Après 30 ans de dictature, le portrait d’une jeunesse soudanaise, qui par ses mots, poèmes et créations défie la répression militaire et lutte pour ses rêves de démocratie. En croisant leurs itinéraires, Hind Meddeb articule les fragments d’une révolution impossible, de ses débuts prometteurs jusqu’à ce que la guerre détruise tout, mettant les Soudanais sur les routes de l’exil. Progressivement, les liens se tissent au fil d’une correspondance entre la réalisatrice et les protagonistes du film.
Giornate degli Autori (Venice Days) – Mostra de Venise 2024 | Toronto Tiff Docs 2024 | Doc NYC 2024 – Compétition internationale (Mention spéciale du Jury) | Festival IDFA 2024 | Festival International de Marrakech 2024 | Festival International du film politique de Carcassonne 2025 –- Prix du Syndicat de la Critique de cinéma | Festival Un État du Monde / Forum des Images 2025 | FIPADOC 2025 – Compétition Nationale – Prix des femmes dans les médias | San Francisco International Film Festival 2025 | Durban Intl. FF 2025 | CPH:DOX | Göteborg Film Festival
Réalisation | Hind Meddeb · Scénario | Hind Meddeb · Montage | Gladys Joujou · Son | Hind Meddeb, Damien Tronchot · Consultante scénario | Nadine Naous · Protagonistes | Shajane Suliman, Maha Elfaki, Ahmed Muzamil, Khatab Ahmed
Production | Echo Films – Abel Nahmias · Coproduction | Blue Train Films – Michel Zana et Alice Ormières ; My Way Production Tounès – Taoufik Guiga · Ventes Mena | MAD Solutions · Ventes internationales | Totem Films · Distribution France | Dulac Distribution · Avec le soutien de Centre national du cinéma et de l’image animée, de l’Aide à la Coproduction Franco-Tunisienne (CNC-CNCI), Fondation Quiet, région Île-de-France, Doha Film Institute, The Arab Fund For Arts And Culture (AFAC), Fonds Image de la Francophonie, MAD Solutions, Final Cut in Venice (TitraFilm, RAI Cinema, Red Sea Fund – Red Sea International Film Festival, El Gouna Film Festival), Ateliers de l’Atlas – Festival International du Film de Marrakech, CPH:DOX, Cairo Film Connection.



Hind Meddeb
Hind Meddeb a grandi entre la France, le Maroc et la Tunisie. Ces années de circulation entre les cultures et les langues forgent la singularité de son regard. Dans ses films documentaires, elle observe toutes les formes de résistance à l’ordre établi en filmant du côté de ceux qui se révoltent. À l’heure du printemps arabe, elle réalise deux longs métrages sur la création musicale comme acte révolutionnaire, Tunisia Clash et Electro Chaabi. Son film Paris Stalingrad retrace l’itinéraire de Souleymane, jeune poète soudanais qui arrive à Paris – présenté à Cinéma du Réel, TIFF et dans de nombreux festivals avant de sortir au cinéma en 2021. Son nouveau documentaire Soudan, souviens-toi, portrait au long cours d’une jeunesse soudanaise en quête de liberté, a été présenté à la Mostra de Venise, au Festival de Toronto et dans des dizaines de festivals à travers le monde. Il a reçu la mention spéciale du jury à DOC NYC, le prix du public à AJYAL (Doha), le prix du Syndicat de la critique de cinéma au festival du film politique de Carcassonne, le Prix Femmes dans les Médias au FIPADOC, le prix de la presse et le prix du public au RAMDAM en Belgique.
FILMOGRAPHIE
2024 – Soudan, souviens-toi
2021 – Paris Stalingrad
2015 – Tunisia Clash
2013 – Electro Chaabi
ENTRETIEN avec Hind Meddeb
Soudan, souviens-toi découle-t-il de votre précédent long-métrage documentaire, Paris-Stalingrad ?
