Suite à la disparition soudaine de sa voisine de chambre, un ancien agent secret, reclus dans un palace de la Côte d’Azur, s’imagine que ses ennemis jurés refont surface. Surtout la redoutable Serpentik, qu’il n’a jamais réussi à démasquer. Oscillant entre présent et passé, il remonte le film de sa vie, au risque de découvrir qu’il n’y tenait pas forcément le meilleur rôle. Et que les diamants sont loin d’être éternels…
Berlinale – Compétition
Avec Fabio Testi, Yannick Renier, Koen De Bouw, Maria de Medeiros et Thi Mai Nguyen ·
Réalisation | Hélène Cattet et Bruno Forzani · Production | Kozak Films · Coproduction | Les Films Fauves, Dandy Projects, Tobina Film, Savage Film, Be Continued · Ventes internationales | True Colors · Distribution | UFO distribution



Hélène Cattet et Bruno Forzani
Hélène Cattet et Bruno Forzani vivent à Bruxelles et travaillent ensemble depuis 2000. Après avoir écrit et réalisé plusieurs courts-métrages auto-produits, ils passent au long métrage avec Amer en 2009 et L’Étrange couleur des larmes de ton corps en 2013, un diptyque féminin/masculin autour du désir. Entre temps, ils participent au film à sketch américain ABC’s of Death (2012) qui réunit 26 réalisateurs émergents de la scène fantastique internationale. En 2016, ils tournent Laissez bronzer les cadavres, tiré d’un roman de la Série Noire Gallimard écrit par Jean-Patrick Manchette & Jean-Pierre Bastid. Reflet dans un diamant noir est leur quatrième long métrage.
FILMOGRAPHIE
Longs métrages
2025 – Reflet dans un diamant mort
2017 – Laissez bronzer les cadavres
2013 – L’Étrange couleur des larmes de ton corps
2010 – Amer
Courts métrages
2012 – The ABCs of Death – segment O is for Orgasm
2006 – Santos Palace
2004 – L’étrange portrait de la dame en jaune
2003 – La fin de notre amour
2002 – Chambre jaune
2001 – Catharsis
Entretien avec Hélène Cattet et Bruno Forzani
Vous avez exploré des genres très différents au cours de votre carrière, mais vous avez un langage spécifique qui vous est propre et qu’on retrouve dans tous vos films. Pouvez-vous nous parler de votre manière singulière de travailler la narration ?
Nous avons adopté une approche moins linéaire qu’un film de super héros classique ou d’un James Bond car ce sont des archétypes connus de la planète entière ; nous nous sommes permis de dévier un peu pour proposer autre chose. Nous cherchions le côté jouissif de la première vision propre à ce genre de cinéma tout en y superposant une dimension supplémentaire où s’installerait une zone grise, celle du doute, qui invite le·a spectateur·ice à revisiter le film plusieurs fois pour y trouver de nouvelles clefs. On a construit le récit comme un diamant avec ses multiples facettes, ses multiples grilles de lectures kaléidoscopiques qui changent selon l’angle à travers lequel on le regarde.
Quelles ont été, en quelques mots, les inspirations de Reflet dans un diamant mort ? Comment l’idée est-elle née ? Est-ce venu avec les influences du passé, ou plutôt avec quelque chose en lien avec le monde aujourd’hui ?
Tout est parti de la vision de Road to Nowhere de Monte Hellman en 2010 dans lequel jouait Fabio Testi. Il nous a fait penser à Sean Connery et son costume blanc nous renvoyait à Dirk Bogarde dans Mort à Venise de Visconti. C’est à ce moment que nous nous sommes dit : « Pourquoi ne pas imaginer un univers mêlant celui de James Bond avec celui de Mort à Venise, deux cinémas antithétiques ? ». Au fil des années, au gré des expositions qui nous ont nourris, du monde dans lequel on vit, des lieux qui nous sont familiers, etc…cet univers a pris forme… L’idée n’était pas de faire un hommage mais de développer différents thèmes qui nous touchent en partant de ces univers. Un des premiers thèmes qui nous a inspiré, c’est celui du héros de notre enfance qui n’a pas réussi à sauver le monde. Et qui a même contribué à sa décadence.
Et comment conjuguez-vous ces références cinématographiques ou littéraires, emblématiques du passé (Eurospy, fumetti neri) avec une approche créative, pertinente et excitante, aujourd’hui en 2025 ? Qu’ont-elles de plus intéressant et de plus spécifique ? Les Eurospy, les fumetti ou toute autre influence ont-elles des caractéristiques qui les distinguent de leurs homologues anglo-américains ?
L’univers des super héros et autres James Bond est principalement connu par le prisme anglo-saxon. Mais toutes ces figures ont aussi existé en Italie dans les années 60 : d’une part, avec les Eurospy qui étaient des contrefaçons européennes, pop et bon marché de James Bond ; d’autre part avec les fumetti neri, ces bandes dessinées pour adultes, comme Diabolik ou Satanik, où les vilains évoluent dans cette zone grise qu’on évoquait juste avant, loin de l’approche manichéenne classique, « le bien/le mal », ou des penchants moralisateurs…
D’une manière générale, l’univers Eurospy véhiculait une image du monde édulcorée, donnait l’illusion de sociétés d’abondance, sans limites, où l’on pouvait jouir de tout. Juxtaposer cette image illusoire liée au passé du héros avec le monde d’aujourd’hui était le moyen de faire ressortir par contrastes des préoccupations contemporaines. D’autre part, la diversité des supports de ces univers Eurospy et fumetti (films, BD, roman photo…) nous permettait de traiter organiquement et graphiquement la perte de repères/d’identité du personnage.
