C’est presque devenu un usage, les éditos du GNCR s’ouvrent sur un refrain pour leur donner un peu d’air. En cette rentrée, le temps fort de la profession ayant été le congrès de la FNCF, Serge Reggiani s’imposait, dans une version revisitée de ses 70 balais. Ça donne : « Tes quatre-vingts balais / Bats-les / Va-t’en jusqu’à cent ans / Chantant ». En réalité, si le congrès soufflait sa quatre-vingtième bougie, il ne l’a pas célébré de façon ostentatoire. L’anniversaire est resté discret, car il n’avait rien de joyeux et les cœurs n’étaient pas aux chœurs : chorale en berne comme le moral, miné par la fréquentation en baisse et le climat particulièrement anxiogène. Mathusalem, c’est encore loin, le cinéma on l’aime, mais centenaire ce serait déjà pas mal « Avant de dire aussi / Do si / La sol fa mi ré do / Rideau ! ». Indubitablement, le secteur traverse une crise économique inédite qui affecte les trois branches de l’exploitation, la quasi-totalité des salles étant fortement fragilisées par les baisses continues de fréquentation et l’impossibilité de retrouver les niveaux d’entrées d’avant la pandémie. Les inquiétudes, alertes, cris d’alarme tiennent pour beaucoup à la situation financière et la souffrance économique de chacun et produisent des réactions qui ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux, relevant plutôt du « chacun pour soi » : du dispositif d’urgence réclamé par la petite exploitation (et mis en place depuis par le CNC) à la demande de réforme de la commission de création (CDAC) par la grande exploitation pour éviter une saturation de l’offre, en passant par le mécontentement de certaines salles qui, dans la cadre de la réforme art et essai, ont tendance à confondre la prime du CNC avec une subvention de fonctionnement qui favoriserait leur équilibre financier. Ce n’est certes pas la première crise qu’ont connue les salles de cinéma depuis les années 1960, on pourrait donc penser que celle-ci, comme celles qui l’ont précédée, est surmontable, mais cela impose de bien mesurer la situation pour apporter les meilleures réponses. Or, il semble qu’il y ait désormais un consensus pour considérer que les baisses conjoncturelles d’après Covid s’impose à la filière comme un phénomène structurel : explosion des plateformes, bouleversement des comportements, il faut prendre en compte un nouveau contexte dont les perspectives ne permettront pas de retrouver des niveaux antérieurs à la pandémie. Et envisager un futur où 160 millions d’entrées seraient la norme, et 180 millions, plutôt l’exception. Le manque d’offre attractive de films que d’aucuns dénoncent est peut-être un problème, mais il le sera désormais surtout pour retrouver des niveaux de fréquentation équivalents à celui de 2024. Notre parc étant clairement calibré pour 220 à 230 millions d’entrées annuelles, cela appelle la nécessité de repenser le modèle économique et de prendre toutes les mesures nécessaires en redéfinissant les points d’équilibre. Or, il est peu probable qu’il y ait un consensus sur les mesures à trouver. La grande exploitation a ainsi une position contestable sur le sujet de la création de salles estimant une réforme de la CDAC plus que jamais nécessaire pour trouver un « meilleur équilibre entre toutes les salles ». L’intention est de freiner la création de nouvelles salles qui, selon elle, aggrave la concurrence et met en danger l’équilibre économique du secteur, considérant que le maillage territorial est déjà suffisamment établi. Dans le viseur, les projets portés par les municipalités et les projets à caractère associatif, avec, en leitmotiv, le discours bien rodé sur la distorsion de concurrence et la nécessité de mieux répartir les parts de marché en tenant compte des différences de modèles économiques entre les salles : « Certaines salles à proximité d’investisseurs privés sont lourdement subventionnées et peuvent se permettre de pratiquer des tarifs extrêmement bas, approche que nous sommes incapables de faire au regard de notre modèle économique. » Le bouc émissaire est tout désigné ! Or, l’étude commandée par le Syndicat des cinémas de proximité auprès d’Hexacom, qui porte sur l’analyse des fréquentations sur cinq ans et 35 agglomérations, tend à montrer qu’il n’y a pas de vases communicants entre les milliers d’entrées gagnées par la petite exploitation et les millions perdues par la grande. Par ailleurs, c’est aussi l’attractivité des salles, l’expérience d’une séance animée, vivante, partagée, intelligente et pas seulement premium qu’elles procurent, qui déclenchent la sortie au cinéma. Or, force est