Film soutenu

Vic+Flo ont vu un ours

Denis Côté

Distribution : UFO Distribution

Date de sortie : 04/09/2013

CANADA – 2013 – 1h36 – 1.85 – son 5.1 – DCP

Victoria, une ex-détenue sexagénaire, s’installe dans une cabane à sucre retirée en forêt après avoir purgé une longue peine en prison. Sous la surveillance de Guillaume, un jeune agent de libération conditionnelle empathique, elle tente d’apprivoiser sa nouvelle liberté en compagnie de Florence, avec qui elle a partagé des années d’intimité. Mais des fantômes du passé pourraient mettre en péril leurs retrouvailles.

Festival de la Rochelle 2013 – Sélection officielle
Festival paris cinéma 2013 – Sélection officielle – en compétition
Prix Alfred Bauer – Festival de Berlin 2013

Victoria PIERRETTE ROBITAILLE • Florence ROMANE BOHRINGER • Guillaume MARC -ANDRÉ GRONDIN • Jackie/Marina St-Jean MARIE BRASSARD • Émile Champagne GEORGES MOLNAR • Nicolas Smith OLIVIER AUBIN • Charlot Smith PIER-LUC FUNK • Yvon Champagne GUY THAUVETTE • Complice de Jackie RAMON CESPEDES • Le pilote de GoKart DANY BOUDREAULT • La gérante du bar JOHANNE HABERLIN • L’amant TED PLUVIOSE • Le cadet RAOUL FORTIER -MERCIER

Produit par STÉPHANIE MORISSETTE et SYLVAiN CORBEIL • Image IAN LAGARDE • Son FREDERIC CLOUTIER et STÉPHANE BERGERON• Direction artistique COLOMBE RABY
Costumes PATRICIA MCNEIL• Maquillage coiffure MAÏNA MiLiTZA • Montage NICOLAS ROY • Musique originale MÉLISSA LAVERGNE • Productrice associée NANCY GRANT• Une production LA MAISON DE PROD et META FiLMS

Denis Côté

Né en 1973 au Nouveau-Brunswick et établi à Montréal (Canada), Denis Côté fut critique de cinéma avant de passer derrière la caméra avec une série de courts métrages expérimentaux. Les états nordiques (2005) a lancé sa carrière internationale après avoir remporté le Léopard d’or de la compétition vidéo du Festival de Locarno et le Grand Prix indieVision du Festival de Jeonju (Corée du sud). Son premier long métrage pose les premiers jalons d’une démarche évoluant à l’écart des modes: mise en scène minimaliste, travail entre acteurs chevronnés et non-professionnels, environnements naturels à l’écart du monde et brèches narratives deviendront les matériaux de prédilection avec lesquels Denis Côté imposera sa marque.
Tourné avec des acteurs de théâtre bulgares, une équipe réduite et un financement non-institutionnel, Nos vies privées (2007) permettra à Denis Côté de brouiller davantage les frontières entre le cinéma expérimental, le film de genre et le cinéma-vérité, tout en accentuant son désir de s’éloigner du cinéma narratif traditionnel. Au Québec, le mode de production privilégié par Denis Côté pour ses deux premiers films attire l’attention des médias et inspire d’autres cinéastes-cinéphiles émergents à tenter l’aventure d’un cinéma «Do It Yourself» personnel et sans compromis. Avec Elle veut le chaos (2008), Denis Côté détourne les codes du film noir et tourne un huis clos rural monochrome à partir d’un scénario labyrinthique aux accents beckettiens. Pour ce faire, il fait appel pour la première  fois à la directrice photo Josée Deshaies (L’Apollonide, La question humaine), qui collaborera avec lui sur deux autres projets, ainsi qu’à un casting composé de comédiens vétérans et de nouvelles têtes. Le film obtient le Léopard d’argent en compétition officielle à Locarno, puis faitpartie du palmarès des 10 meilleurs films de l’année établi par Jean-Michel Frodon, alors rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma. Le réalisateur renoue avec un mode de production guérilla l’année suivante sur Carcasses(2009). Conçue dans le cadre d’une résidence d’artiste, cette improbable rencontre entre un authentique brocanteur de ferraille solitaire et une milice d’autistes romantiques est remarquée par la Quinzaine des réalisateurs, qui invite le film à Cannes. Le film sera programmé dans de nombreux festivals internationaux et sera distribué au Canada, aux États-Unis ainsi qu’au Brésil. En 2010, il réalise le moyen métrage Les Lignes ennemies, sa première collaboration avec l’acteur québécois Marc-André Grondin, qui incarne l’un des combattants d’un bataillon perdu en forêt. Curling(2010) marque ensuite une étape importante dans la carrière de Denis Côté. Porté davantage sur les dialogues et des personnages à la fois riches et désoeuvrés, le film remporte deux prix – Mise en scène et Interprétation masculine – au Festival de Locarno, et permet au réalisateur de percer pour la première fois auprès du grand public. Puis, ni documentaire, ni oeuvre figurative,Bestiaire (2012) déconstruit la représentation traditionnelle des animaux au cinéma et confronte la notion de spectacle au grand écran. Lancée à Berlin (section Forum) et à Sundance, cette coproduction Canada-France se retrouve sur le palmarès «The Best Movies You May Have Missed in 2012» du New York Times.

