Film recommandé

Careless Crime

Shahram Mokri

Distribution : Damned Films

Date de sortie : 03/11/2021

Iran / 2h14 / 5.1 / Scope

Quatre individus se préparent à incendier un cinéma lors d’une projection d’un film particulièrement attendu : des militaires ont retrouvé un missile non explosé près d’une source mystique où des étudiantes organisent une séance de cinéma. En 1978, l’incendie du Cinéma Rex à Abadan, en Iran, a fait 478 morts. Certains le considèrent comme l’élément déclencheur de la révolution iranienne.

Prix Bisato d’Oro du meilleur scénario original à la Mostra de Venise / Prix du jury au Chicago International Film Festival / Prix du meilleur scénario au Dhaka International Film Festival / Sélection officielle au festival de Rotterdam

Avec : Mohsen Babak Karimi • Elham Razieh Mansouri • Takbali Abolfazl Kahani • Majid Mohammad Sareban • Yadollah Adel Yaraghi • Fallah Mahmoud Behraznia

Réalisation et montage Shahram Mokri Scénario Nasim Ahmadpour, Shahram Mokri Image Alireza Barazandeh Musique Ehsan Sedigh Son Parviz Abnar Décors et costumes Amir Esbati Effets spéciaux Mehdi Ghezloo Production Negar Eskandarfar, Karnameh Institute of Arts and Culture

Shahram Mokri

Shahram Mokri est né à Marand en 1977. Il réalise un premier long-métrage, Ashkan, The Charmed Ring And Other Stories en 2009, puis trouve pleinement son style avec Fish And Cat (2013), une œuvre nourrie au cinéma de Gus Van Sant, à la physique quantique et aux tableaux d’Escher. Adoptant le principe du plan-séquence, il annihile le préjugé voulant que cela soit synonyme de temporalité linéaire. Avec une maestria exemplaire, il multiplie les allers-retours temporels, les situations se répétant, souvent avec d’infimes variations. Au-delà de la performance technique, Fish And Cat est une vraie critique du choc des générations et du système iranien. Il sera un vrai succès dans son pays et tournera dans plus de 60 festivals, tandis que Kiarostami lui-même lui rend un hommage direct dans son ultime film 24 Frames. En 2018, Shahram Mokri pousse l’expérimentation encore plus loin avec Invasion et son jeu de reconstitution de faux semblants et de jeux de miroirs à rendre fou.
En 2020, il présente à Venise son 4ème long-métrage, Careless Crime.

ENTRETIEN AVEC SHAHRAM MOKRI

ORIGINE DU FILM

« A l’époque de la Révolution iranienne, il y a quarante ans, l’un des moyens utilisés par les manifestants pour perturber l’ordre public était de mettre le feu aux cinémas. Les films et les cinémas étaient vus comme des produits de la vie occidentale et américaine. Le plus grand incendie a été celui du cinéma Rex où des centaines de personnes ont perdu la vie. Après la révolution, un procès a été ouvert pour juger le seul terroriste survivant. La captation de ce procès a été notre principale référence, la base du scénario. La dimension politique de l’incendie, du procès et des circonstances qui ont suivi a donné lieu à l’un des cas les plus complexes de l’histoire de la révolution. Il y a deux théories opposées et répandues sur l’incendie du cinéma Rex. D’un côté on raconte que les incendiaires étaient des agents du Shah et de l’autre, qu’ils étaient des partisans de la révolution. Mais le film s’éloigne de cette polémique politique, et s’attache avant toute chose au cinéma. Je craignais qu’il y ait des problèmes pour diffuser le film en Iran en raison de la sensibilité du sujet. Mais nous venons d’obtenir l’autorisation de le projeter. Careless Crime est un film sur le cinéma, sur une image fixe du cinéma datant de 40 ans. »

