Sam et Jonathan, deux marchands ambulants de farces et attrapes, nous entraînent dans une promenade kaléidoscopique à travers la destinée humaine.
C’est un voyage qui révèle l’humour et la tragédie cachés en nous, la grandeur de la vie, ainsi que l’extrême fragilité de l’humanité.
Avec : Holger Andersson Jonathan • Nils Westblom Sam • Charlotta Larsson Lotta la Boiteuse • Viktor Gyllenberg Le Roi Charles XII • Lotti Törnros Le Professeur de Flamenco • Jonas Gerholm Le Colonel Solitaire • Ola Stensson Le Capitaine/Barbier • Oscar Salomonsson Le Danseur • Roger Olsen Likvern Le Gardien
Réalisation et Scénario Roy Andersson • Image Istvàn Borbàs, Gergely Pàlos • Musique Traditionnelle • Décors Ulf Jonsson, Julia Tegström, Nicklas Nilsson, Sandra Parment, Isabel Sjöstrand • Coordination et scripte Jane Ljung • Costumes Julia Tegström • Maquillage & Coiffure Linda Sandberg • Son Robert Hefter (FSS) • Mixage Robert Hefter (FSS), Owe Svensson (FSS) • Montage Alexandra Strauss • Casting Sophia Frykstam, Zora Rux, Katja Wik, Stig-Åke Nilsson, Andrea Eckerbom • Produit par Pernilla Sandström • Producteur Exécutif Johan Carlsson Coproduit par Philippe Bober, Håkon Øverås • Producteurs Délégués Sarah Nagel, Isabell Wiegand • Société de Production Roy Andersson Filmproduktion AB • En coproduction avec 4 1/2 Fiksjon AS, Essential Filmproduktion, Parisienne de Production, Sveriges Television AB, Arte France Cinéma, DF/ Arte • Avec le soutien de Svenska Filminstitutet, Eurimages Council of Europe, Nordisk Film-och TV Fond, Norska Filmfonden, Film-und Medienstiftung NRW, Centre national du cinéma et de l’image animé
Roy Andersson
Roy Andersson est né en Suède à Göteborg en 1943. Son premier long métrage, Une histoire d’amour suédoise a remporté le principal prix au festival de Berlin 1970; son deuxième film a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 1976. En 1975, il a commencé à réaliser des publicités insolites couronnées de succès qui ont remporté un total de 8 Lions d’Or à Cannes. En 1981, Roy Andersson a fondé le Studio 24 afin de produire et réaliser ses films en totale indépendance. A la suite de Quelque chose est arrivé (1987) et Un monde de gloire (1991), deux courts métrages qui lui ont valu les plus prestigieuses récompenses (notamment à Clermont-Ferrand), il a réalisé Chansons du deuxième étage dans son studio (entre mars 1996 et mai 2000) et obtenu le Prix Spécial du Jury à Cannes en 2000. Nous les vivants est son quatrième long métrage. Ces films ont forgé son style personnel, caractérisé par des plans fixes et des tableaux soigneusement conçus, par la comédie absurde et une humanité essentielle. En 2009, Roy Andersson a été distingué par une exposition au Musée d’Art Moderne de New York, qui a présenté non seulement son oeuvre intégrale, mais aussi plusieurs films publicitaires. Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence est son cinquième long-métrage et le dernier chapitre de la trilogie des vivants, dont la réalisation s’est étalée sur quinze ans.
Filmographie
Longs métrages :
Un Pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence (2015)
Nous, les vivants (2007)
Chansons du deuxième étage (2000)
Giliap (1975)
Courts métrages :
Une histoire d’amour suédoise (1970)
Monde de gloire (1991)
Quelque chose est arrivé (1987)
ENTRETIEN DE ROY ANDERSSON
Qu’est-ce qui unit les films de la Trilogie des vivants et en quoi diffèrent-ils ?
Ma conviction est que tout film pourrait – et devrait – être regardé à tout moment selon le contexte qui lui est propre. Dans un film, chaque scène peut être vue séparément. Il y a 39 scènes dans Un pigeon et mon ambition est que chacune d’elles puisse offrir une expérience artistique au public. Dans son ensemble, La trilogie des vivants tente de mettre les spectateurs au défi d’examiner leur propre existence, en leur posant la question : “Que faisons-nous ? Où allons-nous ?” Il tend à provoquer la réflexion et la contemplation, en observant notre existence avec une grande part de tragicomédie, de “Lebenslust” – de joie de vivre, et un respect fondamental pour l’existence humaine. La trilogie des vivants montre une humanité qui se dirige potentiellement vers l’apocalypse, mais aussi que la solution est entre nos mains. Chansons du deuxième étage est imprégné de millénarisme, depuis la scène avec le vendeur qui jette des crucifix, symbolisant l’abandon de la compassion et de l’empathie, jusqu’à la scène avec les maisons en mouvement, évoquant la panique des crises financières cycliques, qui sont elles-mêmes des apocalypses mineures. Les thèmes de la culpabilité collective et de la vulnérabilité humaine étaient au cœur de ce film. Nous, les vivants représentait une plongée audacieuse dans les rêves, une transition qui ouvrait un champ entier de possibilités nouvelles pour moi. Avant, mes personnages commentaient leurs rêves. Avec Un pigeon, les scènes sont simplement oniriques, sans autre explication. Un pigeon provoque davantage que les deux autres films et le ton est très largement celui de la “Lebenslust”, même si les personnages sont tristes et en grande difficulté.
