Peace tu us in our dreams de Sharunas Bartas
Film soutenu

Peace to us in our dreams

Sharunas Bartas

Distribution : Norte Distribution

Date de sortie : 10/02/2016

Lituanie - France - 1h47

Un père, sa fille et sa compagne se rendent dans leur maison de campagne pour le weekend. Au cœur d’une nature resplendissante, partagée entre forêts et lacs, d’étranges voisins troublent l’harmonie qu’ils sont venus chercher. Aux alentours, un jeune garçon erre avec son chien et trouve bientôt, à la lisière du bois, un fusil de chasse.

FESTIVALS
Cannes 2015 – Quinzaine des Réalisateurs
Festival International du Film de La Rochelle 2015
Haifa International Film Festival 2015
Rio International Film Festival 2015
Estoril 2015
Stockholm International Film Festival 2015
Riga International Film Festival 2015
Baltic Film Festival 2015
Sevilla European Film Festival 2015

Scénario et réalisation : Sharunas Bartas • Production : Jurga Dikciuviene, Sharunas Bartas • Co-production : Aleksandr Plotnikov (Look Film), Janja Krajl (KinoElektron), Vincent Wang (House on Fire) • Image : Eitvydas Doshkus • Première assistante : Jurga Dikciuviene • Régie générale : Julija Matulyte • Décors : Audrius Dumika, Julija Matulyte • Son : Sigitas Motoras, Benjamin Laurent, Daniel Gries, Vladimir Golovnitskiy, Jean-Guy Véran • Montage : Gintare Sokelyte • Costumes : Agnija Vitkovskaya • Musique originale : Alexander Zekke

Sharunas Bartas

Né en 1964 à Siauliai, en Lituanie, Sharunas Bartas est diplômé de l’école de cinéma VGIK à Moscou. Il fonde en 1989 Studija Kinema, le premier studio de films indépendants en Lituanie. Dès ses premiers films, Sharunas Bartas rencontre un grand succès critique. Trois Jours, Corridor et Few Of Us ont construit un univers rare et sensible dont son huitième long-métrage, Peace To Us In Our Dreams, continue de témoigner.

Filmographie

2017 – Frost (Quinzaine des Réalsiaterus, Cannes 2017)
2015 – Peace To Us In Our Dreams (Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2015)
2010 – Indigène d’Eurasie (Forum, Berlinale 2010)
2005 – Seven Invisible Men (Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2005)
2000 – Freedom (Compétition, Mostra de Venise, 2000)
1997 – The House (Un Certain regard, Cannes 1997)
1996 – Few of Us (Un Certain regard, Cannes 1996)
1995 – Corridor (Compétition, Mostra de Venise 1995, prix FIPRESCI)
1991 – Three Days (Forum, Berlinale 1992, prix FIPRESCI)
1990 – In Memory of the Day Passed By (court métrage)
1986 – Tofolaria (court métrage)

ENTRETIEN AVEC SHARUNAS BARTAS

Aviez-vous une idée directrice, ou un point de départ ?
Je crois que tous les films que je fais, au fond, parlent de moi, partent de mes expériences et de ce que je ressens. Les années passant, cette matière devient plus riche, et de ce fait, cette fois, j’ai eu le sentiment que je pouvais m’appuyer sur ce matériau de manière plus directe, plus explicite, sans passer par des détours romanesques. C’est comme dans un livre, on peut dire “je” ou on peut dire “il” tout en s’exprimant de manière personnelle. On dit que dans la poésie, même de manière sous-entendue, c’est toujours sur le mode du “je”, sauf que le “je” du poème n’est jamais exactement le vrai “je” de celui qui écrit. Je suis dans le même cas en disant “je” avec ce film.

Dans ce film où aucun personnage n’a de nom, on est dans une situation instable, entre “je” et “il”.
Oui, cela me permet de rendre plus ouvert chaque personnage. Si je revendiquais trop clairement ma propre place, mon “je”, les autres personnages deviendraient seulement ce que je perçois d’eux, alors qu’il s’agit au contraire de laisser se déployer la multiplicité des personnalités.

Avez-vous beaucoup écrit pour préparer ce film ?
Oui, j’ai travaillé avec plusieurs partenaires d’écriture, là aussi ce sont des essais, des phases transitoires. A la fin, je n’ai pas utilisé grand chose de ce que nous avions écrit, mais c’était des étapes nécessaires. Bien sûr à un moment a existé un scénario, c’est indispensable pour le travail avec les producteurs, et la recherche de financement, mais les liens entre ce scénario et le film lui-même sont assez incertains. Le film naît tout autant de la rencontre avec les acteurs, de la découverte des lieux, etc. La plupart des composants bougent en permanence. Pour moi, l’essentiel est ce qui arrive dans le temps réel de la fabrication du film, c’est là qu’il y aura, ou pas, du cinéma. Mais il y a bien un synopsis, rédigé relativement tôt. Si quelqu’un le lisait aujourd’hui, il reconnaîtrait ce qui est dans le film à l’arrivée.

La place des plans larges de nature était-elle prévue à l’avance ?
D’une manière générale oui, même s’il a pu y avoir des modifications au montage. Il est très important d’avoir de l’espace, surtout si le film se concentre sur un petit groupe de personnages. Cet espace n’est pas forcément dans la nature, mais d’une manière ou d’une autre il faut que ça respire. Autant que possible, je choisis des lieux que j’aime, qui m’inspirent, que je ressens comme des ouvertures, et qui offrent aux personnages davantage de ressources. Je ne filme jamais un paysage pour lui-même, ce qui m’intéresse ce sont les connections entre les espaces et les gens. Cela donne de l’humanité aux paysages et de la sauvagerie aux humains, il y a un effet croisé.

Pour la préparation, utilisez-vous aussi des éléments visuels, des dessins, des tableaux, des photos ?
Je fais beaucoup de photos, des visages et des lieux. Et aussi des essais avec une petite caméra vidéo. La seule question décisive est: qui est où ? Ces photos et ces vidéos m’aident à expérimenter des réponses possibles à cette question.

On vous a déjà vu comme acteur, dans vos films et ceux d’autres réalisateurs, mais là c’est un peu différent, jusqu’à un certain point vous jouez votre propre rôle. Aviez-vous prévu depuis le début de jouer ce personnage ?
Je me suis posé la question. Je n’aime pas beaucoup jouer, mais dans ce cas il m’a semblé que c’était la meilleure solution. Cela augmentait les chances que le film ressemble à ce que je cherchais, et qui n’est pas forcément clair pour les autres.

A part vous-même, qui sont les personnes que nous voyons sur l’écran ?
Ce sont pour la plupart des acteurs non-professionnels. Celle qui joue ma fille est ma fille. Lora Kmieliauskaite, qui joue la violoniste, est vraiment violoniste, pas actrice, les habitants de la ferme sont des villageois, mais pas le garçon. Seule Klaudia Korshunova, la femme qui arrive en voiture, est une actrice professionnelle, elle est russe et d’ailleurs cette partie du dialogue est en russe, ce qui introduit une dimension différente, puisque tout le reste est en lituanien. Pour les autres interprètes, on dit que ce ne sont pas des acteurs mais pour moi tout le monde est acteur. Tout le monde compose un personnage, ou plusieurs, dans la vie réelle. Tout le monde veut apparaître sous tel ou tel jour, et pour cela utilise son visage, son langage corporel, ses mots et ses manières de parler, ses vêtements, parfois du maquillage, etc. C’est bien cela, jouer, nous le faisons tous. On peut évidemment faire la distinction entre non-professionnels et professionnels, qui ont l’habitude d’être payés pour ça, qui en font un métier et souvent travaillent de manière poussée des procédés, mais selon moi ça n’a pas de sens de faire une différence entre acteurs et non-acteurs.

Ecrivez-vous des dialogues pour les différents interprètes ?
Cela peut arriver, mais c’est rare. J’écris des thèmes, des sujets pour chaque scène, rarement plus. La grande majorité des scènes est improvisée, à partir d’un canevas. Par exemple, le dialogue de mon personnage avec sa fille à propos de la réalité et de l’imagination est l’enregistrement d’une véritable conversation que j’ai eue avec elle, il n’y avait pas de dialogue à l’avance, mais ensuite on tourne plusieurs prises, où de nouvelles choses apparaissent, c’est vraiment dans le mouvement de nos relations. J’ai tourné beaucoup plus que ce qu’on voit à l’arrivée, j’explore de multiples directions.

La colère de la paysanne contre Beethoven était une idée de vous ?
Non, c’est elle qui a réagi ainsi, ce n’était pas prévu du tout. Et d’ailleurs, je suis convaincu qu’à un autre moment elle aurait dit tout autre chose. Mais à ce moment-là, c’est ce qu’elle ressentait, ce qu’elle voulait exprimer. Et je l’ai enregistrée. Ce que décrit cette séquence est assez courant : on essaie de partager ce qu’on ressent avec d’autres, et les gens réagissent par l’incompréhension ou l’hostilité. Parce qu’ils ont leur propre sensibilité et leurs propres soucis, et qu’ils ne partagent pas du tout les vôtres. C’est l’une des petites thématiques du film.

