En Sibérie, Yulia et Katia ont été transférées de l’orphelinat à l’internat neuropsychiatrique et ont été privées de tous leurs droits civiques : pas de liberté, pas de possibilité de fonder une famille ou de gagner un salaire.
Chacune entame un combat pour que l’État leur restitue leurs droits et rende possible leur émancipation.
Entre espoirs et déceptions, Manuel de libération est le récit de ce chemin vers la liberté.
Plusieurs prix au Festival International de cinéma à Nyon
Réalisateur Auteur Image Alexander KUZNETSOV • Son Alexander KALACHNIKOV • Montage Alexander ABATUROV • Consultant montage Luc FORVEILLE • Assistant monteur Konstantin SELIN • Montage son Jeanne DELPLANCQ • Mixage Nathalie VIDAL • Production exécutive Alexander KALACHNIKOV, Studio de Kranoyarsk • Production Rebecca HOUZEL
Alexander Kouznetsov
Né
en 1957 dans la région de Krasnoïarsk, Alexander Kouznetsov s’investit
très tôt dans le club de photographie de la ville. Ses créations
photographiques ont fait l’objet de publications dans de nombreux
magazines et ont été exposées en Russie, en Norve ge, en France, aux
États-Unis, en Australie, au Royaume-Uni et en Allemagne.
En 2010, il réalise son premier documentaire, Territoire de l’amour
(Территориялюбви), pré senté en France aux États gé né raux du film
documentaire de Lussas, au Festival du ciné ma russe a Honfleur et au
Festival Artdocfest de Moscou (Russie).
Poursuivant son exploration du territoire sibérien, il réalise en 2014 Territoire de la liberté
(Территория свободы). Au travers de ce deuxième documentaire il nous
propose de partager une autre de ses passions : la montagne. De fait,
alpiniste confirmé et récompensé, il a participé à trois montées de
l’Everest.
NOTE DU RÉALISATEUR ALEXANDER KUZNETSOV
GENÈSE
Un lieu
Station Tinskaya. Kilomètre 3 699 de la magistrale Transibérienne.
C’est là que se trouve l’internat neuropsychiatrique dans lequel j’ai
tourné mon premier film Territoire de l’amour.
Depuis, j’y reviens sans cesse. J’ai l’impression d’y avoir laissé mes
pensées, mes sentiments et mon codeur. Ce lieu, que l’on appelle
communément « asile d’aliénés » ou « maison de fous » fait partie du
système psychiatrique russe, mais comble également les carences de
l’État dans le domaine de l’accueil d’enfants difficiles élevés en
orphelinat. Ainsi se côtoient de réels malades psychiques et des
personnes ordinaires qui semblent s’y trouver par injustice.
Des images
Durant mes repérages, j’ai parfois confié une petite caméra à mes amies internées.
Elles se sont filmées les unes les autres. La caméra à la main, elles devenaient libres, au moins pour quelques temps.
Elles parlaient de leur vie, de leurs rêves – d’avoir une famille,
des enfants, une maison à elles, du travail. Ces images, cette
expérience sont aussi l’impulsion de ce film.
Un événement
En août 2011, Sergueï Yefrémov, directeur de l’internat, m’annonce qu’il prépare les documents pour entamer une procédure judiciaire en faveur de Yulia Danilouchkina.
Depuis quelques temps, Segueï Efremov s’appuie sur un nouveau décret pour aider certains de ses internés à recouvrer leurs droits civiques et à tenter de vivre en dehors de l’internat. Il est en effet désormais possible pour eux d’entamer une procédure judiciaire dans ce but. Yulia s’apprêtait à passer une expertise médicolégale et à se présenter devant un juge qui peut-être lui restituerait ses droits et ainsi la possibilité d’être libre. J’ai immédiatement pensé au titre : Manuel de libération. Un film pour montrer comment il est possible de changer son destin, et d’échapper à cette prison psychiatrique grâce à la législation russe même.
Dans mon précédent film Territoire de l’amour, je demandais à Yulia pourquoi elle se trouvait là, à l’internat, alors qu’elle était parfaitement capable de vivre dehors. Elle répondait résignée, et moi, je m’insurgeais de cette injustice.
Ce que m’annonçait Sergeï Efremov était ce dont j’avais rêvé : mon film pouvait aider quelqu’un à regagner sa liberté…
Manuel de libération est pour moi un film qui se situe sur le terrain de l’action, de la transformation. Mais il contient pour moi une autre dimension : quand je suis avec mes personnages, je suis du côté de l’émotion que je veux faire partager dans mes images. Je filme la machine étatique et face à elle, la fragilité et la force de ceux qui tentent de résister.
LES PERSONNAGES
Yulia Daniluchkina Elle a 34 ans. Abandonnée par sa mère, elle a passée son enfance à l’orphelinat et a arrêté l’école après l’équivalent de la 3ème. Elle a appris le métier de cuisinière et a travaillé à l’orphelinat comme nurse. Elle vit aujourd’hui à l’internat et exerce le métier d’aide cuisinier pour la cantine. Elle est discrète, dense, souriante. Elle rêve de fonder une famille. La procédure qu’elle a entamée va peut-être rendre ce rêve accessible.
