Guatemala. Pablo, 40 ans, est un « homme comme il faut », religieux pratiquant, marié, père de deux enfants merveilleux. Quand il tombe amoureux de Francisco, sa famille et son Église décident de l’aider à se « soigner ». Dieu aime peut-être les pécheurs, mais il déteste le péché.
Avec : Pablo Juan Pablo Olyslager • Isa Diane Bathen • Francisco Mauricio Armas Zebadúa • Pasteur Rui Frati • Femme du pasteur Sabrina de La Hoz • Rosa María Telón
Scénario et réalisation Jayro Bustamante • Images Luis Armando Arteaga • Décors Pilar Peredo • Montage César Díaz, Santiago Otheguy • Son Eduardo Cáceres, Gilles Benardeau, Julien Cloquet • Supervision musicale Herminio Gutiérrez • Une production Tu Vas Voir et La Casa de Producción • En coproduction avec Memento Films Production, Iris Productions et Arte France Cinéma • En association avec Memento Films Distribution et Film Factory Entertainment • Production exécutive Gustavo Matheu • Producteurs Gérard Lacroix, Jayro Bustamante, Marina Peralta, Georges Renan • Coproducteurs Alexandre Mallet-Guy, Nicolas Steil, Olivier Père, Rémi Burah • Producteurs délégués Edgard Tenembaum, Pilar Peredo • Avec la participation de Aide aux Cinémas du Monde, Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, Institut français, Film Fund Luxembourg, Arte France • Avec le soutien de la Fondation Gan pour le cinéma, la Région Nouvelle-Aquitaine, Cinergia Hivos, Ministerio de cultura y deportes de Guatemala
Jayro Bustamante
Né
au Guatemala en 1977, de nationalité guatémaltèque et française, Jayro
Bustamante fait ses études de communication à l’Université de San Carlos
de Guatemala. Ses débuts professionnels se font dans la publicité et il
réalise des spots publicitaires pour l’agence Ogilvy & Matter. Pour
poursuivre ses études cinématographiques il s’installe à Paris et suis
une formation au CLCF, Conservatoire Libre du Cinéma Français, filière
réalisation. Puis, il parachève ses études au Centre Expérimental
Cinématographique de Rome, filière scénario. De retour au Guatemala, il
fonde sa propre compagnie de production, La Casa de Producción. Il
produit son courtmétrage CUANDO SEA GRANDE et son premier long-métrage
IXCANUL, qui se déroule au sein d’une communauté Maya Cakchiquel.
IXCANUL obtient l’Ours d’argent Prix Alfred-Bauer lors de la Berlinale
2015 et gagne plus de 50 prix internationaux. IXCANUL a représenté le
Guatemala aux Oscar et Gloden Globes 2016.
En 2017, il crée La Sala de Cine, la première salle de cinéma au
Guatemala dédiée au cinéma indépendant. Il réalise ensuite son deuxième
long-métrage TREMBLEMENTS (TEMBLORES), présenté à la Berlinale 2019 dans
la section Panorama.
Il produit plusieurs projets d’autres réalisateurs guatémaltèques. Il a
fait partie des jurys de plusieurs festivals internationaux, tels que
la Berlinale 2016, le festival de Bruxelles 2018, le festival de
Biarritz 2018. Jayro Bustamante est lauréat de la Fondation GAN pour le
Cinéma 2017.
Filmographie
2019 TREMBLEMENTS (TEMBLORES) – long-métrage
Panorama, festival de Berlin 2019
Prix du public, Compétition officielle, rencontres Cinélatino de Toulouse 2019
2015 IXCANUL – long-métrage
Ours d’argent prix Alfred-Bauer, festival de Berlin 2015
2011 CUANDO SEA GRANDE – court-métrage
Prix de Qualité du CNC, Compétition internationale, festival de Clermont-Ferrand 2012
2010 USTED – court-métrage
2009 AU DÉTOUR DES MURS, LES VISAGES D’UNE CITÉ – long-métrage documentaire
2006 TODO ES CUESTIÓN DE TRAPOS – court-métrage d’animation
2005 YOYO – court-métrage
ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR
Après IXCANUL, vous continuez votre exploration de la société guatémaltèque avec TREMBLEMENTS. Comment est né ce projet ?