Oui. J’ai tourné ce film sur les campements d’exilés autour du métro Stalingrad à Paris. Je me suis liée d’amitié avec des Soudanais demandeurs d’asile. Je dirai que j’ai rencontré le Soudan à Paris. Moins de quatre semaines après que l’on ait présenté Paris-Stalingrad pour la première fois, au festival Cinéma du Réel, on apprenait la chute de Omar Al-Bachir. C’était le 11 avril 2019. Les amis soudanais ont vécu cet évènement avec un mélange de joie et de frustration.
Pourquoi cette frustration ?
Toute leur vie, ils avaient rêvé de ce moment où la dictature s’effondre. D’en être, d’y participer. Mais leur situation administrative et l’issue politique incertaine des événements leur interdisaient de rentrer au pays. Ils en étaient réduits à suivre leur révolution sur les réseaux sociaux ! Omar Al-Bachir est resté trente ans au pouvoir. Dans un pays extrêmement divers, où l’on pratique différentes religions, il a imposé la charia, la langue arabe, le parti unique et a plongé le pays dans la guerre civile. Pour mettre à terre la résistance dans certaines régions, il a prétexté la supériorité des tribus arabes, envoyant la milice FSR faire du nettoyage ethnique et exproprier des paysans de leurs terres. Le génocide au Darfour, au Kordofan et dans la région du Nil bleu a fait des centaines de milliers de morts. La plupart des amis Soudanais rencontrés à Paris avaient lutté contre ce régime, ils avaient participé aux manifs et aux mouvements de désobéissance civile, en 2006, en 2013. Certains, dans les réseaux étudiants de lutte, avaient été arrêtés, torturés et avaient quitté leur pays clandestinement. Ce sont eux qui m’ont poussé à partir. En me disant simplement « Toi, tu peux y aller. Tu peux nous ramener des images de notre révolution. »
La demande, la commande, si on peut dire, vient donc d’eux ?
Oui, je dirais que ce film est une histoire d’amitié. Je suis d’abord partie seule, pour rapporter des images de leur révolution, armée d’une petite caméra Sony agrémentée d’un vieil objectif Leica qui permettait de filmer la nuit. Et d’un micro directionnel branché sur la caméra. Un matériel vraiment rudimentaire. Les amis soudanais à Paris m’ont conseillé de faire ma demande de visa à partir de mon passeport tunisien. C’est donc depuis Tunis que j’ai fait ma demande au consulat. Pour se rendre au Soudan, il faut une invitation, que quelqu’un sur place aille au ministère de l’intérieur pour vous enregistrer. Mais de ce coté là, ça bloquait. A Khartoum, les administrations étaient fermées, c’était la révolution ! On a fini par trouver quelqu’un qui connaissait le consul soudanais à Tunis, et tout s’est miraculeusement débloqué, et j’ai débarqué là-bas le 16 mai, sans connaître la ville ni personne, ou presque.
En mai 2019, le sit-in est déjà installé depuis un mois.
Oui le sit-in avait commencé le 6 avril, date à partir de laquelle toutes les différentes manifestations qui embrasaient le pays ont convergé vers Khartoum. C’est ce que l’on a appelé « Millioniya » : « La Marche du million ». L’idée du sit-in c’était : on ne bouge pas d’ici jusqu’à ce qu’Omar Al-Bachir tombe. Mais très vite il est tombé et les gens ont dit : on ne bouge pas tant qu’on n’obtient pas un changement de régime, la « Madania », littéralement le gouvernement citoyen, la démocratie.
Ce campement encerclait-il le QG de l’armée ?
Oui mais pas seulement. J’avais connu la place Tahrir au Caire en 2011, et aussi l’ébullition qui suivit la chute de Ben Ali en Tunisie sur l’avenue Bourguiba. Mais à Khartoum, c’était encore plus spectaculaire. Ce n’était pas une place ou une avenue, mais tout un quartier qui avait été investi. Les révolutionnaires ont coupé la circulation et ont instauré une cité utopique piétonne. Si bien que ça se déployait comme une ville dans la ville. On pouvait mettre trente minutes pour aller d’un point A à un point B. Les grandes régions du pays, certains quartiers emblématiques comme Burri ou Omdurman, les ONG locales, les associations de défense de droits de l’homme, les collectifs féministes, tous y avaient planté leur tente. Trente ans de dictature les avaient isolés les uns des autres. Le sit-in était pour eux un lieu de ralliement où l’on peut se rencontrer, débattre, mettre les idées et les forces en commun et dessiner ainsi à une petite échelle la société dont on rêve.
