Film soutenu

Une langue universelle

Distribution : Météore Films

Date de sortie : 18/12/2024

CANADA - 1.66 - DURÉE : 1h29

Matthew quitte Montréal où il a travaillé toute sa vie pour retourner à Winnipeg où il est né. L’espace-temps paraît alors bouleversé et tout le monde parle désormais persan dans la métropole canadienne. Dans ce conte d’hiver, les rencontres de Matthew avec deux enfants espiègles, un enseignant colérique et un guide touristique plus motivé que doué, vont le mettre sur le chemin d’une quête intime et délicieusement absurde.

Quinzaine des cinéastes 2024 : Prix Chantal Akerman, Choix du public

AVEC : Rojina Esmaeili, Saba Vahedyousefi, Mani Soleymanlou, Matthew Rankin, Pirouz Nemati

Mise en scène  Matthew Rankin • scénario  Matthew Rankin, Pirouz Nemati, Ila Firouzabadi • Image Isabelle Stachtchenko • Montage Xi Feng • Décors Louisa Schabas Ingénieurs du son Pablo Villegas, Sacha Ratclliffe, Bernard Gariépy Strobl • Musique Originale Amir Amiri, Christophe Lamarche-Ledoux • Étalonnage  Yov Moor • Produit par Sylvain Corbeil • Co-produit par Sylvain Corbeil • Producteurs délégués Daniel Berger, Ila Firouzabadi, Matthew Rankin, Aaron Graham, Aaron Katz, Pirouz Nemati


Matthew Rankin

Matthew Rankin est un cinéaste qui est né à Winnipeg, au Canada. Il travaille très jeune pour les télévisions locales avant de rencontrer son mentor Guy Maddin et les cinéastes du Winnipeg film group. Ayant étudié en histoire du Québec à l’Université McGill (BA) et à l’Université Laval (MA), Matthew est le réalisateur d’une trentaine de films qui se caractérisent par le métissage des genres et une fascination pour l’histoire, notamment pour celle du Québec et ses spécificités.

FILMOGRAPHIE :

COURTS MÉTRAGES

2006 KUBASA IN A GLASS : THE WORLD OF THE WINNIPEG TV Commercial (coréalisateur : Walter Forsberg)
2006 DEATH BY POPCORN : THE TRAGEDY OF THE WINNIPEG JETS (coréalisateurs : Mike Maryniuk, Walter Forsberg)
2006 I DREAM OF DRIFWOOD
2006 OÙ EST MAURICE ? (coréalisateur : Alek Rzeszowski)
2007 CHARKHÉ-HALÉ CHAKHSI: M. RANKIN
2008 BARBER GULL RUB
2008 HYDRO-LEVESQUE
2008 CATTLE CALL (coréalisateur : Mike Maryniuk)
2010 NEGATIVIPEG
2011 TABULA RASA (court-métrage)
2014 EXODUS OF THE YEAR (Clip)
2014 MYNARSKI CHUTE MORTELLE
2015 LES EXPLOITS RADICAUS DE WALTER BOUDREAU
2015 CECI EST UN MESSAGE OFFICIEL
2017 TESLA : LUMIÈRE MONDIALE

LONGS MÉTRAGES

2019 LE VINGTIÈME SIÈCLE
2024 UNE LANGUE UNIVERSELLE


NOTE DE LA PRODUCTION

Structuré comme un diagramme de Venn – au point de confluence entre la trilogie Koker de Jacques Tati et celle d’Abbas Kiarostami – Une langue universelle est à la fois un film journal, une symphonie urbaine absurde et une remontée des émotions de l’époque de l’enfermement, explorant l’interzone mystérieuse où une personne s’arrête et où le reste du monde commence. Un rêve insaisissable, à demi remémoré, sur la maison, la solitude, nos responsabilités envers les autres et les dindes sauvages qui nous hantent.

NOTE DU RÉALISATEUR

MATTHEW RANKIN EN TÊTE À TÊTE AVEC LUI-MÊME

MR : Comment expliquez-vous cette chose étrange que vous avez réalisée ?

MR : J’encourage les gens à y voir un diagramme de Venn cinématographique entre Winnipeg, Téhéran et Montréal. C’est comme un confluent de rivières. Ou une pizza hawaïenne. C’est un film qui ressemble à un ornithorynque fou : une part de cinéma québécois, gris et solitaire, une part de film casse-tête surréaliste de Winnipeg, une part de réalisme poétique iranien à la Kanoon, les trois se reflétant et se réfractant à travers le prisme de l’un et de l’autre. Une langue universelle ne traite pas de l’un de ces lieux, mais du métissage des trois. Bien sûr, le cinéma iranien émerge de 1000 ans de poésie tandis que le cinéma canadien émerge de 40 ans de publicités pour des meubles à prix réduit. Et pourtant, c’est la dualité de notre monde, n’estce pas ? Le film travaille sur les notions de communauté et de solitude, de proximité et de distance, de divin et de banal, d’universel et de paroissial. Nous essayons d’ouvrir de nouvelles voies pour voir et imaginer notre monde compliqué, triste, beau et lumineux.

