Dans le monde bariolé et flamboyant de la Lucha Libre, Cassandro est une star aussi incontournable que singulière. Il est le roi des Exóticos, ces catcheurs mexicains travestis qui dynamitent les préjugés dans un sport pourtant fortement machiste. Malgré ses mises en plis, son mascara et ses paupières impeccablement maquillées, Cassandro est un homme de combat extrême, maintes fois Champion du Monde, qui pousse son corps aux limites du possible. Pas un combat sans qu’il ne soit en sang, qu’une épaule ne se déboite, ou qu’un genou ne parte en vrille ! Pourtant, après 26 ans de vols planés, d’empoignades et de pugilats sur le ring, Cassandro est en miettes, le corps pulvérisé de partout et le moral laminé par un passé particulièrement dur et traumatique. Tête brûlée, il ne veut cependant pas s’arrêter ni s’éloigner du feu des projecteurs…
Sélection ACID au Festival de Cannes – 2018
Un film de Marie Losier • Produit par Carole Chassaing et Antoine Barraud • Co-écrit avec Antoine Barraud • Image et son Marie Losier • Montage Ael Dallier Vega • Direction artistique Simon Fravega • Directrion de production Lola Adamo • Montage son et mixage Gilles Benardeau • Producteurs associés (Suisse) GARIDI FILMS, Consuelo Frauenfelder, Stefan Lauper, Tarik Garidi • Une production Tamara Films – Carole Chassaing / Tu vas voir – Gérard Lacroix, Edgard Tenembaum • Cette oeuvre a bénéficié du Fonds d’Aide à l’Innovation Audiovisuelle du Centre national du cinéma et de l’image animée, du soutien de Brouillon d’un rêve de la Scam et du dispositif La Culture avec la Copie Privée, du soutien de la commission Image/mouvement du Centre National des Arts Plastiques, du soutien du Moulin d’Andé-CECI, Centre des Écritures Cinématographiques, (DRAC, Région Normandie, Département de l’Eure), de la bourse de la Jerome Foundation/Artist Fellowship, et de la bourse d’artiste de John Simon Guggenheim Memorial Foundation.
Ce film a été sélectionné en développement par Paris DOC – Cinéma du Réel / Venice Gap – Financing Market 2017 / Work in Progress 2017, Les Arcs European Film Festival
Marie Losier
Après
une jeunesse passée dans la gymnastique acrobatique (trapèze, poutres,
barres parallèles…) puis la danse contemporaine et les claquettes, Marie
Losier étudie la littérature à l’Université de Nanterre et la peinture
aux Beaux Arts à New York. Elle réalise ensuite ses nombreux portraits
avant-gardistes, intimes, poétiques et ludiques de cinéastes, de
musiciens et de compositeurs hors normes tels que Alan Vega, Jonas Mekas
ou Genesis P.Orridge. Autant de films réalisés les week-ends, sur son
seul temps libre et avec ses économies.
Mais c’est son premier long métrage The Ballad of Genesis and Lady Jaye
qui la fait réellement connaître. Après avoir été présenté dans plus de
200 festivals, le film sort en salles en 2011 en France, aux États
Unis, au Canada, en Allemagne et au Mexique. Il gagne au passage une
dizaine de prix. Régulièrement présentés dans de prestigieux festivals
(Berlin, Rotterdam, Tribeca, CPH:DOX, Bafici, Cinéma du Réel, Hors
Pistes, etc.), Ballad et ses autres films sont également souvent
projetés dans des musées tels que la Tate Modern (Londres), le MoMA
(NYC), le Centre Pompidou, ou encore la Cinémathèque Française (Paris)
et la Whitney Biennale (NYC)… Elle fera l’objet d’une rétrospective
complète au MoMA en Novembre 2018.
