À Uz, hameau montagnard du nord du Portugal vidé par l’émigration, subsistent quelques dizaines de paysans.
Alors que la communauté se rassemble autour des traditionnelles fêtes d’août, le jeune berger Daniel rêve d’amour.
Mais l’immuable cycle des quatre saisons et les travaux des champs reprennent vite le dessus…
CHICAGO INTERNATIONAL FILM FESTIVAL – MEILLEUR DOCUMENTAIRE
DOCLISBOA’14 MEILLEUR FILM
Avec : Daniel Xavier Pereira, Antonio Guimarães, Daniela Barroso et les habitants d’Uz
Réalisation et image João Pedro Plácido • Scénario Laurence Ferreira Barbosa & João Pedro Plácido • Montage Pedro Marques • Étalonnage Paulo Américo • Consultant son Vasco Pimentel • Montage son Hugo Leitão • Mixage Denis Séchaud • Production Luis Urbano & Sandro Aguilar • Co-Production Joëlle Bertossa, Nora Philippe
João Pedro Placido
João Pedro Plácido est né à Lisbonne en 1979. Il commence à réaliser et filmer des vidéoclips à 19 ans et fréquente plus tard la ESTC (Escola Superior De Teatro E Cinema) de Lisbonne et la
Hochschule für Fernsehn und Film de Munich. Il travaille sur des longs et courts-métrages, des documentaires et publicités partout dans le monde comme directeur de la photographie.
Volta à terra est son premier film comme réalisateur.
NOTE D’INTENTION DE JOÃO PEDRO PLACIDO
À Uz, hameau montagnard du nord du Portugal vidé par l’émigration,
subsistent quelques dizaines de paysans. Alors que la communauté se
rassemble autour des traditionnelles fêtes d’août, le jeune berger
Daniel rêve d’amour. Mais l’immuable cycle des quatre saisons et les
travaux des champs reprennent vite le dessus…
Mes grands-parents viennent du village d’Uz et je voulais faire un film
qui montre leur façon de vivre, loin de tout, et dédié aux paysans. Je
souhaitais réaliser une oeuvre cinématographique ; pas simplement un
documentaire destiné à laisser une trace d’un monde condamné, mais aussi
un film sur la vie de tous les jours, pour en révéler la poésie et la
brutalité. Certaines des personnes que j’ai filmées recèlent une matière
et une richesse insoupçonnées, apportant une touche de romanesque au
récit. Ce film est aussi une façon de rendre hommage à la relation
symbiotique entre l’homme et la nature, à la défense d’une certaine
forme d’écologie et, ce, en suivant le cycle des saisons, celui de la
révolution de la Terre autour du soleil : un périple d’un an dans un
monde encore caché, quelque part dans le nord du Portugal.
REPÈRES
Les régions du nord du Portugal, à commencer par les districts de Braga, où se situe Uz, et de Bragance, plus à l’est près de la frontière espagnole, sont essentiellement montagneuses, avec des sols peu fertiles, même si de nombreux plateaux ont permis à l’agriculture de se développer. Ce sont aussi les régions les moins peuplées et les plus pauvres du pays, une terre d’exode de la jeunesse depuis les années 60.
Une région essentiellement rurale
Sur le plan agricole, cette zone de reliefs est dominée par un élevage ancestral de bovins de trait, qui fournissent de la viande lors de leur réforme. Les exploitations agricoles reposent sur des structures familiales et sont peu mécanisées, découpées en de petites exploitations de polyculture, produisent principalement maïs, pomme de terre, vin, liège et bois.
