Film soutenu

Un Prince

Pierre Creton

Distribution : JHR Films

Date de sortie : 18/10/2023

France - 1h22 - 16.9 - Digital 5.1

Pierre-Joseph intègre un Centre de Formation et d’Apprentissage pour devenir jardinier. C’est là qu’il rencontre une suite de personnages : Françoise Brown la directrice, Alberto son professeur de botanique, Adrien son employeur, qui vont être déterminants dans son roman d’apprentissage, et l’ouvrir à sa sexualité. Quarante ans plus tard survient Kutta, l’enfant adoptif de Françoise Brown dont il a toujours entendu parler et qu’il n’a encore jamais rencontré. Mais Kutta qui est devenu le propriétaire d’un étrange château semble chercher autre chose qu’un simple jardinier.

Quinzaine des Cinéastes 2023

AVEC :
Antoine Pirotte et Pierre Creton dans le rôle de Pierre-Joseph, avec la voix de Grégory Gadebois
Vincent Barré dans le rôle d’Alberto, avec la voix de Mathieu Amalric
Manon Schaap dans le rôle de Françoise Brown avec la voix de Françoise Lebrun
Chiman Dangui dans le rôle de Kutta.
Pierre Barray dans le rôle d’Adrien
Réalisateur Pierre Creton • Scénario Pierre Creton avec la collaboration de Mathilde Girard, Cyril Neyrat et Vincent Barré • Production Andolfi, Arnaud Dommerc • Image Antoine Pirotte, Léo Gil-Mena • Son Jules Jasko • Montage Felix Rehmn • Musique Jozef Van Wissem • Mixage Mathieu Deniau • Avec le soutien du Fond de dotation Vincent Barré, de Normandie Images, de la Procirep Angoa et du Centre National du Cinéma.

Pierre Creton

Pierre Creton, né en 1966 en Seine Maritime, est artiste et cinéaste. Il a fait ses études à l’École des Beaux-Arts du Havre. Dès 1991 après ses études il devient ouvrier agricole, ses divers emplois comme apiculteur ou vacher l’ont mené à réaliser des films sur le rapport maître/esclave ou sur les relations que nous entretenons avec l’animal. Il vit et travaille en Normandie dans le Pays de Caux, territoire qu’il ne cesse d’appréhender et de filmer. Il est l’auteur d’une vingtaine de films, tous présentés au FIDMarseille, Festival International de Cinéma, et dans de très nombreux festivals internationaux. Il est depuis 2020 travailleur indépendant comme jardinier de la Maison Lambert.

Filmographie sélective

2021 / House of love / 21’

2020 / L’avenir le dira / 26’

2019 / Le bel été / 80’

2017 / Va, Toto ! / 92’
Prix du film singulier francophone du Syndicat de la critique du cinéma Français
Prix institut Français de la critique en ligne – FIDMarseille

2013 / 2017 / Sur la voie critique /150’

2009 / Maniquerville / 84’

2008 / L’heure du Berger /39’
Grand prix de la compétition Française et Prix G.N.C.R – FIDMarseille


AVEC UN SOUTIEN DE l’ACID


INVITATION DU PROGRAMMATEUR

Avec Un Prince, Pierre Creton nous embarque dans un récit d’une très grande liberté. 

Le cinéaste est un poète naturaliste, dès que vous acceptez de lâcher prise, vous ne pouvez qu’être séduit par son univers.

A travers Pierre-Joseph, son apprenti-jardinier héros, le récit d’apprentissage devient sexuel et le réalisateur en profite pour passer un message simple : le désir est multiple et ne connait pas les générations… Certains journalistes aigris y voient une volonté de transgression, provocation alors que nous sommes juste dans l’expression décomplexée du désir homosexuel à la campagne, il est aussi probable qu’ils n’imaginent pas les rapports intergénérationnels à l’horizontal…

Le cinéma de Pierre Creton peut sembler un peu âpre au premier abord mais il offre 1h20 de pur bonheur cinématographique qui reste en mémoire.

Antoine TILLARD – Le Méliès à Villeneuve-d’Ascq


ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

La forme d’une narration à plusieurs voix était-elle présente dès le départ ?

Avec Va, Toto ! (2017), j’avais commencé à explorer l’idée que chacun se raconte des histoires. La voix avec laquelle on raconte ces histoires, et parfois sa propre histoire, n’est pas la même que notre voix physique. J’ai eu envie de creuser cette idée pour Un Prince. Initialement, le film s’ouvrait également par le récit de Françoise Brown mais avec une autre situation : elle était en voiture et cherchait Kutta, qui avait disparu. Un Prince commence désormais par le commencement.

Comment s’est déroulée l’écriture du scénario à plusieurs mains, avec vos complices Vincent Barré, Mathilde Girard et Cyril Neyrat ?

J’avais déjà travaillé à l’écriture avec Vincent et Mathilde pour Va, Toto !, Le Bel été (2018) et un autre scénario qui n’a pas abouti. C’est la première fois que j’écrivais sous cette forme-là avec Cyril mais nous avions partagé d’autres formes d’écriture : je lui avais fait lire des scénarios antérieurs et lui me donnait à lire ses textes sur le cinéma. Pour Un Prince, de l’écriture au montage, du début à la fin, tout s’est fait dans l’amitié, la confiance et la recherche commune. Au départ, chacun écrivait la voix d’un personnage, sauf Cyril qui intervenait pour chacune tout en coordonnant l’ensemble. J’ai commencé à écrire des scènes dans un deuxième temps.

Les voix ont-elles également eu un rôle structurant au montage ?

Nous avons commencé le montage image avec Félix Rehm en dérushant les voix des monologues, pour les avoir en tête et dans l’oreille. Plus pragmatiquement, en choisissant la prise d’enregistrement de chaque récit, nous pouvions plus facilement créer un dialogue avec les images. Félix est intervenu dans l’écriture des voix avec finesse, en déplaçant parfois juste un mot d’une phrase.

« L’histoire a vraiment commencé lorsque Kutta est arrivé » sont les premiers mots d’Un Prince.  Quand avez-vous défini que Kutta ne serait pas narrateur mais qu’il serait raconté par les autres ?

Nous avons pris cette décision dès le départ. Kutta est le personnage principal du film, mais son existence est incertaine, il reste longtemps une figure absente. C’était un pari risqué qui explique peut-être le fait que nous n’ayons pas été soutenus par les institutions. À cet égard, si dans Va, Toto !, des récits biographiques tendent vers le romanesque, pour Un Prince, il s’agit davantage d’une voie clairement fictionnelle. Je pourrais même ajouter qu’Un Prince est mon premier film de fiction.

Pierre-Joseph évolue dans un monde majoritairement traversé de désirs homosexuels, pourtant, ce sont deux femmes qui sont les dépositaires de la fiction d’un bout à l’autre : Françoise Brown est la première conteuse, et Catherine Dubreuil est la dernière confidente de Pierre-Joseph. Était-ce délibéré ?

Cela tient peut-être au fait que les cinéastes dont le travail m’intéresse le plus aujourd’hui sont des femmes : Angela Schanelec, Kelly Reichardt, Lucrecia Martel et Sophie Roger.

À l’image et à la voix, vous avez choisi des interprètes différents. Dans quelle mesure le tournage était-il traversé par les monologues ?

Toute l’équipe avait lu le scénario. Je dirige les acteurs de manière assez minimale. J’accepte volontiers qu’on me fasse des propositions. L’idée était surtout d’être ensemble, dans le même lieu. J’aime que l’interprétation se situe entre le personnage qu’on a écrit et la personne filmée, entre la mise en scène et le portrait.

Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’idée que deux interprètes, Antoine Pirotte et vous, se glissent dans la peau de Pierre-Joseph ?

Le dédoublement de Pierre-Joseph était présent dès l’écriture, avec la nécessité d’un passage de la jeunesse à l’âge adulte. Ma rencontre avec Antoine, liée à une série de signes, a rendu cette idée magnifiquement possible. Ce qui a pris de l’ampleur au montage, c’est la gémellité entre les personnages de Kutta et Pierre Joseph. Une phrase a été décisive : au début du film, Françoise Brown dit que Pierre-Joseph est le premier enfant qu’elle a adopté, avant Kutta. Il a fallu que cette phrase rencontre des images pour qu’elle résonne véritablement.

Vous jouiez déjà dans plusieurs de vos films antérieurs. Comment avez-vous préparé votre rôle de Pierre-Joseph adulte ?

Je ne contrôlais pas vraiment ce que je jouais. Il faut dire que ce que j’avais à jouer n’était pas si compliqué pour moi : m’endormir auprès d’Adrien et Alberto et descendre une route sur une tondeuse, ce qui est mon quotidien avant d’être une référence à David Lynch… Et c’est pareil pour le reste : arracher des ronces, avoir l’air ahuri dans la Black Maria. La caméra était toujours assez discrète pour laisser la possibilité à tous, moi compris, d’évoluer dans un espace.

À l’image, à l’exception de Françoise Lebrun et Evelyne Didi, vous avez choisi des interprètes qui n’ont pas de carrière actorale à proprement parler. Comment avez-vous choisi vos interprètes ?

La plupart des acteurs de mes films sont des clients chez qui j’entretiens le jardin, dont Manon Schaap qui joue Françoise Brown ou des personnes que je connais depuis longtemps, comme les chasseurs de la scène du repas. Ils n’ont pas tous lu le scénario mais ont vu mes films précédents. Mon partage avec eux tient davantage à l’amitié qu’au voisinage. A priori, il aurait pu sembler compliqué d’amener Antoine Pirotte dans ce voisinage mais il connaissait déjà la plupart des acteurs. Il est venu nous rendre visite avant le tournage à plusieurs reprises.

Vous filmez deux morts dans votre film : Odile, à côté de son terreau, et Moïse, englué dans son miel. Pourquoi montrer littéralement la mort au travail, qui plus est avec deux éléments de vos activités rurales (ndlr, Pierre Creton travaille notamment comme jardinier et apiculteur) ?

Ces deux morts sont des expériences vécues. C’est aussi la première fois que je filme la mort, ce qui accentue pour moi la dimension fictionnelle. Ces disparitions font passer Pierre-Joseph à l’âge adulte.

Plusieurs mois avant le tournage d’Un Prince, Antoine Pirotte a d’ailleurs réalisé un stage de jardinage avec vous.  En quoi le fait de travailler ensemble a nourri le film, notamment dans l’attention portée aux gestes horticoles ?

Françoise Brown dit à un moment qu’il faut une sensibilité particulière pour s’intéresser à l’horticulture quand on est jeune. Antoine s’est formé en cinéma, il étudie actuellement à la Fémis en image, mais les gestes du jardinage ne lui sont pas étrangers. Il les comprenait immédiatement.

Pendant ce stage, Antoine Pirotte et vous avez entretenu le château d’Antiville où vit Kutta. Quels autres lieux du pays de Caux étaient particulièrement importants pour vous dans la géographie du film ?

Avec Vincent Barré, nous avons construit la Black Maria pour le film, en parallèle de l’écriture. Nous l’avons inaugurée au moment où le scénario était fini.

La construction de la Black Maria, temple du désir posé sur la terre, résonne avec l’idée de s’affranchir de présumées racines, comme l’adoption de Kutta par Françoise Brown ou la recréation d’une forêt primaire pour Mark Brown. Avez-vous pensé ces éléments ensemble ?

À la fin de la fabrication d’Un Prince, je me suis rendu compte qu’après le marcassin recueilli par Madeleine dans Va, Toto !, et Amed et Mohamed accueillis par Simon et Robert dans Le Bel été, c’était la troisième fois que je posais la question de l’adoption dans l’un de mes films ! C’était pourtant inconscient au moment de l’écriture. La question de l’adoption permet de dépasser le schéma parental classique, elle laisse entrevoir le désir des autres. Plutôt qu’une famille, une communauté désirée, inventée, voulue.

