Dead slow ahead de Mauro Herce
Film recommandé

Dead Slow Ahead

Mauro Herce

Distribution : Potemkine Films

Date de sortie : 05/10/2016

Espagne, France - 2015 - 1h14 - DCP

Embarqué pendant plusieurs mois à bord du My Fair Lady, le réalisateur Mauro Herce livre un portrait hypnotique de ce gigantesque cargo et des marins qui l’habitent, submergés par un monde industrialisé dont ils ne semblent être que de simples engrenages.
« Dead slow ahead » est la vitesse des navire la plus lente en marche avant, de ceux qui semblent à la dérive alors qu’ils attendent leur future destination – déterminée, pour le My Fair Lady, par le cours des matières premières qu’il transporte.
Mauro Herce a imaginé filmer « le dernier navire de  l’espèce humaine : un vaisseau à bord duquel l’équipage aurait échappé à la fin du monde, poursuivant ses actions mécaniques et soumis aux exigences de ce monstre d’acier qu’il continue d’entretenir jusqu’à l’inconscience. Dead Slow Ahead dessine les contours de ce cauchemar très contemporain, sans toutefois le condamner ou le dénoncer. Je cherche avant tout à capter les images les plus primitives et essentielles de cet univers où l’homme est tout petit face à une machine de métal qui fait peser sur lui une sentence immense et accablante. »

Prix Spécial du Jury – Festival de Locarno 2015

Scénario MAURO HERCE, MANUEL MUNOZ • Direction de production LAURA CORREDERA • Production exécutive JOSE ALAYON (El Viaje Films), VENTURA DURALL (Nanouk Films) JASMINA SIJERCIC, MAURO HERCE (Bocalupo Films) • Directeur de la photographie MAURO HERCE • Montage MANUEL MUNOZ • Montage son DANIEL FERNANDEZ, ALEJANDRO CASTILLO, MANUEL MUNOZ, CARLOS E. GARCIA, JOSE M. BERENGUER

Mauro Herce

Né à Barcelone en 1976, Mauro Herce passe un diplôme d’ingénieur et poursuit des études d’art avant d’intégrer l’école Louis-Lumière de Paris. Avec Ocaso, il débute en 2010 comme directeur de la photographie et scénariste puis se consacre à l’image pour El quinto evangelio de Gaspar Hauser (2013) ou encore Mimosas, présenté à la Semaine de la Critique en 2016. En France, il collabore avec Armel Hostiou pour Rives (2011) et Une histoire américaine (2015).
Dead Slow Ahead, son premier long métrage en tant que réalisateur, a reçu le Prix Spécial du jury au festival de Locarno.

ENTRETIEN AVEC MAURO HERCE

Quelle est la genèse de votre film ?
J’ai grandi près de la mer, à Barcelone. Je regardais toujours à l’horizon ces cargos qui attendaient. Enfant, je me demandais à quoi pouvait bien ressembler la vie là-bas. Plus tard, j’ai appris que la plupart du fret mondial était déplacé par voie maritime. J’ai alors pris conscience qu’un mode de vie en mer correspondait à cette réalité qui était aussi liée à nos modes de vie de « pays développés ».
Il y a cinq ans, je travaillais comme chef opérateur sur un film au Chili et j’ai commencé à rencontrer des dockers sur le port de Valparaiso. À cause de la crise, ils avaient du temps libre. Ils m’ont expliqué que leurs familles en savaient très peu sur leur vie en mer. J’aurais aimé commencer à filmer à ce moment-là mais j’avais besoin de fonds pour produire le film. J’aurais aussi eu besoin du consentement de leur chef, ce qui n’était pas près d’arriver.
En tant que cinéaste et chef opérateur, j’aime travailler dans des lieux spécifiques et y rester. Je veux prendre le temps, saisir comment les gens s’y déplacent et comment je me sens dans cet espace, prendre le temps de comprendre la culture locale et son fonctionnement. Cet environnement maritime était idéal car cela me laissait beaucoup d’espace pour concevoir le film. J’ai besoin de saisir une certaine plasticité des lieux. Le cargo se prêtait à un dispositif très cinématographique car il avait un aspect figé mais était pourtant en perpétuel mouvement.
En tant que cinéaste, je passe ma vie loin de chez moi et cela demande des sacrifices sans doute semblables à ceux que font les marins. Ils doivent s’engager dans ce mode de vie et espérer s’y adapter. Et je me suis dit qu’en faisant la traversée avec eux, je pourrais peut-être apprendre quelque chose sur moi-même.

