Septembre 2025 – Le réveil a déjà sonné ?

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La rentrée, ça ne vous donne pas envie de chanter ? « Qui a eu cette idée folle / Un jour d’inventer l’école / C’est ce sacré Charlemagne », coupable, « de nous laisser dans la vie / Que les dimanches, les jeudis ». Dans la ligne de mire de France Gall, pas encore Charles de Gaulle, mais seulement Charlemagne. Mai 68 n’était pas encore passé par là. Quelle serait sa cible aujourd’hui ? Macron ? Bayrou ? Borne ? Aujourd’hui pour Borne, il faudrait plutôt chanter « L’école est finie » car, pour la ministre de l’Éducation nationale dont le destin est lié à celui du Premier ministre (« Donne-moi ta main et prends la mienne »), c’est une rentrée qui n’a jamais été aussi près d’une sortie. À la fin du mois d’août, elle a présenté les chantiers de l’année 2025-2026 : réforme de la formation initiale, interdiction des portables, santé mentale, nouveaux programmes en matières fondamentales, éducation à la vie affective et sexuelle, expérimentations du port de l’uniforme, introduction de l’intelligence artificielle dans l’apprentissage et promotion d’un « droit à la déconnexion » sur les ENT (« environnement numérique de travail »). Elle s’est déclarée en guerre contre le « fléau des écrans ». Tant qu’il ne s’agit pas des nôtres et qu’il ne s’agit que de mettre les portables en pause… Elle a insisté aussi sur la nécessité de « préparer notre jeunesse aux bouleversements de ce monde », en associant l’élévation du niveau académique à la préparation citoyenne. On peut légitimement penser que cela inclut la dimension culturelle, non ? D’éducation artistique et culturelle, il n’a pas été beaucoup question lors de cette conférence de presse. Sinon que la ministre en a souligné l’importance par la reconduction de la part collective du pass Culture, en réponse à une année « d’inquiétude » quant à la pérennité du dispositif. Ouf ! nous voilà rassurés. Même si, quand Adage ouvrira, ça risque d’être « au plus fort la pouque », comme disaient nos mémères. Mais, au fait, où en est la mission confiée par les ministères de l’éducation nationale et de la culture à M. Geffray !? Celle-ci visait à revoir les modalités d’organisation et de mise en œuvre de Ma Classe au Cinéma et, plus largement, à repenser le modèle d’éducation aux images en temps scolaire. On aurait pu penser que ses conclusions soient remises avant la rentrée ? Qu’Élisabeth Borne l’évoque dans son allocution ? Le programme du 80e Congrès de la FNCF laisse en fait peu de doutes sur le calendrier envisagé. La table-ronde du mercredi matin sera, en effet, dédiée à l’éducation au cinéma avant la rencontre avec les pouvoirs publics et, probablement dans la foulée, la publication du « rapport Geffray » dont on pourrait découvrir les grandes lignes à cette occasion. Mon petit doigt me dit cependant qu’il est possible que le Congrès n’ait pas l’exclusivité des premières présentations du rapport. C’est sans compter aussi sur l’issue du vote de confiance du 8 septembre. Les deux ministères sont en sursis et le rapport pourrait être remisé dans un tiroir. Pour Rachida Dati, ça sera l’occasion de siffler la fin de la récréation. Elle pourra se concentrer entièrement sur sa course pour les municipales de Paris et, subsidiairement, à son renvoi en procès pour corruption et trafic d’influence. Elle n’aura plus à se préoccuper de sa réforme sur l’audiovisuel qui, malgré une adoption au Sénat grâce à la procédure accélérée dite du « vote bloqué », risque de ne pas aboutir et d’être un échec cuisant. En revanche, elle pourra toujours se consoler avec son opération « Culture Camping » qui, selon l’aveu même de François Morel (billet du 29 août) a rencontré un vif succès : dans le camping naturiste Messidor, en collaboration de bon voisinage avec le festival lyrique d’Aix-en-Provence, c’est le fameux ténor Rodolphe Briand qui a célébré un auteur populaire près des barbecues à l’heure de l’apéritif en chantant La quéquette à Raoul du librettiste Patrick Sébastien. Au camping Les Flots bleus d’Avignon, c’est la même œuvre, dans sa version théâtrale cette fois-ci, qui a été magnifié par le grand acteur Jacques Weber. D’un Patrick (celui de Camping, qui avait ouvert le bal), à l’autre, le contrat est rempli…  

