Film soutenu

TÓTEM

Lila Avilés

Distribution : Les Alchimistes

Date de sortie : 30/10/2024

Mexique, Danemark, France - 2023 - 1h35 - 4 : 3 - 5.1

Sol, sept ans, passe la journée chez son grand-père pour aider aux préparatifs d’une fête surprise pour son père. Au fil de la journée, les tensions s’accumulent au point de fissurer le noyau familial. Sol cultive l’art du détachement pour préserver sa joie de vivre.

Festival International du Film de Berlin – COMPÉTITION OFFICIELLE – Prix du Jury Oecuménique / Hong Kong International Film Festival – GRAND PRIX Firebird Award / Beijing International Film Festival – MEILLEURE RÉALISATRICE / MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND RÔLE / MEILLEURE MUSIQUE / Cinélatino, Toulouse – Prix du public / Cannes Ecrans Junior, Cannes / Festival du film de Contis, Contis / Festival Biarritz Amérique Latine, Biarritz / Viva Mexico, Paris – Prix du public / Prix du jury de la Sorbonne

Sol Naíma Sentíes • Nuri Montserrat Marañon • Alejandra Marisol Gasé • Esther Saori Gurza  • Tonatiuh Mateo García Elizondo  • Cruz Teresita Sánchez  • Napo Juan Francisco Maldonado  • Lucía Iazua Larios • Roberto Alberto Amador

Scénario et réalisation Lila Avilès • Image Diego Tenorio • Montage Omar Guzman • Son Guido Barenblum • Musique Thomas Becka • Mixage Rune Palving • Décors Nohemi González Martínez • Assistante de réalisation Carmina Carballal • Directeur de production Héctor Zubieta (Limerencia Films) • Co-Producteurs Per Damgaard Hansen (Paloma Productions), Jean-Baptiste Bailly-Maitre (Alpha Violet) • Produit par Tatiana Graullera, Lila Avilés, Louise Riousse • Avec le soutien de EFICINE PRODUCCIÓN-BBVA, Danish Film Institute, HBF HUBERT BALS, AIDE AUX CINÉMAS DU MONDE – CNC,
Visions Sud Est avec le soutien du SDC (Swiss Agency for Development and Cooperation)

Lila Avilés

Lila Avilés est une réalisatrice, scénariste et productrice indépendante mexicaine. Elle a fondé la société Limerencia Films en 2018. Elle est connue pour son premier long métrage LA CAMARISTA (LA FEMME DE CHAMBRE), réalisé en 2018 et choisi pour représenter le Mexique aux Oscars et aux Goyas en 2020. Le film, sélectionné dans plus de 60 festivals, a remporté de nombreux prix nationaux et internationaux.

Filmographie

2023 TÓTEM
2023 OJO DOS VECES BOCA (court)
2018 LA CAMARISTA
2017 NENA (court)
2016 DÉJA VU (court)


INVITATION DU PROGRAMMATEUR

« Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer »*

Une fête familiale se prépare, lieu de tant de scénarios prétextes à révélations, déballages et autres règlements de compte, mais rien de tout cela ici. Nous sommes dans un lieu unique, une maison à la présence quasi organique, qui se peuple de plus en plus au fur et à mesure de l’avancée du film. La foule des amis et de la famille s’ajoute ainsi à un décor déjà étouffant, surchargé d’une végétation luxuriante, d’animaux de tous poils et plumes, sans oublier la présence d’esprits que l’on espère bienveillants. Au centre de cet apparent chaos, Sol, une petite fille de sept ans, veut voir son père, enfermé dans sa chambre. Personne ne veut lui parler ni lui expliquer ce qui se trame, pourtant elle a déjà tout compris, la fête est une fête d’adieu.

Pour son second long métrage, après La Camarista, Lila Avilés fait preuve d’une très grande maîtrise. Sous son apparence modeste, le film se révèle d’une très grande ambition formelle et narrative. Totem est un vrai tour de force d’une grande fluidité, facilement accessible, qui n’utilise jamais de ressorts éculés et se permet même parfois des pointes d’humour.

Et, peu à peu, le film se déploie, sa puissance vous emporte sur ses flots inéluctables et vous laisse, à la dernière image, totalement submergé d’émotion.

* Titre tiré d’une citation tirée de « Le Barbier de Séville » de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais

Jean-François Pelle , programmateur des cinémas Studio de Tours


ENTRETIEN AVEC LILA AVILÉS

DE QUOI PARLE TÓTEM ?