A l’origine de l’histoire de Pablo, il y a le récit que m’a fait un
homme rencontré alors que je terminais IXCANUL. Il m’a parlé de sa vie,
de son homosexualité. Ce qui aurait pu être le simple récit d’un
coming-out est devenu peu à peu beaucoup plus complexe car je réalisais
que j’avais face à moi un homme qui était gay et homophobe à la fois. Je
réalisais progressivement que les contradictions qui habitaient cet
homme venaient du carcan dans lequel il vivait, du poids de la société
dans laquelle il avait grandi et vécu jusque-là. Du coup, je me suis
intéressé à la manière dont mon pays considérait les gays. J’ai
questionné mon entourage, j’ai rencontré d’autres « Pablo ». La plupart
des hommes et des femmes avec qui j’ai discuté m’ont dit qu’ils avaient
suivi un traitement, pas forcément tel que décrit dans le film, mais ils
avaient été voir un psy, et le plus souvent ils avaient fait cela à la
demande ou sous la pression de leur famille. Cette démarche n’était
évidemment pas constructive : il n’était pas question de les aider à
mieux se comprendre et s’accepter, il s’agissait de les remettre dans ce
que la société considère comme le droit chemin, ils devaient ni plus ni
moins être guéris de leur homosexualité.
Au-delà de
l’homosexualité, le film questionne aussi le poids de la religion dans
votre pays, et plus particulièrement la place des courants évangélistes ?
Oui. Il était logique de parler de religion si je parlais de la
condition des gays au Guatemala. Les mouvements évangélistes sont
quasiment devenus une force politique dans le pays – et en Amérique
latine plus largement. La diversité des cultes propres à l’évangélisme a
permis de toucher toutes les couches de la société. La main mise est
totale. La religion est omniprésente à tous les niveaux. Tout le monde
ou presque se revendique d’une église que ce soit en famille ou au
travail. Votre religion peut même figurer dans votre CV. Il est très
difficile de vivre en dehors des préceptes religieux, de s’échapper du
cadre admis par la majorité, de vivre selon ses propres règles et
désirs. C’est ce que raconte TREMBLEMENTS.
L’histoire de Pablo n’est pas propre à ce personnage, elle est partagée
par beaucoup de gens dans un pays où 98% de la population est croyante.
Les églises évangélistes ont pu prendre une telle importance au
Guatemala à cause des carences même de l’État. Elles se sont souvent
substituées à celui-ci pour assurer de nombreux services et assurer une
sorte d’unité sociale. Par exemple, la plupart des psychothérapeutes qui
sont censés « guérir » les gays sont liés à une église, de fait il
n’est donc plus question de soins mais bel et bien d’endoctrinement.
En voulant vivre son histoire avec Francisco, Pablo est mis au ban de sa famille et de la société…
Il paie le prix fort. Il perd ses enfants, son travail, son statut
social… Et de fait il n’arrive à s’épanouir nulle part, ni dans une
hétérosexualité de façade ni dans une homosexualité affirmée. Il est la
victime d’une société non seulement religieuse mais aussi extrêmement
machiste et misogyne. En fait, la part féminine de l’homme n’a pas droit
de cité. Tout ce qui compte est de sauver les apparences. Comme Pablo
dans le film, beaucoup de gays sont mariés par convenance, et leurs
femmes sont également des victimes collatérales de cette négation à tout
prix de l’homosexualité.
Le film est autant le parcours de Pablo que celui de sa femme Isa…
En construisant le personnage de Pablo, je construisais forcément celui
de son épouse. Isa est ainsi devenue progressivement un personnage-clé.
Au fil de l’écriture, je m’interrogeais sur sa manière de réagir à
l’émancipation de son mari. Elle aussi va devoir affronter le regard des
autres, le jugement de la société. Elle choisit d’abord l’attaque en
privant Pablo de ses enfants, puis elle fait son propre chemin, sa
thérapie à elle comme cette scène où elle suit les cours de sexualité
dispensés par la femme du pasteur. En fait, la société lui impose d’être
une bonne épouse qui sache répondre aux désirs de son mari.
Pablo accepte de suivre une thérapie de conversion sous la pression de sa famille. Comment avez-vous pensé son cheminement ?
C’était un des enjeux majeurs du film : la thérapie aussi surréaliste
soit-elle devait être crédible. Je me suis donc inscrit à un programme
de conversion afin de voir par moi-même en quoi cela consistait, mais
j’ai vite été reconnu par les organisateurs qui se sont doutés que je
n’étais pas là pour changer ma nature mais plutôt faire des recherches
pour mon prochain film. J’ai beaucoup discuté avec des personnes qui ont
suivi ce genre de thérapies. Plus je me documentais, plus j’avais le
sentiment de revenir un demi-siècle en arrière tant cela témoigne d’une
vision archaïque de la sexualité et de la société. Dans le film, la
conversion va jusqu’à la castration chimique en plus de l’enseignement
religieux, du coaching sur la masculinité et d’un régime alimentaire
spécial. Cela arrive aussi dans la réalité. C’est d’autant plus choquant
que des gens sont convaincus que ce type de traitement peut marcher.
