Carlobianchi et Doriano, deux cinquantenaires fauchés, errent la nuit en voiture de bar en bar, obsédés par l’idée d’un dernier verre, lorsqu’ils croisent la route de Giulio, un étudiant en architecture aussi timide que naïf. Entre confidences et gueule de bois, cette rencontre inattendue avec ces deux mentors improbables va bouleverser la vision que Giulio porte sur le monde, l’amour… et son avenir.
Festival de Cannes 2025 – Un Certain Regard
Date de sortie à venir
Liste artistique
Filippo Scotti (Giulio), Sergio Romano (Carlobianchi), Pierpaolo Capovilla (Doriano) | Avec la participation de Roberto Citran (Cavalier Fadìga), Andrea Pennacchi (Genio)
Liste technique
Réalisation Francesco Sossai | Scénario Francesco Sossai, Adriano Candiago | Cinématographie Massimiliano Kuveiller | Montage Paolo Cottignola | Musique originale Krano | Décors Paula Meuthen | Costumes Ilaria Marmugi, Guillem Soler Pou | Prise de son Marco Zambrano | Conception sonore Sebastian Pablo Poloni | Mixage Francesco Tumminello
Production Marta Donzelli et Gregorio Paonesss | Coproduction Philipp Kreuzer et Cecilia Trautvetter | Une production Vivo film avec Rai Cinema | En coproduction avec Maze Pictures


Francesco Sossai
Francesco Sossai est né à Feltre, dans la région des Dolomites italiennes. Après avoir obtenu un diplôme en littérature anglaise et allemande à l’université La Sapienza de Rome, il obtient un diplôme en réalisation cinématographique à la Deutsche Film-und Fernsehakademie de Berlin. Pendant ses études, il a réalisé son premier long métrage, Other Cannibals (Altri Cannibali, 2021), qui a reçu le prix du meilleur premier long métrage au Black Nights Film Festival (PÖFF) de Tallinn et le Vanguard Award au Vancouver International Film Festival, entre autres. Son court métrage The Birthday Party (2023) a été présenté en avant-première à la Quinzaine des Cinéastes, récompensé aux Curtas Vila Do Conde et aux Premiers Plans D’Angers, entre autres, sans oublier sa nomination aux European Film Awards et au Deutsche Kurzfilmpreis. Le dernier pour la route a été présenté en avant-première au Festival de Cannes 2025 dans le cadre de la sélection Un Certain Regard.
FILMOGRAPHIE
2025 – Le dernier pour la route
2021 – Other Cannibals
Entretien avec Francesco Sossain
Quel a été le point de départ de ce film ?
Le dernier pour la route est né par une nuit d’hiver il y a presque dix ans, après une soirée arrosée à Venise en compagnie d’un très bon ami. Cette nuit-là, nous avons rencontré un jeune étudiant en architecture de l’Université IUAV de Venise, et de là est née une grande amitié. Le lendemain matin, en plaisantant à moitié, nous lui avons parlé d’un film Le dernier pour la route donc au sujet de deux hommes qui descendent des montagnes pour prendre un dernier verre à Venise. En bref, le film a commencé en tant que blague autour de trois thèmes clés : l’alcool, l’amitié et l’architecture.
Le film se déroule en Vénétie et, au début du récit, l’un des personnages porte le même nom de famille que vous. Dans quelle mesure l’histoire est-elle autobiographique ?
Le film s’inspire de ce que je connais, de ma patrie et des gens que j’ai côtoyés, mais la part autobiographique de l’histoire reste discrète. L’ouvrier au début du film s’appelle effectivement Primo Sossai, mais uniquement parce que je trouvais cela amusant d’utiliser mon propre nom de famille comme élément d’un récit collectif, puisqu’il est assez répandu dans ma région. Pour moi, c’est une façon de me mettre en première ligne et d’intimer que le monde présenté dans le film existe vraiment, qu’il n’est pas fictif.
Quel rôle le hasard et l’observation ont-ils joué dans l’écriture du film ?
Lorsque j’ai commencé à parcourir les plaines vénitiennes il y a six ans, je ne savais pas encore ce que je cherchais. Comme un photographe qui prend des centaines de clichés pour n’en retenir qu’une douzaine, en rassemblant des centaines de petites scènes, des bribes de conversations entendues dans les bars, les trains, les bus, sur des places presque désertes… Pendant des années, j’ai tout noté. Je me suis ensuite retiré dans les collines de la Pedemontana avec Adriano Candiago, qui a coécrit le scénario. Dans une église abandonnée, nous avons étalé toutes nos notes sur une table pour tenter de les réorganiser, comme s’il s’agissait de morceaux d’une carte plus grande. Nous avons commencé à raconter une histoire : il lisait à voix haute pendant que j’écrivais, puis je lisais à voix haute pendant qu’il écrivait. Nous ne relisions pas deux fois le même passage et ne revenions jamais sur nos pas. Nous voyagions vers une destination que nous ne connaissions pas encore. De l’autre côté de la fenêtre battait le cœur du paysage de la Vénétie : nous avons écrit le film en nous immergeant dans ce décor, et c’est de là qu’est né Le dernier pour la route.