En fait, TÓTEM parle de beaucoup de choses ! J’aime les films ambigus, les films qui laissent place à l’interprétation. Mais TÓTEM parle surtout de la vie. C’est aussi simple que ça. Je voulais faire un film qui parle de  communication, de relations humaines et de communion avec la nature. Je voulais créer un personnage principal mûr malgré son jeune âge, une fillette de sept ans qui assume sa conscience des réalités et cherche à créer un monde qui épouse son regard. Aujourd’hui, on est tellement happés par le monde extérieur qu’on a tendance à négliger notre for intérieur. Nous évoluons dans une société déconnectée, sans comprendre que tout est basé sur une coopération perpétuelle, sur le respect inconditionnel des animaux, de la nature, de la famille, des amis, de nous-mêmes. Les notions telles que la sagesse, l’effort, la gentillesse, le collectif, la famille, le groupe, sont de plus en plus rares. Les langues disparaissent à la même vitesse que les espèces animales. J’ai le sentiment que ce film est une forme de réponse à mon questionnement des concepts de maison et de foyer. Que faire pour rester connectés ? Plus on regarde de près, plus on s’approche des racines, plus c’est simple. Au sein d’une seule famille, je montre une diversité de comportements et de points de vue ; un micro univers. William Blake a écrit : « Voir le monde dans un grain de sable, Et le paradis dans une fleur sauvage, Tenir l’infini dans la paume de la main, Et l’éternité dans une heure. » En partant de cette citation, j’ai commencé à écrire, modeler et fusionner les personnages les uns avec les autres pour façonner ce qui allait devenir TÓTEM.

COMMENT VOUS EST VENUE L’IDÉE DU FILM ?

J’ai eu l’idée du film alors que je venais de devenir mère, donc j’aime à penser que c’est un cadeau de ma fille. J’ai toujours été sensible à son enthousiasme, à son côté sauvage et à son indulgence envers moi en tant que mère. Savoir être parent n’est pas quelque chose d’inné, mais ma fille et moi avons toujours été sur la même longueur d’onde. C’est précieux. D’une certaine façon, je pense que le film est une ode à l’amour, à ce type de relation.

POURQUOI AVOIR CHOISI CE TITRE ?

Trouver un titre est extrêmement important à mes yeux. Un titre, c’est comme un nom de famille. C’est une clef dans la vie. Parfois, je commence avec un certain titre, puis il change. Quand je suis certaine d’avoir le titre définitif, c’est un moment de grande plénitude. Pour celui-ci, je me rappelle avoir envisagé plusieurs options mais dès que j’ai pensé à ce titre-là, j’ai su qu’il serait impossible d’en changer. J’ai bien conscience qu’il y a déjà pas mal de films qui s’appellent Tótem, mais la nécessité de garder ce titre était trop grande, c’était trop évident. Pour moi, totem est un mot qui évoque le groupe, la famille, la tribu, et ce aussi bien en Amérique du Nord qu’en Australie. C’est l’objet qui symbolise ce sentiment complexe de se sentir chez soi quelque part.

QUELS SONT LES THÈMES PRINCIPAUX DE TÓTEM ?

Le film a plusieurs niveaux de lecture. TÓTEM aborde plein de sujets différents – du moins, je l’espère. Je suis toujours touchée quand mes films trouvent un écho dans les histoires personnelles des gens ; au sein de leur propre famille ou cercle amical. C’est une des grandes vertus de l’art. Il transcende les barrières que l’on se construit et nous permet d’accueillir l’autre dans notre vie intérieure, dans notre chez nous. Bien entendu, le film comporte des nuances, comme une peinture. Pour comprendre la lumière, on doit comprendre l’ombre. Parfois, c’est cette part d’ombre qui rend la vie difficile, mais elle est également source de résilience. L’ombre fait de la vie un voyage, lui donne du relief ; elle fait de la vie une aventure mystérieuse qui se doit d’être vécue.

TÓTEM RACONTE L’HISTOIRE D’UNE FAMILLE NOMBREUSE. POURQUOI ?

Principalement parce que les familles d’Amérique latine sont gigantesques – il y a toujours des cousins, des oncles, des animaux… c’est comme une fête – mais aussi parce que j’avais envie de dépeindre cet univers. J’aime le langage, j’aime montrer comment les membres d’une même famille se parlent, avec de l’argot et des messages codés. Certains mots et rituels ont une signification propre à une famille, mais pas à une autre. Il est nécessaire que l’individualité de chacun soit comprise et respectée, sinon ce serait comme ouvrir une boîte de Pandore.

COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ AVEC LES JEUNES COMÉDIEN·NES NON PROFESSIONNEL·LES ?

Dès la phase d’écriture du scénario, je savais que le film ne répondrait à toutes mes espérances qu’à condition de trouver les bons acteurs et actrices. Alors c’est devenu mon objectif. J’ai demandé à Gabriela Cartol (l’héroïne du film LA CAMARISTA / LA FEMME DE CHAMBRE) de travailler avec moi sur le casting. On a cherché ensemble notre ruche et sa reine, Sol. Le processus de casting était éreintant, mais il nous fallait trouver la bonne énergie. J’adore travailler avec des acteurs·trices non professionnels·les, alors le casting demande toujours beaucoup d’effort. Parfois, quand on voit entrer quelqu’un, on sait instinctivement que c’est LA bonne personne. C’est un sentiment très fort. Quand je me suis trouvée en présence de Naíma (Sol) pour la première fois, j’ai eu un bon feeling. On a discuté pendant des heures comme si on se connaissait depuis toujours. Quant à Saori (Esther), elle me faisait hurler de rire. C’étaient de belles trouvailles ! Pour moi, la phase de pré-production est source de stress, mais une fois qu’elle est passée, tout prend vie. Je voulais que les filles incarnent cette joie, ce sentiment de légèreté. Et leur liberté d’esprit a contaminé toute l’équipe. Il est toujours agréable de retrouver l’enfant qu’on a été, un peu comme si on le voyait dans un miroir. Le rôle de réalisatrice est un rôle très maternant. On doit écouter, comprendre et faire preuve de bon sens. On construit quelque chose de puissant sans jamais pousser, mais en accompagnant et en offrant sa confiance et ses connaissances. J’adore ces filles au caractère bien trempé. Nous sommes devenues très amies. Elles sont toutes deux chères à mon cœur.

COMME VOTRE PRÉCÉDENT FILM, LA CAMARISTA, TÓTEM SE DÉROULE INTÉGRALEMENT EN INTÉRIEUR DANS UN LIEU UNIQUE. POURQUOI CE CHOIX DU LIEU UNIQUE ?

Je savais dès le départ que le film serait tourné en intérieur et j’avais conscience du parallèle avec LA CAMARISTA, mais je ne veux pas pour autant être étiquetée comme « la cinéaste du lieu unique », surtout que je ressentais très fort la fameuse pression du passage au deuxième film (rires). Je ne veux pas devenir ce genre de cinéaste qui fait toujours le même film et je n’aime pas les dogmes. Ce que j’aime, en revanche, c’est me sentir proche des personnages. Vous savez, j’adore comparer le travail de cinéaste et celui de photographe, et je m’intéresse beaucoup au travail des chefs opérateurs. Pourtant, face à un film, il m’arrive souvent de me dire que oui, les images sont certes très belles et ça me fait ressentir des

choses, mais qu’est-ce que les personnages sont en train de ressentir de leur côté ? On en revient également à cette notion de la maison, de se sentir chez soi. Un lieu unique ne veut pas forcément dire enfermement. Quand on ferme les yeux, on est à l’intérieur de soi et du coup on est plus « chez soi » que jamais, on se retrouve dans notre habitat ultime. Ça m’intéresse de savoir comment la maison, la famille et le fait d’être soi-même peuvent cohabiter ensemble dans un même film. Mon chef opérateur Diego Tenorio et moi avions une relation de travail très fluide, on n’avait pas besoin de se poser beaucoup de questions. Et puis c’est un film sur les hommes et les animaux et il fallait bien leur laisser la place d’être libres, c’était la clé du film. J’adore les animaux et les insectes. J’aurais aimé avoir un jaguar dans la maison mais c’était impossible, bien sûr. Les animaux sont là pour nous rappeler qu’on vit tous sur la même planète et que tout est connecté. La planète est notre maison à tous, et on a tendance à oublier que la moindre chose qu’on fait est reliée à un autre être. On n’est pas des robots et pourtant on travaille tous trop, moi la première. J’aime travailler mais j’ai parfois envie de jeter mon ordinateur par la fenêtre et de me sentir connectée à nouveau à notre conscience collective. Les animaux sont les rois et les reines de TÓTEM, et tout le reste n’avait pas d’importance. Il fallait un cadre qui laisse passer ça.

EST-CE JUSTEMENT CE QUI VOUS A POUSSÉE À CHOISIR LE 4/3, UN FORMAT D’IMAGE CARRÉ ?