La famille de Pablo est d’ailleurs convaincue de la pertinence de cette thérapie…
Sa famille pense agir pour le bien de Pablo quitte à lui faire du mal
en l’obligeant à nier qui il est vraiment. C’est d’ailleurs ce qui m’a
le plus frappé au cours de mes recherches : les familles sont toujours
convaincues d’agir par amour de leurs membres dont elles pensent qu’ils
se sont égarés. Ainsi, c’est par amour de l’autre qu’elles font souffrir
ceux qui osent être différents.
IXCANUL se déroulait au
pied d’un volcan, TREMBLEMENTS s’ancre dans le quotidien de Guatemala
City. Les deux films s’opposent et se répondent en même temps dans leur
manière de montrer la réalité du pays…
Qu’il s’agisse de la campagne ou de la ville, les fonctionnements
sociétaux sont finalement assez similaires. Maria dans IXCANUL et Pablo
dans TREMBLEMENTS se ressemblent en ce sens qu’ils sont chacun entravés
par la société. Ils sont enfermés dans un mode de vie qu’ils n’ont pas
choisi et qu’ils subissent. Mon propos est moins anthropologique que
sociologique. Les deux films sont complémentaires.
L’esthétique
du film entier est au service du récit comme si le spectateur plongeait
en apnée dans le quotidien de Pablo. Comment êtes-vous parvenu à
incarner visuellement cet état de tension permanente ?
Je travaille avec Luis Armando Arteaga, mon directeur de la photo,
depuis mes premiers courts-métrages. Nous voulions un film qui soit
intemporel d’un point de vue esthétique, qui ne soit attaché ni à une
mode ni à une époque. Nous avions des références comme INTERIEURS de
Woody Allen ou BIRTH de Jonathan Glazer dans la manière de filmer la
bourgeoisie enfermée dans ces grands appartements, mais il fallait aussi
rendre compte de la diversité d’une ville comme Guatemala City où les
classes sociales sont extrêmement marquées. D’un côté nous avions
l’univers feutré, étouffant où a grandi Pablo, la demeure cossue de ses
parents, de l’autre le monde bouillonnant – presque chaotique – de
Francisco, et au milieu l’univers froid quasi clinique de l’église
évangéliste. Nous avons travaillé sur une palette de couleurs mordorées
qui enrichit le réel tout en respectant le naturel.
Ce souci du réel se retrouve également dans la manière de travailler avec vos acteurs…
J’ai travaillé pendant plus d’un an avec les acteurs. Je ne voulais pas
qu’ils deviennent les personnages, mais qu’ils ressentent leurs
émotions et les nourrissent de leur vécu. Ce sont en fait les principes
de Constantin Stanislavski que nous avons mis en application avec le
concours d’une coach guatémaltèque. J’ai demandé aux quelques acteurs
réellement professionnels d’abandonner leurs réflexes de jeu car je
voulais que tout le monde soit au même niveau. Il leur a fallu
rechercher leur part d’intime. J’avais aussi besoin qu’ils aient tous
une confiance absolue dans le projet afin de pouvoir s’abandonner à la
méthode. Ce fut certes éprouvant mais aussi très fort et très
gratifiant.
Le tabou de l’homosexualité a-t-il compliqué le processus ?
80% des personnes auditionnées ont finalement renoncé au film à cause
du sujet. En revanche, Juan Pablo Olyslager et Mauricio Armas Zebadúa
qui interprètent respectivement Pablo et Francisco ont parfaitement
compris ma démarche. Pour eux, hétérosexuels dans la vie, il s’agissait
avant tout de trouver le ton juste, de jouer des homosexuels sans tomber
dans la caricature. Ils n’ont pas eu peur d’assumer leur sensibilité.
Juan Pablo Olyslager qui est un des acteurs les plus connus au Guatemala
s’est complètement investi dans le film. Il a même accepté de perdre 12
kilos. Il a donné au personnage de Pablo ce physique ténébreux que
j’avais en tête. Lors des ateliers avec les acteurs dans les mois qui
ont précédé le tournage, il a été le premier à s’ouvrir aux autres, à
partager son vécu et ses émotions pour nourrir son rôle. Il était
l’acteur le plus expérimenté, et c’est lui qui a dû accepter de
s’abandonner le plus. Il a fait cadeau de sa personne au film.