Samnang, 20 ans, habite dans un immeuble historique de Phnom Penh. Le départ de son meilleur ami, la maladie de son père et la démolition imminente du bâtiment vont le faire grandir.
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Avec : Samnang Piseth Chhun • Le père de Samnang Sithan Hout • La mère de Samnang Sokha Uk • Ah Kha Chinnaro Soem • Tol Sovann Tho • Kanha Jany Min • Samphors Chandalin Y
Réalisé par Kavich Neang • Écrit par Kavich Neang et Daniel Mattes • Image Douglas Seok • Son Vincent Villa, Sopheakdey Touch • Montage Félix Rehm • Musique Jean-Charles Bastion • Décors Kanitha Tith, Anne-Sorya Fitte • Costumes Sovettorn Chea • Mixage Vincent Villa • Étalonnage Yov Moor • 1ère Assistante réalisateur Sreylin Meas • Directrice de production Camille Boulay • Producteurs délégués Davy Chou, Marine Arrighi de Casanova • Produit par Anti-Archive (Cambodge), Apsara Films (France) • En Coproduction avec Xstream Pictures (Chine), Kongchak Pictures (Cambodge), Rotha Moeng, Brandon Hashimoto • Avec la participation de CNC Aide aux Cinémas du Monde, Institut Français, Fonds Image de la Francophonie, Visions Sud Est, World Cinema Fund + Europe, Berlinale, FCF Allemand, Ministère Fédéral des Affaires Étrangères, Goethe Institut, Programme Creative Europe – MEDIA de l’Union européenne, Torino Film Lab, Doha Film Institute, Qumra
Kavich Neang
Kavich Neang est né à Phnom Penh au Cambodge en 1987. Il a réalisé cinq courts métrages depuis 2011. Il a d’abord étudié auprès de Rithy Panh, avant de rejoindre en 2013 la Busan Asian Film Academy. En 2014, il cofonde Anti-Archive en compagnie de Davy Chou et Steve Chen. Il rejoint la résidence Cinéfondation à Cannes en 2017/18. En 2019, son documentaire Last Night I Saw You Smiling remporte le NETPAC Award à l’IFFR, le Prix Spécial du Jury à Jeonju, la Meilleure Photo à Janela de Cinéma et deux récompenses au Tokyo FilmEx.
White Building est son premier long-métrage de fiction.
Filmographie
White Building (2021) Long-métrage
Last Night I Saw You Smiling (2019) (doc)
New Land Broken Road (2018) (cm)
Goodbye Phnom Penh (2015) (cm)
Three Wheels (2015) (cm)
Where I Go (2013) (doc)
A Scale Boy (2011) (doc)
ENTRETIEN AVEC KAVICH NEANG
❖ Quelle est l’histoire du White Building de Phnom Penh ?
Le White Building était une barre d’immeuble conçue par l’architecte cambodgien Lu Ban Hap et le franco-ukrainien Vladimir Bodiansky en 1963, suivant un plan d’urbanisme du modernisateur Vann Molyvann, à l’époque du roi Sihanouk. Cette résidence d’état, située en plein cœur de la ville, était destinée aux fonctionnaires du ministère de la Culture. Elle a été vidée de ses habitants pendant le régime des Khmers Rouges. Puis dans les années 1980, la population s’y est réinstallée, comme mon père, sculpteur. L’immeuble mal entretenu a vieilli, et au tournant des années 2000, il a commencé à avoir mauvaise réputation en raison de l’arrivée de drogués et de prostituées. Moi, j’ai grandi avec eux, c’étaient mes voisins. Cela faisait des années qu’on entendait des rumeurs de démolition. Et en 2014, on a appris que le gouvernement projetait de détruire le White Building pour développer la zone, en vendant le terrain à prix d’or à une compagnie japonaise. Ils ont proposé aux propriétaires une compensation financière, ce qui n’est pas souvent le cas dans les conflits fonciers, ou que des résidents soient relogés dans le nouveau gratte-ciel prévu en lieu et place, mais les habitants ont préféré prendre l’argent et partir. Le départ était déchirant, nous y étions tous très attachés, mais nous n’avions pas le choix… Le “Building” comme on l’appelait, a été détruit en 2017. Et en 2019, l’information a circulé que le terrain avait finalement été racheté par une compagnie hongkongaise qui veut y construire un casino…
❖ C’est ton premier long métrage, mais le White Building est une présence constante dans ta filmographie depuis tes premiers documentaires. Plus qu’un lieu de vie et un décor, il semble être la boîte noire de ton histoire ?
