Film soutenu

Trenque Lauquen 1 et 2

Laura Citarella

Distribution : Capricci Films

Date de sortie : 03/05/2023

ARGENTINE - 2022 - 4H22 - 1.77 - 5.1

Une femme disparaît. Deux hommes partent à sa recherche aux alentours de la ville de Trenque Lauquen. Ils l’aiment tous les deux et chacun a ses propres soupçons quant aux raisons de cette disparition. Les circonstances vont cependant se révéler plus étranges que prévues.
En deux parties et douze chapitres, « Trenque Lauquen » croise les récits de ses différents personnages et cartographie une ville. De la découverte d’une ancienne correspondance amoureuse dans une bibliothèque à de mystérieuses apparitions près d’un lac, la pampa n’a pas encore révélé tous ses secrets…

Mostra de Venise 2022 – Orizzonti, Festival de San Sebastian 2022 – Compétition internationale, New-York Film Festival 2022 – Sélection officielle, Festival du film de Mar Del Plata 2022 – Meilleur film latino-américain, Festival Cinélatino 2023 – Compétition fiction, Festival de Rotterdam 2023 – Sélection Harbour, Festival International de Films de Femmes – Grand Prix du Jury 

Laura Paredes (Laura) • Ezequiel Pierri (Ezequiel “Chicho”) • Rafael Spregelburd (Rafa) • Cecilia Rainero (Normita) • Juliana Muras (Juliana) • Elisa Carricajo (Elisa Esperanza) • Verónica Llinás (Romina)

RÉALISATION Laura Citarella • SCÉNARIO Laura Citarella, Laura Paredes • PHOTOGRAPHIE Agustín Mendilaharzu, Inés Duacastella, Yarará Rodríguez • PRISE DE SON Marcos Canosa • COSTUMES Flora Caligiuri • MONTAGE Miguel de Zuviría, Alejo Moguillansky • MUSIQUE Gabriel Chwojnik • PRODUCTEURS Ingrid Pokropek, Ezequiel Pierri • PRODUCTION El Pampero Cine

Laura Citarella

Laura Citarella est née à La Plata (province de Buenos Aires) en 1981. Après avoir obtenu un diplôme en réalisation à la Universidad del Cine (dans laquelle ont été formés Lisandro Alonso, Pablo Trapero ou Santiago Mitre), elle fonde la société El Pampero Cine en 2005, aux côtés de Mariano Llinás, Alejo Moguillansky et Agustín Mendilaharzu. Entre 2011 et 2019, Citarella réalise trois longs-métrages remarqués dans les festivals américains et européens : Ostende (2011), La Mujer de los Perros (2015) et Las Poetas visitan a Juana Bignozzi (2019). Elle s’est également fait un nom comme l’une des plus grandes productrices de films indépendants en Argentine, produisant notamment Histoires extraordinaires et La Flor de Mariano Llinás. Trenque Lauquen est son quatrième film, le premier à sortir en France.

FILMOGRAPHIE
2022 Trenque Lauquen
Mostra de Venise – Orizzonti

2019 Las Poetas Visitan a Juana Bignozzi (coréalisé avec Mercedes Halfon)
Festival Mar del Plata – Meilleure réalisation

2015 La Mujer de los Perros (coréalisé avec Verónica Llinás)
Festival de Rotterdam

2011 Ostende
Festival de Vienne 2011

2006 Tres Juntos (cm)

NOTE D’INTENTION

Trenque Lauquen est une pièce d’un grand puzzle : un ensemble de films où le même personnage mène des vies différentes, dans diverses villes de la province de Buenos Aires. Le premier film de cette saga s’appelait Ostende (2011), du nom du village où il se déroulait, et c’était mon premier long métrage. Le personnage de Laura est toujours interprété par Laura Paredes et je suis, moi-même Laura, toujours réalisatrice. Cela fait peut-être trop de Laura.
Cette Laura traverse toute cette saga naissante comme une idée centrale : une sorte de Sherlock Holmes au féminin perdu dans les villes, avide d’aventures.
Un film composé de femmes d’un autre genre. Des femmes qui poursuivent d’autres femmes. Des femmes détectives. Des femmes scientifiques. Des femmes qui, pour différentes raisons, s’enfuient. Des livres qui deviennent les cartes de leur vie. La maternité. La conquête du territoire. Des hommes amoureux. La noblesse de certains hommes. L’idiotie de ces mêmes hommes. La bureaucratie et les fleurs, la ville, les humains, les animaux, les plantes. L’inconnu…


ENTRETIEN AVEC LAURA CITARELLA

Trenque Lauquen est un labyrinthe fait de différentes intrigues, de détours et d’impasses. Comment avez-vous travaillé avec votre coscénariste Laura Paredes ?