Les toutes premières images d’Un Prince reprennent celles de votre court métrage L’Arc d’iris, souvenir d’un jardin (2006) que vous avez coréalisé avec Vincent Barré dans les hauteurs de l’Himalaya. Aviez-vous prémédité ce remploi dès l’écriture ?

Oui. L’essentiel des éléments d’Un Prince était déjà posé dès l’écriture. Il était prévu que je reprenne ces images, mais cela a pris plus d’ampleur au montage. Au point que j’ai eu l’impression de retourner en Inde ! C’était une sensation très troublante.

Dans cette séquence d’ouverture, la manière avec laquelle vous composez un territoire est étonnante, tant vous jouez du contraste entre détail floral et champs à perte de vue.

Les fleurs du début ont été filmées en Angleterre, en face du jardin de Derek Jarman, une autre cabane ! C’est à Dungeness, dans une lande avec des maisons de pêcheurs, des épaves de bateaux. Nous avons filmé une Silène, parmi d’autres. Elles poussent à profusion dans ce site. Chaque fleur a une valeur particulière mais nous filmions telle ou telle au hasard de nos pas. C’est aussi la lumière sur elles qui guidait nos choix. Les fleurs, c’est comme le temps : je n’attends pas qu’il fasse beau ou mauvais pour tourner, c’est à l’équipe de s’adapter. Marguerite Duras disait : « n’importe quel temps serait préférable » c’est ma devise, y compris pour les fleurs.

Comment avez-vous accueilli la lumière automnale pendant le tournage d’Un Prince ?

Comme nous étions très pauvres, malgré le soutien d’Arnaud Dommerc (mon producteur), Vincent Barré et Pierre Barray (mes amis acteurs), nous avons tourné au pas de course pendant trois semaines avec la lumière de l’automne. Cette année, elle avait quelque chose de particulière : après la grande sécheresse de l’été, puis quelques pluies, la végétation a tardé à jaunir, beaucoup plus que d’habitude. J’imaginais un film d’automne doré pour Un Prince mais nous avons vécu un décalage et nous étions encore un peu dans le vert.

Comment avez-vous travaillé à partir de la musique originale composée par Jozef van Wissem ?

J’ai rencontré Jozef van Wissem après un concert, de la même manière que j’avais rencontré Les Limiñanas qui ont composé la musique du Bel été. Les concerts de Jozef sont intimistes et nocturnes, souvent dans des lieux religieux, églises ou temples. Il a vu Va, Toto ! qu’il a aimé, surpris de la présence de Eyeless in Gaza, groupe trop méconnu et un peu oublié. Jozef m’a envoyé une Suites de pièces princières avant que nous ne commencions le montage. Pour ces deux films, j’ai eu beaucoup de chance d’avoir la musique avant les images pour monter librement à partir d’elle. J’avais suggéré à Jozef quelque chose entre amour courtois et sadomasochisme, ce qui est assez proche de son univers.

Un Prince a-t-il réveillé d’autres désirs de films ?

Avec Mark Brown, Vincent Barré et Antoine Pirotte, nous avons le projet d’un film qui est une forme de rebond d’Un Prince. Pour moi, réaliser un film, cela veut surtout dire : avec qui et comment faire les choses. Mark avait vu L’arc d’iris quand nous l’avions montré avec Vincent à Varengeville au Bois des moutiers il y a quinze ans. C’était notre première rencontre. Il nous avait dit qu’il fallait faire le même film en Normandie. C’est notre idée : Mark sera le botaniste qui nous guide parmi les fleurs de l’estuaire de la Seine jusqu’à Sainte-Marguerite-sur-Mer. Antoine qui a eu une formation en argentique filmera en 16mm. Un film de corolles et de pistils, encore des pas et des fleurs…

Propos recueillis par Claire Allouche le 1er mai 2023 à Paris.