Le coeur battant de Roberto Minervini
Film soutenu

Le cœur battant

Roberto Minervini

Distribution : Aramis Films

Date de sortie : 25/06/2014

Etats-Unis, Belgique, Italie / 2013 / lh41 /1:1,66 / Couleur

Sara est une jeune fille qui grandit dans une  famille  d’éleveurs de chèvres. Ses parents scolarisent leurs douze enfants à domicile  et leur enseignent les préceptes stricts de la Bible. Sara doit, conme ses soeurs, apprendre à être une femme pieuse, au service des hommes, et conserver sa pureté émotionnelle et physique intactes jusqu’au mariage. Lorsque Sara rencontre Colby, un jeune rodéo amateur, elle remet en question le seul mode de vie qu’elle ait jamais connu.

Festival de Cannes 2013 – Sélection officielle, Séance spéciale
Festival Corsica.Doc d’Ajaccio 2013
Festival Ciné-Jeune de Laon 2014
Festival Terra di Cinéma de Tremblay-en-France 2014

Avec : Sara Carlson, Colby Trichell, Tim Carlson, LeeAnne Carlson, Katarina Carlson, Christin Carlson

Réalisation & Scénario : Roberto Minervini
Directeur de la photo : Diego Romero Suarez-Llanos
Montage : Marie-Hélène Dozo
Son : Ingrid Simon, Thomas Gauder
Production : Denise Lee, Luigina Smerilli, Joao Leite

Roberto Minervini

Roberto Minervini est né à Fermo en Italie. En octobre 2000, il s’installe aux États-Unis où il travaille comme consultant financier. En 2001, après le 11 septembre, il change de vie et débute un master en médias à la New School University de New York, avec l’objectif de devenir photo-reporter.
Entre 2006 et 2007, il fait une thèse de doctorat en Histoire du Cinéma à l’Université de Madrid, puis il part enseigner le cinéma (réalisation et écriture documentaire) à l’Université de Manille aux Philippines.
En 2007, il repart vivre aux États-Unis et s’installe au Texas, où il réalise 3 films (The Passage, Low Tide, Le Cœur battant), présentés et récompensés dans de nombreux festivals.
Tourné en Louisiane, The Other Side est son quatrième long métrage.

Filmographie

2015 THE OTHER SIDE
Festival de Cannes 2015 / Sélection officielle – Un Certain Regard

2013 LE CŒUR BATTANT (Stop the Pounding Heart)
Festival de Cannes 2013 / Sélection officielle – Séance Spéciale

2012  LOW TIDE
Mostra de Venise 2012 / Sélection officielle – Orizzonti

2011 THE PASSAGE

2006 LAS LUCIERNAGAS (court métrage)

2005 VOODOO DOLL (court métrage)

ENTRETIEN AVEC ROBERTO MINERVINI

Comment avez-vous rencontré les personnes que vous filmez dans LE COEUR BATTANT ?
J’ai rencontré la famille Carlson en 2009, par hasard, dans un marché fermier où ils vendaient du fromage de chèvre. A ce moment-là, je travaillais sur mon premier film, « The Passage ». Je leur ai demandé de participer à une scène, dans laquelle le personnage principal, une jeune femme en quête d’un guérisseur, trouvait l’hospitalité dans une ferme. Tim, le patriarche de la famille Carlson, a accepté. Depuis, nous avons développé des liens d’amitié et appris à nous connaître. J’ai rencontré la famille Trichell grâce à un ami commun, Mean Gene Kelton, un bluesman très populaire chez les Bikers. Depuis, j’ai suivi la carrière de Colby dans l’univers du rodéo amateur, l’accompagnant avec sa famille lors de spectacles locaux.

On imagine que ces familles n’acceptent pas facilement qu’on entre dans leur intimité. Comment avez-vous fait pour gagner leur confiance ?
C’est le résultat d’un long processus. Nous avons établi au fil du temps une relation de confiance mutuelle et de proximité, sans laquelle il aurait été impossible de travailler ensemble. J’étais plus fortement intéressé par le fait de connaître leurs valeurs et leurs traditions –que j’ai appris à respecter- que par le fait de les filmer. Chez moi, c’est l’ethnologue qui l’emporte sur le cinéaste. Et ils le savaient.

Quelle est la fonction du scénario dans un tel projet ?
Je n’ai pas écrit de scénario avant le tournage. La seule matière dont je me sois servi, c’était l’ébauche d’un récit, que j’aiensuite développé au fur et à mesure, avec le concours des personnes filmées, qui m’ont aidé à combler les blancs en me racontant les histoires qu’ils vivaient. J’ai écrit un scénario avant le début du montage pour que Marie-Hélène Dozo, ma monteuse, dispose d’une base de travail.