Le territoire joue un rôle central dans le film : comment la transformation du paysage vénitien reflète-t-elle la perte de repères dans le monde contemporain ?
Tout d’abord, pour reprendre ce que dit le Comte Bugnello dans le film, je trouve intéressant que l’on utilise aujourd’hui le mot « territoire » plutôt que « terre » ; ce glissement sémantique en dit long sur le peu qu’il reste de la Vénétie rurale. Aujourd’hui, ce que l’on respire à la campagne ressemble davantage à une solitude urbaine. C’est le sentiment principal que je voulais transmettre dans le film : une campagne qui n’est plus une campagne, mais qui n’est pas encore devenue une ville. Nous voulions explorer l’âme d’une région qui est devenue un véritable cimetière doré ; tout ce qui n’est pas lié au commerce disparaît, les écosystèmes sont pollués, les vieilles maisons sont abandonnées ou démolies pour en faire des immeubles résidentiels sans le moindre caractère.
La civilisation paysanne appartenait à un lieu, elle était l’expression de la terre elle-même. Le mode de vie qui a façonné ces espaces pendant des siècles a aujourd’hui disparu. On pourrait dire que j’ai réalisé ce film au sein des ruines de cette Vénétie-là.
Quelle perspective apportez-vous sur ce monde qui se transforme, et que cherchez-vous à transmettre à travers ce film ?
Je dirais que j’aborde un monde en mutation par la recherche de modalités (de vie) perdues, et ce afin de trouver une nouvelle façon d’avancer. J’aime beaucoup l’idée de Pasolini sur « la force révolutionnaire scandaleuse du passé », c’est-à-dire la recherche de traces d’humanité, d’idées, de visions du passé qui pourraient enflammer de nouvelles idées pleines d’avenir.
L’architecture s’inscrit aussi comme fil conducteur du film : il montre nombre de bâtiments et de lieux symboliques (notamment l’œuvre de Carlo Scarpa). Le personnage de Giulio est également étudiant en architecture.
Je pense que si je n’étais pas devenu réalisateur, j’aurais aimé être architecte. Comme j’utilise le cinéma pour explorer mes désirs, j’ai pensé que le fait d’incarner un jeune étudiant en architecture de l’Université IUAV serait un bon moyen d’imaginer une vie que je n’ai jamais vécue. Dans le film, Giulio témoigne d’une passion intense pour Carlo Scarpa, que je partage. Pour moi, Scarpa représente l’apogée de la culture vénitienne : dans la tombe Brion, par exemple, on perçoit des échos de Venise et, dans un même temps, du Japon. Scarpa était avant tout un pur humaniste, marqué par un profond syncrétisme culturel ; une qualité à laquelle j’espère que mon cinéma saura également aspirer.
Quel rôle jouent Carlobianchi et Doriano ? Que révèlent-ils sur une génération toute entière ?
J’ai voulu faire le portrait d’une véritable génération perdue : des hommes nés dans l’essor économique des années 1970 et qui, passée la crise de 2008, se sont retrouvés dans un monde radicalement différent. Pour moi, ils appartiennent à une génération crépusculaire : enfants d’un monde qui était déjà en train de disparaître, devenus étrangers à celui qu’ils habitent désormais. Carlobianchi et Doriano ont été éjectés du système de production, et c’est ce qui les rend intéressants à mes yeux.
Je ne cherche pas à ce que le public s’identifie à ces personnages ; ce genre de raccourci émotionnel ne m’intéresse pas. Je cherche plutôt à susciter un sentiment de curiosité à l’égard des personnages. J’aime l’idée que le public puisse être frappé par leur présence, plutôt que de passer le film à essayer de déterminer à qui l’on ressemble le plus.
Et puis nous avons GIULIO…
Giulio représente un type d’être humain, l’humaniste, qui est également en déclin et qui semble jouir de très peu d’espace dans le monde actuel. Il me fait penser aux mots du philosophe Giorgio Agamben, qui dit que seuls ceux qui ne sont pas contemporains, donc ceux qui sont en fracture avec leur propre époque, peuvent vraiment être contemporains.
J’aime l’idée de dépeindre des personnes en situation de crise ou de transition. C’est précisément dans ces moments-là que l’on s’ouvre le plus aux choses que le hasard de la vie place sur notre chemin. Même s’ils n’arrivent pas à nommer la douleur qu’ils ressentent, ces personnes bouleversées s’accrochent à un espoir de guérison radical.
Comment et pourquoi avez-vous choisi ces acteurs pour leurs rôles ?
Pour moi, un casting, c’est un peu comme tomber amoureux : je dois tomber amoureux de quelque chose chez les acteurs avant de pouvoir les choisir. Avec Filippo Scotti, j’ai tout de suite aimé le fait que nous puissions partager et nous ouvrir sur nos angoisses générationnelles, ainsi que sa profonde et véritable sensibilité humaniste, à l’image de Giulio. Lors de notre première rencontre, je lui ai offert Sillabari [Syllabaires] de Goffredo Parise. Il était important pour moi de savoir s’il pouvait s’intéresser à ce genre de littérature. Il m’a appelé peu de temps après, en larmes, après avoir lu une histoire spécifique intitulée Altri [Autres]. Cela m’a confirmé qu’il était bien la bonne personne.
