Pour une exposition qui n’a finalement pas eu lieu, le musée Pompidou avait demandé au cinéaste de répondre en images à la question :
Où en êtes vous, Leos Carax ?
Il tente une réponse, pleine d’interrogations. Sur lui, « son » monde.
Je sais pas. Mais si je savais, je répondrais que…
GÉNÉRIQUE
DENIS LAVANT • KATERYNA YUSPINA • NASTYA GOLUBEVA CARAX • LORETA JUODKAITE • ANNA-ISABEL SIEFKEN / PETR ANEVSKII • BIANCA MADDALUNO • JULIETTE BINOCHE • MICHEL PICCOLI • JEAN-FRANÇOIS BALMER / GUILLAUME DEPARDIEU • KATERINA GOLUBEVA
Image CAROLINE CHAMPETIER, AFC • Décors FLORIAN SANSON • Marionnettistes ROMUALD COLLINET, ESTELLE CHARLIER • Costumes PASCALINE CHAVANNE • Maquillage Coiffure BERNARD FLOCH • Documentaliste SOPHIE LINER • Assistants réalisation THOMAS COLBAN, JULIETTE PICCOLOT • Son LUCAS DOMÉJEAN • Mixage THOMAS GAUDER • Assistants Montage NINA TOLOOIE, MAXIME MATHIS, MIA COLLINS, INÈS TOLOOIE • Étalonnage & trucages FRÉDÉRIC SAVOIR • Direction de Postproduction EUGÉNIE DEPLUS • Direction de production NILS ZACHARIASEN • Productrice associée TATIANA BOUCHAIN • Un film produit par CHARLES GILLIBERT & LC • Une coproduction CG CINÉMA, THÉO FILMS, ARTE FRANCE CINÉMA • Avec la participation de ARTE FRANCE, CHANEL, LES FILMS DU LOSANGE • Avec le soutien du CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE, DE LA RÉGION ÎLE-DE-FRANCE • Distribution salles, vidéo, VOD France LES FILMS DU LOSANGE en association avec SCALA FILMS • Ventes internationales LES FILMS DU LOSANGE
Leos Carax
filmographie
RÉALISATEUR
C’EST PAS MOI (2024)
ANNETTE (2021)
HOLY MOTORS (2012)
MERDE (TOKYO!) (2008)
POLA X (1999)
LES AMANTS DU PONT-NEUF (1991)
MAUVAIS SANG (1986)
BOY MEETS GIRL (1984)
ACTEUR
C’EST PAS MOI (LC, 2024)
HOLY MOTORS (LC, 2012)
MISTER LONELY (HARMONY KORINE, 2007)
THE HOUSE (SARUNAS BARTAS, 1997)
LES MINISTÈRES DE L’ART (PHILIPPE GARREL, 1988)
KING LEAR (JEAN-LUC GODARD, 1987)
ENTRETIEN LEOS CARAX
avec Henri Sanzot
LC: J’ai voulu dire ce que ça dit, cinématographiquement et dans tous les sens.
HS: Mais…
LC: Oui, c’est pas moi — pas de moi, évidemment. C’est la réponse de Rimbaud à sa mère, Vitalie, qui l’interrogeait sur le sens ou l’essence de » Une saison en enfer « .
HS: Vous voyez-vous alors comme un p…
LC: Vaut mieux entendre ça que d’être sournois.
HS: Faire son autoportrait, n’est-ce pas un peu…
LC: Tout à fait. Beaucoup de peintres l’ont fait, bien sûr. J’ai tenté le mien sans miroir. Un autoportrait vu de dos. Ou, comme dans ce rêve rêvé il y a des années : comment se fait-il que je me vois dans ce miroir, alors que j’ai les yeux fermés? — et je le vois bien, dans le miroir, que mes yeux sont fermés.