Combien de temps a duré le tournage ?
55 jours, même si la durée quotidienne était courte (jamais plus de 6 heures par jour) pour deux raisons principalement. D’abord, je filmais de vrais gens, dans leur véritable environnement, et il fallait donc adapter le planning de tournage à leur emploi du temps. Ensuite je passais davantage de temps « sur le plateau » pour être avec eux, les observer, que pour les filmer. Pour moi, ce temps d' »inactivité » a autant de valeur que le temps de tournage, et c’est vrai pour tous mes films : on attend longtemps, souvent en silence, que quelque chose se passe, on essaie de capturer un élément visuel, sonore, palpable, qui pourrait faire avancer l’histoire.C’est une méthode de tournage archaïque, plus proche de la chasse que du cinéma. « Un cinéma de chasseur », c’est ainsi que j’aime appeler cela en réalité.

Vous vous intéressez à la vie de famille, et à des individus qui travaillent de façon simple. Mais dans votre façon de travailler aussi, il y a quelque chose de familial et d’artisanal…
Absolument. Nous sommes seulement 4 sur le plateau. Et quand la caméra est en marche, c’est pour longtemps, avec des prises ininterrompues de 20 à 30 minutes. Grâce à la longueur de ces prises, les personnages s’habituent à la présence de la caméra, qui au bout d’un moment fait pour eux partie du décor. Les frontières entre le film et la réalité se dissolvent, les personnages et moi cohabitons harmonieusement, nous partageons les lieux mais aussi les émotions et les sensations.

Quelles instructions donnez-vous aux personnes que vous filmez ? Diriez-vous que ce sont des acteurs ?
Dans ma façon de travailler, j’alterne l’observation pure et la mise en scène. J’ai eu recours à la mise en scène pour certainesscènes impliquant Sara, et qui exigeaient l’autorisation de ses parents (lemeilleur exemple étant la scène du discours de LeeAnn à sa fille à propos des garçons). Dans ces cas-là, Sara devait se sentir prête avant de tourner cesscènes très intenses émotionnellement. Néanmoins, le contenu de ces scènes, y compris les dialogues, est totalement authentique et spontané, rien n’a étéécrit ou préparé, et on ne refaisait jamais les prises. Les Carlson ont joué librement et d’une manière qui soit en accord avec leurs pensées. Idem pour les Trichell. A l’évidence, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’acteurs.

Avez-vous été autorisé à filmer tout ce que vous souhaitiez ?
Une fois qu’ils m’avaient ouvert leurs portes, j’ai eu un accès total. Il y a simplement eu un accord entre Sara et moi sur quelques points précis. Elle refusait de prier à voix haute, car ses prières étaientuniquement destinées à Dieu. Je lui ai donc promis que je ne lui demanderais jamais de prier avec des mots. Concernant le rodéo, tout était permis, même être dans l’arène avec les taureaux, sans aucune protection, ce que nous avons fait à plusieurs reprises.

Parlez-nous de votre collaboration avec Marie-Hélène Dozo, monteuse notamment de plusieurs films des frères Dardenne.
Marie-Hélène travaille seule pendant un mois, sans que je lui fournisse de scénario, pour qu’elle puisse construire sa propre histoire en toute liberté. Ensuite, nous travaillons ensemble avec le scénario que j’ai écrit. Nous disposons donc de deux histoires, qui convergeront (ou pas) durant le montage. Cette ambivalence est la condition nécessaire pour soutenir notre dialogue créatif, qui dure deux à trois mois.

Quand avez-vous su que le film serait centré sur le personnage de Sara ?
Dès le début, j’avais décidé de filmer Sara et Colby séparément, chacun dans son environnement. J’espérais voir apparaître un point de convergence entre ces histoires parallèles. J’ai commencé à me demander si je n’étais pas en train de tourner deux films en parallèle, ou un film en deuxparties, « yin et yang » (taureaux et chèvres, énergies masculine et féminine, force du corps et de l’esprit). Le point deconvergence est venu grâce à la première rencontre entre Sara et Colby. Durant cette rencontre, à la fois innocente et scandaleuse, j’ai su que quelque chose se passait. Plus d’un mois après, à la fin de la scène de « confessionnal » entre Sara et sa mère (une prise intense qui a duré 27 minutes), j’ai réalisé qu’une histoire était en train d’éclore, et j’ai décidé que le tournage était terminé.

Si le film décrit une société violente, il dégage aussi étrangement une grande douceur…
Je crois que cette douceur est celle qui caractérise Sara et Colby. Tous deux sont jeunes, et commencent à comprendre pourquoi les choses sont comme elles sont, et la justice ou l’injustice des règles que d’autres ont instituées pour eux, avant eux. Je suis très conscient du fortcontraste entre la société violente et l’innocence de la jeunesse, un thème que j’ai exploré également dans « Low tide ». Je crois que mon regard empathique sur ces deux jeunes gens atténue la brutalité de cette opposition et confère au film une aura de douceur.