MR : Comment avez-vous réalisé ce projet ?

MR : Je crois fermement que le cinéma est une expression collective et que tout le plaisir du cinéma vient du fait que l’on fait des choses avec ses amis. Notre grand projet était de créer un cerveau irano-québéco-winnipegois vivant et respirant, capable de produire ses propres pensées singulières. Dans cette méthodologie, le réalisateur est le point de synthèse, plus comme un chef d’orchestre, plutôt qu’un visionnaire fulminant coiffé d’un chapeau Napoléon et obsédé par la domination du monde. La célébrité, le pouvoir ou le contrôle ne m’intéressent pas. Je fais de l’art parce que j’aspire à connecter avec les autres. La méthode de travail est donc très ouverte.

Je pense toujours que les films sont meilleurs lorsque tous les collaborateurs créatifs se sentent libres de s’exprimer à travers le prisme du film. Cela devient alors un exercice personnel pour chacun (plutôt qu’un exercice transactionnel) et le film prend vraiment vie. Dans le scénario que nous avons écrit, par exemple, Bahram Nabatian, qui joue le rôle de Hafez Ghamghosar, n’entonne pas de chanson à la fin. Le jour du tournage, M. Nabatian est arrivé sur le plateau et a suggéré que nous le filmions en train de chanter de la poésie classique persane et nous avons dit : « bien sûr, OUI ! ». J’ai un peu modifié l’éclairage, mais autrement, nous avons simplement suivi ce que M. Nabatian voulait faire. Nous avons allumé la caméra, il a commencé quand il était prêt et a dit « coupé » quand il avait terminé. C’était tellement beau, mais sur le moment, nous n’avions en fait aucune idée de la façon dont cela s’intégrerait dans le reste de l’histoire. Et pourtant, aujourd’hui, je ne peux pas imaginer le film sans l’interlude poétique de M. Nabatian. Avec le cadre mélodique que les compositeurs Amir Amiri et Christophe Lamarche-Ledoux ont conçu pour lui en post-production, l’invocation de Saadi par M. Nabatian est vraiment devenue le point culminant du film sur le plan émotionnel. Ainsi, beaucoup de moments de spontanéité et de magie peuvent se produire lorsque vous travaillez dans un mode ouvert et libre d’esprit, avec beaucoup de curiosité pour ce que vos collaborateurs pensent et ressentent. Nous avons également eu la chance de travailler avec l’un des producteurs les plus audacieux et visionnaires du Québec, Sylvain Corbeil [Metafilms], qui a été le premier à soutenir toutes nos idées les plus folles avec un enthousiasme débordant.

MR : D’où vient l’histoire ?

MR : Tout vient de mon insignifiante vie. Les événements de l’histoire sont tirés directement de l’histoire de ma famille, de nombreuses annotations de journal de mon séjour en Iran et de plusieurs rêves
déconcertants que j’ai fait à propos de mes parents peu de temps après leur mort. Pendant la Grande Dépression, ma grand-mère et son frère ont trouvé un billet de deux dollars gelé sur un trottoir de Winnipeg (une somme énorme en 1931) et les événements se sont déroulés pour eux de la même manière que pour Negin et Nazgol.

De même, mon père a consacré sa vie à défendre la ville mal-aimée de Winnipeg et ses humbles monuments, tout comme Massoud dans le film. Et puis, bien sûr, il y a moi et mon imitation de moi-même. Lorsque j’ai terminé mon premier long métrage, Le vingtième siècle, j’étais tellement endetté que j’ai passé une année sinistre et épuisante à Ottawa à réaliser des films de propagande pour le gouvernement canadien. Il y a donc de nombreuses couches complexes d’identité, de nombreuses versions de soi.

À l’âge de 8 ans, par exemple, j’étais complètement obsédé par Groucho Marx [un humoriste américain du début du XXe siècle]. Chaque matin, avant d’aller à l’école, je me peignais une grosse moustache et des sourcils en utilisant le crayon à sourcils de ma mère. La division scolaire de Winnipeg a rapidement nommé une équipe de psychologues pour enfants afin de mettre fin à cette étrange fixation et j’ai passé la majeure partie de ma troisième année d’école enfermé dans le placard à fournitures scolaires, habillé comme Groucho. Quoi qu’il en soit, le personnage de Morteza (interprété de manière si charmante par le jeune Parsa Ghahforokhi) est aussi le mien et d’autres versions bizarres de moi sont éparpillées tout au long du film. Le biopic est depuis longtemps une préoccupation majeure dans mon travail de cinéaste et je décris Une langue universelle comme une sorte d’hallucination autobiographique.