Ekaterina Kasimova, dit Katia
Elle a 24 ans. Après son abandon par sa mère, l’orphelinat l’a
recueillie puis classée dans les enfants difficiles. Elle a changé
d’orphelinat puis a atterri à Tinskaya à l’âge de 18 ans. Elle participe
activement à l’ensemble LES AUTRES qui se produit sur scène à
l’internat et dans d’autres lieux de la région.
Elle a étudié le piano durant trois ans à l’école de musique de la
région. Elle est aujourd’hui élève et interne, au lycée professionnel
dont elle doit sortir en ayant appris le métier de peintre en bâtiment.
Grâce au directeur de l’internat elle a pu retrouver sa grand-mère
qu’elle voit régulièrement.
Sergei Vladimirovitch Efremov Directeur de l’internat depuis dix ans, il a 59 ans. Auparavant, il était directeur d’école dans un village voisin. Il est grand et sincère. Les personnes qui vivent à l’internat l’appellent papa et l’aiment énormément. Les bureaucrates du ministère des Affaires sociales ne l’apprécient pas beaucoup. Son activité viole toutes leurs instructions.
LES ORPHELINATS EN RUSSIE LEXIQUE
INCAPACITÉ LÉGALE
Terme juridique, qui désigne le fait qu’une personne a perdu la
capacité d’exercer par elle-même ses droits et ses devoirs civiques en
raison de dérangements sévères de son esprit.
(Guide de la Psychiatrie Médicolégale, Moscou, 1977) La personne
déclarée légalement incapable, automatiquement de ce fait, perd la
plupart de ses droits : avoir une famille, choisir son métier et son
domicile, disposer de ses biens, porter des plaintes à la Cour,
participer aux élections, décider des méthodes de son traitement
médical.
INTERNAT NEUROPSYCHIATRIQUE OU PSYCHONEUROLOGIQUE
Institution médicale du service social pour les personnes souffrant
de dérangement psychique accompagné de la perte partielle ou complète
des capacités à se soigner, dont l’état de santé psychique et souvent
également physique, nécessite une cure et surveillance permanentes.
Les internats psychoneurologiques sont inclus dans le système du
service psychiatrique général de la Fédération de Russie et, en même
temps, sont des institutions de la protection sociale.
ORPHELINAT (Maison d’enfants)
Institution d’éducation pour les enfants qui ont perdu leurs parents ou
qui sont privés de leurs soins, qui ont besoin d’aide et de la
protection de la part de l’État.
ORPHELINAT SOCIAL POUR ENFANTS
Institution spéciale du service social destiné à la réhabilitation
sociale ou psychologique des enfants souffrant à des degrés différents
de désadaptation sociale.
QUELQUES CHIFFRES
En 1990 en Russie, on comptait 564 orphelinats (maisons d’enfants), en 2004 ce chiffre a presque triplé : 1 400.
En 2007 en Russie, le nombre des enfants orphelins était de 748 000.
Selon l’information publiée par le Ministère Public de la Russie en
1999, seulement 10% des jeunes sortant des orphelinats et internats
d’État, s’adaptent à la vie ordinaire, 40% d’entre eux commettent des
crimes, les autres 40% deviennent alcooliques ou toxicomanes, et 10%
commettent des suicides.
Annuellement, 26 000 jeunes sortent des orphelinats (maisons d’enfants)
de Russie. D’après l’information publiée par le Ministère de
l’Instruction Publique de Russie, pendant les 15 dernières années, 90
000 de ces jeunes n’ont pas obtenu le logement qui leur est du d’après
la loi.
TEXTES DE LOI
Code Civil de la Fédération de Russie
Article 29. Déclaration de l’incapacité légale d’un citoyen
1.
Le citoyen qui, en conséquence d’un dérangement psychique, ne peut pas
comprendre la signification de ses actes ou les diriger, peut être,
par la Cour, déclaré légalement incapable, dans l’ordre établi par
la règle du droit judiciaire.
Pour ce citoyen, on établit la tutelle.
2. Tous les actes légaux nécessaires au nom d’un tel citoyen, sont effectués par son tuteur.
3. Si
les raisons pour lesquelles le citoyen a été déclaré légalement
incapable ont disparu, la Cour peut déclarer la capacité légale. En
partant du verdict de la Cour, la tutelle doit
être abolie.
Décret de 27.02.2009
Vu les violations de masse des droits des citoyens dans la procédure
des affaires de déclaration d’incapacité légale, à l’étape des débats
judiciaires comme à l’étape d’appel et de cassation auprès du ministère
public, la Cour Constitutionnelle de la Fédération de Russie a jugé un
nombre des articles concernant l’incapacité légale, du Code Civil de
procédure et de la loi « Sur l’aide psychiatrique et les garanties des
droits des citoyens », être non-conformes à la Constitution de la
Fédération de Russie.