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Film soutenu

ZIYARA

Simone Bitton

Distribution : JHR Films

Date de sortie : 01/12/2021

France, Maroc, Belgique - 2020 - 1h20 - DCP

Au Maroc, la ZIYARA (visite des saints) est une pratique populaire que juifs et musulmans ont toujours eu en partage.
Le film est un road movie au pays natal, un pèlerinage cinématographique où la réalisatrice va à la rencontre des gardiens musulmans de sa mémoire juive.

Festival international du film du Caire 2020 / Cinéma du Réel 2021
Filmmaker International Film Festival 2020 – Milan – Prix du Meilleur Film

Scénario et réalisation Simone Bitton • Image Jacques Bouquin • Assistante caméra Soukaina Belghiti • Son Ghita Zouiten • Montage Dominique Pâris • Assistante montage Sonia Ahnou • Assistante de réalisation Merieme Addou • Montage son Frédéric Fichefet • Bruitages Philippe Van Leer • Mixage Emmanuel de Boissieu • Etalonnage Frank Ravel • Producteur délégué Thierry Lenouvel • Co-producteurs Lamia Chraibi, Olivier Dubois • Une coproduction Ciné-Sud Promotion (France) – La Prod (Maroc) – Novak Prod (Belgique) • Avec le soutien de Centre Cinématographique Marocain (CCM), Aide aux Cinémas du Monde (CNC-Institut Français), Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles
En coproduction avec
Metafora Production, TV 2M (Maroc) VOO et BeTV, Shelter Prod
Avec le soutien
du Tax Shelter du Gouvernement fédéral de Belgique et le soutien de
PROCIREP et ANGOA

Simone Bitton

Simone Bitton est née au Maroc et a fait des études de cinéma en France (IDHEC). Elle a vécu à Rabat, à Jérusalem et à Paris, et vit actuellement entre la France et le Maroc. Avant ZIYARA, elle a réalisé deux longs métrages documentaires qui ont été distribués en salles, en France et dans une dizaine
de pays. MUR, en 2004 et RACHEL, en 2009. Auparavant, elle avait réalisé une quinzaine de films et séries documentaires pour la télévision. De styles différents, allant du montage d’archives à la méditation cinématographique, en passant par l’enquête intime, l’essai, le road-movie, le portrait d’écrivain ou de musicien, ses films témoignent d’un engagement humain et professionnel pour une meilleure appréhension de l’actualité, de l’histoire et des cultures d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Son engagement est aussi celui de la rigueur formelle et du regard personnel assumé.
Depuis 2014, elle enseigne au département cinéma de l’Université de Paris VIII. Elle encadre aussi des stages de réalisation documentaire aux Ateliers Varan, ainsi que des ateliers documentaires au Maroc.

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

Que veut dire le mot « ZIYARA » ?
ZIYARA est un mot arabe pour dire pèlerinage, mais c’est aussi une visite, un voyage. Au Maroc, où je suis née, où j’ai grandi jusqu’à l’adolescence, on l’utilise surtout dans le contexte du culte des saints. La « visite » des marabouts est une pratique populaire très ancrée à la fois chez les musulmans et chez les juifs.

De quels « saints » parle t-on ici ?
Les saints sont des sages, des guérisseurs, des soufis ou des kabbalistes, des figures protectrices et légendaires. Leurs tombeaux, souvent surmontés de coupoles, parsèment le paysage. Parfois il n’y a pas de tombe, le saint est dans une source ou au pied d’un arbre, en bord de mer, dans une grotte ou un rocher. J’ai lu chez les anthropologues qu’il y avait plus de 650 saints juifs au Maroc, et parmi eux plus de 150 saints partagés, c’est-à-dire vénérés à la fois par les juifs et par les musulmans.

Comment est venue l’idée du film ?
L’idée du film est partie de ce partage de croyances. Au Maroc, les juifs représentaient une communauté de plus de 250 000 âmes jusqu’aux années 50. Aujourd’hui, leur présence s’est réduite à une peau de chagrin, quelques centaines de familles au plus. J’ai voulu voir ce que les sanctuaires juifs étaient devenus après leur départ. Je voulais voir ce qui restait d’eux, ou plutôt de nous, de moi, dans les paysages et dans les coeurs.

Comment la mise en images de ces sanctuaires a pu s’incarner ?
Cette idée de faire un road movie qui serait un pèlerinage profane où j’irai à la recherche des lieux de mémoire juifs a pris un tournant décisif lorsque j’ai commencé à rencontrer les gardiens musulmans de ces sanctuaires, mais aussi de cimetières et de synagogues. Ce sont pour la plupart des personnes très croyantes, humbles et modestes, des musulmans absolument sincères dans leur rapport à la sacralité des lieux juifs dont ils ont reçu la charge en héritage familial. A leur contact, une sorte de miracle est arrivé à la mécréante que je suis ! Alors que j’avais commencé les repérages en parlant en français ou en m’aidant d’un traducteur, soudain la langue de l’enfance qui était enfouie au fond de moi-même m’est revenue aux lèvres, et je me suis mise à parler en « Darija », le dialecte Arabe marocain que je croyais avoir complètement oublié.