Oui, car c’est là où je suis né et j’ai grandi. C’était un immeuble unique qui était devenu emblématique d’une époque qui disparaît. On y vivait en communauté, des peintres, des musiciens, des couturières, la porte ouverte sur le couloir. Il y régnait une atmosphère spéciale qui m’a fait grandir en tant qu’artiste. Plus jeune, j’ai commencé par y faire de la danse traditionnelle avec l’ONG Cambodian Living Arts (CLA), puis j’ai rejoint leur petit studio d’enregistrement où j’ai appris à prendre le son, le montage vidéo, et j’ai commencé comme ça…
❖ Quels changements modèlent Phnom Penh ?
La ville est en transformation, de vieux immeubles disparaissent, des pans de notre passé, tandis que des condominiums, des centres commerciaux, et des magasins modernes climatisés poussent partout… Je remarque aussi la présence chinoise croissante. Mais je dirais que c’est surtout le rythme de la ville qui a changé. Les habitants sont plus stressés, il y a moins de place pour la langueur, mais ils restent les mêmes, la mentalité ne change pas. Je me considère comme un témoin de ces changements, liés en partie à la mondialisation. Aujourd’hui tout est plus rapide grâce aux nouvelles technologies. C’est une période intéressante pour un cinéaste ; documenter ces mutations, en faire partie, permet de créer du savoir et de la mémoire pour les générations futures.
❖ Comment as-tu abordé ce long-métrage, et quel rapport entretient-il avec le documentaire Last Night I Saw You Smiling ?
J’ai commencé à travailler sur ce projet en 2016 avec pour idée initiale de faire un long métrage de fiction qui suivrait de jeunes danseurs du Building, mais j’ai été ralenti par le long processus de financement, et par celui d’écriture. Lorsque les choses se sont précipitées dans la réalité, et que la destruction de l’immeuble a été confirmée, je ne pouvais plus me concentrer sur l’écriture. J’ai ressenti une évidence, une urgence à prendre une caméra prêtée par un ami pour saisir ce moment. J’ai filmé ma famille et mes voisins avec une équipe réduite, en me disant que ce documentaire pourrait faire partie du long-métrage. Mais au fur et à mesure, le documentaire a commencé à avoir sa propre voix, une existence propre, et c’est devenu Last Night I Saw You Smiling sorti en 2019. Il a influencé le long-métrage. Dans le documentaire je me sentais passif face à l’évacuation de l’appartement où je vivais avec mes parents, impuissant à combattre ces forces qui me dépassaient. Alors que dans le film, j’étais en mesure de mettre ces forces en scène, de créer des personnages consistants, en un sens de lutter contre le désespoir et l’oubli, afin de questionner le public, et créer du débat.
❖ Les personnages du film sont-ils inspirés de la réalité ?
Oui, le personnage principal du jeune homme, Samnang, est mon double, mais un double inversé. Il observe la situation, mais n’est pas passif, il pose des questions, et tente de se faire entendre. Le personnage du père ressemble au mien. Dans le film, son orteil s’infecte à cause du diabète. C’est ce qui s’est passé pour mon père dans la vraie vie. Comme beaucoup de Cambodgiens, il n’avait pas confiance dans les médecins, et il s’est entêté avec des remèdes naturels au miel ou au tamarin, avant d’être amputé… Quant à la mère, elle ressemble aussi à la mienne.
❖ La majorité des acteurs sont des non-professionnels, comment les as-tu rencontrés ?
J’avais travaillé avec deux d’entre eux pour mon court-métrage New Land Broken Road, tourné en 2017. À ce moment-là, je planchais déjà sur White Building, mais grâce à une bourse d’une télévision malaisienne, j’ai eu la possibilité de faire un court-métrage sur le thème de la jeunesse et l’amour. J’ai pensé que c’était l’occasion de pratiquer la fiction avant le long, et j’ai choisi une phrase que j’avais écrite dans le script, en tirant le fil d’une intrigue autour de jeunes danseurs. J’avais alors casté des danseurs de hip hop, c’est là que j’ai rencontré Piseth Chhun qui joue Samnang. Je l’ai aimé tout de suite, son côté brut, son charisme, et son innocence. Chinnaro Soem qui joue Ah Kha, faisait lui aussi déjà partie du casting. Au début, pour White Building je n’avais pas pensé à eux, ils se sont imposés peu de temps avant le tournage. Sovann Tho qui joue leur ami Tol est un circassien professionnel de l’ONG Phare Ponleu Selapak ; sa drôlerie et son naturel m’ont plu. Pour le père, c’était plus compliqué car les acteurs professionnels ont tendance à sur-jouer. J’ai rencontré Sithan Hout, c’est un cinéaste formé en Russie, qui donne aussi des cours de théorie du cinéma, et est comédien de lakhaon niyeay (théâtre parlé). Il a une légère paralysie en raison d’un accident, et je me demandais si ce ne serait pas trop puisque dans le film le père développe un handicap. Il s’est avéré être le bon choix, on l’a dirigé vers des nuances, afin qu’il trouve sa justesse. La mère, Sokha Uk, est-elle aussi une actrice de théâtre khmer moderne.
