En compagnie de sa mère, Renée, qui souffre d’importants troubles mentaux, le réalisateur Jonathan Caouette entreprend un voyage à travers les Etats-Unis, pour la ramener de Houston à New York. Les obstacles qu’ils rencontrent sur leur route sont entrecoupés de retours dans le temps qui donnent un aperçu de cette relation mère-fils hors du commun.
Semaine de la Critique – Festival de Cannes 2011
Avec RENEE LEBLANC, JONATHAN CAOUETTE, ADOLPH DAVIS, ROSEMARY DAVIS, DAVID PAZ, JOSHUA CAOUETTE
Réalisateur et Scénariste JONATHAN CAOUETTE • Images ANDRÈS PEYROT, NOAM ROUBAH, JASON BANKER, JORGE TORRES-TORRES, JONATHAN CAOUETTE • Images additionnelles DAVID BRONSON, ANDRES SANTAMARIA, ZACHARY SANDLER, JOSHUA SANDLER, BRIAN MCALLISTER • Montage BRIAN MCALLISTER, MARC VIVES, JONATHAN CAOUETTE • Produit par GÉRARD LACROIX et GÉRARD PONT (MORGANE), PIERRE-PAUL PULJIZ (POLYESTER) • Coproduit par AGNÈS B., CHRISTOPHE AUDEGUIS et CHARLES-MARIE ANTHONIOZ (LOVE STREAMS AGNÈS B. PRODUCTIONS) • Productrice exécutive CATHERINE ROUAULT • Directrice de production ALBERTINE FOURNIER • Coordinatrice de production BÉRENGÈRE BARRIER • Chargé de production USA JASON YAMAS • Directrice de post-production DORIS YOBA • Supervision effets spéciaux ROBERT MORRIS • Montage sonDAMIEN GUILLAUMEMixage DANIEL SOBRINO • Avec la participation de CINÉ+ • Avec le soutien de LA RÉGION ÎLE-DE-FRANCE
Notes de Jonathan Caouette
« Je suis né et j’ai été élevé à Houston, Texas, où j’ai grandi pour la plus grande partie avec mes grands-parents pendant que ma mère Renée, atteinte de psychose schizophrénique, faisait des allers /retours dans les hôpitaux. J’ai aussi passé du temps dans des familles d’accueil où j’ai souffert de négligence et de maltraitance. Filmer et raconter sont devenus une façon de dissocier, et de m’évader de ma vie. En prenant une caméra quand j’étais enfant et en l’utilisant comme un bouclier pour illuminer mon univers, j’ai trouvé une façon de survivre. Filmer les choses était une manière de dialoguer avec moi-même. » « Adolescent, mes premiers essais de cinéma étaient de grossières, violentes, horribles et atmosphériques mésaventures que je tentais d’investir d’une certaine qualité hallucinogène. J’ai essayé de les rendre drôles, parce que je pense que l’humour est une manière de surmonter les obstacles de la vie (mon travail est également inspiré par des chanteuses soul comme Mavis Staples ou des comédiens comme Richard Pryor et des réalisateurs tels que John Cassavetes, Lars Von Trier et Alejandro Jodorowsky). Ces différentes obsessions m’ont mené par hasard vers les films d’auteurs européens que j’estime et qui m’influencent.
J’y ai inclus des compositions harmonieuses mais tranchantes avec une mise en scène néo-réaliste et de l’humour. Mes premiers travaux étaient basés sur des légendes urbaines, des slashers, mes cauchemars, mes rêveries diurnes. Mon travail est de diriger mes films vers des lieux mystérieux et de leur donner vie. Je considère tous mes films comme des fictions documentaires, des « histoires vraies » rêvées. Mon but est de faire des films qui soient un happening, une rencontre, une conversation et je l’espère, un signal émotionnel. »
Entretien avec Jonathan Caouette
Avec WALK AWAY RENEE, pourquoi être revenu sur votre histoire et celle de votre mère, déjà au cœur de TARNATION ?