Est-ce que le film a changé du fait d’avoir « retrouvé » cette langue ?
Oui, du coup, il est tourné en Darija, avec très peu de scènes en français et une seule séquence en anglais. Mon parler marocain est émaillé de mots français, espagnols, moyen-orientaux, il est un peu ébréché, mais il est mien et ne laisse aucun doute sur mon identité première. Dès que j’ouvre la bouche les gens savent d’où je suis et ils devinent à peu près tout de mon parcours, pas besoin de le leur expliquer. Ils devinent que je suis partie enfant, que j’ai vécu en Israël, puis en France, mais que le Maroc est mon paysage d’enfance, que c’est à partir de là que je me suis construite avant d’accueillir par la suite d’autres identités en moi, et que rien ne pourra jamais rien y changer, et tant mieux. C’est ainsi que ce titre en Darija, ZIYARA, s’est imposé avant même le tournage.

Jusque-là vous avez surtout fait des films au Moyen-Orient, des films plus liés à l’actualité et à la tragédie palestinienne, comme MUR ou RACHEL. ZIYARA marque-t-il un tournant avec vos thèmes de prédilection ?
Non, je ne crois pas. Tout d’abord, ce n’est pas le premier film que je fais au Maroc. En 2001, j’ai réalisé pour ARTE un portrait de Mehdi Ben Barka, le dirigeant de la gauche marocaine kidnappé et disparu à Paris en 1965. Il n’a pas été diffusé à la télévision au Maroc, mais il a énormément circulé en cassettes, en dvd, et il circule encore sur la toile où il est piraté sans que je n’y vois d’inconvénient ! Je le présente régulièrement dans des structures associatives et des écoles de cinéma, et à chaque projection l’accueil est incroyable. Les Marocains ont besoin de se pencher sur leur histoire, ils ont besoin de films rigoureux et bien documentés et il m’importe beaucoup de répondre à ce besoin impérieux, qui est aussi le mien, de nous raconter nous-même. Mais c’est vrai que ZIYARA est mon premier film de cinéma tourné au Maroc, il représente une continuité pour moi. J’ai l’impression de toujours faire le même film, de toujours tourner autour des mêmes obsessions. Le thème de ZIYARA s’inscrit dans une démarche qui est la mienne depuis plus de trente ans. Dans beaucoup de mes films, je sonde et je raconte, par l’image et le son, les relations entre juifs et Arabes. Je l’ai surtout fait en Palestine et en Israël, où j’ai souvent filmé le pire. Au Maroc, j’ai voulu filmer aussi ce qui relève du meilleur et qui s’est terminé trop tôt, comme on dit de quelqu’un qu’il est mort trop jeune.

On ne vous voit pas dans le film, mais on entend votre voix. Vous interrogez et vous échangez avec les personnages. Votre présence est très marquée. Comment et pourquoi avez vous choisi ce dispositif ?
Ma voix est celle d’un personnage candide en voyage, qui salue et qui mène la conversation, une voix que l’on guide et qui guide le film. La caméra filme ce qu’elle voit, le film rencontre ceux avec qui elle passe un moment. Cette « revenante » qui visite son pays natal ressemble beaucoup à ce que je suis, mais ce n’est pas tout à fait moi. C’est un personnage que j’ai déjà mis à contribution dans d’autres films, en particulier dans MUR (2004) où une voix qui parlait tantôt en hébreu et tantôt en arabe laissait un doute sur son identité et se mettait au centre des contradictions pour recueillir la complexité de la relation entre Israéliens et Palestiniens. Il s’agissait de moi et de ma voix, mais j’étais en représentation, ma présence et mon identité plurielle provoquant la parole pour mieux la recueillir. Pour ZIYARA, je reprends ce personnage judéo-arabe en même temps que sa fonction de révélateur du réel, sans laisser cette fois planer le doute sur mon identité.