Oui tout à fait. Diego Tenorio est quelqu’un de très drôle. C’est un mot clé pour moi car j’adore travailler avec des gens qui ont un solide sens de l’humour. On travaille bien sûr, mais après tout c’est fondamental qu’on partage de la joie ensemble. Il venait juste de faire un film à la photo particulièrement léchée et travaillée, et quand il est arrivé sur le plateau le premier jour, je l’ai accueilli à bras ouvert en lui disant « Bienvenue, maintenant tu vas faire l’exact inverse pour moi s’il te plait ! ». On a filmé en numérique mais je voulais qu’on conserve l’illusion de la pellicule. La lumière possède sa propre texture et c’était très important à mes yeux. Quant au cadrage lui-même, il est là pour attraper au passage la vie qui se déroule devant la caméra. Diego était d’ailleurs très ami avec Naíma, qui joue Sol. Je crois que ça a permis à cette dernière de sentir qu’elle pouvait prendre toute la place dont elle avait besoin.

POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS À PROPOS DU TRAVAIL SUR LA LUMIÈRE, QUI PARTICIPE À CRÉER UNE AMBIANCE PARADOXALE, À LA FOIS CHALEUREUSE ET MYSTÉRIEUSE ?

C’est tout à fait ça. J’ai envisagé la lumière comme une soupe bouillonnant sur le feu, c’est l’idée qui m’a guidée tout au long du tournage (rires). Je me suis beaucoup demandé comment retranscrire à l’image l’idée de se sentir chez soi. Après tout, cela passe par la relation que l’on a avec les autres, mais cela passe surtout par notre relation à notre environnement. C’est pour cela que j’ai choisi une protagoniste qui soit une enfant jeune mais mature. Elle est à l’âge où l’on capte tout ce qu’il y a autour de nous, sans pour autant pouvoir le comprendre. Voilà l’idée que l’on avait en tête.

LE RYTHME JOUE AUSSI UN RÔLE FONDAMENTAL DANS L’AMBIANCE AMBIGÜE DE TÓTEM. LE DÉCOUPAGE DU FILM ÉTAIT-IL TRÈS CLAIR DÈS L’ÉCRITURE OU BIEN EST-CE QUELQUE CHOSE QUI S’EST CONSTRUIT AU MOMENT DU MONTAGE ?

Au montage. Toujours. J’adore travailler avec mon monteur Omar Guzmán. Je pense qu’on est parti pour travailler encore très longtemps ensemble. Je veux devenir une vieille dame qui continue à faire des films, je veux devenir la nouvelle Agnès Varda (rires). J’adore le montage mais je hais la préproduction, ça c’est l’enfer ! Quant au tournage, je trouve ça passionnant parce que je suis entourée de plein de monde. J’aime le montage parce que tout est encore fragile et en suspens. C’est là toute la beauté du travail de cinéaste : l’éventail de possibles qui s’offre à soi, l’attention qu’il faut pour ne rien gâcher. Parce qu’il n’y a rien de plus simple que de gâcher une belle photo en rajoutant un filtre moche. Truffaut disait que dans un film, il faut laisser les choses arriver ou non, parfois on écrit quelque chose et puis on le jette par la fenêtre. Mettre une partie du film à la poubelle c’est aussi une manière de lui trouver un rythme.

LE RYTHME EST AUSSI UNE QUESTION DE SON, COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ CET ASPECT-LÀ ?

Dans la vie de tous les jours, j’adore la musique. C’est tout pour moi, c’est l’excitation même. Mais dans le cadre d’un film cela peut devenir un piège. Après tout, si j’utilise telle ou telle musique, vous allez automatiquement ressentir telle ou telle chose, comme si j’appuyais sur un bouton. On dit parfois que la musique est l’âme d’un film, mais ce dont je suis sûre en tout cas c’est qu’il est plus facile de donner du rythme au film avec de la musique. Normalement je n’utilise pas de musique mais je suis très contente d’avoir changé de méthode pour ce film-ci. Pourtant je n’ai travaillé que sur un unique morceau, avec le compositeur Thomas Becka. Je ne pensais pas être le genre de réalisatrice à bien travailler avec un compositeur et pourtant il est parvenu à évoquer énormément de choses avec un unique morceau. Il est très talentueux, très sensible. Maintenant j’ai envie de faire un film entièrement musical ! J’ai envie de continuer à m’amuser, à jouer.

Propos recueillis par Grégory Coutaut