Filmographie
LONGS MÉTRAGES
2018 Cassandro The Exotico
Sélection ACID au Festival de CAnnes 2018
2011 The Ballad of Genesis and Lady Jaye
Prix Grand Prix – Festival du Film d’Indielisboa (Lisbonne, Portugal)
Prix Teddy – Festival du Film de Berlin – Forum
Prix Caligari – Festival du Film de Berlin – Forum
Prix Louis Marcorelles et Prix des Bibliothèques – Cinéma du Réel (France)
Prix du Public – Bafici – Festival du Film de Buenos Aires (Argentine)
Prix de la Réalisation artistique – Outfest Film Festival (Los Angeles, USA)
Mention Spéciale – Sanfic – Compétition Internationale (Santiago, Chili)
Mention Spéciale & Prix du Public – Festival du Nouveau Cinéma (Montréal, CA)
COURTS MÉTRAGES (sélection)
L’Oiseau de la Nuit (2015)
Bim, Bam, Boom, Las Luchas Morenas! (2014)
Alan Vega, Just a Million Dreams (2013)
Tony Conrad, Dreaminimalist (2008)
Eat Your Makeup! (2005)

Cassandro
Cassandro (de son vrai nom Saúl Armendáriz) est catcheur
professionnel depuis l’âge de 17 ans. Il est né et a grandi à El Paso au
Texas et a commencé à s’entrainer régulièrement en tant que Luchador de
l’autre côté de la frontière, à Juárez au Mexique, alors qu’il était
encore un jeune adolescent. Pour lui, le plaisir et la famille se
situaient principalement à Juárez avec, en tête de tous, la Lucha Libre –
version mexicaine, pop et flash, du catch professionnel. Chaque barrio
avait une petite arène où des héros masqués (técnicos) s’affrontaient
contre les méchants (rudos) tous les dimanches. Saúl adorait les
costumes scintillants, le lycra, les corps en sueur et les foules
bruyantes et passionnées. Il idolâtrait les Luchadores plus vrais que
nature même si lui n’était pas bien grand. Mais il était athlétique et
vif, et désespérément en manque d’une nouvelle image de lui-même, d’un
alter ego.
Alors que les Exóticos ont commencé à se travestir, leurs numéros se
sont transformés en caricatures d’homosexuels. Le public adorait les
détester, criant « Joto! » (« Pédé! ») et autres insultes. Les Exóticos
offraient un contraste par rapport aux machos qu’ils affrontaient sur le
ring. Les Exóticos célèbres insistaient sur le fait qu’il s’agissait
d’un numéro et que dans la vie courante, ils étaient hétérosexuels.
Cassandro, lui, a été l’un des premiers à affirmer publiquement qu’il
était bel et bien gay. Lors de son premier match en tant qu’Exótico,
Saúl Armendáriz n’était d’ailleurs pas masqué. Certains sont maintenant
acceptés en tant que modèles positifs. « Je connais des hétéros qui me
disent qu’ils sont plus tolérants envers les homos grâce à moi » dit
fièrement Cassandro. Dans le passé pourtant, il a maintenu sa confiance
en lui en s’anesthésiant avec de larges doses de drogues et d’alcool :
tequila, cocaïne, marijuana. L’univers de la Lucha Libre attirait les
policiers haut-placés, les fédéraux, ainsi que leurs cousins de la
pègre, ce qui assurait une provision illimitée de produits illicites.
Pour Cassandro, la fête a duré plus de dix ans. Quelques années plus
tard, il touchait le fond. Sa carrière souffrait à cause de ses
dépendances et il ne catchait plus beaucoup. Vers la fin, il vivait dans
l’arrière-cour d’un ami. La date de sa sobriété, le 4 juin 2003, est
tatouée sur son dos. Il a t rouvé la force de s’en sortir grâce à son
désir de vie, à sa croyance en Dieu, et par le biais de pratiques
spirituelles venant des Mayas et des Indiens d’Amérique qui l’ont
introduit à ses ancêtres Nahuatl. « On dit que la religion c’est pour
ceux qui ont peur de l’Enfer, » dit Saúl. « Mais la spiritualité c’est
pour ceux qui sont déjà allés en Enfer. Comme moi. » Il a repris les
combats, et a crée une nouvelle identité et une nouvelle façon de
combattre. Mais aujourd’hui, il doit faire face à de nouvelles épreuves.
Il a subi deux crises cardiaques et ne peut plus ignorer les dangers
physiques et moteurs qui le guettent.
Les Exóticos
Dans le monde du catch mexicain, la Lucha Libre, les Exóticos sont
des catcheurs hommes habillés en femme, voire même en « drag », et qui
combattent par extension les codes de la virilité. Même s’ils ne sont
pas nécessairement homosexuels, les Exóticos cultivent à l’évidence
l’ambigüité. Ils ne reculent devant aucune excentricité, du boa, à la
mise en pli, des paillettes aux robes moulantes. Kitchs, flamboyants,
parfois provocateurs, souvent drôles, ils n’en sont pas moins
d’excellents athlètes, puissants et rusés. Dans un monde si machiste et
compétitif, les Exóticos ont eu à se battre pour leur reconnaissance et
leur façon d’être.