Est-ce que votre double culture surprenait vos interlocuteurs ?
Au Maroc ma configuration identitaire ne pose aucun problème, ce n’est pas une provocation d’être à la fois juif et Arabe, juif et berbère, juif et Marocain. Bien au contraire, j’ai choisi ce dispositif de tournage car il met en confiance et s’inscrit dans le quotidien. Les Marocains ont l’habitude de voir débarquer chez eux des juifs nostalgiques en pèlerinage sur les lieux de leur enfance ou sur les tombes de leurs ancêtres, un appareil photo ou une caméra vidéo à la main. La rencontre avec une femme juive sexagénaire qui fait sa « ziyara », son pèlerinage, délie les langues et ouvre les cœurs des personnages musulmans, il déverrouille la mémoire commune. Quant à moi, il m’est très facile de « jouer » ce personnage de « primo revenante », même si dans les faits, depuis de nombreuses années, je passe presque autant de temps au Maroc qu’en France !

Sur la forme, il y a une chose un peu étonnante, c’est un road movie mais il se passe presque entièrement en plans fixes…
Il y a quand même quelques travellings ! La caméra se permet quelques panoramiques sur un paysage aussi, comme celui des ruines de l’ancien quartier juif d’Illigh, dansl’anti-Atlas. Parfois on suit même les gestes d’un personnage, comme dans la séquence où on s’attarde sur les mains de la
conservatrice du Musée juif de Casablanca, qui caresse un rouleau de Torah en le dépoussiérant avec précautions. Mais oui, c’est vrai, l’essentiel du film est en plans fixes, et parfois j’ai voulu que ces plans durent. J’ai voulu donner le temps de voir, et de bien voir, d’observer, peut-être de méditer sur ce que je montre et ce que je raconte. Le plan fixe, surtout lorsqu’il dure, permet de scruter le cadre, d’y découvrir des petits détails, il libère l’imaginaire du spectateur. Ziyara tente de raconter l’absence par l’image. Lorsqu’on regarde bien, les absents reviennent remplir le cadre, mais il faut prendre le temps de bien regarder pour qu’ils surgissent. Parfois ce sentiment est d’autant plus fort que j’ai fait suivre le plan fixe d’une photo ancienne prise dans le même lieu, et l’image se remplit effectivement des juifs qui sont partis.

Vous utilisez des photos, mais aucune archive filmée. C’est un choix ou c’est parce qu’il n’y en a pas ?
Cela fait partie du même parti pris esthétique. Il existe des archives filmées des juifs marocains avant leur départ, et aussi des archives filmés des juifs qui s’en vont. Elles sont de manière générale très fabriquées et mises en scène de manière grossière. Ces archives institutionnelles coloniales sont de surcroit souvent déplaisantes tant les clichés orientalistes et antisémites y sont marqués. Après quelques recherches, j’ai très vite préféré utiliser des photographies de manière très parcimonieuse et ciblée. Les photos renvoient exactement aux lieux du tournage, elles sont prises par des juifs, souvent au sein de leurs propres famille ou par des photographes locaux musulmans qui accueillaient juifs et musulmans dans leurs studios. Je n’aime pas ces cartes postales soit-disant anthropologiques montrant des femmes juives orientales en costumes traditionnels, couvertes de bijoux des pieds à la tête, où l’on voit bien que le photographe s’intéresse plus au costume et aux bijoux qu’à la personne ! Il y a dans le film une seule photo de femme en costume traditionnel, celle de ma mère le jour de son mariage. Même si son costume et ses bijoux sont magnifiques, c’est la beauté de son visage et son sourire de bonheur qui sautent aux yeux.

Mais vous ne dites pas qu’il s’agit de votre mère, le spectateur ne le sait pas.
Oui, c’est la limite entre le film personnel et le film intime. Je n’y raconte quasiment rien de ma propre histoire familiale, mais je ne m’empêche pas d’y glisser en douce une photo de ma mère et une de mon père ! Je raconte aussi à un antiquaire de Rabat que mon père et mon grand-père y étaient bijoutiers. Mes photos de famille ressemblent aux autres et mon histoire familiale est celle d’une famille juive qui a été déracinée, comme des dizaines de milliers d’autres familles juives marocaines. Je ne voulais pas faire un film de plus sur le traumatisme des juifs arrachés à la terre natale.
Ce traumatisme est réel, il doit certes être raconté et analysé, j’aimerai par exemple voir des films sur la manière dont les juifs marocains ont été mal accueillis en Israël et ce qu’ils y sont devenus. Mais le sujet de ZIYARA est tout autre.

