’ai majoritairement tourné hors des villes. Ici, il s’agissait justement de ne rien montrer de notre civilisation
capitaliste et citadine. Au contraire je voulais imaginer une poche, un temps et un espace «à
côté». C’est dit dans le film. Aujourd’hui la ville m’est étrangère au plus haut point, de même pour certaines
campagnes. Il y a des campagnes avec lesquelles je n’ai plus du tout d’affinité. Dans THÉO…,
nous sommes au cœur de la moyenne montagne. C’est pour moi un lieu assimilable à l’univers de la
poésie chinoise et de la philosophie taoïste, et même à la peinture chinoise du 8ème siècle dont les
peintres vivaient en exil dans des provinces isolées. Que ce soit dans cette poésie ou la calligraphie, ou
le dessin, il y a ce rapport permanent à la nature et en particulier à l’arbre, le pin, mais aussi au rocher.
J’ai une fascination pour ça. L’arbre, c’est mon frère, mon double végétal. Je lui parle, mais pas du tout
dans un délire chamanique, plutôt dans un lien très simple, évident. Je me trouve moins bien loti que
lui. Quand je suis face à un très bel arbre, sa beauté pour moi est supérieure à celle d’un être humain.
Le rocher, lui, me ramène à cette idée qu’il sera là jusqu’à la fin de l’humanité. C’est d’une puissance
absolue, il est là depuis tellement longtemps, ça me fascine. Et puis il y a les animaux, ils sont nombreux
à peupler le film, il faut garder en tête la prudence du cervidé, son rapport authentique à ce qui
l’entoure. Et puis la nature, c’est bien sûr l’espace intérieur, moi je suis très préoccupé par ça.
Le soleil est aussi un élément important de ce film.
Au fond de moi j’ai le soleil grecque au sens philosophique et antique ! Je m’explique, quand je suis en
Méditerranée, je reconnais tout de suite ce que j’appelle le soleil grecque, celui qui a, comme le rocher,
toujours été là. Tu sais qu’il est là depuis très longtemps et qu’il sera là après toi ! Dans le film, cela
donne une lumière pleine et assumée.


Entre le soleil, la nature, la liberté, la nudité, l’espace de paradis, THÉO ET LES MÉTAMORPHOSES
est-il un film sur le bonheur ?

Théo est plutôt du côté de la joie, qui est une notion plus spirituelle. Il a une quête. Il est proche des
oiseaux. Avec ce film je fais évidemment référence à LES ONZE FIORETTI DE FRANÇOIS D’ASSISE, de
Roberto Rossellini, sur le lien entre Saint François d’Assise avec les oiseaux, ou encore à DES OISEAUX,
PETITS ET GROS de Pier Paolo Pasolini… Des oeuvres qui sont tout à leur joie d’être au monde.

Vous regardez également du côté de l’Orient lointain, qui incarne une autre spiritualité.

Oui ! D’ailleurs Théo porte un chignon tout à fait asiatique. Je clos avec ce film, un cycle d’un orient
fantasmé, vécu à ma manière. Il y a trois ans, j’ai fait un voyage en Chine très fort, qui m’a évidemment
fait réfléchir à qui je suis. À cinquante-deux ans, je n’ai toujours pas d’ancrage, je n’ai pas de lieu de vie.
Je suis toujours en marche, j’essaie d’écouter le maximum ce qui m’appelle, et c’est très difficile à vivre.
On passe par des moments délicats, mais il y a quelque chose chez moi qui s’est transformé, c’est que
je chemine désormais sans colère, sans rage, d’où la volonté de réaliser ce film métamorphosé, très
joyeux, et apaisé.