Luo Hongwu revient à Kaili, sa ville natale, après s’être enfui pendant plusieurs années. Il se met à la recherche de la femme qu’il a aimée et jamais effacée de sa mémoire.
Elle disait s’appeler Wan Quiwen…
Un Certain Regard – Festival de Cannes 2018
Avec : TANG Wei WAN Qiwen • HUANG Jue LUO Hongwu • SYLVIA Chang La mère de Wildcat – La femme rousse • LEE Hong-Chi Wildcat • CHEN Yongzhong ZUO Hongyuan • LUO Feiyang Wildcat jeune • ZENG Meihuizi Pager • TUAN Chun-Hao L’ex mari de WAN Qiwen • BI Yanmin Prisonnière • XIE Lixun L’homme de main de ZUO – L’amant de la femme rousse • QI Xi La femme de l’hôtel Jade • MING Dow Policier • LONG Zezhi L’homme blond dans la salle de billard
Écrit et réalisé par BI Gan • Chef décorateur LIU Qiang • Directeurs de la photographie YAO Hung-I, DONG Jinsong, David CHIZALLET • Gaffer WONG Chi-Ming • Directeur du son LI Danfeng • Monteur QIN Yanan • Musique LIM Giong and POINT Hsu • Costumes YEH Chu-Chen, LI Hua • Directeur de production HUANG Congyu • Producteur exécutif SUN Tao • Consultant littéraire ZHANG Da-chun • Consultant LI Xun • Producteurs exécutifs WAN Juan, SHEN Yang • Producteur SHAN Zuolong • Production Zhejiang Huace Film & TV Co., Ltd., Dangmai Films (Shanghai) Co., Ltd., Huace Pictures (Tianjin) Co., Ltd. • Co-production CG CINEMA, Horgos Taihe Entertainment Co., Ltd., Shanghai PMF Pictures Co., Ltd., Shanghai Tencent Pictures Cultural Diffusion Co., Ltd., China Film (Shanghai) Investment Fund, Mandarin Vision Co., Ltd., Tian Jin Mao Yan We Ying Media Co., Ltd., Free Whale Pictures Co. Ltd., Jiangsu Zhongnan Films Co., Ltd., Shanghai Ju Hong Film and TV Culture Studio, Realm Media Group, Dream Sky Films Co., Ltd., Youku Information Technology (Beijing) Co., Ltd. • Co-producteurs Charles GILLIBERT, YEH Jufeng, LI Xiaonan, ZHANG Guanren • En association avec Wild Bunch • Soutenu par Doha Film Institute
Bi Gan
Bi Gan, jeune cinéaste chinois, est né en 1989 à Kaili, dans la province du Guizhou. En 2013, le court-métrage Diamond Sutra dont il est l’auteur et le réalisateur, reçoit une Mention Spéciale dans la catégorie Asian New Force du 19e festival IFVA. Son premier long, Kaili Blues, remporte le prix du meilleur réalisateur émergent au 68e festival de Locarno, la montgolfière d’or au 37e festival des Trois Continents, et le prix de la réalisation aux 52e Golden Horse Awards, parmi de nombreuses sélections en festivals. Il a aussi été vendu dans plusieurs territoires. Son deuxième long-métrage, Un grand voyage vers la nuit, une co-production entre la Chine et la France, sera présenté dans la catégorie Un Certain Regard lors du 71e festival de Cannes.
Filmographie
2017 Un grand voyage vers la nuit
2016 The Secret Goldfish (cm)
2015 Kaili Blues
ENTRETIEN AVEC BI GAN
Le titre chinois du film Derniers crépuscules sur la terre vient d’une nouvelle de Roberto Bolaño, le titre international Long Day’s Journey Into Night est le nom d’une pièce d’Eugene O’Neill. Les seuls points communs sont-ils la nuit et le voyage ?
Choisir les titres et les noms de mes personnages est toujours un peu
difficile pour moi. En fait, tous les noms des personnages dans le film
sont des noms existants, des noms de chanteurs populaires. J’ai choisi
des noms qui me plaisaient, qui étaient compatibles avec l’esprit du
film. Comme ces deux titres d’œuvres littéraires.
Après Kaili Blues, comment avez-vous abordé ce nouveau film ?
D’abord, d’un point de vue technique, je n’étais pas satisfait de Kaili Blues.
Je regrettais de n’avoir pas pu faire certaines choses, tellement nos
moyens sur ce film étaient limités. Avec ce nouveau film, j’ai cherché à
concrétiser mes rêves et à mieux connaître l’industrie du cinéma.
