Dans ma tête un rond-point de Hassen Ferhani
Film recommandé

Dans tête un rond point

Hassen Ferhani

Distribution : Les films de l'Atalante

Date de sortie : 24/02/2016

Algérie /France /Qatar /Liban/Pays Bas 2015 1h40 - 1,85

Dans le plus grand abattoir d’Alger, des hommes vivent et travaillent à huis-clos aux rythmes lancinants de leurs tâches et de leurs rêves. L’espoir, l’amertume, l’amour, le paradis et l’enfer, le football se racontent comme des mélodies de Chaabi et de Raï qui cadencent leur vie et leur monde. 

Production : Allers Retours Films, Centrale Electrique • Producteurs délégués : Narimane Mari, Olivier Boischot • Directeur de la photo : Hassen Ferhani • Monteur son : Djamel Kerkar • Mixeur : Antoine Morin • Etalonneur : Pierre Sudre • Monteurs : Myriam Aycaguer, Narimane Mari, Hassen Ferhani, Corentin Doucet • Responsable de la post-production : Olivier Boischot

Hassen Ferhani

Hassen Ferhani est né  à Alger en 1986. De  2003 à 2008, il co-anime Le ciné club de l’association chrysalide à Alger. En  2006, il réalise son premier film, un court-métrage de fiction Les Baies d »Alger, sélectionné en compétition officielle par plusieurs festivals internationaux. En 2008, il participe à La formation d »été de
La FEMIS et réalise dans ce cadre, un  court documentaire Le voldu 140. Il co-réalise, en  2010, un film documentaire Afric Hotel.
Tarzan, Don Quichotte et Nous réalisé en 2013 a été  présenté à Visions du  Réel et au FID Marseille ainsi que dans plusieurs festivals internationaux. Dans ma tête un rond-point est son premier Long  métrage.

ENTRETIEN AVEC HASSEN FERHANI

Quelle est l’origine de votre film, Dans ma tête un rond-point, produit par Narimane Mari, la réalisatrice de Loubia Hamra (2013) ?
Les lieux sont pour moi des points de départ. Vers des rencontres, des histoires, des trajectoires de vie… Dans ma tête un rond-point prend la suite de mes explorations filmiques de certains quartiers d’Alger et de leurs habitants. Des lieux avec des mythes et des légendes qui leur sont propres. L’Abattoir d’Alger est une ville dans la ville, un lieu à la fois ouvert et fermé. Les hommes qui y travaillent viennent pour la plupart de l’intérieur du pays. J’avais ce projet de film en tête quand j’ai rencontré Narimane au FID Marseille en 2013. En nous revoyant au festival de Cordoba, je lui ai parlé de mon projet. « Tu as besoin de quoi ? » m’a demandé Narimane qui est également productrice. On a tout de suite entamé les demandes d’autorisations.

Comme l’évoque le titre (citant une séquence), Dans ma tête un rond-point explore divers sujets autour de l’Algérie aujourd’hui. Quel était le projet initial ?
Je suis tombé sur un article consacré au projet de restructuration du quartier de Oued Kniss, là où se trouvent les Abattoirs. On doit y bâtir les nouveaux sièges des deux chambres parlementaires, avec une marina un peu plus loin… Ce quartier d’Alger est mythique, chargé d’histoire. Des dizaines de restaurants à brochettes créaient une grande animation ; ils ont déjà été détruits. Mais le projet de démolition totale a été ajourné en attendant la construction d’un nouvel abattoir en périphérie. J’ai eu comme un déclic, une intuition. Mais, tout de suite, j’ai su que ce n’était pas la destruction que je voulais raconter. Je voulais filmer des vies, celles que voudraient bien me confier les travailleurs des Abattoirs.

Vous avez une certaine familiarité avec les protagonistes du film avec qui vous discutez parfois hors-champ. Comment les avez-vous choisis et dirigés ?
Je voulais faire partie du quotidien de ces hommes. Aussi, avant de tourner, j’ai commencé à me rendre sur les lieux, à traîner là-bas, à humer l’atmosphère, à recueillir des premières impressions. Puis, pendant deux mois, j’ai filmé avec Djamel Kerkar, un ami réalisateur qui s’est occupé du son. Cela nous a permis de nous adapter au rythme des ouvriers, de nous donner le temps de nous promener comme des photographes et de nous arrêter là où on en avait envie, sans chercher au départ à choisir les protagonistes. On a parlé avec beaucoup de personnes, la plupart du temps sans filmer. Je voulais qu’ils me voient travailler, tout comme moi je les regardais exécuter leurs tâches quotidiennes. Je leur ai expliqué mon projet dans ses grandes lignes, ensuite j’ai cherché à me faire oublier. Pas à disparaître, mais à faire partie de leur quotidien. Au fil des discussions, les principaux protagonistes se sont affirmés. Certains se sont tout de suite emparés du film. Pour d’autres, cela a pris plus de temps… Il devait y avoir une réciprocité, de la curiosité, un partage et un respect du travail de chacun. Donc, je ne les ai pas dirigés. Ce sont eux souvent qui nous ont dirigés.