CINÉMA

« Je crois que le film est un passage entre le musée du Cinéma et un événement dans l’histoire du Cinéma, comme lorsque vous êtes dans une exposition. Le couloir sombre amène à cette conception, il nous conduit vers une autre période, où l’on découvrirait l’histoire du cinéma iranien au travers d’un film en particulier. On évoque beaucoup le film The Deer dans Careless Crime, c’est l’un des films les plus importants en Iran. Le réalisateur Masoud Kimiai et l’acteur Behrouz Vossoughi sont parmi les plus grandes célébrités du cinéma iranien. Même sans avoir vraiment tourné depuis quarante ans, avec la diffusion de ses films interdite et vivant désormais aux États-Unis, Behrouz Vossoughi reste encore la plus grande star pour toutes les générations. Après la révolution, l’usage de vidéos et les films d’avant la révolution n’étaient pas autorisés. Et The Deer a été une exception, sans doute parce que la tragédie du cinéma Rex a joué un rôle important dans la victoire de la révolution iranienne. »

TEMPORALITÉ

« Le film se déroule sur trois couches. Dans la première, on suit l’histoire de quatre personnes qui veulent mettre le feu à un cinéma. Dans la deuxième, nous regardons le film sur l’écran du cinéma, montrant cet obus non explosé et le camp des jeunes femmes dans la montagne. Ces deux couches sont claires et semblent bien cadrées. Mais la troisième couche nous montre le public qui attend au cinéma pour voir le film. Quelle est la différence entre cette couche et la première ? Le simple fait qu’on n’est jamais tout à fait sûr de la période durant laquelle se déroule la première. Et c’est toute l’histoire du film, se situer quarante ans en arrière, avant la révolution en Iran, ou aujourd’hui à Téhéran.

Nous avons travaillé avec Nasim Ahmadpour à l’écriture de ces trois couches avec une base très mathématique, sur laquelle nous plaçons les détails et les composants. Il fallait équilibrer tous les points importants du scénario pour les trois histoires. Nous nous sommes beaucoup documentés sur l’incendie du cinéma Rex. Nous avons finalement décidé de limiter toute l’histoire au jour principal de l’événement et de ne raconter que ce jour-là, ce qui s’est exactement passé, en évitant de traiter des différentes interprétations de l’histoire, notamment politiques. Cela ajoutait à la difficulté d’écriture, car nous ne voulions pas mentionner les motifs ou les antécédents de la vie des personnages.

Les plans-séquence sont une approche à laquelle je suis très attaché. Je prends un peu de recul avec Careless Crime, mais il se situe dans la continuation de mes deux précédents films, Fish And Cat et Invasion. Ils explorent tous la centralité du temps. Ils proposent chacun des choix de narration particuliers et des situations individuelles traitées sous des angles différents. Mais ici, l’histoire se déroule sur plusieurs périodes et lieux. Pour créer l’impression que nous sommes dans un autre temps et arriver progressivement au présent, j’ai utilisé un univers de thriller. L’histoire démarre dans le temps présent et à Téhéran, mais après la rencontre avec la marionnette, on repart dans le passé. Le temps est un des éléments les plus importants de mes films. C’est en général mon principal défi, définir le temps. Aussi, dans ce film, je suis parti d’un événement historique pour faire face au sens du temps. Une tragédie qui s’est produite il y a quarante ans en Iran, et que je regarde comme une tragédie contemporaine. Avec comme unique question : est-ce que quelque chose a changé depuis quarante ans ? Et le film prend alors une dimension surréaliste. Les rues, les bâtiments et les costumes du début du film datent d’il y a quarante ans en Iran. Puis progressivement, ils se transforment petit à petit pour rejoindre l’Iran d’aujourd’hui. Nous devions tourner uniquement les après-midis, ou la nuit, pour assurer la continuité des scènes. L’éclairage devait donner la sensation qu’on était en fin d’après-midi au moment du coucher du soleil. Si l’on manquait quelques minutes, on risquait de rater toute la journée. Le temps quotidien et le temps historique nécessitaient un sens du détail assez méticuleux. »