Mais c’est quand même votre film le plus personnel…
Incontestablement. Lors de ce tournage, j’ai reproduit les gestes de ma mère, de mes tantes, de mes grands mères, qui allaient allumer des bougies et demander protection et réconfort aux saints lorsqu’un enfant était malade, lorsque la vie était dure, ou lorsqu’elles avaient du vague à l’âme. Mais c’est surtout le traumatisme des musulmans qui m’a intéressée, leur sentiment de perte, leur regret de ne pas avoir su garder la composante juive de leur société. L’un des personnages parle d’amputation, un autre se demande ce que le Maroc serait devenu si les juifs étaient restés, un troisième, pourtant jovial, tout d’un coup est étranglé par l’émotion, ne trouve pas ses mots et ne réussit pas à retenir ses larmes. Tout cela, qui est très sensible au Maroc, dessine un sentiment collectif de gâchis historique qu’il m’importait de laisser s’exprimer à l’écran. J’avais moi-même besoin de me consoler de certaines choses, et ces rencontres m’ont effectivement consolée, et même réconciliée avec une certaine idée de la fraternité humaine, bien au delà de ce que je pouvais imaginer.

Un autre étonnement : les paysages. Ils ont souvent très beaux, mais ce n’est pas vraiment ceux qu’on a l’habitude de montrer du Maroc. …
Le road movie, c’est un peu dangereux à cet égard. Plusieurs de mes amis marocain avaient un peu peur que je ne revienne du tournage avec des images trop jolies. On me disait : « Ne fais pas un dépliant touristique s’il te plaît ». Je les rassurais en riant car je savais qu’il n’en serait rien. Je suis très sensible à cette question, je l’ai beaucoup travaillée aussi dans MUR qui est également un film où le paysage est un personnage à part entière. Le Maroc est beau, c’est une platitude que de le dire. La nature y est belle, et l’homme y a ajouté des merveilles architecturales et artisanales. C’est un pays de lumière et de couleurs qui a attiré les peintres du monde entier. Mais c’est aussi un pays ou les campagnes sont pauvres et parfois misérables, où le ciment et les parpaings remplacent peu a peu le superbe pisé traditionnel, où les lieux de culture manquent, où les diplômés chômeurs sont légion, et la liste est longue lorsqu’on se donne le temps de voir. ZIYARA ne fait l’impasse ni sur le beau ni sur le déglingué. C’est un film qui parle du passé, mais qui filme le présent, comme tous les films documentaires. Nous avons même évité le cliché du temps ! La pluie nous a souvent accompagnés, mais la pluie au Maroc est une bénédiction pour les cultures comme pour le cinéma : un ciel d’orage dit beaucoup plus de choses qu’un ciel bleu de vacances !

Vers la fin du film, on quitte la campagne pour la ville, les conversations prennent un tour plus intellectuel, plus politique. Le charme et l’émotion des rencontres avec les gardiens de sanctuaire laissent la place à une certaine inquiétude…
Oui, c’était un équilibre difficile à trouver au montage. Je ne voulais pas que le charme et l’émotion de cette belle histoire de fraternité fasse sombrer le film dans une mièvrerie alors que nous vivons une période très sombre et dangereuse. La fin du film rappelle que ce récit marocain est aujourd’hui une exception dans un monde rempli d’islamophobie, d’antisémitisme et de xénophobie.
Une haine autodestructrice commence à se généraliser aujourd’hui, particulièrement en France, entre juifs et musulmans. Pour ces deux communautés originaires du Maghreb dont je me sens également proche, c’est une aberration qui m’empêche littéralement de vivre, parfois même de respirer. Mon film est le fruit d’une grande inquiétude politique et d’un déchirement intime. Il constitue pour moi une réponse symbolique aux pyromanes de tous bords qui dressent les cultures et les identités les unes contre les autres au lieu de tout faire pour les réconcilier.

Le film sort plus d’un an après sa complétion, plus de deux ans après son tour-nage. Est ce dû à la pandémie ?
Oui. Le confinement de mars 2020 a interrompu plusieurs mois la post production. Il y a un énorme embouteillage de films et ZIYARA est un documentaire sans véritable accroche à l’actualité, il est donc particulièrement fragile. La pandémie a également amputé l’exposition internationale que l’on espérait. Mais tous les spectateurs ressentent désormais le film comme une formidable évasion du confinement. Moi même, lorsque je le regarde aujourd’hui, je me dis que c’est presque irréel, cette liberté qu’on avait de sillonner un pays, le voyage est redevenu le plaisir qu’il avait cessé d’être, il prend sa juste valeur. Le road movie, à mes yeux, c’est la noblesse du cinéma documentaire. C’est en tous cas celui qui me procure le plus de plaisir, comme cinéaste et comme spectatrice.

Avez-vous un nouveau film en projet ?
Oui, il commence là où ZIYARA se termine, sur les mots de l’écrivain Edmond Amran Elmaleh que j’ai cité sur la dernière image. C’est un grand écrivain francophone, un marocain juif, ancien dirigeant communiste dans la lutte pour l’indépendance, disparu il y a une dizaine d’années. Il est peu connu en France mais aimé et respecté au Maroc. Personne ne lui a jamais consacré de film. Je vais combler ce manque, en partant de son œuvre pour évoquer son destin.