Lorsque nous avons commencé à réfléchir au scénario, nous savions que l’intrigue éclaterait et prendrait toutes sortes de tangentes, de détours. Je voulais que la narration du film se disperse, à la façon des différents personnages. Nous avons écrit une première version très linéaire, dont nous avons remanié la structure avec Laura pour incorporer cette «dispersion» qui nous attirait vraiment. Nous savions qu’il y aurait deux hommes à la recherche d’une femme insaisissable, mais c’était à l’origine une courte intrigue à la toute fin du scénario. Nous avons donc décidé de démarrer avec la fuite de Laura par le point de vue d’un autre personnage. Cette idée de raconter la même histoire à travers différentes perspectives était ce qui m’intéressait le plus, ainsi chaque élément a une signification différente pour mes personnages. Lorsque Rafael trouve le livre d’Alexandra Kollontai dans lequel Laura découvre la correspondance des amants, il le lit comme un commentaire implicite de sa relation avec elle. Pour Ezequiel, le livre est une chronique de sa propre romance secrète. Quant à Laura, c’est simplement l’un des nombreux autres secrets qu’elle déterrera en cours de route… Le véritable point de départ ici est Ostende (2011), mon premier long métrage, également interprété par Laura Paredes. Trenque Lauquen est un chapitre de la saga de Laura, actrice et personnage que je voulais retrouver et déplacer dans un autre lieu. C’était également une excuse pour tourner à Trenque !

C’est votre ville natale ?

Je suis née à La Plata mais toute ma famille vivait à Trenque, c’est là que j’ai passé tous mes étés. J’ai toujours eu une relation idyllique et romantique avec cet endroit, plus qu’avec les villes où j’ai vécu adulte. Je suis profondément attachée à ce lieu car mes ancêtres italiens s’y sont installés au début du XXe siècle. La légende dit qu’ils ont marché 500 km, de Buenos Aires à Trenque. Certains sont finalement retournés en Europe, près de Turin, où nous avons tourné plusieurs scènes de la première partie. J’aime envisager ce contexte comme un arbre qui n’a cessé de grandir au fil des décennies.

Le nom de Trenque Lauquen a des origines mapuches, et signifie « lac rond ». Pensez-vous qu’il y a une relation entre ce lieu et la narration circulaire du film ? À chaque fois que vos personnages passent devant le panneau de bienvenue de la ville, c’est comme s’ils entraient dans une autre dimension.

Oui, je pense qu’il y a une relation claire entre la structure narrative et le lieu. Après tout, le film n’adopte pleinement le point de vue de Laura que lorsqu’elle quitte définitivement Trenque. Le film semble se perdre et se défaire au moment où nous quittons la ville pour nous aventurer dans la pampa. La ville entière est comme ensorcelée, et y pénétrer, c’est entrer dans un monde fantastique où toutes sortes de choses peuvent se produire. J’aime beaucoup cette idée qu’en entrant dans un nouveau lieu, on le transforme et il nous change en retour.

De nombreux moments font penser aux écrits de Jorge Luis Borges, quelles ont été vos influences littéraires sur ce film ?

Je ne peux pas prétendre être une experte de Borges au même titre que d’autres membres de Pampero Cine, Mariano Llinás par exemple. En termes d’influences, notre collectif a toujours été associé à cette tradition littéraire, à son intérêt pour les récits multiples et labyrinthiques. Un auteur que j’ai beaucoup lu en écrivant le scénario est l’écrivain chilien Roberto Bolaño. Je pense qu’il n’y a pas qu’une seule référence mais toute une cartographie littéraire. Quand j’ai commencé à imaginer ce projet, je suis partie de la figure du monstre. J’ai d’abord relu Frankenstein et j’y ai trouvé une chose que j’avais oubliée : ce moment, au milieu du livre, où le récit change de point de vue et adopte celui du monstre. Cela m’a amené à un autre film de monstre, L’Attaque de la femme de 50 pieds, et donc aux des monstres féminins.