Ensuite, j’étais fasciné depuis longtemps par la peinture de Chagall et
les romans de Modiano. Je voulais faire un film proche de leurs œuvres,
proche des sentiments et des sensations qu’on y trouve.
Donc, c’est la magie de Chagall avec les souvenirs de Modiano ?
Tout est lié aux souvenirs.
Un grand voyage vers la nuit emprunte sa forme au film de genre. C’est à l’origine de votre désir pour ce film ?
Je n’ai jamais eu de formation scénaristique. Du coup, j’ai pris mes propres habitudes en écrivant. Au début, sur le papier, Kaili Blues
était un road movie. Une fois la première version écrite, j’ai commencé
à la détruire de l’intérieur, petit à petit. Cela a donné une forme que
j’ai aimée. Pour Un grand voyage vers la nuit, c’était au départ un film noir, dans le genre de Assurance sur la mort de
Billy Wilder. C’est avec mon processus de « destruction » scène après
scène, que finalement le film a pris la forme qu’il a actuellement.
C’est en détruisant que vous construisez ? Et ensuite vous ajoutez de multiples détails et de petites touches personnelles.
Oui, mais je travaille aussi en décomposant et en recomposant.
J’interchange les éléments et je les déplace d’une scène à l’autre.
Comment le romancier Chang Ta-Chun est-il intervenu dans l’écriture du film ?
Il a été consultant sur le scénario. On a beaucoup discuté de la
structure du film. Par exemple, sa division en deux parties. La première
partie est intitulée : Mémoire, la deuxième : Pavot, comme dans le
titre du poème de Paul Celan : Pavot et mémoire. À un moment, je l’ai même envisagé comme titre du film, mais j’ai finalement abandonné cette idée.
Pour
moi, la première partie travaille le temps, les souvenirs dans
différentes temporalités. La deuxième travaille l’espace, avec son
sentiment renforcé par l’unique plan-séquence et la 3D.
C’est un film sur la mémoire. Après la partie en 2D qui inaugure le
film, je voulais que le film change de texture. En fait la 3D est juste
pour moi une texture. Comme un miroir qui change en sensations tactiles
nos souvenirs. C’est seulement un rendu en trois dimensions de l’espace.
Mais pour moi, ce sentiment tridimensionnel rappelle celui des
réminiscences du passé. Beaucoup plus qu’avec la 2D en tous cas. La 3D
est fausse, mais elle ressemble vraiment plus à nos souvenirs.
« Dangmai » est une ville, un véritable monde que vous avez créé à travers vos films.
« Dangmai » est au commencement un lieu qui n’existe pas. Au fur et à
mesure de mes films, il est devenu le carrefour où se croisent les
temps. Dans ce film, il est le fond du souvenir, un endroit comme dans
un rêve, mais qui existe réellement.
Le film lui-même
ressemble à un rêve. On le sent lié à l’origine du cinéma. Une
atmosphère très humide, un peu à la façon de Wong Kar-wai. Est-ce dû au
climat de votre ville natale Kaili, le lieu de prédilection pour le
tournage de vos films ?
J’ai beaucoup aimé Nos années sauvages, peut-être
inconsciemment suis-je influencé par le cinéma de Wong Kar-wai. Il
représentait beaucoup pour la jeune génération de réalisateurs chinois.
La ville de Kaili se situe en zone subtropicale. Il y pleut souvent,
surtout l’été.
Il me semble que pour vous, le cinéma sert
surtout à créer une ambiance ou un sentiment. Il n’est pas
exclusivement réservé au récit d’une histoire. Ou du moins, ce n’est pas
le plus important.
Absolument. Je cherche toujours à saisir l’état qui émane des lieux où
je tourne. À en rendre la justesse. Pour cela, je modifie presque
toujours ma scène sur place avant de tourner. Mes acteurs finissent par
s’y habituer et à en tirer l’inspiration. Quand tout le monde sur le
plateau est tendu vers la recherche de cette justesse, cela me fascine
vraiment. L’histoire en tant que telle est toujours un peu banale. Pour
ce film, il s’agit simplement d’un homme qui part à la recherche d’une
femme. Mais ce que je voulais capter, c’était l’émotion. Pendant le
tournage, je me suis forcé à ne pas tourner de scènes trop explicatives.
J’ai pris conscience qu’elles me mèneraient uniquement à du pur
narratif.
