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Editos, Exploitation

Edito – avril 2023

En septembre 2022, M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture, ont missionné M. Bruno Lasserre, ancien vice-président du Conseil d’Etat et ancien président de l’Autorité de la concurrence, pour réfléchir à des propositions permettant de moderniser les outils de régulation dans le secteur du cinéma. 
Cela arrivait à un moment où la profession était en pleine ébullition et en pleine réflexion, à la fois inquiète des conséquences de la crise sanitaire (fréquentation en berne, nouvelles stratégies des studios américains, explosion des plateformes et changements de comportement des spectateurs…) et de la multiplication des signes d’une libéralisation décomplexée dans la nouvelle politique du CNC, au mépris de ce qui fonde le modèle de l’exception culturelle : la défense des structures indépendantes, de la pluralité des œuvres et des expressions singulières qui ne pourraient exister si les logiques du marché étaient seules à prévaloir et si, à l’instar des « champions nationaux de Jérôme Seydoux », il fallait désormais s’ouvrir plus largement  à des critères de performance et de rentabilité pour la redistribution des aides. Sans compter sur le brouillage grandissant des frontières entre cinéma et audiovisuel. 
Autant d’inquiétudes qui ont poussé la profession à se mobiliser très largement et à réclamer l’organisation par les pouvoirs publics d’États généraux du cinéma. Se réfugiant derrière les concertations en cours avec les différentes organisations professionnelles et l’attente des conclusions du rapport Lasserre, le CNC a toujours botté en touche et la tenue d’états généraux du cinéma dépendra surtout de la capacité du collectif qui s’est créé autour de cet appel à les organiser. En attendant, le collectif envisage de se structurer en constituant une association et, pour maintenir la mobilisation, des groupes de travail interprofessionnels se réunissent à intervalles réguliers pour apporter une analyse précise de la situation et réfléchir aux perspectives afin de défendre le cinéma indépendant. Il est indéniable qu’au cœur de nombreuses discussions professionnelles, les enjeux de régulation sont systématiquement convoqués, avec, d’un côté, une vision libérale selon laquelle la reconquête du public passe par une offre commerciale attractive sans l’intervention des pouvoirs publics qui risquerait d’être « contreproductive », de l’autre, les partisans d’un renouvellement – en faveur de la diversité culturelle – de mécanismes considérés comme désormais déréglés.
C’est donc dire si le rapport de Bruno Lasserre était très attendu. Ce dernier ayant fait le tour des popottes pour ses auditions et ayant récolté des avis et préconisations sans doute très nuancés voire diamétralement opposés, il était intéressant de vérifier comment il allait concilier les différents points de vue, faire la synthèse et se faire sa propre opinion. Le rapport « Cinéma et régulation – Le cinéma à la recherche de nouveaux équilibres : relancer des outils, repenser la régulation » a été remis ce lundi 3 avril aux deux ministres. En une centaine de pages et 4 parties, Bruno Lasserre dresse des constats et dessine des perspectives pour la régulation du cinéma, lesquelles s’articulent autour de 13 propositions qu’il estime « équilibrées et praticables » sans être révolutionnaires. Sans entrer dans les détails, on peut considérer qu’il a cherché à ménager la chèvre régulatrice et le chou libéral : « Ce sont des propositions dans lesquelles, nous l’espérons, le maximum des acteurs du cinéma français pourront se retrouver dans un équilibre donnant-donnant. Plus de liberté d’une part et plus de régulation de l’autre, sur des versants différents ».
En bref, on ne touche pas à l’équilibre des relations commerciales entre les exploitants et les distributeurs et au système de partage de la valeur, on ne relance pas non plus les contrats de location écrits, en revanche, on encourage le développement des formules de cartes illimitées en en assouplissant l’encadrement, tout en révisant le calcul de leur prix de référence. On renforce le caractère contraignant des engagements de programmation (notamment en conditionnant l’éligibilité aux aides à l’exploitation cinématographique à leur homologation et à leur respect), mais on ne cherche pas à limiter les plans de sortie des plus grands distributeurs ni à contraindre les calendriers de sortie. Sur les dispositifs art et essai, le rapport préconise une plus grande sélectivité qui n’irait pas jusqu’à relever les seuils d’accessibilité au classement mais tiendrait davantage compte du potentiel économique des films « afin de mieux récompenser les exploitants qui programment les films les plus risqués ». Cela se traduirait, pour les films les plus porteurs – définis par un seuil de plan de sortie fixé à 400 ou 500 établissements en première semaine -, soit par leur contingentement dans les seuils de classement, soit par une pondération moins favorable dans le décompte des séances d’art et d’essai (une demi-séance ?), quand les films «fragiles» – dont on conserverait le seuil à 80 établissements et dont la programmation est aujourd’hui encouragée par l’aide automatique du même nom – bénéficieraient d’une pondération plus favorable (une séance et demi ?). Cette dernière mesure était fortement encouragée par le GNCR et ses partenaires, comme d’autres mesures qui émaillent ce rapport et, à défaut d’être totalement satisfaits, nous avons au moins le sentiment d’avoir été écoutés et partiellement entendus. C’est sans doute à cette conclusion que parviendront également l’ensemble des structures et personnes auditionnées. Certaines d’entre elles appelaient de leurs vœux plus de régulation que ce qui est préconisé, tout en sachant pertinemment, d’une part, que le recours à des accords professionnels par secteur favorise la qualification d’entente anticoncurrentielle, d’autre part, qu’il est impossible de régler tous les problèmes en amont compte tenu de la diversité du marché et des filières du cinéma. Espérons pour le moins qu’une partie des problèmes qui ne pourront pas être régulés en amont, pourront l’être en aval avec, notamment, un renforcement des pouvoirs et des moyens du médiateur du cinéma.

Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche