Film soutenu

Un jeune chaman

Lkhagvadulam Purev-Ochir

Distribution : Arizona Distribution

Date de sortie : 24/04/2024

France, Mongolie, Portugal, Pays-Bas, Allemagne, Qatar | 2023 | 1h43 | 1.66 | Dolby 5.1 | VO Mongol | Visa n°155.114

Zé a 17 ans et il est chaman.
Il étudie dur pour réussir sa vie, tout en communiant avec l’esprit de ses ancêtres pour aider les membres de sa communauté à Oulan-Bator.
Mais lorsque Zé rencontre la jeune Maralaa, son pouvoir vacille pour la première fois et une autre réalité apparaît.

MOSTRA DE VENISE 2023, Prix d’interprétation masculine Orizzonti pour Tergel Bold-Erdene

Tergel Bol • Maralaa Nomin-Erdene Ariunbyamba • La mère de Zé Bulgan Chuluunbat • Le père de Zé Ganzorig Tsetsgee • La mère de Maralaa Tsend-Ayush Nyamsuren

Réalisation Lkhagvadulam Purev-Ochir • Scénario Lkhagvadulam Purev-Ochir • Image Vasco Viana  • Décors Bolor-Erdene Naidannyam • Montage Matthieu Taponier  • Son Benjamin Silvestre, Ranko Paukovic, Paul Jousselin • Musique originale  Vasco Mendonça • Production Aurora Films • Coproduction Guru Media, Uma Pedra No Sapato, Volya Films, 27 Films Production, VOO by mobinet • Producteurs Katia Khazak, Charlotte Vincent, Ariunaa Tserenpil, Rachel Daisy Ellis, Filipa Reis, Denis Vaslin, Fleur Knopperts, Oliver Damian, Munkhzorig Bayasga

Lkhagvadulam Purev-Ochir

Lkhagvadulam Purev-Ochir est une scénariste et réalisatrice mongole née en 1989. Elle a obtenu son diplôme en réalisation à l’Université de Dokuz Eylul en Turquie, avant de suivre la formation en scénario de la FAMU (République tchèque) en 2015. Elle a ensuite obtenu son Master de scénariste en 2018 à l’école KinoEyes : The European Movie Masters (Portugal). Elle a également enseigné à la Mongolian School of Film, Radio, and Television.
Lkhagvadulam Purev-Ochir a réalisé plusieurs courts-métrages, dont Mountain Cat (2020), sélectionné au Festival de Cannes, ainsi qu’à Sundance et Busan et Snow in September (2022) qui a reçu le Lion d’or du meilleur court-métrage à Venise en 2022 et le Prix du Meilleur court-métrage à Toronto. En 2023, elle réalise son premier long-métrage Un jeune chaman, prix de la meilleure interprétation masculine à Venise (Orizzonti), sélectionné pour représenter la Mongolie aux Oscars 2024.


FILMOGRAPHIE
2023 Un jeune chaman
2022 Snow in september [cm]
2020 Mountain Cat [cm]
2015 This is the Girl [cm]

Entretien avec la réalisatrice

Quel est le point de départ d’Un jeune chaman

Le film est né d’une rencontre qui n’est pas si différente de celle du film. Ma mère m’avait emmenée consulter un chaman pour une affaire de famille. Nous sommes arrivées en retard à la cérémonie et je n’ai pas pu voir le chaman avant. Plus tard, alors que j’attendais ma mère, un jeune homme est venu s’asseoir à côté de moi. Il avait l’air très sympa, ses deux bras étaient couverts de tatouages et il portait une boucle d’oreille. Il a commencé à jouer à un jeu sur son téléphone. Une fois sorties de la maison, ma mère m’a dit que c’était le chaman que nous venions de consulter. J’étais déjà allée voir des chamans et des voyants, mais jamais un chaman plus jeune que moi ! Ce moment m’a profondément marquée, parce que je me suis soudain sentie profondément vue.

J’ai pris conscience de moi-même, de ce que j’étais vraiment : une jeune Mongole surmenée de moins de trente ans, portant différents masques et jouant différents rôles. Nous portons souvent de nombreuses identités en nous, avec les responsabilités que ça implique, et cela peut parfois être très lourd. Il me semble qu’en Occident, les jeunes sont plus insouciants, plus légers. En Mongolie, vous vous sentez déjà fatigué lorsque vous obtenez votre diplôme à la fin du lycée. Peut-être que nous attendons trop de la société en général. C’est de là qu’est parti le film.