Pourtant, « un film doit être facile à comprendre ? » (Rires)
On me dit toujours que mes films sont difficiles à comprendre. Mais
c’est faux, ils sont à ressentir ! Si je ne tourne pas les habituelles
scènes explicatives, c’est qu’elles me rendent paresseux. On se dit : «
Puisque que j’ai un fil conducteur, je n’ai qu’à le suivre, c’est facile
». Mais sans ces scènes narratives l’histoire passe quand même. Et en
plus, ça nous réserve de belles surprises.
Comment s’est passé le tournage ?
J’ai arrêté le tournage dès le premier jour (rires). Je
n’étais pas content de la décoration. Cela a duré un moment, c’était
très tendu et il y avait beaucoup de pression. Puis est venu Liu Qiang,
notre directeur artistique qui a un sens plastique très aiguisé, avec
qui on a commencé à résoudre ces problèmes. Après il y a eu encore deux
ou trois arrêts. Finalement le tournage s’est achevé quelques jours
avant le nouvel an chinois 2018 (mi-fevrier).
À tel point qu’il y a trois chefs opérateurs sur le générique.
En fait, Yao Hung-I a commencé la première partie. On a travaillé
plusieurs mois ensemble, puis il est rentré à Taïwan. Dong Jingsong a
fait ensuite au moins la moitié de la partie en 2D, et la préparation du
plan-séquence final que finalement David Chizallet a assuré. Ce dernier
a aussi tourné une des scènes de la partie en 2D.
Comment
expliquez-vous votre besoin de vous réinventer en permanence, de vous
interroger sur le film, du tournage jusqu’au montage ? Est-ce un
processus laborieux pour vous ?
Le tournage est toujours très dur. Je dois me sentir en danger, presque
comme si je devais échapper à la mort pour continuer à créer. Souvent
je me dis que le film est foutu et pourtant le lendemain une nouvelle
idée me vient. Elle le fait renaître, reprendre une vie nouvelle. Je
pense que se remettre en question pour sortir du confort, parfois au
risque de se « détruire » est nécessaire pour les créateurs. Je suis
convaincu que beaucoup de grands cinéastes sont comme ça, bien sûr sans
prétendre être à leur hauteur. C’est quelque chose que j’ai expérimenté
dès Kaili Blues. Que ce soit avec un gros ou un petit budget,
je ne peux pas me contenter de faire un film uniquement parce qu’il y a
un scénario écrit. Cela ne me suffit pas et ne me motive pas assez.
Vous avez tourné le fameux plan-séquence à la fin du tournage ?
Oui. Avec l’équipe, on l’a préparé longtemps, et tourné une première
fois. Mais je n’étais pas du tout convaincu par le résultat. Vous avez
mentionné Wong Kar-wai, et finalement c’est son gaffer Wong Chi Ming qui
est venu nous donner un coup de main. Dès qu’il a préparé la lumière,
j’ai été à nouveau intéressé. J’ai eu très envie de tourner le plan,
alors qu’avant je n’en avais pas vraiment envie.
Pourquoi ?
Parce que faire un plan-séquence veut dire que tout est décidé à
l’avance. On ne peut finalement que très peu le modifier. C’est vraiment
le travail de Wong Chi Ming qui m’a donné envie de le tourner.
Les
décors du plan-séquence sont vraiment intéressants. C’est toujours aux
environs de Kaili ? D’où vous est venue l’idée de ce plan-séquence ?
J’ai cherché beaucoup d’idées pendant l’écriture. Finalement c’est en feuilletant la Divine Comédie
de Dante que j’ai eu l’idée de cette errance. C’est une invitation au
voyage. Que les spectateurs pensent que les personnages soient morts ou
vivants, ce n’est pas grave. Le film est tourné dans les environs de
Kaili. Le grand immeuble a été construit par les soviétiques, à l’époque
de l’exploitation de la mine à côté. Ensuite, c’est devenu une prison.
Aujourd’hui, il est désaffecté. C’est un endroit qui me fascine
tellement que j’ai écrit cette histoire pour l’habiter.
Comment avez-vous composé le casting ? Le choix de votre actrice principale, Tang Wei, par exemple.
Le visage de l’acteur/actrice est très important pour moi. La promenade
de Chagall m’inspire beaucoup, mais qui peut jouer la femme volante ?
Je ne voyais personne au début, tout d’un coup, le visage de Tang Wei
m’est apparu, je réalise immédiatement qu’elle pourrait être fascinante,
ainsi je lui ai contactée tout de suite. Concernant la mère de Luo
Hongwu/Jeune Chat (Wildcat), je pense à une actrice qui est capable de
se circuler dans différents rôles, tout en gardant le même
épanouissement, Sylvia Chang est le meilleur choix pour moi. Pour le
reste du casting, je l’ai composé relativement assez vite.