Dans un même lieu, cet abattoir, on équarrit des vaches, on applaudit un match de foot, on parle d’amour ou de politique. Ce mélange des genres était déjà écrit ?
Oui, dès le départ, je voulais qu’on ressente l’étendue des rapports sociaux et humains entre ces hommes dans ce quasi huis-clos, leur communauté mais aussi leurs solitudes. M’intéresser au temps, à leurs efforts, aux moments de pauses. Aux réflexions, aux rires, aux délires et aux tristesses qui les habitent. C’est dans les coulisses du travail qu’on peut avoir accès aux êtres et aux histoires. Il faut dire que beaucoup des travailleurs habitent aux Abattoirs. Certains n’en sortent presque pas, sauf pour des courses rapides dans le quartier.

Dans ma tête un rond-point est composé de plusieurs scènes, apparemment hétérogènes. Comment l’avez-vous construit au montage ?
Le montage devait être à l’image du tournage : dans la même journée, nous passions d’un personnage à l’autre, d’une histoire à une autre. J’ai aussi voulu donner un rythme proche de celui du raï, cette musique qu’ils écoutent en permanence, avec ses crescendos et ses decrescendos. On passe d’un sujet à l’autre sans transition, sans peur des contradictions. On passe du romantisme au pragmatisme, de l’optimisme au pessimisme sans se soucier de logique, ni de progression narrative. Exactement comme ils vivent leurs moments et leurs discussions.

Les gestes du travail filmés dans cet abattoir sont aussi importants. On pense au film de Georges Franju, Le Sang de bêtes (1949). Comment avez-vous réfléchi à ces séquences ?
«Le sang des bêtes» est un grand film de l’après guerre. Une grande part de la poésie de ce film tient à ses commentaires en voix off écrit par Jean Painlevé. Pour mon film, je voulais que la poésie émane des personnages. Et je ne voulais pas faire un film sur la viande, mais sur ce qu’elle fait au corps des hommes qui la travaillent depuis des années, toute une vie pour certains, qui les a marqués dans leur corps et leur esprit. 

Dans ma tête un rond-point se déroule essentiellement la nuit. La lumière et les couleurs fantastiques, dans les séquences des abattoirs surtout, apportent une certaine distance. Quels étaient vos parti-pris ?
Le jour est consacré à la vente. Les clients arrivent, bouchers, distributeurs… La nuit est à la fois un temps de pause pour certains travailleurs et en partie de travail pour d’autres. Les salles d’abattage sont actives avant l’aurore. La nuit est un espace temporel où l’on se livre davantage. On regarde la télé, on écoute de la musique, on discute, on se confie. Et c’est un moment où les travailleurs des Abattoirs se retrouvent entre eux. Les lumières et les couleurs sont très particulières, les sources sont différentes, il y a des lampadaires anciens, des néons d’aujourd’hui, ces mélanges donne cette lumière proche du fantastique.

Plans fixes, cadres composés, jeux sur la profondeur de champ, comment avez-vous travaillé l’image ?
J’ai cherché à trouver la juste distance entre la caméra et les personnages. Assez près pour saisir leur intimité, assez loin pour les filmer dans leur environnement immédiat et respecter leur solitude. Je voulais que la caméra se fasse oublier sans pour autant se cacher. Il fallait qu’ils l’acceptent et qu’elle ne s’impose pas à eux. Ils ont pris le film en main si je puis dire, au point où vers la fin, un des personnages s’inquiète de savoir quel sera son titre et me fait même des propositions. Quant à la composition des images, je reste assez proche de l’approche photographique. J’établis mon cadre, je patiente, je guette les surgissements.

Poèmes populaires, évocation du printemps arabe ou des harragas… Le film a une résonance sociale et politique évidente.
Je me suis interdit d’orienter mes personnages, de chercher un sujet plutôt qu’un autre. Je voulais découvrir ces hommes au plus près de leur réalité. Ce sont des gens qui communiquent beaucoup entre eux. Leur besoin d’échanges est immense. A plus forte raison dans ce milieu où l’on travaille dur et où la parole est à la fois un soutien et un exutoire. Ils parlent de tout : de la vie, de la mort, de leurs espoirs, de leurs rancœurs, de l’Histoire, du monde, de leur foi, de leurs amours et, bien sûr, de l’actualité. Les gens que je filme sont en première ligne des bouleversements que connaît le pays, ils peuvent être touchés très directement par ces questions. Mais ce n’est qu’une partie de l’ensemble des sujets abordés, y compris les plus intimes. Car, si les Algériens aiment parler comme je vous le disais, ils rechignent à parler d’eux. Ils ont une pudeur très forte et il leur est plus facile de parler politique que de leur vie personnelle.