Film soutenu

Un chat un chat

Sophie Fillieres

Distribution : Les Films du Losange

Date de sortie : 25/03/2009

France • 2008 • 1 h 46 min • 35 mm • 1.66 • Couleur • Dolby SRD

Célimène a trente-cinq ans. Elle est écrivain, mais n’écrit plus. Pas d’inspiration. Classique… Célimène préfère se faire appeler Nathalie. Normal… Son fils de sept ans, Adam, l’oblige à garder les pieds sur terre. Tout juste… Son appartement est en travaux, Célimène, en attendant, vit chez sa mère. Difficile…Anaïs a dix-sept ans. Elle est fraîche, neuve, elle a l’arrogance de sa jeunesse. Tout un programme… Elle poursuit Célimène, dérobe son courrier, l’attend partout. Inquiétant… Anaïs veut convaincre Célimène d’écrire sur elle. Elle se propose comme sujet. Ben voyons… Mais rien ne les réunit, rien ne les oppose non plus, l’entêtement de l’une vient se frotter à la fermeté de l’autre, et pourtant…

SÉLECTION SECTION FORUM – FESTIVAL DE BERLIN 2009

RÉALISATION ET SCÉNARIO Sophie Fillières / ASSISTANT À LA RÉALISATION Guillaume Huin / CASTING Yann Coridian / IMAGE Emmanuelle Collinot / SON Frédéric Ullman, Mikaël Barre, Jean-Pierre Laforce / DIRECTEUR DE LA PRODUCTION Nicolas Leclere / MONTAGE Valérie Loiseleux / SCRIPTE Bénédicte Darblay / DÉCORS Antoine Platteau / COSTUMES Carole Gérard PRODUCTION Pierre Grise Productions, Martine Marignac, Maurice Tinchant / AVEC LA PARTICIPATION DE TPS Star, Cinecinéma / AVEC LE SOUTIEN DE la région Île-de-France, du Programme Média Plus de la Communauté européenne, de la Procirep, de l’Angoa- Agicoa et du Centre national de la Cinématographie / EN ASSOCIATION AVEC Cinémage 3 /

Sophie Fillières

De 1986 à 1990, Sophie Fillières est élève à la FEMIS, section réalisation,1re promotion.Elle y réalise plusieurs courts-métrages. En 1992, elle réalise Des filles et des chiens, court-métrage de fiction avec Sandrine Kiberlain et Hélène Fillières, sorti en première partie de La sentinelle d’Arnaud Desplechin et qui obtient le Prix Jean Vigo.
1994 – Grande petite
2000 – Aïe
2003 – Viol
2005 – Gentille
Elle a notamment travaillé sur les films : Nord de Xavier Beauvois, Emma Zunzde Benoît JACQUOT, Oublie-moi de Noémie Lvovsky, Sombre de Philippe Grandrieux, Un homme un vrai de Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Variété française de Frédéric Videau ainsi que Le bruit des enfants fourmis de Christine François, Ouf de Yann Coridian, De bon matin de Jean-Marc Moutout, actuellement en cours de production.

Entretien avec Sophie Fillières

« Un chat un chat », c’est d’abord l’histoire d’une relation entre deux femmes. Quelle en est la nature ?
C’est une pure rencontre. J’avais envie d’une histoire entredeux personnages, engagés dans un rapport qui n’est fait ni d’amour, ni d’amitié. Je voulais traiter de ce qu’il peut y avoirde strictement humain entre deux êtres. Un rapport entredeux humains, qui, incidemment, sont deux humaines. J’avaisbesoin de me détacher des enjeux relationnels classiques, demontrer une autre forme de lien entre deux êtres. Il s’agitaussi pour moi de travailler la question du rapport à l’autre. Comment faire pour réussir à être avec l’autre et commentlaisser l’autre, la différence venir à soi. C’est le rapport entre les deux qui m’intéresse, comment et de quelle façon l’une se rapporte à l’autre, et l’autre à l’une. Comme le dit Célimène, elles ne sont ni deux filles ni deux femmes. Elles sont juste du même sexe. Mais ce n’est pas rien !