L’exode rural et l’émigration
Aujourd’hui, dans un contexte de crise aigüe qui a mis jusqu’à 17%
des portugais au chômage (et plus de 35% des 15-24 ans), on constate le
début d’un retour à l’agriculture, perçue comme un moyen de subsistance –
« un agriculteur, ça n’a jamais faim ». Mais il n’en a pas toujours été
ainsi : dans les années 60-70, les régions du nord sont au contraire le
principal bassin de la grande vague d’émigration qui a frappé le pays,
un exode de plus de deux millions de personnes. On s’exile pour échapper
à la dictature de Salazar, aux guerres coloniales et au
sous-développement. Les jeunes veulent se soustraire au
service militaire, qui dure quatre ans, et, dans un contexte où le tissu
industriel est encore archaïque, les petites exploitations familiales
ne peuvent absorber le notable accroissement de la natalité ; le chômage
et la misère s’installent. Cette population partit donc chercher
une vie meilleure essentiellement en France et en Allemagne, désertant
les zones rurales. Certains petits villages disparurent alors…
Depuis 2010, ce flux migratoire s’est à nouveau intensifié – les
chiffres, forcément approximatifs, pointent des flux semblables, parfois
supérieurs, à ceux des années 60. Les émigrés sont jeunes, ce qui
accentue le vieillissement de la population portugaise qui, avec le taux
de natalité aujourd’hui le plus bas d’Europe, est une des plus
vieillissantes du monde.
le va-et-vient
Parallèlement à ce phénomène migratoire, les portugais pratiquent,
dès les années 60, le va-et-vient entre le Portugal et leur pays
d’adoption dans des proportions rarement atteintes dans les
migrations intra-européennes. Un million de personnes
traversent l’Europe pour se rendre une ou plusieurs fois par an
au Portugal. Le projet de retour, le plus souvent formulé aumoment du
départ, s’est en quelque sorte transformé en va-et-vient. Le retour
régulier au village donne à chacun l’impression d’être parti sans l’être
tout à fait.
L’été est l’occasion de retrouvailles pour tous ceux qui sont partis.
En apparence, l’ancien village se reconstitue, mais, par leur nombre et
leur influence, maints aspects de la vie sociale et du pouvoir local ont
pour référence leur présence dans une période limitée de l’année, et
les liens sont entretenus avec les forces vives du village par
différents moyens durant le reste de l’année. Les fêtes de village ont
petit à petit été concentrées sur le mois d’août, afin de réunir toute
la communauté autour des célébrations religieuses – chaque village a son
saint attitré, célébré une fois par an – et de fêter les retrouvailles
des familles. Ces fêtes obéissent à une séquence récurrente, parfois sur
plusieurs jours : messes, processions religieuses souvent
accompagnées d’une fanfare, tournois de jeux et activités pour les
enfants, danses populaires, banquets, bals louant les services de
groupes de musique populaire, feux d’artifice…
ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR
Volta à Terra est votre premier long métrage. Quel a été votre parcours avant de passer à la réalisation de ce film ?
J’ai étudié le cinéma à l’École de cinéma de Lisbonne, l’équivalent de
la Fémis, et, dans le cadre du programme Erasmus, je suis parti en
Allemagne où je suis finalement resté 5 ans. À 13 ou 14 ans, on m’a
offert ma première caméra. Comme tout adolescent, j’avais des envies de
révolution et le meilleur chemin pour y parvenir me paraissait passer
par le cinéma et le documentaire. J’ai alors découvert les premières
oeuvres d’Abbas Kiarostami qui ont été très importantes pour moi :
je voulais exactement réaliser ce genre de films. J’avais déjà envie de
tourner à Uz, le village où se déroule Volta à Terra.
Quels sont vos liens avec ce hameau du nord du Portugal ?
Mes grands-parents maternels vivaient à Uz, ma mère y est née. Ils ont
déménagé à Lisbonne lorsque je suis né. Mais nous retournions à Uz lors
des vacances scolaires. Je suis donc un mélange entre la ruralité
extrême du nord et le centre-ville de Lisbonne. Ce sont ces deux mondes
qui m’ont élevé. J’ai commencé à avoir un regard critique, social et
politique relativement jeune, mais je ne voulais pas pour autant faire
un manifeste politique avec Volta à Terra.
Pourquoi aviez-vous eu envie de tourner un film à Uz ?