J’ai également pensé à Tom Sawyer pour cette idée de relation entre la nature et l’aventure, qu’on retrouve dans Trenque Lauquen, puis à Henry David Thoreau dont j’avais lu Walden pour un autre film, La Mujer de los Perros. Je suis revenue à Thoreau en trouvant un texte, De la marche, qui parle du voyage sans destination précise, en flâneur. Au début tout le monde m’a dit : «Ça fait beaucoup d’idées, Laura. Il va falloir en enlever !» , mais je tenais à ce que tous ces éléments soient dans le film.

Combien de temps avez-vous tourné en tout ?

Je ne pourrais vraiment pas vous le dire car le tournage s’est étalé sur six ans. Il y a eu la pandémie. J’ai été enceinte, Elisa Carricajo aussi, et l’enfant de Laura Paredes n’avait que huit mois lorsque le tournage a commencé. On avait une structure de base, puis on tournait des scènes autour d’elle pour combler certaines omissions ou ajuster certains chapitres. Mais tant de choses changent en six ans et, en tant que réalisatrice, vous devez aussi tenir compte du fait que vos acteurs changer physiquement. Pour La Flor, nous avons été confrontés à des problèmes similaires.

Dans La Flor, on avait le sentiment de voir quatre actrices au travail, mais aussi de les voir vieillir, et de vieillir avec elles. L’effet est très similaire dans Trenque Lauquen.

Quand on fait partie d’un collectif comme El Pampero Cine, on peut parler de « pollinisation ». Vous travaillez sur les films de vos collègues, comme je l’ai fait avec La Flor, et d’une manière ou d’une autre, ces autres projets finissent par influencer les vôtres. Il se crée un labyrinthe de connexions qui s’étendent sur l’ensemble des œuvres. C’étaient les questions clés pour moi : Peut-on faire de nouveaux films qui existent en conversation avec ceux que l’on a faits auparavant ? Comment trouver de nouvelles façons d’utiliser les techniques et les solutions employées dans nos œuvres précédentes ? Et comment vais-je filmer la même actrice, maintenant que tant d’années se sont écoulées depuis notre premier long métrage ensemble ?

Je voulais faire un film qui commence comme un nouveau chapitre d’Ostende (2011) et se termine comme La Mujer de los perros (2015). J’aime que Trenque Lauquen change au fur et à mesure or certains de ces changements sont des décisions que nous avons prises sur place, comme le choix de tourner le dernier chapitre en 35mm. Nous tournions une scène dans un bar avec l’une de nos directrices de la photographie, Inés Duacastella, et je n’arrêtais pas de dire que le cadre était trop large. Elle m’a répondu, en plaisantant, qu’il suffisait de changer le ratio… Et c’est ce que nous avons fait ! Il y a donc un moment où le cadrage change et rétrécit, ces choix impulsifs sont rafraîchissants. Je répétais à Inés : « Je crois que je commence un nouveau film ! », j’espère que c’est aussi ce que ressent le spectateur à ce moment : une entrée dans un tout nouveau monde.

Trenque Lauquen est plein de mystères et d’ellipses : beaucoup de choses que vos personnages recherchent ne sont jamais montrées ou restent inexpliquées. Quel est l’effet recherché par ces omissions volontaires ?

J’aime la façon dont ces “omissions” établissent une complicité particulière avec le spectateur. Mais le film doit aussi confirmer, de temps en temps, ses éléments les plus surréalistes et fantastiques, vous montrer la preuve de leur existence. À vrai dire, il y a tellement de secrets dans Trenque Lauquen que j’ai parfois l’impression que le film doit montrer des choses, juste pour vous rassurer que tout n’est pas que mensonge. Prenez cette “créature” dont nous entendons parler dans la deuxième partie, si nous avions choisi de ne pas montrer la serre dans laquelle Laura entre à la fin du film, je pense que le spectateur aurait eu le sentiment que tout cela n’était qu’une blague ou une illusion. Nous devions montrer que cette ville étrange et surréaliste a aussi ses aspects concrets et tangibles. Trenque Lauquen fonctionne par la rétention d’informations, mais ne peut se permettre de le faire que jusqu’à un certain point.

