Istanbul dans un futur proche : Kadir purge une peine de 20 ans de prison et se voit proposer une libération anticipée. En échange, il s’engage à aider la police dans la traque contre le terrorisme et accepte d’être leur informateur. Une fois dehors, il reprend contact avec son petit frère Ahmet, chargé par la mairie d’abattre les chiens errants de la ville. Mais entre chaos politique et obsession paranoïaque, la violence qui entoure les deux frères et la pression de leurs autorités les entraînent dans une spirale infernale.
Avec : Mehmet ; Özgür Berkay ; Ates Tülin ; Özen Müfit ; Kayacan ; Ozan Akbaba ; Fatih Sevdi ; ; Mustafa ; Kirantepe Yavuz ; Pekman Ahmet ; Melih Yilmaz ; Ararat Mor ; Sansli
Réalisation, Scénario Emin Alper • Assistant Réalisateur Ahmet Yurtkul • Image Adam Jandrup • Décors Ismaïl Durmaz •Montage Osman Bayraktaroglu •Mixage Niels Barletta •Son Fatih Aydogdu •Musique originale Cevdet Erek •Producteur exécutif Cem Doruk •Co-produit par Pierre-Emmanuel Fleurantin, Laurent Baujard, Doruk Acar, Töre Karahan • Produit par Nadir Öperli, Enis Köstepen, Cem Doru • Production Liman Film (Turquie), Paprika Films (France), Insignia Yapim (Turquie)
Emin Alper
Né en 1974, Emin Alper est Diplômé en Économie et Histoire à l’Université Bogaziçi d’Istanbul et obtient un Doctorat en Histoire moderne de la Turquie. Il enseigne au département des Sciences sociales et Humaines de l’Université Technique d’Istanbul. Son premier long-métrage DERRIÈRE LA COLLINE a été distribué en Allemagne (Arsenal) et en France (Memento Films) et a été sélectionné par plus de 30 festivals internationaux. Il a reçu de nombreux prix, dont le Caligari Film Award et la Mention Spéciale pour le Prix du Premier Film à la Berlinale de 2012.
Filmographie
2015 ABLUKA – SUSPICIONS (FRENZY)
2012 DERRIÈRE LA COLLINE
2006 RIFAT court-métrage
2005 MEKTUP (THE LETTER) court-métrage
ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR
ÉPOQUE ET LIEU
Je ne précise pas à quelle époque se situe ABLUKA. Quand j’essaie de faire quelque chose à portée politique, je ne veux pas être contraint par une période particulière. Cela pourrait être un présent fictionnel ou un passé ou un futur… L’histoire m’apparaît universelle et pourrait avoir lieu n’importe où. Les problèmes sont les mêmes. Il y a une guerre civile à l’arrière-plan et les enjeux individuels de la relation de deux frères. C’est ça qui est important.En spécifiant le lieu ou la période temporelle, particulièrement en Turquie, les gens demanderaient probablement une représentation réaliste – ce qui ne m’intéresse pas. C’est une situation générale, universelle : comment une atmosphère de guerre civile rend les gens fous.
Comme dans mon premier film, l’histoire repose sur le même principe. Dans DERRIÈRE LA COLLINE (2012), l’action se déroulait à la campagne, mais on ne savait pas si cela se passait dans le passé ou dans le futur.
Mes sources d’inspiration pour ABLUKA viennent de nombreuses histoires violentes du monde moderne. Ce film a mis longtemps pour être réalisé. J’ai commencé à y penser au début des années 2000 et sa première version fut écrite à la fin de la décennie 2000. Malgré le temps écoulé, la pertinence de l’histoire croissait, tandis que les politiques butaient obstinément sur des méthodes archaïques. Lorsque j’ai d’abord réfléchi à l’histoire au début des années 2000, « l’organisation » contre laquelle l’État fait la guerre dans le film était inspirée des mouvements de guérillas marxistes et séparatistes ethniques qui étaient actifs d’Amérique Latine jusqu’en Asie durant le 20ème siècle. Alors que nous entrions dans le 21ème siècle, d’abord l’attaque du 11 septembre, puis l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak, ont créé un nouveau contexte mondial dans lequel repenser les trajectoires et les auteurs de violences politiques. Et durant les dernières années, la vague de soulèvements et de révolutions, qui ne se limitent pas au Printemps arabe, ont encore plus justifié la critique de la violence qu’on trouve dans mon film. Encore une fois dans l’histoire de l’humanité, se pose une question urgente pour nous tous : comment faire face à la violence politique ?