J’avais envie de filmer le lien viscéral que les habitants de Uz
entretiennent avec la nature et les animaux. C’est un vrai échange qui
s’y produit : ce que les gens prennent à la nature, ils finissent par le
lui rendre. Il y a une symbiose, qui me semble être le bon équilibre à
atteindre entre l’homme et son environnement. Je pensais que le cinéma
était le meilleur médium pour enregistrer cette réciprocité. J’ai
toujours été passionné par la vie des Indiens d’Amérique, des peuples
premiers en Afrique, ils représentent pour moi l’acceptation de la
condition humaine, un peu comme chez les habitants de Uz. On pourrait
faire un parallèle entre Volta à Terra et
la lettre que le chef indien Seattle a adressée au président des
États-Unis en 1854. Quand je donne la parole aux personnages, ce n’est
pas pour me positionner politiquement. C’est en tant qu’observateur. Volta à Terra
a aussi une filiation avec le livre Le Portugal aujourd’hui de José Gil
– dont le sous-titre est La peur d’exister – qui décrit très bien
l’état des choses et des mentalités au Portugal. Le monde de Uz ne
rencontre jamais le monde politique : il n’y a, par exemple, pas de
crise économique à Uz. Les différents gouvernements n’ont jamais pensé à
ces gens, ce sont des citoyens oubliés.
Volta à Terra peut-il être compris comme un hommage à Uz et ses habitants ?
Je m’intéresse à leur manière de vivre, loin de tout consumérisme, de tout individualisme, à leur façon de suivre un esprit communautaire, comme avant, avec une conscience profonde de l’environnement, une empathie avec la nature et les animaux. Il est intéressant de noter qu’Uz doit son existence aujourd’hui essentiellement au fait que ses habitants s’y sentent en sécurité, dans un environnement au fond extrêmement conservateur et protecteur – c’est peut-être le bon côté du conservatisme. Le film a été tourné l’année où l’austérité a été la plus radicale, on n’y ressentait pourtant ni la crise, ni tension entre les gens.
Qu’est-ce qui a lancé le tournage de Volta à Terra ?
Le film est né lorsque j’étais en voyage dans le nord du Portugal avec Laurence Ferreira Barbosa, ma coscénariste. Nous avons rencontré des habitants des hameaux alentours et nous avons engagé la conversation avec eux. Je les ai filmés avec une petite caméra numérique tandis qu’ils nous racontaient leurs vies, leurs histoires… C’est en regardant ces images que Laurence m’a suggéré de réaliser un film. Elle trouvait que j’avais un rapport singulier avec ces personnes : en leur confiant que mes grands-parents avaient habité la région, je faisais en quelque sorte partie de leur famille. Cette proximité me permettait dès lors d’accéder à leur parole et à leurs histoires. J’ai dit à Laurence que je n’étais pas réalisateur – je suis chef-opérateur ! – et que j’avais besoin de son aide pour construire le film; elle a répondu d’accord.
Comment avez-vous conçu, avec Laurence Ferreira Barbosa, l’écriture à quatre mains de Volta à Terra ?Disons, pour résumer schématiquement, que je me suis occupé de l’écriture de l’aspect documentaire du film et que Laurence a renforcé l’aspect fictionnel avec l’histoire d’amour autour de Daniel. J’en avais besoin parce que mon film manquait de conflits dans sa structure. La chronique documentaire ne se suffisait pas à elle-même. Lorsque nous avons rencontré Daniel, il parlait toujours de se trouver une fiancée. Nous avons voulu travailler cela sur un mode fictionnel. Laurence a très bien su mesurer la dose de fiction que nous pouvions intégrer au récit.
Vous êtes donc retourné sur place à Uz pour reprendre contact avec sa population.
Oui, ma productrice française m’a demandé de réaliser un teaser pour le
montrer à des financiers et trouver plus facilement des fonds. Je suis
donc parti une semaine à Uz. C’est là d’ailleurs que le jeune Daniel
est apparu comme un formidable personnage de cinéma, par sa façon de
bouger, de parler et d’être. Je n’ai jamais demandé à Daniel de modifier
quoi que ce soit à son comportement. De même pour l’ensemble
des personnes âgées qui ont une personnalité très forte, qui résulte
souvent de leur passion pour leur village et leur travail de la terre.
Daniel
apparaît comme une étrange figure au milieu de ce village. Son corps
dégage un certain burlesque dans ce paysage, est-ce la raison
pour laquelle vous avez choisi de le suivre, lui ?