Ils prouvent en permanence que leur féminité et leur humour ne
diminuent en rien leur capacité à se battre et à distribuer les coups.
Si les premiers Exóticos sont apparus dans les années 1940, (notamment
avec Sterling Davis, aka Gardenia Davis qui entrait sur le ring en
lançant des gardénias au public), tous prétendait que ce n’était qu’une
mise en scène théâtrale pour le public et pas du tout une identité
profonde. Ce n’est qu’au milieu des années 1980 que deux Luchadores
commencèrent à lutter en tant qu’Exóticos, mais sans renier leur
identité homosexuelle en public. Cela a complètement changé la
perception du phénomène et permis d’élargir et par extension d’accepter
cette catégorie sociale.
L’une de leur principale singularité n’est pas anodine puisque pour la
plupart, les Exóticos combattent sans masque. C’est là une vraie
originalité dans l’univers du catch dont le masque est l’un des symboles
les plus forts et aussi une façon d’assumer haut et fort leur identité
profonde afin de donner l’exemple aux plus jeunes.
La zone El Paso / Juárez
L’agglomération de El Paso / Juárez a la particularité de s’étendre sur deux pays, les États Unis d’un côté et le Mexique de l’autre. Ce sont à la fois deux villes distinctes, opposées en tout, partagées par le fleuve Rio Grande, et une même étendue urbaine coincée entre les montagnes et le désert du Chihuahua. Selon les recensements, El Paso compte plus de deux tiers d’habitants d’origine hispanique. A l’inverse des idées reçues, c’est une ville très sûre et très fière de son musée de la police transfrontalière, le United States Border Patrol Museum. Ce n’est pas du tout le cas de Juárez, extrêmement dangereuse et délabrée. L’absence totale de politique cohérente concernant l’immigration a mené à l’apparition de quartiers très pauvres tout autour de la ville. Juárez est donc majoritairement et tristement connue pour sa criminalité qui lui vaut le surnom de «capitale mondiale du meurtre». Les affrontements entre les cartels de la drogue y ont fait des centaines et des centaines de morts rien que les cinq dernières
années. La police et l’armée sillonnent la ville dans des engins blindés sans réellement parvenir à changer la situation.
Que l’on choisisse de l’ignorer (comme la majorité des habitants de El Paso qui chérissent leur tranquillité) ou pas (comme la majorité des habitants de Juárez qui ne pensent qu’à passer), la frontière est omniprésente, ultra visible de partout avec son immense grillage de chaque côté du fleuve. Depuis l’ère Trump, elle est plus que jamais dans toutes les têtes, dans tous les champs de vision. Elle est l’ossature, la colonne vertébrale de la région.
Entretien avec Marie Losier
Cassandro, par bien des aspects, est comme une quintessence de
l’univers de Marie Losier. Habituée des survivants, des fracassés de la
vie, irrésistibles, drôles, colorés et insolents, comme le metteur en
scène avant-gardiste New-Yorkais Richard Foreman, le cinéaste canadien
Guy Maddin, les frères Kuchar, cinéastes jumeaux de l’underground New
Yorkais des années 50, le musicien minimaliste Tony Conrad, Alan Vega du
groupe Suicide, l’artiste transgenre Genesis P-Orridge, la chanteuse
April March, les cinéastes Jackie Raynal et Jonas Mekas entre autres,
Marie Losier s’éloigne des conventions chronologiques et biographiques
des portraits pour s’attacher à un moment précis, privilégier les mises
en scènes oniriques qui permettent de parler d’un contexte social et
politique en transfigurant le réel et en tentant d’apporter une poésie.
Véritable Alice au pays des merveilles, elle s’aventure cette
fois non seulement hors de New York mais hors du milieu artistique, dans
un monde inconnu de grands types baraqués et de combinaisons en lycra !
Que savais-tu de la Lucha Libre avant ce film ?