❖ Tes derniers films mettent en scène la jeunesse cambodgienne qui représente la majeure partie de la population, que vois-tu en elle ?
Les Cambodgiens ont un côté contemplatif, parfois un peu trop relax. La génération de mes parents est épuisée, elle s’est concentrée sur le travail, la sécurité, et porte le traumatisme de la guerre. Tandis que la jeune génération est plus dynamique, passionnée et rêve d’avenir. Grandir ici ne m’a pas encouragé à exprimer mes émotions, à parler de ma vie personnelle, de mon futur… Question de traditions et de culture. Et politiquement, nous ne sommes pas autorisés à prendre la parole. J’ai l’impression d’être dans un pays endormi parfois, car les choses ne bougent pas vite. En m’attachant au portrait de jeunes, j’espère toucher un public de jeunes et leur impulser du désir, de l’ambition, et de l’espoir, les encourager à s’ouvrir, et à développer leur esprit critique.
❖ En effet, dans White Building, la mère de Samnang le rabroue constamment lorsqu’il veut parler… Tes parents se sont-ils ouverts à toi sur ce qu’ils ont vécu pendant les Khmers Rouges ?
Mes parents m’ont un peu parlé de leur vie pendant les Khmers Rouges, mais surtout pour faire des comparaisons avec aujourd’hui, et nous dire à mes frères et sœurs et à moi qu’on n’avait pas à se plaindre, qu’on était privilégiés etc. Je voulais montrer cet aspect de la culture cambodgienne dans le film. Ici, on dit : “quand les grandes personnes parlent, n’interromps pas et contente-toi d’écouter”. Mais Samnang pose des questions, il porte un désir d’affirmation.
❖ Le film s’ouvre sur un travelling aérien sur le White Building, un bâtiment tout en longueur, puis plus tard dans le film, on découvre une architecture différente. Ce long métrage a été filmé après la destruction de l’immeuble, quelles contraintes cela a-t-il généré ?
C’est ce qui a été le plus dur pour moi, mais a généré le plus de créativité… Nous avons commencé la préparation du film en mars 2019 ; il n’y avait plus de White Building où j’avais initialement prévu de tourner, mais j’avais les images filmées pour le documentaire, 40 heures de rushs. Je ne voyais pas de lieu alternatif, j’étais comme aveugle, c’était dur pour moi de tourner la page physique du Building. Mon équipe a trouvé d’autres immeubles, comme Block Tan Pa et l’ancien Institut Pasteur, qui datent de la même époque. J’ai alors commencé à voir le Building comme un lieu symbolique, et à prendre de la distance avec mon histoire personnelle avec ce lieu. J’avais envie de raconter une histoire plus large, l’histoire qui se répète, à l’image de ce que m’a confié une résidente. Elle faisait le parallèle entre son départ contraint, et l’exil forcé vers les campagnes sous les Khmers Rouges. Ces deux autres immeubles auront sûrement le même destin que le Building. Ils sont devenus pour moi un espace plus abstrait où transposer mes émotions. Le travail de mise en scène a été fascinant : comment retrouver la force brute du réel ? Comment passer de l’image d’un bulldozer qui détruit votre maison, à une scène jouée par un acteur ? J’ai eu besoin de visualiser les scènes, de travailler mon découpage, les déplacements des personnages avant de trouver les décors. Petit à petit, j’ai réussi à me détacher du Building, et à faire confiance à mon équipe et aux comédiens pour l’interpréter eux-aussi.
❖ L’orteil du père est à l’image de la situation sociale du White Building, on assiste à une mise en scène du pourrissement, de la nécrose.
Oui, car la décrépitude de l’immeuble était une réalité ; quand il y avait de fortes pluies, nous avions des fuites d’eau dans l’appartement, au point parfois de devoir dormir sous un parasol ! Les résidents redoutaient qu’un jour l’immeuble nous tombe sur la tête. Le père tient le rôle de “chef du village”, il est en symbiose avec la communauté. Mais petit à petit, les voisins se détournent de lui, la division s’installe, les petites choses deviennent grandes, jusqu’à pourrir… Le père représente cette génération cassée, victime des Khmers Rouges, qui nous a transmis ses blessures. Si chaque individu est cassé, comment construire en commun ? Pour les politiciens, il est facile d’agiter des spectres, des menaces, la peur est un outil efficace. Aujourd’hui, inconsciemment nous sommes encore traumatisés, et notre société souffre toujours de cette maladie de la peur.