Je connais tout le monde à Uz, j’avais même fait un recensement pour
mon travail, parce qu’au départ, il était question de faire un portrait
de trois générations. Je connais Daniel depuis qu’il est né : il est
heureux, conscient de ce qu’il a, de ce qu’il pourrait avoir et de ce
qu’il n’aura pas. Il a cette intelligence de savoir ce qui est important
pour lui. Il a un très grand respect pour les anciens, qui sont ses
modèles, comme son père. Il veut être un homme mais il a le corps
d’un enfant, c’est pour ça qu’il est touchant. Comme il a ce corps
étrange et qu’il est une personne très simple (il n’a jamais été bon
élève à l’école), il est quelque part entre ces deux âges. Après 15
jours de tournage, j’ai annoncé à Daniel que tout ce que j’avais tourné
avec lui irait à la poubelle. Il n’arrêtait pas de regarder la caméra
quand il finissait une action, c’était une catastrophe, je voulais qu’il
m’oublie complètement… Il a pris mes remarques à coeur et a enfin
commencé à être lui-même. Avec le temps, il a compris que mon film
tournerait autour de son personnage parce que je filmais majoritairement
des scènes avec lui – alors qu’il y a 54 habitants à Uz. Il a intégré
que pour être un bon personnage de cinéma, il fallait en faire le
moins possible. Il devait simplement être lui. Il lui suffisait
de penser, pas de faire. C’est le pouvoir du cinéma que d’enregistrer sa
pensée.
Était-ce important pour vous de montrer Uz au fil des quatre saisons ?
Pour dépeindre la vie d’un agriculteur, il est nécessaire de saisir ces
quatre phases, ainsi que le mouvement des arrivées et des départs des
gens dans le village. Cette dynamique est intéressante tout au long de
l’année. En hiver, il n’y a pas d’autres événements sociaux que celui
d’aller à l’église. Au printemps, les travaux collectifs commencent.
L’été, apparaissent les visiteurs. L’automne puis l’hiver suivant, on
revient à une certaine solitude, les champs sont au repos.
Le titre est une référence au cycle de la vie ?
Volta à Terra («
Retour à la terre », mais aussi « autour de la terre ») car le film
dépeint le mode de vie de n’importe quel endroit où les gens vivent de
la terre; et parce que je crois que nous avons tous, les
spectateurs comme moi, des origines rurales, ou au moins
nous connaissons tous quelqu’un qui a des origines rurales, et voir le
film nous conduit à faire un retour à nos origines; et finalement, c’est
aussi ce même mouvement qu’opère l’agriculteur avant de semer.
Comment s’est déroulé le tournage sur place ?
Il a duré 79 jours, étalé sur 13 mois. J’ai toujours voulu faire un
long tournage. Pour faire le portrait du travail d’un agriculteur, je
devais faire le portrait de la nature. Il fallait respecter ce temps
pour pouvoir le rendre sensible. Je voulais aussi représenter des étapes
et des situations à des dates très spécifiques : le calendrier du
tournage s’est aussi calé sur des événements comme le bal ou la récolte
des pommes de terre et du blé. Je voulais aussi faire ressortir les
saisons, comme l’été et l’hiver, tant ces saisons sont essentielles
dans la relation des habitants de Uz à la terre. Il y a une vraie
sagesse dans leur choix de vie, avec ce refus du consumérisme et
l’importance de l’autosuffisance qui leur permet une certaine
indépendance vis-à-vis du reste du pays et du reste du monde.
Comment avez-vous organisé techniquement le tournage ?
Sur le tournage, nous étions trois à cinq personnes. J’avais un
assistant-caméra et il y avait Laurence Ferreira Barbosa, un ingénieur
du son et quelqu’un qui s’occupait de préparer nos repas. Mais nous
avons dû nous séparer de certaines personnes par manque d’argent. Nous
avons tourné en alternance avec différentes caméras numériques, selon le
budget du moment. Cela m’a contraint à réfléchir réellement avant de
tourner, comme pour un tournage avec de la pellicule. J’ai découvert que
tourner en numérique ne veut pas forcément dire avoir beaucoup d’heures
de rushes : certains jours, je ne tournais qu’une seule heure.
Vous avez aussi un regard particulier sur le paysage de Uz.
Oui, je tenais à ce que certaines scènes soient tournées dans des lieux
précis. J’ai donc fait des repérages, comme pour cette scène où Daniel
passe un coup de téléphone sur un rocher. Le paysage décrit aussi
la pensée de mes personnages. Je n’en avais pas conscience sur le
tournage, mais sans doute était-ce une idée qui m’habitait
instinctivement
Le tournage était donc très préparé ?