CHAOS POLITIQUE
Dans ABLUKA l’action se déroule dans une ville en plein chaos
politique. L’État se bat désespérément contre les terroristes cachés
dans des bidonvilles. Quand les techniques d’isolement de ces quartiers
ne donnent rien, l’État invente de nouvelles méthodes. ABLUKA est
l’histoire de deux frères qui essaient de survivre dans l’un de ces
quartiers. Il raconte comment le système politique implique les «petites
gens» dans son dispositif d’intervention brutal, en leur donnant de
l’autorité et les instruments de la violence, qui, finalement, se
retourne contre eux-mêmes et les mènent à la destruction.
ISOLEMENT GÉOGRAPHIQUE ET PSYCHOLOGIQUE
Le quartier où vivent les deux frères est doublement isolé :
géographiquement, puisqu’il est bloqué par la police, et par la paranoïa
dans laquelle sombre les personnages. Personne ne sait qui est ou qui
pourrait être l’ennemi. Ils sont complètement isolés d’un point de vue
psychologique. Cette paranoïa rend floues les frontières entre le rêve
et la réalité. Je voulais jouer avec ça parce que ça nous aide à
partager leur ressenti et à vivre crescendo cette paranoïa de
l’intérieur. Isoler de cette manière les personnages, permet de tendre à
la métaphore.
SUIVRE LES ORDRES
Dans ABLUKA, j’observe ces «petites gens» à la fois instruments et
victimes de la violence du système. Kadir est un informateur qui a le
pouvoir de mettre un terme à la vie de quelqu’un par le renseignement.
Ahmet est un exterminateur de chiens errants, une métaphore et une image
parallèle du chasseur de terroristes. Que leurs méthodes violentes
soient tournées vers les chiens errants ou les terroristes, ces hommes
suivent les ordres. Ils sont indifférents aux effets de leurs
instruments. Pourtant, ils ne peuvent pas échapper aux effets suffocants
de l’atmosphère politique. La violence qui les entoure et la pression
de leurs autorités les poussent de plus en plus à la paranoïa. L’issue
de leur paranoïa est mortelle à cause des armes qu’ils possèdent.
ENNEMI ET AMI
Les troubles émotionnels vécus par les deux frères déclenchent les
événements dans le film, en raison de glissements narratifs. Ces
tournants sont le basculement d’un ennemi devenant un ami pour Ahmet, et
le basculement d’amis en ennemis pour Kadir. Dans ABLUKA, nous voyons
qu’un ennemi peut être un ami proche, alors qu’un ami proche peut
devenir un ennemi. La nécessité pour Ahmet de gagner sa vie en fait un
tueur de chiens. Le rêve de Kadir de recréer une vie de famille en fait
un informateur. La cruelle solitude de Ahmet crée un ami intime d’un
chien ennemi, alors que Kadir et son amie, objet de son désir,
deviennent ennemis mortels. La solide logique de la violence détruit
tous les liens intimes entre ces gens et fait de ceux-ci des opposants
politiques étrangers l’un à l’autre. Les lignes entre ennemi et ami
peuvent être des coïncidences, mais elles sont très fortes. Kadir et
Ahmet ne peuvent plus faire face à la situation lorsque les personnages
passent d’un côté à l’autre.
VULNÉRABLE
Les personnages du film ne sont pas simplement des instruments du
système ou les victimes d’une atmosphère violente. Ils font certains
choix et ont des responsabilités, ce qui pour moi rapproche le film de
la tragédie. Les personnages sont vulnérables,ils ont des faiblesses qui
les conduisent à des fins tragiques. Le besoin d’affection d’Ahmet le
force à bâtir une relation perverse avec Coni, le chien. La crainte de
le perdre le rend paranoïaque. Le besoin d’amour et d’affection de Kadir
a aussi un effet déclencheur : ses efforts pour gagner l’amour de
Ahmet, Véli son frère disparu qu’il envie, son désir vis-à-vis de Méral
et sa jalousie envers Ahmet, tout cela nourrit sa paranoïa. Ainsi, il
n’y a pas que l’atmosphère politique et les autorités, ou les
revirements d’amis en ennemis, mais les faiblesses émotionnelles des
personnages aussi sont responsables de cette fin tragique.