J’avais besoin d’y revenir car TARNATION convoyait beaucoup d’informations, à une vitesse de mitrailleuse. Il y avait tellement de choses qui s’y passaient. WALK AWAY RENEE permettait de revenir au sujet avec un point de vue différent, plus d’objectivité : je voulais me concentrer sur ma relation avec ma mère, et donner à cette relation davantage de respiration. Et je sentais aussi que c’était un bon film de transition pour moi, pour passer du documentaire à des choses plus narratives. Il y a en plus un peu de fiction dans WALK AWAY RENEE, mais c’est en phase avec ce qu’on appelle aux Etats-Unis le « Cinéma Vérité », tel qu’on le pratique dans un de mes documentaires favoris, WOODSTOCK : un équilibre entre naturalisme et stylisation.
Le film qui sort en salles n’est pas le même que celui qui a été présenté dans le cadre de la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes…
Oui. J’avais bien insisté à l’époque de Cannes que je travaillerais encore et encore sur WALK AWAY RENEE. Je suis d’ailleurs reconnaissant envers la Semaine de la Critique d’avoir sélectionné ce que je considérais comme un film en perpétuelle gestation. A présent, il s’agit bien de la version finale. Mais je n’exclus pas de réutiliser les scènes que j’ai coupées lors du précédent montage pour un autre projet.
Dans le vocabulaire de la pop music, on parle du syndrome du second album, toujours peu évident à composer après la réussite du premier. Comment avez-vous abordé ce cap avec WALK AWAY RENEE ?
Après TARNATION, je m’étais juré que je ne ferais plus de documentaire personnel. Puis l’an dernier, je suis parti en voyage avec ma mère. J’ai filmé cela avec une petite équipe, comme une expérience. Et j’ai décidé d’en faire un film. J’avais confiance dans le matériel. J’ai décidé de le juxtaposer avec des choses de mon passé et de celui de ma mère. Des choses entendues dans TARNATION, mais jamais vues ainsi. Après avoir vu les rushes de notre voyage, je me suis senti très inspiré par John Cassavetes. J’ai dit à une amie : « je crois que j’ai fait ma version de UNE FEMME SOUS INFLUENCE, mais en post-moderne et sous acide ». Je dis ça avec beaucoup de respect pour ma mère et Cassavetes. Dans les deux cas, c’est l’histoire d’une victime du système psychiatrique. Un système qui vous rend esclave, et qui vous casse au premier faux pas.
Alors que TARNATION est construit entièrement de votre point de vue, vous laissez ici la caméra à votre équipe pour vous filmer vous et votre mère pendant votre virée. Qu’est-ce que cela a changé pour vous en tant que cinéaste ?
Dès que la caméra est braquée sur vous, c’est une toute autre réalité. Mais ça ne me gêne pas : j’adorerais faire l’acteur pour d’autres réalisateurs. J’avais conscience des angles de caméra lorsqu’on était filmé, j’avais le cadrage du film en tête. Ma principale indication à l’équipe était : « restez le plus discret possible ». Je ne voulais pas que la caméra soit une intruse, ni qu’elle provoque une réaction chez ma mère. Donc, on attendait. Finalement, c’est peut-être la préparation qui a été la plus importante sur le tournage : planifier, être méthodique. Dans TARNATION je devais d’abord organiser le chaos. Il y a de jolis imprévus : pour les scènes tournées en extérieur, j’ai flouté par précaution les visages des gens dans la rue. Ça donne un côté fantastique au film, comme si ma mère et moi étions les seuls personnages à exister.
Comment travailliez-vous avec votre mère?
Ce sont des émotions mélangées, très Yin et Yang. C’est douloureux, mais je ne crois pas la faire souffrir. Elle aime être filmée. En plus d’être un sujet, elle a une vraie présence cinématographique. Ma mère et moi avons vécu tant de choses inhabituelles que je veux le partager. Quand je suis avec des gens, j’ai du mal à avoir des conversations sur le quotidien : c’est la raison pour laquelle je fais des films. Ma mère aime le fait que son histoire soit racontée par son fils. Elle ne se sent pas exploitée et je ne le ressens pas ainsi. Je sens que j’ai le droit de le faire, parce que c’est ma vie. C’est ce que je suis. Je fais des films pour rappeler qu’on vit et qu’on meurt.
Le film est très stylisé. Vous recourez notamment aux split-screens (écrans partagés)…
J’adore ça. C’est une technique de thriller à la Brian De Palma, j’adore l’effet. Je trouve ça intemporel et très efficace. Le spectateur d’aujourd’hui est à même de mieux digérer les écrans partagés, à une époque où il est habitué à voir de multiples fenêtres sur son ordinateur. Ça boucle la boucle. Mais ce n’est pas un effet gratuit : je travaille avec attention l’interaction entre les deux écrans, l’image comme la musique. Je laissais la musique dicter le montage, essayais différentes combinaisons, un peu comme une mix-tape.
La musique est au cœur de votre cinéma.
Je ne peux pas m’en passer. Je suis fou de Folk. Si je n’étais pas cinéaste, je serais musicien de rue à Austin, Texas. Quand j’ai fait TARNATION, j’avais la musique en tête avant l’histoire. La musique doit trouver un équilibre avec l’image : quand la musique ne souligne pas la scène, elle intervient en contrepoint. Je trouve par exemple très ironique de juxtaposer des chansons à la qualité d’écoute parfaite sur mes vieilles images en Super 8. L’idée d’une BO de luxe sur des images dégradées. C’est le même contraste que j’adore dans le folk, le temps d’une chanson triste, on s’aventure dans les ténèbres mais on en ressort avec quelque chose de bien, de nouvelles émotions. C’est ma règle, sans bonne musique, on ne va nulle part. Par exemple, le travail de Lars Von Trier sur la BO de BREAKING THE WAVES a été très important pour moi.
Une idée qui traverse le film est celle des univers parallèles. Pourquoi êtes-vous fasciné par cet aspect ?
Je suis fasciné par les univers parallèles depuis sept ans. Pour moi, c’est une métaphore d’une nouvelle vie. C’est l’idée qu’il y a quelque chose de plus vaste que ce qui se passe ici, qu’il s’agisse d’une vie après la mort ou d’un univers alternatif. C’est une question existentielle qui semble être dans l’air du temps. C’est peut-être dû au fait que les gens se demandent où est-ce qu’ils vont en ce bas monde, il y a beaucoup de choses apocalyptiques dans les consciences et les conversations. Du moins à New York ! De nombreux films ont un rapport avec l’idée d’un autre monde et du nôtre qui s’achève : RABBIT HOLE, ANOTHER EARTH, ou même MELANCHOLIA, TAKE SHELTER, TREE OF LIFE. Il y a la série TV LOST. Les univers parallèles sont une métaphore de l’inévitable : dans l’univers alternatif, ce qui se passe se produit. Cela veut dire, que même dans l’au-delà, je serais encore en train de m’occuper de ma mère.
Vous appréciez des réalisateurs de documentaires aussi différents que Frédéric Wiseman, Werner Herzog ou Michael Moore. Comment vous situez-vous parmi leurs différentes approches ?
Mes documentaires sont un mélange de rêve et d’histoires. C’est l’équivalent de tomber sur un documentaire tard la nuit sur Ray Charles, où des images du vrai Ray Charles se superposent à celles d’un enfant qui jouerait le rôle de Ray Charles. Le mélange de fiction et de faits doit produire la vérité : les séquences les plus fantasques dans WALK AWAY RENEE se substituent aux passages attendus des documentaires où les intervenants sont interviewés face caméra. Si je dois résumer l’humeur de mon film, ce serait celle d’une personne qui a vécu une vie et qui est train de la rêver à nouveau.
Avec WALK AWAY RENEE, pensez-vous être arrivé au bout d’un cycle ?
Peut-être est-ce la fin d’une trajectoire amorcée depuis mes neuf ans. Je crois en avoir fini avec l’histoire de ma vie. J’ai en tête beaucoup d’idées de fictions que j’ai envie de réaliser – de la science-fiction. Pas avec des vaisseaux dans l’espace ! Mais comme élément de surprise intrusif dans un milieu familier, domestique. Ou un western ! Mais sait-on jamais…
Qu’évoque le titre du film ?
Une chanson d’un groupe des années soixante, Left Banke, l’une des préférées de ma mère. C’est une chanson sur l’amour perdu et l’impossibilité de le retrouver. On peut trouver au titre une connotation négative, comme dire à quelqu’un de s’en aller. Pour moi, c’est d’abord l’image de ma mère qui s’en va sans pouvoir vraiment nous quitter.