Cela dépendait des situations. Tout ce qui a un lien avec la jeune
fille et l’histoire d’amour a été préparé. Nous avons choisi ses
vêtements ensemble par exemple, surtout pour les couleurs. Mais nous
avons très peu tourné avec elle, nous ne voulions pas donner à
cette relation amoureuse une trop grande importance, nous nous doutions
qu’elle n’aboutirait pas. De fait, toutes les scènes tournées avec la
jeune fille sont dans le film. De toute manière, il n’y a pas de culture
de la séduction à Uz : les gens s’y expriment durement, à l’image des
rochers qui les entourent. Mais même s’il y a une grande rudesse à
l’extérieur, j’ai cherché à montrer leur tendresse intérieure. Ce
n’était pas évident…
La plupart des scènes appartiennent cependant à une approche
documentaire stricte, même si j’ai souvent fait des suggestions ou de
petites modifications. Par exemple, j’ai rajouté des éclairages,
notamment lors de la scène de l’égorgement des cochons. Il y a aussi des
moments que j’ai simplement provoqués, comme ce dialogue sur les
décodeurs de la télévision et le Premier Ministre. Mais la plupart du
temps, il n’était pas nécessaire d’en rajouter. Je crois sincèrement que
l’on peut tout raconter avec une image juste, c’est sûrement lié à
mes activités de directeur de la photographie !
Comment s’est passé le montage du film ?
J’ai eu la chance de travailler avec Pedro Marques, l’un des meilleurs
monteurs du Portugal – il a notamment travaillé avec Miguel Gomes et
Pedro Costa. C’est lui qui a trouvé la structure du film et une manière
particulière de maintenir sa tonalité. Ce n’est pas parce que c’est
un film sur la ruralité que le spectateur devrait ressentir l’ennui du
village, ni que les plans devraient s’éterniser comme dans un film arty
pour souligner que le temps qui passe. Je voulais un montage dynamique
avec un rythme énergique qui exprime aussi la joie qui existe dans ce
village. Je ne voulais en aucun cas faire une caricature de documentaire
rural. Pedro a très bien compris mes envies. Le montage sonore a aussi
été très important et a permis de relier toutes les scènes sans heurt.
Est-ce que vous vous reconnaissez dans le film de Miguel Gomes, Ce cher mois d’août ?
Le film de Miguel venait comme la confirmation qu’il était possible de
faire sur le territoire Portugais ce que Kiarostami m’avait montré quand
j’avais 16 ans, avec « Et la vie continue » : prendre des gens qui ne
sont pas des acteurs et les faire jouer leur propre rôle. Je n’ai pas
voulu reproduire « Les Paysans », de Raymond Depardon, qui use de plans
fixes, où la parole tient un rôle essentiel ; ni le film « Le
Quatro Volte » de Michelangelo Frammartino, dont la caméra est à plus
grande distance des gens. Je voulais un film où le dispositif central
était de filmer les gens, la force du travail.
Avez-vous montré le film aux habitants de Uz ?
Oui, mes producteurs portugais ont affrété un bus pour amener les
habitants de Uz à Porto où se déroulait un festival qui projetait le
film. Ils ont donc vu le film… Cela a peut-être été ma plus forte
expérience de cinéma. Ils ont parlé dans la salle et ont dialogué avec
l’écran, comme dans un cabaret. Ils étaient tellement heureux et fiers
de se voir dans un film. Ce fut un moment de rare émotion et d’une très
grande intensité. Les gens pleuraient, riaient… La palette des émotions
ne pouvait être plus vaste. Daniel a aussi été très touché. Il
trouvait ça vraiment « cool » et m’a aussi fait remarquer qu’il ne
pensait pas faire autant de bêtises dans sa vie quotidienne. Il n’avait
pas idée qu’il parlait et se comportait de la sorte.
Tous les habitants de Uz étaient ravis de voir leur village représenté
et leur existence rendue visible grâce à mon film. J’espère vraiment que
le film rend compte de toute la générosité que ces gens ont
exprimée face à ma caméra. Nicolas Philibert m’a dit que Volta à Terra était un acte d’amour, c’est exactement comme ça que je l’ai vécu.