Quelle conséquence a eu le passage du 35 mm au numérique ?
Quand on vieillit, on a souvent du mal à changer ses méthodes de travail, mais cette fois ça n’a pas été le cas. Je suis très positif par rapport à ce changement, par rapport au fait d’avoir tourné le film en numérique. Je suis content d’avoir trouvé mon chemin dans cette méthode, avec le soutien de mes collaborateurs qui sont exceptionnels, bien sûr. En pratique, ça m’a permis de me reposer plus facilement sur les plans larges. Auparavant, j’étais très préoccupé et anxieux d’obtenir le point à l’arrière-plan. Je suis un fan de la profondeur de champ, et avec une caméra numérique, il est devenu possible d’obtenir une netteté que je trouve incroyable. L’esthétique abstraite et picturale d’Un pigeon rappellera mon travail antérieur. Les images sont légèrement plus vives et nettes par l’utilisation d’une caméra numérique. En outre, j’ai cherché à réaliser des scènes plus dynamiques pour que ce nouveau film ressemble moins à une série de tableaux, et ait un rythme plus marqué.
Des peintres ont inspiré votre cinéma, des peintres de la Renaissance à ceux de la «Neue Sachlichkeit» (Nouvelle Objectivité), et à Edward Hopper. Quels peintres ont été les plus importants pour Un pigeon ?
Je dirais Otto Dix et Georg Scholz, deux artistes allemands dont les innovations artistiques ont été inspirées par leur expérience de la Première Guerre mondiale. Ravagée par la guerre, leur vision du monde a une résonance dont je me sens très proche, sans que j’aie participé moi-même à une guerre. Quand j’ai grandi, le réalisme était la seule chose qui comptait pour moi. Tout le reste était bizarre – bourgeois en fait. Mais avec le temps, j’ai été de plus en plus fasciné par l’art abstrait. D’abord le symbolisme, puis l’expressionnisme et la Nouvelle Objectivité. C’est tellement plus intéressant que la représentation purement naturaliste. Aujourd’hui, je trouve presque ennuyeuse la représentation naturaliste, alors que l’interprétation personnelle d’une expression abstraite est extraordinaire, le maître étant Van Gogh. Il est capable de peindre trois vaches volant au-dessus d’un champ de blé. En tant que spectateur, vous avez l’impression de n’avoir jamais vu ça. C’est une sorte de “super-réalisme”, ambition que j’ai aussi pour Un pigeon, dans lequel l’abstraction est condensée, purifiée et simplifiée. Les scènes devraient apparaître comme des souvenirs et des rêves. Ce n’est pas une tâche facile : “Il est difficile d’être facile” – il est difficile d’être simple, mais j’essaye. Brueghel l’Ancien est une autre source d’inspiration. Parmi ses chefs d’œuvre, il a peint un paysage de toute beauté, intitulé Chasseurs dans la neige. Du sommet d’une colline enneigée dominant une petite ville flamande, nous voyons des villageois faire du patin à glace sur un lac gelé dans une vallée. Au premier plan, trois chasseurs et leurs chiens reviennent de la chasse. Au-dessus d’eux, perchés sur les branches dénudées d’un arbre, quatre oiseaux observent avec curiosité les efforts et l’activité des gens en contrebas. Brueghel était un spécialiste des paysages fouillés, peuplés de paysans. Il adoptait souvent une vue plongeante pour raconter une histoire de société et d’existence humaine. Dans son œuvre, on trouve des allégories fantastiques des vices et de la folie de l’homme. Il exprime les contradictions tragiques de l’être au moyen d’une satire brillante. Dans Chasseurs dans la neige, les oiseaux semblent s’interroger : “Que font les êtres humains en bas ? Pourquoi sont-ils aussi affairés ?”. Je voudrais aussi mentionner un peintre naturaliste nommé Il y a Repine, qui a réalisé une remarquable peinture de cosaques. Ça lui a pris onze ans ; c’est un travail énorme basé sur des brouillons et des ébauches. Au bout de onze ans, il était satisfait du tableau, qui fait partie aujourd’hui du patrimoine mondial. Bien sûr, ça semble prétentieux de viser le patrimoine mondial, mais en même temps, en tant qu’artiste, vous devez vous engager et pousser votre expression à l’extrême. Malheureusement, c’est très difficile aujourd’hui, à cause de l’aspect financier du cinéma, à cause de l’attitude et du recrutement des cinéastes. Les hommes d’affaires ont pris le contrôle de l’expression du cinéma.