Quelle place tiennent les paysages du Texas dans votre inspiration ?
Les paysages du Texas n’ont pas la beauté « carte postale » de l’Arizona, de la Californie ou du Nouveau-Mexique. L’environnement naturel est hostile, tantôt marécageux, tantôt sec. On ne voit pas dans le film la colonie de redoutables moustiques dont les piqûres m’ont envoyé aux urgences, et on ne ressent pasl’humidité qui rend difficile la respiration l’été (période à laquelle nousavons tourné). Et dans la scène de l’étang avec Sara et ses soeurs, on ne voit pas le serpent de deux mètres qui a mordu la chaussure de Sara, et qui a dû être soulevé et jeté au loin par ses soeurs. J’aime le défi que représente ce paysage, le respect et le savoir qu’il requiert -cela vaut pour l’environnement naturel comme pour l’environnement social du Texas…

Diriez-vous que la frontière entre documentaire et fiction n’est plus pertinente ? Votre film appartient-il à une de ces deux catégories ?
C’est la question à laquelle j’ai le plus de difficulté à répondre. Je suis perplexe face à la névrose généralisée de l’industrie du cinéma, qui a besoin de classifier ces « films hybrides », considérés comme du cinéma de seconde zone, qu’on appelle de façon affreuse « docufilm », « docu-fiction » ou « docudrama ». Jean Rouch rejetait l’idée du documentaire comme étant une description à distance, objective etgénérale d’un comportement « typique ». Il a commencé à l’aborder comme un récit cinématographique, en utilisant le montage pour condenser des événements etcréer des juxtapositions dramatiques. Mais c’était il y a plus d’un demi-siècle, à une époque où on débattait sur la légitimité du travail documentaire d’unpoint de vue éthique et social. Aujourd’hui, je suspecte que le besoin de séparer documentaire et fiction a surtout une importance du point de vue dumarketing. Par rapport à mon approche cinématographique, à l’esthétique et à la poésie de mon cinéma, cette distinction est totalement superflue.

Depuis quelques années, de nombreux cinéastes indépendants sont installés au Texas. Avez-vous le sentiment de faire partie d’une « scène » ? Dialoguez-vous avec les autres réalisateurs ?
Je ne fais pas partie de cette scène et je ne connais aucun cinéaste du Texas. Etonnamment, je me sens plus proche du cinéma italien d’aujourd’hui -c’est celui auquelj’appartiens profondément. Je suis un cinéaste italien avec une âme texane.Sergio Leone m’aurait bien aimé.

Au générique de fin, vous remerciez Carlos Reygadas et Mahmat Saleh-Haroun…
Carlos a visionné une version inachevée du film et son avis a été précieux. Il suit et apprécie mon travail depuis « Low Tide ». Il représente une vraie force dans le cinéma contemporain et j’admire profondément son approche cinématographique. Haroun a été l’une des premières personnes dans le monde du cinéma à s’intéresser à mes films et à ma méthode, il y a plus de quatre ans. Depuis, il n’a jamais cessé de me donner des conseils et de m’encourager.

Que retenez-vous de votre expérience à Cannes, où le film a été projeté en présence des familles ? Comment ont-elles réagi en sevoyant à l’écran ?
Cannes est de loin le moment le plus fort de ma carrière, et pas seulement en raison du prestige lié à la projection du film dans un tel festival. Au-delà de l’événement glamour, il y a des gens modestes qui travaillent dans des petits bureaux et qui s’intéressent sincèrement aux réalisateurs et à leurs oeuvres. Les familles du film ont elles aussi ressenti cette belle énergie et cet accueil chaleureux. Tous avaient déjà vu le filmavant, à l’exception de Colby, le jeune monteur de taureau, à qui une célèbre intellectuelle a demandé, pendant la projection, de bien vouloir enlever son chapeau de cowboy afin qu’elle puisse voir l’écran. Colby s’est exécuté gentiment, même s’il m’a dit que c’était la première fois qu’on lui demandait une chose pareille… Je ne crois pas qu’ils aient été très surpris lorsqu’ils ont découvert le film car ils avaient été très impliqués dans l’élaboration du film. Tout au long du tournage, je les ai laissés regarder les rushes et ils ont même manipulé la caméra pour filmer certaines séquences.Tous ont acquis de solides connaissances des techniques cinématographiques. Sara et ses soeurs ont pu les utiliser pour commencer à travailler sur un documentaire consacré à leur passion pour les costumes datant de la Guerre de Sécession.

Propos recueillis par Julien Dokhan, avril 2014


ENTRETIEN AVEC ROBERTO MINERVINI PAR LE FESTIVAL TERRA DI CINEMA (Tremblay en France)

pour plus d’infos : le site internet de « Terra di Cinema »