❖ Quel sens recouvrent les trois parties du film ?
La première partie Bénédictions représente l’insouciance de la jeunesse, lorsqu’on se souvient d’un jour particulier très heureux, comme dans un rêve, avant le réveil brutal, ce moment où on doit faire face à la réalité et être responsable. La deuxième partie, la Maison aux esprits est davantage liée à quelque chose d’invisible, une sensation de pression qui peut être d’ordre spirituel, religieux, ou culturel. Elle parle pour moi de l’anxiété, et du fossé générationnel. Jusqu’à la scène onirique qui est la transposition d’un rêve que j’ai fait. Selon nos croyances, rêver de quelqu’un en excellente santé, beau, bien habillé est annonciateur de malheur. Puis la troisième partie Saison de la mousson est plus douce-amère. Beaucoup de gens expulsés de la ville qui n’ont pas les moyens de se réinstaller reviennent dans leur village natal. Dans le film, c’est un lieu paisible, proche de la nature, mais c’est peut-être le lieu d’une réunion impossible pour la famille de Samnang. À l’image de la saison des pluies qui rafraîchit et ressource, tout en rendant un peu mélancolique, Samnang est entre deux eaux à la fin. On ne sait pas quel destin il va choisir : suivre sa famille ou prendre le large.
❖ Comment as-tu pensé l’image ?
J’ai imaginé une image différente de mes documentaires. J’avais en tête des films de Hou Hsiao-Hsien, ou d’Apichatpong Weerasethakul… J’ai travaillé à la photographie avec le coréano-américain Douglas Seok, ainsi qu’avec l’étalonneur français Yov Moor, habitué des collaborations en Asie. Yov a une approche très instinctive de l’image, on sentait ensemble si elle collait à l’émotion ou pas. Les couleurs suivent l’évolution de l’histoire : plus saturées, vivantes et joyeuses au début, la seconde partie est un peu plus douce, plus nette quand la réalité est plus saillante, et la troisième a des couleurs adoucies, un peu délavées, plus vintage.
❖ Il y a ce que le film montre et ce qu’il ne montre pas, ce qui reste en hors-champ, comme la violence de l’expropriation, mais aussi l’ouverture vers l’ailleurs. Comme dans Diamond Island de Davy Chou où planait la figure du parrain Américain, il y a ici le cousin français. Qu’est-ce-que cela représente pour toi ?
Le cousin représente la diaspora cambodgienne qui vit aux États-Unis, ou en Europe. Ceux qui vivent à l’étranger encouragent leur famille à les rejoindre, car ils perçoivent le Cambodge comme dangereux. Et puis, le hors champ permet aussi de créer un climat de tension. Samnang subit la pression du départ précipité de son meilleur ami, les obligations professionnelles de son père, son état de santé, le conflit avec sa sœur et l’environnement de la communauté… J’ai essayé de faire ressentir au spectateur cette pression inexorable dans l’atmosphère. Comme dans la scène avec le politicien que le père de Samnang rencontre dans la voiture. Il ne professe pas de menace directe, mais ses paroles douces et son attitude mielleuse sont plus évocatrices de l’approche d’un danger. Dans cette séquence, nous avons travaillé le son afin de créer une atmosphère ouatée, close, comme suspendue dans le temps, avant le drame. Même si nous subissons un contrôle social, et que les films doivent passer le filtre de la censure, au moins, je peux m’exprimer à travers mes films. C’est sans doute pour cela que l’art est fondamental dans un pays comme le Cambodge. L’art permet le partage de sentiments, la connexion, et une forme de libération.
❖ À 33 ans, tu as commencé ta carrière très jeune, mais dis volontiers ne jamais t’être imaginé réalisateur, quelles rencontres marquantes t’ont conduit là où tu es à présent ?
Je voulais faire du cinéma, mais il n’y avait pas d’écoles, alors un ami m’a présenté à Davy Chou en 2009, et j’ai participé à un atelier cinéma qu’il donnait à des étudiants. Ça a été une rencontre déterminante, puisqu’il m’a ouvert au cinéma en me montrant beaucoup de films, nous sommes devenus amis et nous avons aujourd’hui une société de production ensemble. C’est lui qui m’a parlé du cinéaste Rithy Panh, dont je n’avais encore vu aucun film, et m’a conseillé de rejoindre un atelier de documentaire qu’il dispensait au centre Bophana. Rithy Panh m’a aiguillé dans mon travail de documentariste, je me souviens qu’il me disait “d’être avec mes sujets”, et aussi que “la caméra est comme une arme : sois vigilant quand tu la pointes sur quelqu’un”.