de constater que la grande exploitation fait assez peu ce travail contrairement à la majorité des salles indépendantes. Si le modèle doit être repensé, ne faudrait-il, pas avant tout repenser le modèle dominant ? Celui des multiplexes, temples du consumérisme permanent, dépendants du pop-corn et du cinéma américain, dans lesquels la religion est sans âme et la messe peu conviviale ? Ces méga-cinémas aux tarifs parfois prohibitifs, désormais surdimensionnés et responsables de la surenchère de séances qu’impose leur modèle et génère un taux d’occupation avoisinant les 10% ? Bref, il y a du pain sur la planche pour repenser notre modèle en « commun » et préparer l’avenir. Il faudra que les pouvoirs publics s’arment également pour nous accompagner et retrouver l’impulsion qu’ils avaient su donner lors de la dernière crise en créant l’ADRC, les dispositifs d’éducation au cinéma, le Médiateur du cinéma et l’implication massive des collectivités locales. Or, à l’approche d’un calendrier électoral chargé qui sera, localement comme nationalement, l’occasion d’un probable fort renouvellement des élus, lesquels pourraient se montrer moins enclins à la culture, on peut s’interroger légitimement sur un soutien politique et public qui soit à la hauteur des enjeux et contribue encore à faire du cinéma français l’un des plus dynamiques au monde. C’est un des objectifs que poursuit la réforme art et essai et nous nous réjouissons que son deuxième volet, celui des pondérations que nous appelions de nos vœux afin de garantir une diversité dans la diffusion et favoriser l’exposition des films RD, puisse s’appliquer dès le prochain classement. À l’issue des débats qui ont égrené le congrès de la FNCF, nous avons craint un moment que le CNC ne cède au chant des sirènes qui appelaient à la création d’un moratoire. Que(ue) nenni ! Gaëtan Bruel est resté ferme sur ses déclarations et sa position et nous l’en félicitions. Le service de l’exploitation a, quant à lui, répondu à la demande de modélisation des effets de la majoration/minoration. Celle-ci a levé les craintes que d’aucuns pouvaient avoir quant à son impact financier, lesquelles reposaient sur une mauvaise compréhension de la réforme, le système de pondération n’ayant aucun effet sur l’éligibilité. Il n’en reste pas moins que le CNC a entendu les insatisfactions s’agissant du système de points vécu le plus souvent comme une notation, avec des 1, 2 ou 3 sur 20 qui donnent l’impression à certains d’être jugés comme des cancres. Sur ce point, le CNC va revoir sa copie. Quoi d’autre ? « Ça s’en va et ça revient », cela pourrait être un autre refrain à entonner ici. Lecornu 1, 2, 3 et les cancres de la République. Rachida Dati reconduite pour la cinquième fois, signe d’une volonté de rupture !? Pas d’autre dada dans la curie !? La bonne nouvelle, c’est peut-être la présence dans ce nouveau gouvernement d’Édouard Geffray au ministère de l’Éducation Nationale. Le dévoilement de son rapport et l’éducation à l’image ont été aussi au centre des échanges, lors du congrès. Les exploitants en ont globalement salué les propositions et préconisations qui consistent, notamment, à faire du cinéma une matière première, au même titre que la musique ou le dessin. Pour atteindre cet objectif, le rapport souligne la nécessité de préserver les formations existantes, mais aussi d’en créer de nouvelles, autant en direction des enseignants que des exploitants. Des pistes comme la carte « professeur ami du cinéma » ont été proposées pour renforcer la relation de confiance entre les communautés éducatives et les cinémas. De bonnes et belles intentions guidées par le rôle démocratique et émancipatoire de la salle de cinéma à une époque où la consommation d’images de notre jeunesse se fait majoritairement sur YouTube et TikTok, lesquels façonnent leur vision du monde. Alors qu’il y aurait beaucoup à dire sur le pass Culture, ses fléchages et son coût exorbitant, on ne peut que se réjouir du maintien de son volet collectif, mais ses plafonnements drastiques d’ici la fin de l’année nourrissent de nouvelles inquiétudes. Les espoirs qu’ont provoqué à la fois la révélation de son rapport et les déclarations qu’il a suscité à Gaëtan Bruel, appellent une politique volontariste qu’Édouard Geffray sera sans doute le mieux à même d’incarner. Apportera-t-il des solutions avant dissolution ? Dix solutions ? Dix commandements ? Jupiter n’est pas Yahvé. Il faudra pourtant bien qu’on nous sorte de la mouise. Sinon, comment devenir Mathusalem ? Gautier LABRUSSE, Président Groupement National des Cinémas de Recherche |