Vous vous en êtes sorti sans l’argent de la publicité ?
Oui, contrairement aux deux précédents films de La trilogie des vivants, nous avons financé Un pigeon sans faire de films publicitaires durant la production. Même si cet argent aurait pu servir, j’étais satisfait de pouvoir me concentrer entièrement sur le film.
Quand Chansons du deuxième étage est sorti en 2000, vous avez décrit votre style comme une sorte de “trivialité”. Est-ce toujours valable ?
Oui, je pense qu’Un pigeon est un exemple encore plus clair de ce que je considère comme de la “trivialité”. Ça se réfère à ce qui est trivial, sublimé en expérience plus attirante. C’est aussi valable pour la peinture en général. Toute l’histoire de l’art est remplie de trivialités, parce qu’elles font partie de nos vies, de nos prémisses de vie. J’aime ça, et à l’avenir je voudrais devenir encore plus trivial que je ne l’ai été dans ce film. Encore plus que dans les scènes avec le roi de Suède, Charles XII, en route pour le champ de Poltava, où il apparaît de manière inattendue dans une situation très triviale, ayant soif et ensuite besoin d’aller aux toilettes.
L’homosexualité supposée de Charles XII est-elle accentuée afin de rendre plus humain ce conquérant très masculin ?
En Suède, il est généralement considéré comme un véritable macho. Et par conséquent, comme un symbole fort pour beaucoup d’organisations de droite. Mais maintenant, j’éprouve un grand respect pour la beauté de la scène, surtout lorsque le roi se sent soudain si attaché au jeune barman. J’en suis très satisfait. Au fond, peu importe la position qu’on a dans la société, les gens sont sensibles et vulnérables. C’est principalement ça que je cherche à illustrer dans mon travail.
Pensez-vous qu’il y a un manque de compassion et d’empathie croissant dans le monde ?
La compassion fait partie de chacun à un moment donné. C’est une grande tristesse pour moi, et pour nous tous, que cet élément soit souvent réprimé au nom du mercantilisme. Je pense à Emmanuel Lévinas parlant du visage de l’être humain et du respect pour une autre existence, un autre présent, ce qui est gratifiant. Dans une scène du film, un vieil homme regrette le comportement mesquin et peu généreux qu’il a eu tout au long de sa vie : “Voilà pourquoi j’ai été si malheureux”, déclare-t-il à un serveur. Mais les mots ne suffisent pas pour comprendre pleinement et communiquer totalement – cela explique d’une certaine manière la carence de mots dans La trilogie des vivants. Je pense que le portrait visuel de l’être humain, dans la peinture ou au cinéma, nous en dit plus que les mots. Je ne peux pas l’expliquer autrement. C’est aussi pour cette raison que j’aime Beckett – En attendant Godot, par exemple ; c’est si trivial, si laconique, avec ces gens qui se comprennent de travers. Pourtant, c’est tellement vrai. Mes scènes sont censées montrer les malentendus et les erreurs faites par des gens qui se rencontrent, mais ne sont pas sur la même longueur d’onde, parce qu’ils sont pressés par le temps dans la poursuite de ce qui leur semble important.
Vous semblez avoir une affection particulière pour les vendeurs – les personnages principaux de vos films vendent des crucifix, des réfrigérateurs ou, comme dans Un pigeon, des farces et attrapes. Est-ce une sorte d’autoportrait ?
D’une certaine manière, cela provient de mon enfance, des membres de ma famille qui vendaient des choses. Mais le vendeur est universel ; la vie peut se résumer plus ou moins à ça. La vente et le marketing sont les fondements de la société civilisée, pourrait-on dire. Je vais convaincre ce fonds ou ce diffuseur TV que c’est intéressant et important. Je suis moi-même un vendeur, nous le sommes tous. Nous sommes censés nous promouvoir nous-mêmes, faire passer nos choses et nos idées.
Comment avez-vous eu l’idée de faire vivre les deux vendeurs dans un asile de nuit ?