Comment avez-vous trouvé le navire My Fair Lady et comment cela s’est-il passé avec l’équipage ?
Il m’a fallu deux ans pour trouver le cargo My Fair Lady. J’ai essayé auprès de capitaines, de propriétaires de bateaux et de compagnies de transport marchand, ça a été une recherche épuisante. L’un d’entre eux voulait que je paye en tant que passager mais je voulais pouvoir me déplace librement et ne souhaitais pas compliquer ma relation avec l’équipage. Je voulais être un des leurs.
Généralement, j’appréhende le tournage dans un esprit de collaboration et je donne aux gens une raison de participer. J’ai besoin qu’ils aient envie d’être là. Sur ce film, c’était plus compliqué. J’ai d’abord eu un mur d’hommes pas très accueillants face à moi. Après quelques semaines, les relations sont devenues plus amicales. On a bu ensemble. Le capitaine les poussait à participer mais j’ai insisté pour que ce soit vraiment leur désir.

Le cargo vous était-il étranger lorsque vous avez embarqué ? D’où vient la sensation de science-fiction qui s’en dégage ?
Avant de tourner, j’ai passé du temps dans le port de Barcelone, à photographier les grues, les machines. Je me posais la question de comment les cadrer. Si quelqu’un avait vu cela cent ans plus tôt, il aurait cru à de la science-fiction. Nous avons réfléchi à la représentation du futur dans les films de science-fiction – l’anticipation de l’étrange – mais là, le futur était dans l’instant présent. Nous avons souhaité présenter ce paradoxe entre quelque chose qui donne l’impression de venir du futur mais qui, en même temps, fait déjà partie du passé. Quelque chose de nouveau et d’obsolète à la fois.
Sur le bateau, les matelots avaient une salle où ils pouvaient regarder des films. Nous avons vu beaucoup de films de science-fiction ensemble – dont certains très mauvais. Et j’ai été frappé par la ressemblance entre l’univers du bateau et celui de ces films : téléphones satellitaires, voix donnant des ordres via des interphones, avertissements sur les zones de danger. Parfois, on entend une voix de femme préenregistrée, très étrange dans ce groupe d’hommes. Les ports et les paysages semblent être ceux d’une autre planète. Cette sensation de science- fiction n’était pas tellement loin de la réalité. Cette impression s’est renforcée au fil du temps. Au montage, nous avons poussé cette idée encore plus loin en manipulant le son, en classant les images et en alternant certaines ambiances.

Vous qui êtes aussi chef opérateur, comment avez-vous abordé le film ?
Plus que le sujet, ce qui m’intéresse c’est la façon dont on regarde la réalité, comment on veut la montrer, à quelle distance, avec quel point de vue singulier. Je ne savais pas comment je me sentirais une fois embarqué sur le navire. Si je faisais confiance à l’expérience – j’ai confiance en la réalité car c’est comme cela que je tourne en tant que chef opérateur – les choses commenceraient à surgir de cette confrontation entre mon intuition et la réalité. Je veux apprendre quelque chose du monde que je filme. C’est plus qu’un travail : c’est une nécessité, une obsession.
J’ai enregistré près de deux cents heures de rushes en deu mois et demi. Je ne savais pas clairement ce que je voulais faire mais je savais ce que je souhaitais éviter : l’anecdotique et les références au cinéma que je connaissais. J’allais attendre l’imprévu et suivre ce chemin.

Comment avez-vous travaillé avec l’environnement sonore ?
La plupart des sons du film proviennent du navire lui-même, bien qu’il n’y ait clairement aucune correspondance avec les images. L’enjeu du son était l’élaboration de l’atmosphère du navire. Nous cherchions à éviter une bande- son, mais il y a des moments où le son est trafiqué, en particulier sur la scène du karaoké et celle où le blé est jeté à la mer dans un mouvement répétitif qui évoque une rituel incantatoire. Avec l’ambiance sonore, nous souhaitions créer une sensation d’enfermement, rappelant le côté hermétique et froid du navire.

L’accident à bord du bateau est traité de façon tellement calme qu’il pourrait sembler comme mis en scène. Était-ce un concept narratif ?
Le potentiel désastre que l’on voit ne concerne pas le naufrage du navire, mais l’avarie du chargement de blé qui, à l’arrivée, serait refusé par le client. Que faire de cette marchandise avariée ? Pendant un mois, à l’aide de seaux et de cordes, les matelots ont remonté le blé vers le pont et l’ont jeté à la mer – il est interdit de se débarrasser de quoi que ce soit à proximité des côtes.
Ils ont travaillé à la main dix-sept heures par jour. Tout le monde était épuisé pour le repas de Noël que le cuisinier avait préparé ; un repas de fête qui fut triste et silencieux. Cependant, dans le film, nous avons délibérément rendu abstraits les détails et conséquences de l’accident ; le spectateur est perdu, car il n’y a aucune façon de déterminer combien de blé se trouve dans les cales. Tel Sisyphe et son rocher, l’équipage n’a d’autre choix que d’effectuer cette tâche, qui semble interminable.