J’ai rencontré Sergio Romano à une soirée et, en discutant avec lui, j’ai su qu’il était parfait pour le rôle. Toutefois, je ne me doutais pas du niveau de maîtrise, de dévouement et de transformation dont il était capable. Il est allé jusqu’à vivre dans ma ville natale pendant un certain temps, allant de bar en bar, captant les mouvements et les paroles des hommes qui passent leur vie entre l’usine et le zinc. Lorsqu’il est revenu, il était complètement transformé. Quand je regarde le film, je ne vois pas Sergio, je ne vois que Carlobianchi.
Pierpaolo Capovilla est le membre phare d’un groupe de rock, Il Teatro degli Orrori [Le Théâtre des Horreurs], dont je suis un grand fan depuis mon adolescence. Ses performances sur scène m’ont toujours profondément marqué. J’ai toujours imaginé le personnage de Doriano comme quelqu’un de sombre et de poétique, fragile mais dangereux. Ces mêmes caractéristiques se retrouvent dans l’énergie brute des spectacles d’Il Teatro degli Orrori. Pierpaolo a abordé le métier d’acteur avec une humilité incroyable, car c’était la première fois qu’il jouait un rôle. Je l’ai vu devenir un acteur sous mes yeux, répétition après répétition.
Avec quels cinéastes ou films vous sentez-vous le plus en phase ?
Je me sens profondément lié à Marco Ferreri, Elio Petri, Francesco Rosi, Carlo Lizzani et à toute une tradition du cinéma italien qui avait le pouvoir de pénétrer la réalité et de la dépeindre de manière poétique, mais sans illusion. Lorsque je regarde leurs films, je ne peux m’empêcher de penser qu’ils s’adressaient directement à leur époque, et ce avec clarté et profondeur. C’est le genre de cinéma que j’aimerais faire : un cinéma capable de regarder le présent en face.
Pour cela, j’essaie de faire revivre certaines formes cinématographiques « perdues » : dans Le dernier pour la route, c’était la commedia all’italiana [comédie à l’italienne]. Pendant les phases d’écriture et de préparation du film, Le Fanfaron et Les Vitelloni sont deux films clés que j’ai étudiés de près. Je suis aussi profondément fasciné par le cinéma japonais : je suis obsédé par Masaki Kobayashi. La scène de la tombe Brion a été tournée en utilisant le « plan tatami », une technique inventée par Yasujiro Ozu qui m’a permis de révéler l’essence japonaise de cet espace architectural signé Scarpa.
Dans un même temps, je me sens très proche de nombreux écrivains contemporains, comme Vitaliano Trevisan et Francesco Maino.
Alors que je réponds à ces questions, de nombreux lieux de tournage du film n’existent plus : les bars ont fermé, les vieilles maisons ont été démolies pour faire place à de nouveaux lotissements… Les vieilles villes font place aux nouvelles, et une fois de plus, nous sommes obligés de redessiner nos repères intérieurs. En attendant, il nous reste ce film ; j’espère qu’il pourra servir à quelqu’un.
Quel est le rôle du son, de la musique de Krano et du paysage sonore dans ce film ?
En Vénétie, il y a un bruit de fond constant. C’est comme une basse fréquence qui résonne en permanence dans nos têtes : le bruit des moteurs à combustion, le mouvement des marchandises… Voitures, camions, motos, avions : le paysage sonore dans lequel nous évoluons est marqué par cette cacophonie constante de sons mécaniques indistincts.
Dans le film, j’ai recréé cette sensation de circulation sans fin, contrebalancée par la bande sonore signée Krano, qui est à la fois déchirante et légère. Krano chante en dialecte, mais ses compositions s’inspirent de la grande tradition folklorique américaine des années 1970. J’ai adoré le contraste entre ces deux éléments : le bruit brutal du trafic et les douces mélodies de Krano.
Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir réalisateur ?
Dès mon plus jeune âge, j’ai su que ce serait ma voie. À 16 ans, la nuit, je regardais une émission de télévision pour découvrir des chefs-d’œuvre oubliés et des films cultes. Je dévorais les cassettes VHS du magasin de location de ma ville: j’adorais les westerns américains et les films du Nouvel Hollywood. Puis, pendant l’été, j’ai commencé à filmer sur Mini DV avec des amis. Je n’ai jamais fait de courts métrages : dès le départ, j’ai opté pour des longs métrages.
Je rêvais de cinéma américain et de partir à l’étranger. Mais un jour, en attendant le bus à la gare de Belluno, j’ai lu la première histoire de Les Nouveaux Libertins de Pier Vittorio Tondelli. Elle parlait du monde qui m’entourait et c’est là que j’ai compris que je pouvais raconter des histoires sur les gens et les paysages que je connaissais.