■ Vous dirigez votre fille Agathe, vous aviez dirigé votre soeur Hélène. Travailler en famille vous est nécessaire ? Naturel.
J’ai écrit le rôle d’Anaïs en pensant à Agathe. C’étaitelle, depuis le tout début. Agathe et son personnage Anaïs forment un tout que j’avais envie d’explorer. Il n’y a ni superposition ni adéquation directe, mais l’une nourrit l’autre et viceversa. Le va et vient était plaisant : la voir souvent comme le personnage, parfois comme ma fille… Très plaisant. Mais c’est quand même une composition ; Agathe est actrice, elle a inventé, cherché, proposé et j’ai travaillé avec elle comme avec les autres. Pour moi, elle a cette justesse toujours pointue, et elle est piquante. Dans ce moment aventureux qu’est la récitation de la lettre, la transmission des mots d’un autre, sous son parapluie, dans sa première scène avec Célimène, elle m’a vraiment cueillie.

■ Pour le personnage principal, vous avez tout de suite envisagé Chiara Mastroianni ?
Au tout début de l’écriture, j’avais un peu pensé à Hélène, ma soeur. Assez vite, au fur et à mesure que l’histoire prenait forme, que le personnage de Célimène/Nathalie se dessinait, j’ai commencé à douter. Un doute accentué par ma certitudequ’Anaïs, ce serait bien Agathe. Alors, ma soeur ET ma fille, ça devenait trop réel, ça empiétait complètement sur l’invention, sur la fiction. Je n’avais plus de place. J’avais devant moi une matière fascinante à regarder, palpable, mais qui n’était pas ce que je voulais inventer. Depuis longtemps, j’avais envie de travailler avec Chiara. Je ne la connaissais pas, mais je la suivais, à distance, de loin en loin et dès la première lecture ça a été une évidence. Sa voix, son intelligence de la phrase, du débit, et une vraie maturité qui m’intéressait. Et puis sa drôlerie ! Elle est profondément gracieuse et en même temps ancrée dans le réel, solide. La gageure était de savoir si l’on pouvait croire à Chiara Mastroianni en panne de quoi que ce soit car Célimène est en panne, d’inspiration, d’amour… Elle a immédiatement endossé le rôle et le costume tout en jean (destiné à faire tomber le glamour pour faire ressortir sa personne et partant, le personnage). Et leurs deux physiques, leurs visages, ceux de Chiara et Agathe, leurs corps, différents, offraient un vrai spectacle, quelque chose de visuel, de complémentaire, d’aimanté. C’était un plaisir de simplement les regarder ensemble.

■ Célimène et Anaïs ne se touchent pas. Comme les autres personnages de vos films antérieurs, elles s’arrêtent toujours juste avant l’acte.
Elles ne se touchent pas, mais sont touchées l’une par l’autre et elles se parlent. Pour moi la parole au cinéma c’est physique, c’est organique. Les mots affleurent en pensée, immatériels d’abord, puis le cerveau ordonne au corps de les prononcer. Le corps est à l’oeuvre, les cordes vocales vibrent, la langue se positionne et hop, advient la voix ! Je garde toujours à l’esprit, en écrivant, que la parole est un investissement physique. La parole filmée, c’est de l’action.

■ Pourtant, vos films ne sont pas bavards.
Je ne crois pas. D’ailleurs Célimène/Nathalie s’arrête de parler à un moment. Comme si elle remettait en question l’usage même de la parole, ces bruits qui sortent de nos bouches et qui veulent dire quelque chose, ce qu’on appelle langage, c’est merveilleux quand on y pense. Et j’essaye que ce ne soit jamais de la conversation, je cherche une certaine économie. Les mots sont prononcés pour faire avancer l’histoire, pour suggérer des images absentes mais que pourtant l’on voit. Quand Célimène dit à Anaïs qu’avec elle, elle se sent humaine, qu’elle l’emmènerait sur une île déserte, j’espère que chaque spectateur voit sa mer bleue, sa pirogue, son cocotier. Ça parle aussi pour raconter un bout de récit, quelque chose qui s’est passé hors-champ. Quand le personnage joué par Malik Zidi raconte qu’il a vu Anaïs, qu’ils ont parlé, qu’elle lui a rendu ses lettres, on voit la scène, c’est une scène qui est incluse dans le récit, on croit le personnage sur parole justement. Adam, l’enfant est là aussi pour questionner le langage, la non évidence, et le sens des mots.