Où se passe le film ?
A la campagne, mais pas très loin de Vilnius. C’est un endroit où j’ai vraiment vécu, une maison où j’ai vraiment habité. Dans une certaine mesure, le rapport des personnages au lieu est fondé sur des expériences réelles, même si la maison a été en partie transformée pour le film.

Le film comporte un moment émouvant lorsque vous, ou votre personnage, retrouvez les vidéos de Katia Golubeva (qui fut l’actrice et l’interprète des premiers films de Sharunas Bartas, et est la mère d’Ina Marija Bartaite, qui joue la fille. Katia Golubeva est morte le 14 août 2011).
Il m’est arrivé pratiquement ce qu’on voit dans le film, je suis en effet retombé sur des images vidéos de Katia, et d’Ina Marija toute petite, de manière inattendue. Je savais que ces images existaient mais je ne savais plus où elles étaient, et je ne les cherchais pas. Cette découverte s’est produite alors que le film était déjà tourné, et j’ai ajouté cette séquence après avoir numérisé ces images tournées avec la vidéo de l’époque.

La mise en scène de ce film est assez différente de celle de vos films précédents, avec notamment souvent des plans brefs, par opposition aux plans séquences qui sont considérés comme une caractéristique de votre style.
Je ne me suis pas dit : je vais changer de style. Ce sont les situations qui dictent la façon de filmer. Bien sûr à l’origine il y a des décisions, qui concernent les rapports entre les personnages, l’attention portée aux émotions, qui commandent des manières de tourner et de monter. Je n’ai jamais fait du plan séquence une règle ou un dogme, pour moi, dans mes précédents films, c’était souvent la réponse nécessaire au cas par cas, scène par scène. En tournant Peace To Us In Our Dreams, je n’avais pas du tout l’impression d’un changement de méthode, même si je comprends qu’on trouve le résultat différent.

On retrouve en revanche un usage parcimonieux des mots, qui est aussi depuis vos débuts une caractéristique de votre cinéma. Mais cette fois, cela devient un thème explicite du film.
Souvent les gens disaient que je n’aime pas les mots. C’est inexact. J’aime les mots, je les connais bien, je sais ce qu’ils signifient. C’est pourquoi j’en use avec exigence. Les mots peuvent, selon les cas, réduire ou agrandir les rapports entre les personnes et avec le monde. C’est une interrogation sans fin.

Plus qu’une difficulté avec les mots on ressent une difficulté au dialogue, au partage, qui d’ailleurs se manifeste d’abord par la rupture du dialogue entre le violon et le piano.
Sans doute mais je ne réfléchis pas comme ça. Je ne me pose jamais la question de la signification d’une scène ou d’un ensemble de scènes. Pour moi, se demander “pourquoi” serait destructeur. Lorsque je regarde un visage, ou le ciel, j’essaie de rendre compte de ce qu’ils m’inspirent, de la manière dont je les perçois. Mais je ne pas. Dans la vie, il arrive qu’on doive expliquer la logique ou les raisons, même si c’est souvent difficile, mais dans les films, ce n’est pas ce qui compte. En tout cas pas dans les miens.

Que se passe-t-il avec Studija Kinema, la société de production que vous avez créée à Vilnius ?
Elle fonctionne, elle est active. Studija Kinema est le producteur principal de Peace To Us In Our Dreams, et produit également des films d’autres réalisateurs lituaniens. Bien sûr la situation est difficile, mais n’est-ce pas toujours le cas ?

Depuis 2000, cinq années séparent chacun de vos films. Cela tient-il à ces difficultés ?
Pas forcément, il a pu y avoir des causes différentes. Parfois en effet il s’agit de difficultés de financement, mais parfois c’est dû à la mise en oeuvre d’autres projets, et parfois à la nécessité de prendre du recul. Dans le cas de ce film, j’ai eu besoin de temps pour élaborer la forme que je voulais donner au projet. J’ai fait de nombreux essais, des esquisses qui allaient dans de nombreuses directions, avant de préciser mon approche. J’ai réécrit, et puis j’ai tourné des séquences qui sont allées à la poubelle, mais qui ont été des passages utiles pour avancer.

(Entretien réalisé par Jean-Michel Frodon à Paris, mai 2015)