Vous aimez les chansons populaires du passé. Cela donne une touche nostalgique au film.
J’ai choisi des chansons que j’ai écoutées à l’adolescence et que j’ai aimées. C’était le même principe pour Kaili Blues.
Elles nous rappellent immédiatement nos souvenirs, qu’ils soient doux
ou amers. Je suis un grand fan du chanteur Wu Bai. Sa voix est comme le
bruit d’une ruine. Quand j’ai imaginé le film, elle est venue
naturellement accompagner les images. Pour ce film, j’ai dû réduire le
nombre de chansons. Il aurait pu y en avoir vraiment beaucoup plus ! Le
compositeur Lim Giong a également créé quelques morceaux pour le film.
C’est un film d’amour ? Un film noir ? Peut-être un film de science-fiction ?
Je pense que c’est difficile à définir. J’espère surtout que ce n’est
pas un film banal. En même temps, il pourrait être les trois à la fois,
non ?
La poésie compte aussi beaucoup pour vous. Elle a pris des formes différentes dans votre cinéma et a évolué depuis Kaili Blues.
Kaili Blues
est un film très personnel, je pourrais même dire, en exagérant un peu,
qu’il n’a rien à voir avec le cinéma, tellement il était mêlé à ma vie
intérieure. Un grand voyage vers la nuit est beaucoup plus cinématographique, j’ai beaucoup réfléchi sur le cinéma depuis.
Il y a beaucoup moins de citations de poèmes dans ce film.
J’ai même effacé la seule citation directe que j’avais prévue vers la
fin du film. Je l’ai changée en une incantation que les personnages
utilisent pour faire tourner la chambre. Du coup, la poésie du film ne
passe que par l’image et le son.
Considérez-vous votre style comme relevant du réalisme magique ?
Je pense que mon cinéma est plus réaliste que magique (rires).
Parce que le cinéma est un art tellement magique ! Il n’y a pas de film
qui ne soit pas magique. Tout est possible avec le cinéma. Dans ce
film, tous les personnages sont prêts à s’envoler. Je le sentais quand
je les filmais. Il n’y a pas d’aéroport à Kaili, mais on peut quand même
s’envoler ! (Rires).
Vous teniez à ce que tous les personnages parlent dans le dialecte de Kaili ?
Oui, ça leur a pris pas mal de temps pour l’apprendre. Ce n’est pas
facile. Ils ont été très généreux et ont donné leur maximum pour mon
film.
Et pourquoi tourner en dialecte ?
Je trouve le mandarin assez fade, sans véritable beauté. Les dialectes
me donnent envie d’écrire, des dialogues ou de la poésie.
Propos recueillis par Wang Muyan, le 28 avril 2018
Par Pierre Rissient
Je dois beaucoup à Henry Miller. Pour ses Tropiques, Sexus, Le Colosse, lus à mes seize ans, mais aussi parce que son amour platonique de Lisa Lu (卢燕), me fit voir L’Arche (董夫人), m’amenant ainsi à découvrir le grand cinéma mandarin, encore trop inconnu, de Lee Han Hsiang (李翰祥), King Hu (胡金铨), Sung Tsun-Shou (宋存寿), Pai Chingjui (白景瑞) et Li Xing (李行).
Donc bien avant même la Cinquième Génération, Hou Hsiao-hsien (侯孝贤), Edward Yang (杨德昌) et Fred Tan (但汉章).
C’est ainsi sept mois après l’arrêt tragique du coeur d’Hu Bo, l’auteur d’Un Éléphant assis, que nous arrive le nouvel opus de Bi Gan, Dernier crépuscule sur la terre, j’oserais parler d’une génération à la poésie incendière.
Ces deux films n’agissent-t-ils pas comme deux torches au coeur de la nuit ?
Une poésie du verbe.
Et non de l’adjectif, du détail.
Une poésie moyenâgeuse, rugueuse et dure, comme celle de Villon, Chassignet, plus tard éparse chez Verlaine, Carco, de La Vaissière.
Proche aussi d’Audiberti, une poésie du sang, d’un sang qui surgit du terroir, court affolé dans nos veines, et s’épand, immense.
Hélas, Pierre Ryckmans/Simon Leys est mort quatre ans trop tôt.
Il aurait célébré Bi Gan, comme hier avec Shi Tao (石涛) et Shen Fu (沈复).
C’est ainsi que, oui, la Huitième Génération vient de naître.
19 avril 2018