HS: On retrouve, dans ce film, les…
LC: Le monde que j’ai trouvé à ma naissance (l’ombre noire d’Hitler, mes sœurs et parents, etc.). Le monde que j’ai découvert plus tard : amis, amours, compagnons et compagnes de travail. Ma fille. Mes chiens. Et toutes celles et ceux qui m’ont invité au voyage. Penseurs, artistes, résistants, qui depuis toujours ont préparé le terrain pour que s’élève en pleine mer une île — pas toujours accueillante mais au moins sans douaniers ni règles dérisoires, où l’air reste respirable, où l’on a le droit de s’égarer. Une île de l’autre côté de la vie, d’où l’on peut voir notre monde sous un angle neuf, inventé.
HS: C’est la première fois que vous travaillez sans votre monteuse histo…
LC: C’est un film que je devais monter et redescendre seul. Un petit film réalisé au lit et à la table de montage (même si ces tables n’existent plus). Un film né du jour et de la nuit. Lors de mes insomnies, me venaient deux-trois images, correspondances, raccords, coq-à-l’âne. Et le matin, à ma table, sur le logiciel de montage, je tentais de mettre tout ça en musique. Avec des images de mes archives, ou des images trouvées sur le Web, que je remplacerai ou non plus tard, par d’autres, tournées avec mon téléphone ou avec une équipe. Le soir, j’enregistrais ma voix sur mon téléphone.
HS: Denis Lavant est-il votre d…
LC: Mon diable? Sans doute. Et peut-être vice-versa, si on lui posait la question. Mais un bon diable, le meilleur des diables. Nous avons lui et moi passé un pacte. « Ah Dieu ! L’art est long / Et courte notre vie ! ». Un pacte qui nous a parfois damnés, parfois sauvés.
HS: Nina Simone, Barbara, David Bo…
LC: Oui. Le film évoque ces voix, rares, qui nous suivent depuis l’enfance. Il tente de les remercier ; grâce à elles, on ne sera jamais tout à fait seuls.
HS: À un moment, vous montrez une série de photos de dictat…
LC: Ce chapitre devait s’appeler « Les salauds ricanent ». Poutine, el-Assad, Netanyahou et leurs copains, tous ces « hommes forts »… Les enfants du 20ème siècle pensaient qu’après Hitler, Mao, Staline, le monde allait d’un coup se réveiller adulte. Mais non bien sûr. Comme une franchise Marvel dont le succès ne se dément jamais. Il y a toujours 8 ou 10 individus, soit un milliardième de la population mondiale, qui causent des tonnes de détresses. En ricanant sur des cadavres.
HS: Et vous citez le roman de Dost…
LC: Oui les salauds se disent souvent « Humiliés & Offensés ». Les faux offensés pourrissent notre monde. Et tous prétendent, « C’est pas moi, c’est eux ». L’enfant en nous ne comprend pas : ne suffirait-il pas alors de 8 ou 10 balles de fusil bien placées ?
HS: » C’est pas moi « , c’est ce que disent justement les enfants quand on les acc…
LC: Oui, la découverte du mensonge, le plaisir des premiers mensonges énoncés dans l’enfance — c’est-à-dire, le plaisir de la fiction. « Cé pamoi ». Sans accuser personne (Pamoi n’existe pas). La mauvaise foi, le culot. Ce que les juifs appellent chutzpah : je suis l’enfant qui tue ses parents, puis réclame l’indulgence du jury en tant que pauvre orphelin.
HS: « AU REVOIR / Ô REGARD ». C’est le titre que vous donnez au dernier chapi…
LC: Oui, mais avec un point d’interrogation. Yasujirō Ozu disait qu’il fallait se laver les yeux entre chaque regard. Est-ce encore possible ? Les images aujourd’hui bombardent; elles sont armes de guerre. On peut se rincer l’œil à satiété mais peut-on encore regarder les choses, le monde, les images, en face ?
HS: Normalement, un cinéaste n…
LC: » Normalement » n’existe plus.
HS: Bien… je pense qu’on a fait le t…
LC: Largement. Merci pour vos questions, Henri. Bonne nuit.