■ Quelle est la fonction du personnage masculin, incarné par Malik Zidi ?
Impossible d’envisager un film sans homme, sans un pôle masculin ; il contrebalance et met en perspective la féminité pétulante des deux héroïnes. J’avais aussi envie de parler de  la séparation, de l’absurdité de vouloir la réussir, comme s’il était raisonnable d’espérer réussir un échec. Ce personnage d’Antoine, avec peu de scènes, travaille en souterrain, donnant corps à tout un pan de la vie de Célimène, les difficultés de la vie de couple, la sensualité, le charnel, leur historique, encore plus que leur histoire. Malik Zidi a donné beaucoup de force à ce personnage, fin et délié comme il est, il dégage une énergie, une précision de jeu et une tension qui ont beaucoup servi le personnage.

■ Et quelle est la vocation du personnage d’Anaïs ?
La vocation d’Anaïs est peut-être de venir pointer les contrastes de Célimène mais elle n’est pas réductible à un archétype. Elle a son propre chemin à faire. A partir du moment où elle demande qu’on s’intéresse à elle, et où elle s’offre comme sujet (d’un roman, mais pas que) elle n’est pas une exacte incarnation de l’inspiration, ou d’un simple dérangement. Elle véhicule, aussi, quelque chose de l’ordre du merveilleux. Elle est pour moi tout à la fois le diable dans la boîte, le lutin, la fée marraine. Elle est « celle sans qui… »

■ Celimène a-t-elle besoin d’Anaïs ?
Je ne sais pas si elle en a besoin, elle en a envie mais elle ne le sait pas. Célimène est en suspens. Son point d’ancrage, c’est son fils. Un enfant, les contraintes qu’il impose, ça oblige à affronter le réel au quotidien. Elle n’est pas déprimée ou dépressive, elle est juste déplacée… — entre l’appart de sa mère, un poil étouffant, et le sien inhabitable temporairement — mais il y a une promesse, celle d’une vie meilleure. Un appartement rénové, une relation amoureuse précisée, un livre qui finit par naître… Célimène et Anaïs sortiront toutes deux, sinon grandies, du moins plus grandes, de leur rencontre. Elles accèderont à une intimité. Celle d’une histoire, peut-être d’amour, pour Anaïs, celle de l’écriture pour Célimène. Presque sans le vouloir, presque par hasard, elles ont échangé quelque chose.

■ Quelle est votre propre relation à l’écriture ?
J’écris assez lentement, pas toujours dans la joie, bien que j’aime énormément cette étape du travail. Je pars toujours d’une scène, une situation qui dessine d’emblée un personnage. Parfois d’une phrase prononcée, qui en entraîne une seule autre possible et ainsi de suite. Mes films sont sans doute très écrits, ne montrent certes pas de mouvements de caméras alambiqués, mais je n’ai pas encore réussi à écrire pour autre chose que le cinéma. Pour le théâtre, j’ai essayé, sans réussir à ce jour. Avant d’écrire une scène, j’ai besoin de la voir et de savoir que ce sera filmé. De savoir si les personnages seront assis ou debout, de profil, de dos, s’ils seront face à face ou côte à côte. Je n’écris que pour mettre en scène, et en sachant qu’il y aura une distanciation par l’image à l’arrivée. Je me sens protégée par l’image.

■ Pourquoi « un chat un chat » ?
Parce que parce que !