❖ Comment as-tu constitué ton équipe ?
White Building est un projet important car c’est une des premières fois qu’un long- métrage cambodgien, dirigé par un natif, est soutenu par des productions internationales. Mon équipe technique était composée de mes amis, des collaborateurs de longue date, ayant tous de l’expérience dans les tournages de films indépendants, de court-métrages ou de clips vidéos. Chacun a accédé à un poste clé : Kanitha Tith en tant que directrice artistique, Sreylin Meas comme première assistante réalisation, Danech San comme assistante scripte, Douglas Seok qui avait déjà filmé mes court-métrages a tenu le rôle de directeur de la photo, Davy Chou celui de producteur délégué, Daniel Mattes, a été mon coscénariste et un producteur associé. Aussi, le film étant coproduit par la France avec Marine Arrighi et sa société Apsara Films, nous avons pu être rejoint par des techniciens français avec qui j’avais déjà travaillé avant : le sound designer Vincent Villa, le chef électricien Bertrand Prévot, et le monteur Felix Rehm. J’ai aussi pu compter sur le soutien de l’ONG locale Pour un sourire d’enfant (PSE) qui possède une section cinéma, une des rares formations professionnalisantes du pays ; une douzaine d’étudiants et de diplômés a participé au projet. Ça a été une grande première fois pour nombre d’entre nous, moi y compris, et c’était avant tout une chance d’apprendre et de grandir ensemble. Travailler avec des personnes qui me connaissent m’a aidé à prendre confiance en moi dans les moments de doute, et m’a stimulé, et m’a poussé à aller plus loin. J’ai le sentiment que l’on a repoussé des barrières ensemble. J’ai vraiment réalisé à quel point, dans le cinéma, comme dans la vie, on n’arrive à rien seul !
❖ Que représente l’industrie cinématographique au Cambodge ?
Le marché cambodgien est minuscule ! Nous sommes une petite population (16 millions) qui va peu au cinéma, même si le nombre de multiplex a explosé ces dernières années. Peu de films sont produits localement et la plupart sont des films de genre : comédie, horreur, et films romantiques, même si des groupes comme Kongchak Pictures, notre coproducteur local, font bouger les choses. Mais ces films sont en concurrence avec de grosses productions hollywoodiennes, chinoises ou thaïlandaises. Et les jeunes regardent des films sur internet. Le financement est l’autre enjeu de taille. Même si le Ministère de la Culture nous soutient via sa Direction du Cinéma et la Commission du film du Cambodge, il y a zéro argent public pour le cinéma, donc il faut aller chercher les fonds à l’étranger. Il n’y a pas d’école de cinéma, et les standards professionnels restent bas. Il y a aujourd’hui beaucoup de jeunes intéressés par ces métiers, mais il y a plus de réalisateurs que de producteurs !
❖ C’est pour cela que tu as cofondé Anti-Archive en 2014 avec le franco-cambodgien Davy Chou et l’américano-taïwanais Steve Chen ?
Oui, dans l’idée de produire nos films et d’accompagner l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes. Nous sommes la seule société de production à proposer des films que je qualifierais de “cinéma lent”, des films proches du réel, personnels, attachés aux questions de mémoire. Ces films peuvent paraitre ennuyeux aux yeux du public cambodgien qui aime se divertir, s’évader, rêver en grand. Mais même les grosses productions locales, plus originales et bien ficelées ne font pas de bénéfices ! Je me suis donc résolu à ne pas vivre de ma passion, mais à vivre ma passion, ce qui me procure un sentiment de liberté.
❖ Comment Jia Zhang-Ke a rejoint l’aventure ?
Le projet avait été sélectionné en 2016 à l’Asian Project Market de Busan. Puis, lorsqu’on s’est mis autour de la table pour parler de la production, on s’est demandé pourquoi ne pas chercher du côté asiatique ? En feuilletant le catalogue du festival, nous sommes tombés sur Jia Zhang-ke, et comme nous sommes fans de ses films et qu’il s’intéresse à des problématiques proches de White Building en lien avec la transformation urbaine, et pratique aussi le documentaire, nous l’avons contacté et lui avons envoyé le script. Et il a répondu positivement, et est devenu notre coproducteur ! Comme quoi, il faut toujours tenter sa chance. ■
Propos recueillis par ELÉONORE SOK-HALKOVICH