Enfin, ces films populaires et pop empruntaient souvent des détails tirés de l’Op Art (l’art de l’illusion optique). Un des grands thèmes de Reflet dans un diamant noir étant l’Illusion, nous avons nous aussi trouvé adéquat de développer visuellement ce thème en intégrant des éléments issus de l’Op Art (tout comme nous l’avions fait avec l’Art Nouveau dans L’Étrange couleur des larmes de ton corps ou le Nouveau Réalisme dans Laissez bronzer les cadavres).
Pourriez-vous nous parler de vos choix en termes de direction artistique, de costumes ?
Beaucoup de ces choix sont inspirés de ce courant artistique… et de l’univers des anciens James Bond. Par exemple, nous avons imaginé le personnage d’Amanda, la partenaire de John jeune, non pas comme une James Bond girl mais comme une variation de Requin (le méchant de L’Espion qui m’aimait et Moonraker) avec la robe iconique de l’Op Art signée Paco Rabanne. Cette robe nous a inspiré ce personnage, mais nous ne voulions pas la résumer à un simple costume, à un simple repère Op Art, on l’a transformée en gadget mortel !
Le récit est très ludique, rempli de chausse-trappes…
Nous avons opté pour l’écriture stéréoscopique, propre à Satoshi Kon (Millenium Actress, Perfect Blue). Elle donne une illusion de 3D narrative en déployant le récit à travers différentes strates thématiques. Nous voulions ainsi aborder l’Illusion aussi bien par le biais de la forme que par celui du fond afin de jouer avec la perception du spectateur de manière organique et sensorielle. Cette « illusion », qui nous empêche de distinguer le vrai du faux, nous habite depuis notre premier film Amer. Jusqu’à présent, nous l’utilisions pour illustrer des fantasmes et susciter le fantastique. Aujourd’hui, cette illusion a une résonance avec le monde actuel… et trouve aussi un écho dans notre personnage de John âgé dont la mémoire se désagrège… En prépa, nous sommes tombés sur The Father de Florian Zeller et nous nous sommes dit que c’était un peu le même sujet… en version James Bond!
Comment avez-vous décidé de confier le rôle principal à Fabio Testi, qui incarne John D., « vieux » ? Qu’est-ce qui vous a impressionné dans son travail avec des cinéastes tels que De Sica, Zulawski ou Chabrol ?
Fabio nous a inspiré le scénario après la découverte de Road to Nowhere de Monte Hellman et le fait qu’il ait joué à la fois dans du cinéma d’auteur et des films d’exploitation (Big Racket, mais qu’avez-vous fait à Solange ?…) nous a permis de créer ce précipité de cinémas « opposés » que nous recherchions.
Parlez-nous de Yannick Renier qui incarne John jeune ?
Le rôle de John jeune a été le plus difficile à caster. C’est un type de personnage pour lequel on imagine bien un acteur anglo-saxon, mais c’est plus compliqué chez les francophones. Nous avons rencontré Yannick après qu’il ait eu tourné un film où il avait perdu pas mal de poids pour interpréter une personne malade. Nous sentions qu’en terme de jeu il correspondait à ce que nous cherchions, mais physiquement il était trop faible. Il nous a demandé de lui faire confiance et a pris dix kilos de muscles en quatre mois : une métamorphose ! C’était très impressionnant.
Pouvez-vous nous parler du reste du casting ? De Maria de Medeiros ?
Pour le rôle de Serpentik, nous cherchions une actrice qui pouvait à la fois incarner le personnage et assurer toutes les cascades. En 2002, nous avons découvert la danse contemporaine avec le spectacle Blush de la troupe belge Ultima Vez. Une danseuse nous a alors particulièrement fascinés mais nous ne savions pas qui elle était. Lors de la préparation du film, en faisant des courses au supermarché, nous sommes tombés par hasard sur Wim Vandekeybus, le chorégraphe d’Ultima Vez. Nous l’avons abordé et nous lui avons décrit la fameuse danseuse de Blush que nous recherchions désespérément. Il nous a montré une photo sur son téléphone : il s’agissait de Thi-Mai Nguyen, nous avions trouvé notre Serpentik !
Quant au rôle de Maria de Medeiros, nous souhaitions une actrice graphique, atemporelle permettant de voyager entre les deux époques narratives du film et d’instiller le trouble. Pierre Foulon, le producteur du film, la connaissait et dès que nous avons vu des photos d’elle récentes, elle s’est imposée de manière totalement naturelle.
Vos récits sont souvent ancrés dans des contextes très spécifique. L’éclat du Sud de la France, ça représente quoi pour vous ?
La côte d’Azur est le lieu de l’illusion par excellence, l’illusion d’un monde plein de richesses inépuisables… c’est pour cela qu’elle est le décor idéal pour notre histoire. D’ailleurs, dans les années 60, les Eurospy et d’autres séries B italiennes étaient tournés là-bas afin de profiter de son image glamour, emprunte de luxe, conçue pour faire rêver le spectateur. D’autre part, Bruno est originaire de cette région. Tourner là-bas était une manière pour nous de revisiter des lieux que nous connaissons et de les intégrer à notre imaginaire. L’intrigue a été ainsi spécifiquement écrite pour se dérouler sur la Riviera. C’est l’un des personnages principaux du film.