En 2013, Vic+FLo ont vu un ours est présenté en compétition à la 63e Berlinale, et il lui est décerné le prix Alfred Bauer récompensant la créativité.

ENTRETIEN AVEC DENIS CÔTÉ

Quelle a été la genèse de Vic + Flo ont vu un ours qui semble être le pendant solaire de Curling, film hivernal ?
Je reste hanté par la question de l’à côté du monde. Il y avait quelque chose à dynamiter après Curling, de nouveaux genres à visiter, une ligne droite à casser, oser écrire pour des femmes fortes, retrouver des monstres…J’avais très peur du mélange des énergies et des tons. Ça a été mon moteur pour écrire quelque chose d’engageant à propos de deux personnages qui continuent de faire le pari de vivre à côté de ou même sans le monde.

Comment avez-vous écrit le scénario ? Vous inscrivez en effet Vic et Flo dans des décors (la cabane à sucre, la route, la forêt) qui s’apparentent à un no man’s land dans lequel ces deux personnages féminins tentent de construire et poursuivre une relation.
J’avais tourné partout autour de cette cabane à sucre (Elle veut le chaos en 2007, Les Lignes ennemies en 2010). À cause de ou malgré le manque d’éclat et les murs d’aluminium, j’avais envie d’y inscrire une histoire intime. Je trouve des lieux, je pense à des gueules puis je remplis les espaces. J’écris à l’instinct. Je n’ai pas souvent d’idée claire du début à la fin. Je laisse l’histoire se retourner sur elle-même. Vic + Flo ont vu un ours est un serpent qui glisse et se choisit un itinéraire. Je crois que c’est le premier scénario que j’ai écrit dans le plaisir.

Quelle est votre approche des dialogues ? Ils vous permettent de distiller un humour singulier, qui agit en contrepoint de la dimension tragique du film.
C’est terrible les dialogues. On a toujours l’impression qu’ils disent trop ou qu’ils sont trop anodins. Il y a toute une gamme de notes justes à trouver. Il n’y a aucune recette. Si je pouvais vous la révéler… Dans Vic + Flo ont vu un ours, il y a un côté tragique que je n’avais pas avant. Dans le drame, tout est verrouillé, on ne peut pas se permettre beaucoup de choses. La tragédie amène plus de fulgurances. Ce n’est pas pour rien qu’on accole au mot “tragique” celui de “comique” : “tragi-comique”. On ne peut pas dire “dramatique-comique”, ça donne “comédie dramatique” qui est une expression complètement tiède. Tout était plutôt stable dans Curling, qui avançait de façon ronronnante sur le chemin du drame. Cette fois-ci, je me suis permis beaucoup plus d’humour, de dialogues, et de la tragédie. Dans Vic + Flo ont vu un ours, il y a de gros moments de dérapage que je ne me serais pas autorisé dans Curling : de la violence, du grotesque. C’est comme si je frappais toujours un peu à la porte timidement, que ce soit les feux d’artifice dans Elle veut le chaos ou les cadavres gelés dans Curling, et là on y va un peu plusfort, en cassant des jambes à coups de batte de baseball. Les femmes m’ont peut-être évoqué cela. C’était enfoui. Toucher au tragi-comique et dévier du drame était libérateur.

Quelle a été votre travail sur les ellipses narratives, caractéristiques de votre univers ?
On m’a toujours félicité ou reproché de laisser le passé ouvert ou de nourrir les “trous” dans mes histoires. Je me méfie de ces “bravos” comme de ces “remontrances”. Vic + Flo ont vu un ours est beaucoup moins mystérieux que Curling. J’ai moins cherché à larguer mon spectateur. Mais je reste convaincu qu’il y a une élégance à cacher puis à remplir le passé des deux protagonistes. Je serai toujours un spectateur qui aime déterrer le pourquoi des histoires et des intentions. Si on me donne tout, j’abandonne. Je ne me sens pas respecté. Je fais du cinéma pour les cinéphiles qui ressentent la même chose. J’ai tellement en moi la relation avec le spectateur. Tout ce qui a été écrit sur Bestiaire, mon dernier film, par exemple, m’a beaucoup plu. J’ai l’impression que le véritable sujet de mes films est ce que le spectateur peut y mettre pour interpréter le sujet. Je ne suis personne pour venir commenter l’état dans lequel le spectateur se trouve. Ça me rend fou de joie car je sais qu’il y a autant de spectateurs que de façons de voir les films. Même si je me fais taper sur les doigts, si on me dit que je ne peux pas laisser le spectateur dans cet entre-deux, je m’en fous, je vais tenir jusqu’à la fin. C’est presque un combat que je veux mener pour redonner la liberté au spectateur d’associer les images, les sens et le passé des personnages. Ces trous que je laisse dans mes films vont probablement me suivre toute ma vie.

Guillaume, l’agent de libération conditionnelle interprété dans le film par Marc-André Grondin, est-il votre alter ego ? Il écoute et observe la réinsertion des deux femmes aux ambitions et tempéraments de plus en plus éloignés.
Mon alter ego… je ne crois pas. Je suis beaucoup plus malicieux que lui. Guillaume a été difficile à créer car il ne veut rien de plus que de faire son travail. Il est bon au sens fonctionnaire du terme. Il n’influence pas l’histoire. Il la laisse rebondir sur lui. C’est un personnage qui pour moi est la “petite voix de la société”, “la petite chanson de la sagesse”. Je ne voulais pas qu’on le craigne ; je ne voulais pas qu’on se moque de lui non plus. C’est un baromètre plus qu’un confident et Marc-André lui donne un dos bien droit. J’adore ce qu’il propose.

Vic et Flo veulent se soustraire d’une certaine société et se demandent si vivre en autarcie ne serait pas une bonne idée, et même une nécessité. Le film s’interroge sur la capacité de chacun à vivre hors du monde, voire à le fuir en permanence.
C’est ce que le film renferme de plus autobiographique. Ce monde ou cette société, pour moi, c’est celle du cinéma aussi… Créer et suivre sa voie en marge, ça peut durer combien de temps et au prix de quels sacrifices ? Je suis un mauvais citoyen en général. Je dois avouer que dans
l’entité Vic + Flo, il y a des parts de moi.

Comment s’est déroulé le casting du film et opéré notamment le choix des deux actrices, Pierrette Robitaille et Romane Bohringer ?
Romane n’a pas été là dès le départ. On s’est trouvé d’une façon simple,géniale, et rapide. Tout a fonctionné comme si nous devions nous rencontrer depuis toujours. Sa voix bien sûr, ce côté enfant sauvage aussi : Flo, c’est elle. J’ai écrit le personnage de Vic pour Pierrette Robitaille. Rien ne devait réunir nos univers mais j’y ai cru. Elle peut offrir quelque chose de très écorché et de très maternel en même temps. Elle souffle le chaud et le froid dans chaque scène. Vic + Flo ont vu un ours met en scène deux femmes qui sortent de prison et réapprennent à vivre à deux, il y avait donc beaucoup de tenants et d’aboutissants psychologiques. Il fallait donc absolument que je parle avec mes deux actrices pour que nous nous confrontions. Sur la plausibilité de rapports sexuels entre une femme de 38 ans et une autre de 62 ans, par exemple. Elles ont parfois fait dévier les dialogues quand elles estimaient qu’il y avait des répétitions. Ça me faisait du bien. Il y a tellement d’acteurs qui laissent tout au metteur en scène et se disent : “Il se comprend, tant mieux”.

Dans Vic + Flo ont vu un ours, votre utilisation de la musique est inédite et inattendue.
La musique annonce le programme. Ces percussions tournent les pages de chapitres. La musique n’accompagne pas l’action, elle ne fait que prédire les bouleversements du conte cruel à venir. Elle est minimale mais chuchote au spectateur que tout peut arriver. C’est ainsi que j’aime utiliser la musique au cinéma.

Vous êtes attaché à une certaine représentation de la violence au cinéma : hors-champ, fulgurante et tirant vers l’immobilisation de ses personnages. Elle apparaît dans le film comme un happening, une rupture totale avec le récit.
Oui, avec un goût pour le grotesque. Quelque chose s’annonce… Mais de quelle nature? J’aime bien dire que c’est un film sur la fatalité. On peut tout construire ou tout essayer dans la vie, si une voiture doit nous passer sur le corps à un moment donné, et bien ce sera ça et rien d’autre. C’est tragicomique et il me fallait ce spectacle à la fin. Mais pour parler plus élégamment, je voulais trouver une façon singulière de réunir Vic et Flo pour l’éternité.

Vic + Flo ont vu un ours raconte aussi la difficulté de l’expression de l’amour à la personne aimée : dire «je t’aime» est une épreuve à surmonter.
Elles se le disent dans le film mais pour se réconforter, sans être toujours certaines de le penser. Ce ne sont pas des “je t’aime” qui sonnent. Ce sont des “je t’aime parce que toi et moi, c’est contre les autres”. Ce sont deux guerrières contre le monde. Je ne pense pas que ce soient de grandes amoureuses.

Entretien réalisé par Morgan Pokée et Nicolas Thévenin (Répliques)