Je voulais aussi que le film soit toujours en mouvement et en évolution, qu’il ne se contente pas d’un genre en particulier ou que les personnages se comportent comme on s’y attendrait. On le voit avec Ezequiel, qui passe la première partie dans le rôle du témoin taciturne et voyage avec Rafael, le petit ami de Laura, qui endosse celui du détective. Ce n’est que dans la deuxième partie qu’Ezequiel prend le relais et devient lui-même un enquêteur. Je pense que ce sont les non-dits qui permettent de créer suffisamment d’espace pour que ces personnages puissent grandir et changer. C’est la même chose avec le médecin joué par Elisa Carricajo. La ville la considère comme une marginale mais Laura la perçoit sous un jour différent, avant tout comme une future mère aimante dans une relation saine. C’est cette danse constante entre le partage et l’omission qui rend les personnages si flexibles, si perméables et réceptifs aux événements qui les entourent.

La deuxième partie réfute une à une les théories qu’élaboraient Rafael et Ezequiel pour expliquer la disparition de Laura.

Rafael et Ezequiel se trompent sur beaucoup de choses, mais ils restent des personnages assez nobles. Même si Rafael est enclin à toutes sortes de polémiques et de colères, on peut comprendre pourquoi il est si désespéré : il a perdu l’amour de sa vie. J’aime l’échange entre Ezequiel et Juliana quand cette dernière traite Rafael de «connard de Buenos Aires», Ezequiel lui répond qu’elle se trompe, que c’est un type bien. Je pense que c’est juste. L’autre jour, quelqu’un m’a dit qu’il voyait Trenque Lauquen comme un film sur les femmes contre les hommes. Ce qui n’est vraiment pas le cas !

La seule distinction sur laquelle vous insistez, c’est que les hommes ont tendance à chercher à tout prix des réponses rationnelles face à des phénomènes inexplicables. Et Trenque Lauquen en est plein.

Personnellement, je n’aime pas penser en termes de dichotomie entre un regard féminin et un regard masculin. L’autre jour, mon collègue Mariano Llinás a dit que Trenque Lauquen est pour lui une parfaite illustration de l’esprit féminin… Laura Paredes et moi lui avons sauté dessus : l’esprit «féminin» n’existe pas ! Ce n’est pas une entité distincte, une chose à part, qui flotte dans l’air. Si on remplacait Laura par un homme, vous ne songeriez pas à décrire Trenque Lauquen comme «un film sur l’esprit masculin». Ce serait un film sur un homme et les choses qui lui arrivent. Chaque personnage a bien sûr sa propre constitution cérébrale mais je ne vois pas l’intérêt de le cataloguer comme masculin ou féminin. Cela dit, je pense qu’il peut y avoir une tendance chez les hommes – en tout cas chez ceux que l’on voit dans Trenque Lauquen – à interpréter, à mettre des mots, à expliquer et articuler. Au contraire, les femmes semblent avoir une approche différente du monde, plus intuitive, ainsi qu’une plus grande réceptivité et acceptation des choses qui défient la logique.

J’essaie toujours de chercher le sens définitif de mon film, mais lorsque j’ai entendu Mariano parler de l’esprit féminin, je me suis souvenue d’un livre que j’adore, Une Chambre à soi de Virginia Woolf. Elle écrit qu’elle n’est qu’un maillon d’une longue chaîne de femmes qui l’ont précédée. Elle trace une sorte d’arbre généalogique, semblable à celui que vous voyez se déployer dans Trenque Lauquen. Si elle peut exister en tant qu’écrivain, si elle peut en toute sécurité habiter ce monde, c’est grâce à toutes celles qui l’ont précédée et qui ont rendu cette vie possible. Il en va de même pour les femmes de Trenque Lauquen : des choses leur arrivent et elles les vivent ensemble, parce qu’elles appartiennent à un même réseau. Je préfère de loin cette idée de femmes tissant une toile à celle d’un esprit «féminin» existant comme une chose imperméable.

C’est ce que dit Laura elle-même lorsqu’elle trouve le livre d’Alexandra Kollontai dans la bibliothèque et réalise qu’une autre personne a souligné les mêmes phrases que celles qui lui parlent. C’est l’idée à laquelle le film revient sans cesse, ce sentiment de communauté, de réseau.

Interview publiée originellement en anglais par Notebook (mubi.com/notebook)

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