J’ai aussi eu une vision très claire de la scène du film où le chaman enlève sa coiffe de cérémonie pour révéler un jeune homme. Elle touchait une corde sensible chez moi parce que, visuellement, c’était la manière la plus directe d’exprimer ce que c’est que d’être un jeune Mongol aujourd’hui. Je pense que tous les Mongols de notre époque peuvent s’identifier à cette scène.

Zé est confronté à de nombreux tourments intérieurs qui accompagnent la puberté, mais il doit également faire face à la responsabilité d’être le chaman de la communauté et à sa propre spiritualité. Comment ces conflits s’entremêlent-ils ?

C’était très important pour moi que la thématique « tradition contre modernité » ne soit pas présentée de manière binaire et dialectique. Je ne voulais pas donner le sentiment que le fait d’avoir un rôle traditionnel et un rôle moderne amène à se sentir piégé entre les deux et à devoir irrémédiablement choisir. Ce n’est pas ce que je ressens en tant que jeune Mongole. Je me sens tout à fait à l’aise avec le fait d’être les deux à la fois. Cela ne fait qu’enrichir ma vie, tant mon univers extérieur que mon monde intérieur. Mais c’est parfois écrasant. C’est pesant de devoir être en phase avec plusieurs orientations et obligations différentes. C’est ce que je veux montrer dans le film : un portrait de la vie en Mongolie qui est plutôt une mosaïque faite de petits moments et de rencontres qui vont du « traditionnel au moderne ». Il y a donc un jeune chaman de 17 ans procédant à des cérémonies rituelles, mais aussi une classe d’adolescents de 17 ans qui regardent des vidéos porno ensemble. Il ne s’agit pas d’opposer radicalement ces éléments, mais plutôt de les présenter de manière factuelle et de construire la narration et la tension grâce à l’accumulation des émotions chez le personnage principal.

Dans ce film, il m’importait de ne pas exploiter le thème de la tradition de manière dramatique. Je ne voulais  pas faire un film sur le choix entre amour et tradition, ni sur la perte de foi dans la spiritualité. Zé perd effectivement la foi, mais en lui-même. Ce film raconte comment Zé se déconnecte de lui-même, parce que submergé par ses sens et par ses émotions. J’ai voulu que tous les moments d’agressivité entre les personnages, pour des divergences d’opinion et de croyance, puissent se réconcilier dans le récit du film. Le conflit entre tradition et modernité est présent, mais toujours digéré. Zé et Maralaa ont des opinions différentes sur le chamanisme et sur leur avenir, mais ils peuvent continuer à se taquiner et poursuivre leur relation. En ce sens, la scène sur le pont, où ils se dessinent l’un l’autre, est ma préférée. Elle en dit long sur la relation qu’entretiennent les Mongols entre eux, sur la multiplicité de nos vies et de nos rêves, comme sur notre acceptation de l’autre.

La spiritualité est un élément important pour comprendre la Mongolie et les tourments intérieurs de Zé. Comment avez-vous abordé la représentation à l’écran de quelque chose qui est, par essence, invisible ?

Je ne voulais vraiment pas emprunter la voie du réalisme magique, car cela aurait impliqué qu’il y a quelque chose de magique dans le chamanisme ou qu’il s’agit d’une illusion ou d’un phénomène surnaturel. En Mongolie, le chamanisme est exactement à l’opposé de cela : c’est la nature elle-même, c’est naturel. D’où mon approche naturaliste de la spiritualité et de l’ensemble du film. Je voulais documenter et non séduire ou théâtraliser. Ce que vous voyez dans le film est ma propre expérience du chamanisme. C’est avant tout un événement émotionnel. Les gens ne vont pas chez les chamans pour parler du temps qu’il fait. Ils vont voir les chamans parce que leurs émotions sont démesurées et qu’ils ont besoin d’en parler et d’être entendus. En particulier dans une société qui néglige autant ses citoyens que la Mongolie actuelle. Mon exploration de la spiritualité est donc émotionnelle : elle se joue entre les gens. En fait, je recherche la spiritualité dans de petits moments subtils entre les personnes, dans leurs regards, dans leurs soupirs, dans leurs chuchotements. Des gens qui se voient, se reconnaissent, s’identifient les uns aux autres. Des personnes qui forment une communauté. Et cette spiritualité est aussi partagée avec celles et ceux qui ne sont plus de ce monde. Avec le chamanisme, nous voyons, reconnaissons et retrouvons nos ancêtres. Pour moi, c’est une  part très importante du paysage émotionnel des Mongols. Pour nous, c’est cela la spiritualité, un lien entre les personnes, y compris celles qui ne sont plus parmi nous. Cette connexion émotionnelle s’étend également à la nature, aux montagnes et aux rivières, au soleil et à la lune… Je voulais vraiment montrer comment les Mongols interagissent avec la nature au quotidien.