L’hôtel découle directement de ma propre expérience à Göteborg. L’endroit où j’ai grandi est devenu un asile de nuit et mon frère, toxicomane de longue date, a tristement fini là. Je connais par conséquent les destinées de cet environnement. Dans un sens plus large, ces compagnons sont directement inspirés de la littérature : Don Quichotte et Sancho Panza ; des Souris et des Hommes, de John Steinbeck ; sans oublier dans l’histoire du cinéma, Laurel et Hardy, qui ont aussi été une source d’inspiration pour Beckett. Les types du film sont une version de Laurel et Hardy. L’un d’eux est assez prétentieux, alors que l’autre n’est pas très capable ; il est un peu plus triste et pleure facilement. Ces duos masculins de l’histoire culturelle m’inspirent beaucoup.
Avec leur relation inégale, les deux vendeurs sont aussi les représentants d’un univers plus large, l’oppresseur face à l’opprimé.
Oui, ça devient de plus en plus évident. Aujourd’hui, j’ai parlé avec mon directeur de la photographie, István Borbás, de ce problème prévalent d’une société de moins en moins solidaire. De nos jours, on est censé penser uniquement à soi, accroître son profit en écrasant les autres. Je n’ose pas penser aux conséquences terribles de ce comportement. C’est un désastre, une aliénation qui fera entièrement perdre confiance aux jeunes. Je déteste l’humiliation, je déteste voir d’autres personnes humiliées et être humilié moi-même. Dans un certain sens, tous mes films parlent d’humiliation. Je suis issu d’un milieu ouvrier et j’ai vu des proches s’humilier devant leurs supérieurs, avoir un respect exagéré de l’autorité, ce qui les rend incapables de se faire entendre, les laissant aux prises avec un sentiment de culpabilité. J’ai vécu ça toute ma vie et j’ai décidé de me battre contre.
Et avez-vous réussi ce combat ?
Oui, dans le sens où je ne suis pas comme mes grands-parents, je n’ai absolument pas peur de la classe dirigeante. Mais je vivrai toute ma vie avec cette humiliation et avec la haine de l’autorité. C’est aussi la raison principale de mes caricatures récurrentes de monarques. Une façon de blasphémer contre l’histoire de la classe dirigeante. Dans Un pigeon, il y a aussi une scène réglée rigoureusement, dans laquelle un crime terrible est situé dans un contexte historique fictif. C’est presque une provocation, avec son mélange de cruauté et de beauté. Je parle de la scène d’extermination presque à la fin du film. Les colonialistes britanniques font entrer de force des esclaves dans un cylindre en cuivre et une musique lente et belle jaillit des derniers cris des victimes. En tant qu’artiste, il est important, et même nécessaire, de bousculer les préjugés, de susciter, d’amplifier le sentiment de culpabilité dans le monde. Nous sommes encore censés avoir honte. J’ai cette scène en tête depuis cinquante ans et elle comporte aussi un large éventail de références historiques. Je suis très content de l’avoir réalisée sans obséquiosité ni sentimentalisme. Dans Un pigeon, il y a un certain nombre de scènes de ce genre. En tout cas, j’ai tenté de créer une grande tension entre le banal et l’essentiel, le comique et le tragique, mais même les scènes tragiques contiennent de l’énergie et de l’humour. Pour moi, Un pigeon est comique du début à la fin, émouvant et exaltant. Mais de temps en temps, le public sera saisi de terreur. L’écart entre humour et horreur sera profond.
La trilogie des vivants est maintenant achevée. Ce film sera-t-il le dernier de Roy Andersson ?
Non, en fait je travaille déjà sur un nouveau film. Il sera encore plus fou, avec encore plus de charme et d’attrait. Un pigeon possède aussi ça, mais dans le prochain, la folie ira encore plus loin. Mais je n’abandonnerai jamais le probable et le possible. Mon cinéma doit être attaché à un certain pragmatisme, une sorte de réalisme stylisé.
Poursuivrez-vous votre style, qui comprend des compositions larges, des plans fixes ?
Oui, cette façon de travailler me permet de situer les personnages dans l’univers qui les entoure au lieu de les isoler. Je n’arrive pas à regarder des films qui font constamment des coupes pour accélérer l’histoire. Je suis attaché à ces valeurs visuelles, créant l’espace pour une composition plus ouverte, plus démocratique. Il y a un sociologue français, Loïc Wacquant, un élève de Bourdieu, que je cite parfois. À son retour en France après une période passée aux U.S.A. en tant que professeur invité, il décrit ce qu’il considère comme un phénomène américain : “Une hostilité à la lucidité”. Inversement, je considère que la composition de mon travail favorise la lucidité. Tout est là, en pleine lumière. Avec mes collaborateurs, je tente de contester “l’hostilité à la lucidité” ■
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR JON ASP, CRITIQUE DE CINÉMA