Est-ce compliqué de filmer dans une telle ville dans la ville ?
Non car il y avait un désir d’être filmé. Les gens venaient vers moi. Je n’étais pas en quête de personnalités politiques, j’étais du côté de ces citoyens ordinaires qui agissent dans l’ombre, je filmais ces petits gestes accumulés qui rendent possible l’utopie révolutionnaire.
Comment expliquer ce désir ?
Par l’isolement. Le pays était sans image depuis trente ans. La dictature avait interdit les cinémas, fermé tous les lieux de fête et de culture comme les cabarets sur les bords du Nil. Mais surtout avant la révolution, personne ne pouvait filmer librement. Le Soudan était aussi isolé de la scène internationale, les USA l’ont mis sur la liste des pays terroristes en 1993 parce qu’ils pensaient que les attentats de Nairobi avaient été organisés à partir de Khartoum.
Cela se sentait lorsque vous approchiez les gens pour les interviewer ?
Je n’avais presque pas besoin de le faire. Ils venaient vers moi, ils s’adressaient à la caméra, à un monde avec qui ils n’avaient plus communiqué depuis 1989. J’ai gardé au montage certaines de ces interactions, car elles disent leur rapport à la présence d’une intruse, « une tunisienne qui parle un joli arabe »…
Parlons justement de la langue…
Elle est à la fois une force et une faiblesse. Je n’ai pas un niveau d’arabe très élevé. Ma mère est maroco-algérienne, mon père est tunisien, mes parents se parlaient en français. Quand je suis née, ils ont fait l’effort de ne me parler qu’en arabe car comme j’allais grandir en France, ils se disaient que s’ils ne le faisaient pas, je n’apprendrai jamais l’arabe. Et ils ont eu raison. Ma langue maternelle est hybride, un mélange de deux dialectes. En 2011, j’ai tourné un film en Egypte et j’ai appris l’égyptien dans la rue. Au Soudan, je m’adressai aux gens dans mon dialectal égyptien approximatif au milieu duquel pouvait surgir une expression en marocain ou en tunisien. Ma position est donc celle d’une étrangère. Cela aurait pu me desservir mais ce fut une force. Comme je ne suis pas soudanaise, cela donne une plus grande liberté à ceux qui me parlent. Ils ne se sentent pas jugés par quelqu’un qui viendrait d’une autre ethnie, d’un autre milieu social ou d’une autre sensibilité politique, je reste extérieure aux querelles internes. Je me situe dans une position intermédiaire, entre intimité et distance, si loin si proche. J’observe leur révolution à partir de nos histoires communes, de la même manière que les Soudanais regardent le pays de mon père, la Tunisie, comme le miroir de leurs propres luttes.
Le tournage a nécessité combien de voyages en tout ?
Cinq. Tous interrompus, empêchés, ralentis par des événements historiques. Le premier tournage a été interrompu par le massacre du 3 juin. En 2020, l’épidémie de Covid a fermé les frontières. Puis il y a eu le coup d’état militaire de 2021. Et le début de la guerre en avril 2023. Chaque tournage était de l’ordre du miracle. Je ne savais jamais si j’allais obtenir mon visa, si mon matériel ne serait pas saisi à la douane, ni combien de temps le voyage allait durer, jusqu’à quand les gens allaient pouvoir faire des choses.
Le film pourrait laisser croire que c’est un mouvement révolutionnaire sans tête, sans structure, sans organisation…
Non, c’est un mouvement très structuré. Mais je ne voulais pas faire le film du point de vue des politiques ou des têtes pensantes du mouvement. Je voulais le raconter d’en-bas. Mais en-bas aussi, c’est structuré par les comités de résistance dans les quartiers. Mais si je les avais filmés, je les aurais mis en danger.