Dans un autre registre, certains moments du film pourraient être interprétés comme surnaturels. Mais pour moi, ces moments ne sont pas au-dessus de la nature, ils en font partie. Nous faisons l’expérience de la nature au fil du temps. Zé est littéralement le passage entre les ancêtres et leurs descendants, entre le passé et le futur. Zé est donc quelqu’un qui peut accéder à la multiplicité de la nature, du temps. Ce que nous considérons comme surnaturel est extrêmement naturel pour lui. Sur le plan esthétique, j’ai abordé ces moments comme je l’aurais fait pour n’importe quelle autre scène du film.

Le film se déroule à Oulan-Bator, où vous êtes née et avez grandi. Dans quelle mesure vous importait-il de montrer les différents aspects de la ville ? Et comment la ville donne-t-elle forme à l’histoire de Zé ?

Je tenais à ce que le film se déroule dans les quartiers de yourtes d’Oulan-Bator, parce que, même s’ils sont géographiquement en périphérie du centre-ville, ces quartiers représentent la plus grande partie de la ville en superficie. Plus de 60 % de la population de la ville y vit. Les quartiers de yourtes ne sont pas en marge, ils sont la ville d’Oulan-Bator elle-même.

C’est l’idée qui est présentée dans le film. Le monde de Zé est celui des quartiers de yourtes. Le centre-ville est au loin, à l’arrière-plan, dans un brouillard de fumée. Il symbolise le « rêve mongol » auquel aspire cette jeunesse, Zé compris. Le centre-ville est une échappatoire presque fantastique, un endroit où Zé peut oublier la réalité. Voilà pourquoi il adore aller au centre commercial. Avec Maralaa, il fait ses premiers pas hors de la normalité des quartiers de yourtes, dans « l’étrangeté » du centre-ville.

Le premier public que j’avais en tête en faisant le film, c’est la jeunesse d’Oulan-Bator. 70% des moins de 34 ans vivent dans ces quartiers de yourtes. C’est là que palpite l’avenir de la Mongolie ! C’était important de leur redonner leur dignité et de reconnaître leurs luttes, de renverser complètement cette idée selon laquelle ils seraient en marge, pauvres et désespérés. Le film est ma tentative d’émanciper la jeunesse, au plan spirituel mais aussi à leurs propres yeux.

Dites-nous comment vous avez travaillé avec vos deux interprètes principaux, s’agissait-il d’une première expérience ?

Le personnage principal, Zé, est interprété par un acteur amateur débutant, Tergel Bold-Erdene ; Maralaa, par une étudiante en théâtre de dernière année, Nomin-Erdene Ariunbyamba, qui a déjà beaucoup d’expérience et qui vient d’une famille de comédiens. Nomin avait la confiance et l’expérience qui manquaient à Tergel, ce qui créait entre eux une tension insurmontable que j’ai finalement utilisée. Cette tension était au coeur de leur relation : deux personnes qui ne devraient normalement pas se lier d’amitié et qui finissent par devenir intimes, de par la singularité et l’intensité de leur rencontre. C’était intéressant que la réalité renforce la fiction. Mais travailler avec les deux jeunes comédiens ensemble était une vraie gageure ! Je ne voulais pas trop « faire répéter » Nomin, de peur qu’elle ne s’installe dans une manière de jouer, mais j’avais besoin de « faire répéter » Tergel parce qu’il fallait qu’il gagne en confiance et acquiert de l’expérience. Pour finir, ces sessions n’étaient que vaguement basées sur le scénario et se concentraient davantage sur les conversations et le partage. Elles se terminaient généralement avec un Tergel exaspérant Nomin par ses blagues et ses pitreries, ce qu’elle trouvait pénible parce qu’elle voulait être une actrice sérieuse ! Nous nous sommes beaucoup amusés.

En tant que réalisatrice, quelles sont vos influences en matière de cinéma ? Quels films ou quels cinéastes vous inspirent ?

J’aime le cinéma de l’indicible, qui cherche à exprimer ce que les mots ne peuvent dire. J’aime le cinéma qui va au-delà de la communication. C’est peut-être pour cela que je m’intéresse à la spiritualité en général. En tant que spectatrice, j’ai besoin de sentir « quelque chose » au-delà de l’audible et du visible lorsque je vois un film.

Les films et les cinéastes seraient trop nombreux à citer. Mais après la première semaine de tournage d’Un jeune chaman, j’ai ressenti un grand besoin d’inspiration et j’ai revu le premier épisode du Décalogue de Kieslowski. Ça ne vieillit jamais, jamais !