| Mais que se passe-t-il avec le cinéma français !? On se croirait revenu aux années 60 avec la Nouvelle Vague, son succès aux États-Unis et son influence sur le Nouvel Hollywood quand, inspirés par Truffaut ou Godard, les cinéastes américains ont adopté des approches narratives et esthétiques plus personnelles et anticonformistes. C’était Scorsese, Coppola, Penn qui lançaient le mouvement, s’attaquant à certains tabous, revisitant les genres classiques et favorisant l’émergence d’un cinéma américain indépendant en rupture avec le système hollywoodien traditionnel. Le cinéma français contemporain n’aura peut-être pas autant d’influence – qui pourrait nous épargner certains blockbusters superflus –, néanmoins, il est indéniable que vient de s’ouvrir une nouvelle ère particulièrement rayonnante pour le 7e art tricolore. Et ce qui est réjouissant, c’est qu’elle s’ouvre avec des réalisatrices en état de grâce : de la Palme d’Or de Julia Ducournau pour Titane, aux triomphes de L’Événement d’Audrey Diwan à la Mostra de Venise, de Dahomey de Mati Diop à Berlin et d’Anatomie d’une chute de Justine Triet l’an dernier. Autant de récompenses qui montrent leur reconnaissance à l’étranger, laquelle crée un cercle vertueux pour l’ensemble du cinéma français. Aux Oscars, les nominations respectives d’Emilia Pérez de Jacques Audiard, de The Substance de Coralie Fargeat et de l’animé Flow produit en partie en France, annoncent une moisson fructueuse. D’autant que lors des Golden Globes, première grande messe hollywoodienne, une pluie de récompenses a inondé les films français. À la différence de la Nouvelle Vague qui s’inscrivait dans une rupture, les films qui participent à la renommée actuelle du cinéma tricolore ont pour point commun de brouiller les frontières entre films de genre, films populaires et films d’auteur. Mais aussi de remuer sérieusement les genres, façon shaker, pour nous servir leur cocktail cinématographique : on pourrait dire d’Emilia Pérez, comme de L’Amour ouf, qu’il s’agit à la fois d’une comédie musicale, d’un soap et d’un thriller ; de The Substance, que c’est un film d’horreur gore teinté d’humour avec un regard féministe ; qu’Anatomie d’une chute croise film de procès, policier et thriller. Et chacun y va de ces thématiques, préoccupations, problématiques contemporaines et brûlantes d’actualité : le vieillissement du corps des femmes, les questions d’identité transgenre, la domination des rapports hommes et femmes. Sans oublier le dérèglement climatique dans Flow pour rester dans le courant… Le petit truc en plus (ah non, pas lui !) ? : proposer des dialogues en anglais ou en espagnol, voire pas de dialogue du tout, pour se rendre accessible à un public international. Bref, la petite touche universelle, la French Touch – que maîtrisaient si bien les Daft Punk – combinée au French Flair de nos rugbymans, indicible mais qui exprime l’ingéniosité, l’inspiration, le savoir-faire créatif français. Aujourd’hui, le cinéma français sait tout faire : tous les genres et tous les récits, pour tous les publics. C’est la diversité et la singularité de nos œuvres – drame historique, récit générationnel, film musical, comédie sociale, documentaire, film d’animation – qui expliquent un rebond de la fréquentation globale et une part de marché de nos films nationaux sans équivalents dans le monde. Car le public français ne s’y est pas trompé en plébiscitant à 44,4% « son » cinéma (contre 36,7% pour les films américains). Les trois premiers films hexagonaux (le podium dans l’ordre : Un P’tit Truc en plus ; Le Comte de Monte-Cristo et L’Amour ouf) ont cumulé à eux seuls 25 millions d’entrées, résultat exceptionnel jamais atteint depuis 2011, année d’Intouchables et de Rien à déclarer ! Pour l’anecdote, sachez qu’avec ses presque 11 millions d’entrées, Un p’tit truc en plus réalise le plus gros score pour un premier film français depuis un certain Emmanuelle en 1974 (qui en avait cumulé 9 et dont le « remake » n’a pas connu le même succès) et se classe dans le Top 10 des films français les plus vus. La fréquentation des salles dans notre pays démontre la réussite de l’ensemble de la filière – de l’écriture à l’exploitation, en passant par la production, la réalisation et la distribution – qui s’appuie sur une politique publique essentielle à l’écosystème. Chaque année, ce sont 300 films qui sont agréés (d’initiative française et/ou en coproductions avec l’étranger), les fruits de la diversité qui nourrissent notre exception et arment les spectateurs et spectatrices contre l’ignorance, permettent à chacun et chacune de se construire, de devenir un citoyen éclairé, une citoyenne avertie. Quand elle a fait son retour à l’Assemblée, lors des questions au gouvernement, la ministre de la Culture a détaillé sa feuille de route sur laquelle elle a déclaré trouver deux grandes questions : « la première comment consolider notre modèle culturel, […] d’autre part, comment faire en sorte que notre modèle culturel soit au cœur de notre modèle de société ? » Rachida Dati se pose les bonnes questions auxquelles certains apportent malheureusement déjà la pire des réponses en singeant Javier Milei, jouant de la tronçonneuse dans les subventions allouées à la culture comme le symbole d’une politique antidépenses publiques. Sinistre horizon… En octobre dernier, pendant le Festival Lumière, La ministre de la Culture s’était montrée favorable à la création d’un musée national du cinéma en France, réclamée par des figures du 7e Art. C’est le conseil d’administration de la Cinémathèque française qui appelle à la naissance d’un tel établissement pour être « l’incarnation supplémentaire mais indispensable de l’ambition de notre pays à faire rayonner, diffuser et perpétuer un art qu’il a inventé ». En plein dans le mille ! Rachida Dati a à nouveau affiché cette ambition lors de ses vœux. De notre côté, nous émettons le vœu que le cinéma français ait encore les moyens de rayonner à travers ses films et ses salles, que ces dernières ne deviennent pas elles-mêmes des lieux « cultuels » où l’on ne célébrerait qu’un art passé. En ce début d’année, quel plus beau vœu, en effet, que celui que, toutes et tous ensemble, nous continuions à faire vivre le cinéma ! Gautier Labrusse Président du Groupement National des Cinémas de Recherche |