Trêve de plaisanterie, il faut bien reconnaître que la rentrée s’effectue dans un climat politique particulièrement instable : crise gouvernementale en France et tensions persistantes sur la scène mondiale autour des conflits en Ukraine, au Proche-Orient et en Asie, le tout sur fond de recompositions géopolitiques avec le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) dont les membres se sont rassemblés autour d’une détestation commune de l’Occident, de ses valeurs et de l’hégémonie américaine. Jusqu’à demander une dédollarisation du monde. Il faut dire que Trump l’a bien cherché avec ses taxes et sanctions douanières. Un sujet d’inquiétude aussi pour les cinéastes et scénaristes européens réunis au Festival de Venise, mobilisés autour des questions de liberté d’expression et de souveraineté culturelle menacées par les attaques politiques et commerciales américaines. La présentation par la commission européenne en juillet du nouveau programme Agora EU ne les a pas rassurés sur la volonté des institutions européennes de défendre la production et la circulation d’œuvres diversifiées en soutenant le secteur indépendant : il mélange, en effet, le cinéma avec la presse et les jeux vidéo, et risque de séparer la création audiovisuelle de sa dimension culturelle locale indépendante. Tous les chemins menaient à Rome, mèneront-ils bientôt tous à une marchandisation de la culture !? De l’éclat des stars américaines aux contestations géopolitiques, la 82e édition de la Mostra de Venise a été aussi le théâtre de controverses politiques. Gal Gadot et Gerard Butler, les protagonistes du film Dans la main de Dante de Julian Schnabel étaient ainsi persona non grata sur le Lido en raison de leur soutien affiché au gouvernement israélien. Que cela réponde à la lettre ouverte du collectif Venice4Palestine (V4P) fondé par 10 cinéastes italiens ou à la pétition signée par plus de 1500 cinéastes, acteurs et artistes internationaux, la Biennale, bien que ne souhaitant pas prendre de positions politiques directes, s’est trouvée contrainte d’afficher sa sensibilité à la situation dramatique à Gaza et de « donner voix aux Palestiniens ». On retiendra que le film de Schnabel a été projeté le même jour que The Voice of Hind Rajab réalisé par la Franco-Tunisienne Kaouther Ben Hania : l’histoire de cette petite fille tentant de fuir les bombardements israéliens et l’enregistrement de son appel avec les secours avaient secoué la planète. 

C’est l’occasion de rappeler que le GNCR soutient deux films, dans le cadre de leurs sorties successives et de la seconde édition de son Retour de Cannes, qui sont autant de réponses cinématographiques à la situation au Proche-Orient : Oui de Nadav Lapid et Put Your Soul On Your Hand And Walk de Sepideh Farsi. Satire politique acerbe, œuvre libre, criante, courageuse et politiquement engagée d’un côté, documentaire poignant, intime, humaniste, exprimant la douleur et la résistance côté palestinien de l’autre, deux films qui rappellent que le cinéma, les films que nous défendons, comme nos salles, jouent un rôle essentiel pour réveiller les consciences. Et l’on risque d’en avoir besoin de plus en plus dans les jours, les semaines, les mois qui viennent avec les menaces qui se précisent, les idées nauséabondes qui infusent et empoisonnent la vie sociale et politique. C’est la rentrée et alors que la prise de participation de CMA-CGM dirigée par le milliardaire Rodolphe Saadé (BFM-TV, RMC…) dans la société tricolore Pathé nous avait déjà interpellés, voilà que nous apprenons que le groupe Canal +, filiale du groupe Vivendi lui-même contrôlé par le non moins milliardaire Bolloré, négocie son entrée au capital du réseau de salles UGC dans le but d’une «prise de contrôle éventuelle» en 2028 ! Que les deux plus importants réseaux de cinéma de l’hexagone se soient rapprochés d’empires médiatiques en vue, probablement, de solidifier leur position ne peut que nous renforcer dans nos engagements en faveur d’un secteur indépendant qui, de la production à la diffusion, assure une pluralité et une diversité et crée un système vertueux. « Vite, vite, il faut se presser / Le réveil a déjà sonné ! / C’est la rentrée. »

Gautier LABRUSSE, Président 
Groupement National des Cinémas de Recherche