MR : Je crois savoir que vous avez grandi à Winnipeg et que vous vivez maintenant au Québec, mais comment l’Iran et le farsi sont-ils entrés dans votre sphère ?

MR : Mon premier point d’entrée en Iran a été son cinéma – en particulier son école « méta-réaliste » comprenant Forugh Farokhzad, Sohrab Shahid Saless, M. Kiarostami, Jafar Panahi, la famille Makhmalbaf – ainsi que les films pour enfants produits par Kanoon dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Jeune, j’ai voyagé en Iran avec l’espoir naïf d’étudier le cinéma avec les grands maîtres. Cela ne s’est pas produit, mais j’ai rencontré un grand nombre de personnes vraiment extraordinaires et ma vie a continué à dialoguer avec l’Iran depuis lors, à travers l’art, les amitiés et mon apprentissage continu et très lent du farsi. La décision de réaliser le film en farsi est née organiquement de l’histoire elle-même. L’aventure de ma grand-mère essayant d’extraire le billet de deux dollars de la glace rappelait une fable de style Kanoon sur des enfants confrontés à des dilemmes d’adultes et présentait même une étrange ressemblance avec Le Ballon blanc (1995) de M. Panahi et Où est la maison de mon ami ? (1987) de M. Kiarostami. Ma première idée a donc été de raconter l’histoire de ma grandmère dans le style du méta-réalisme iranien. Mais c’est en allant plus loin et en racontant son histoire en farsi avec une distribution iranienne que le projet a trouvé son identité poétique. Toutes les autres idées ont découlé de cette réimagination. Mais plus que tout, ce film existe grâce à Pirouz Nemati et Ila Firouzabadi [producteurs exécutifs, scénaristes et acteurs]. Tous deux sont des artistes brillants et deux de mes amis les plus proches, et nous avons collaboré à plusieurs projets cinématographiques ensemble. Pirouz a longtemps défendu ce projet et a vraiment insisté pour que nous le réalisions, même dans mes moments de doute les plus angoissants. Une grande partie de l’humour, de la poésie, de la folie et de la fusion interculturelle à l’œuvre dans Une langue universelle est en grande partie l’expression de notre amitié. Eux aussi, à travers moi, sont en dialogue avec « Winnipeg », tout comme je suis, à travers eux, en dialogue avec « l’Iran », et ensemble nous avons créé quelque chose de tout à fait nouveau.

MR : S’agit-il d’un film politique ?

MR : Non. Notre film est inspiré par une très grande aspiration à des connexions humaines plus larges, à des notions plus profondes de famille, d’appartenance et de solidarité que ce que notre époque extrémiste nous assigne. À travers le spectre politique, des idéologues et des gourous d’Instagram construisent de nouveaux murs de Berlin, plus hauts et plus rigides, organisant avec zèle de vastes populations en oppositions binaires. Nous rejetons ces modes oppositionnels. Nous partons du principe qu’il n’y a pas de frontières et que la solidarité est absolue. Notre film montre que « là-bas » est aussi « ici » et que tout le monde autour de vous est aussi vous. J’adore cette douce phrase dans Sayat Nova : la couleur de la grenade (Parajanov, 1969) : « Nous nous cherchions l’un dans l’autre », et c’est devenu une sorte de diapason pour nous. Ou, comme Pirouz me l’a dit un jour, « Tout ce que j’espère dans la vie, c’est l’amour, la paix dans le monde et quelques rigolades ».

MR : Est-il vrai que vous essayez de devenir le Hossain Sabzian de Winnipeg?

MR : [Rires] En concevant la « fadeur extatique » des vêtements de mon personnage, notre brillante créatrice de costumes Negar Nemati s’est inspirée de la tenue entièrement beige de Sabzian dans Close Up (1990) de M. Kiarostami. Sabzian et Close Up planent définitivement sur ce film. En particulier, je partage le scepticisme de ce film quant à la possibilité d’une « authenticité » dans le langage artificiel du cinéma. Il s’agit toujours d’un tour de magie avec une forte dose de tricherie, même s’il semble vrai. Et l’imitation frauduleuse de Mohsen Makhmalbaf par Sabzian n’est pas très éloignée de ma propre imitation frauduleuse de moi-même.

MR : Merci.

MR : Non, non, c’est plutôt moi qui vous remercie.