J’avais déjà voyagé à maintes reprises à Mexico City en tant que
programmatrice de films et à chacun de mes voyages mon attirance pour la
Lucha Libre (le nom général du catch mexicain), que j’avais découverte
des années auparavant au travers du cinéma, s’était accentuée. C’est
tout ce que j’aime : un monde théâtral excessif et drôle, des «
personnages » de cinéma « bigger than life », des costumes multicolores
et scintillants, des cris, du suspense, des prouesses acrobatiques
spectaculaires et par dessus tout c’est un moment d’allégresse
regroupant toutes les classes sociales avec leurs héros du ring ! C’est
le deuxième sport le plus populaire au Mexique après le foot et les
catcheurs y sont vénérés comme des légendes vivantes par le public en
liesse. C’est une véritable religion ! Tout le monde y est réuni et «
vit » le jeu à fond, les vieux, les jeunes, c’est merveilleux. Je suis,
par ailleurs, comme le public mexicain lui-même, très sensible au
mystère de ces hommes musclés et masqués qui ne révèlent jamais leurs
identités ni dans la vie ni sur le ring. Il y a là tout un univers de
sons et de couleurs qui donne une envie folle de filmer.
Comment as tu rencontré Cassandro ?
J’étais à Los Angeles pour la sortie américaine de mon précédent long
métrage The Ballad of Genesis and Lady Jaye et un ami m’a emmenée voir
un spectacle « Lucha Vavoom », une troupe de catch burlesque, dont la
star n’était autre que Cassandro lui-même. C’est par lui que j’ai pris
conscience de ce qu’était un « Exótico » (voir annexe). Je ne l’ai
pourtant connu réellement que plusieurs mois plus tard, au Mexique, sur
un bateau navigant autour d’une étrange île hantée où nous nous étions
donné rendez vous. Nous avons parlé des heures, puis bientôt des jours,
sans se quitter. Il m’a emmenée voir des matchs dans lesquels il
connaissait tout le monde. Nous avons bavé ensemble sur les sublimes
corps des athlètes et ri de notre propre béatitude ! Il m’a emmenée chez
sa coiffeuse, au fin fond de Mexico City, dans les quartiers très
pauvres de la ville, où il s’est fait permanenter les cheveux pendant
des heures, au marché des sorcières pour acheter des plantes magiques et
médicinales, puis chez ses amis les indiens Aztec avec qui il s’adonne à
divers rituels. J’ai tout de suite été impressionnée par sa chaleur,
son excentricité, son humour décapant, sa rapidité d’esprit et,
évidemment, ses capacités athlétiques (il est ancien Champion du Monde
de la National Wrestling Alliance). Autant de paramètres qui contrastent
avec sa petite taille, la dureté de
sa vie et sa grande sensibilité.
Il est en effet extrêmement touchant…
Oui. Il faut imaginer le courage qu’il a fallu à cet homme pour
apparaître sur le ring, non seulement en étant ouvertement gay, couvert
de plumes et de maquillage ndans un sport si machiste, mais en plus pour
le faire sans masque ! Si les Exóticos existaient avant lui, tous,
majoritairement hétérosexuels, singeaient une homosexualité grossière et
burlesque, presque homophobe, alors que lui en a fait une cause
nationale, un cheval de guerre sincère et bouleversant. Une acceptation,
une revendication de lui-même entière et sans concession qui depuis a
fait école. Il repousse les frontières, il est très ouvert aux autres,
solidaire, conscient de la fragilité de sa survie.
Aujourd’hui, il a d’ailleurs très peur de la fin de sa carrière qui approche…
C’est compréhensible. La Lucha Libre l’a sorti de tout. De la drogue,
de la haine de soi, de la pauvreté, des violences quotidiennes. Il a
transformé toutes ses supposées faiblesses en force, mais je comprends
très bien qu’à ce moment de sa carrière il ait si peur de retomber dans
tout cela. C’est humain. Dans le film il s’ouvre totalement sur cela, il
parle très profondément de son intimité et de ses émotions. C’est ce
que permet notre amitié. Comme je suis très petite nous étions très
souvent juste tous les deux. J’étais son Jimminy Cricket !
Toute seule avec ta caméra 16mm !
La pellicule 16mm est un ingrédient fondamental de mon travail autant
que le choix entre la peinture et l’aquarelle, le marbre ou l’argile
pour d’autres artistes. C’est un rapport aux choses, une texture, un
rituel, une histoire aussi. D’amour et de ,cinéma. J’aime les trucages
caméra, les filtres, les optiques différentes et même kaléidoscopiques.
J’aime les techniques du début du cinéma, des Méliès, des Cocteau, des
Jack Smith. Le choix de la pellicule est un travail sur la matière –
film, sur la mythologie – film aussi. Mais c’est avant tout un rapport à
l’autre, car c’est le plus souvent sans son synchrone, juste l’image et
par ailleurs j’aime aussi l’attente avant de voir la pellicule tirée.
C’est pour moi le vecteur, le liant entre moi et la personne que je
filme, par là que tout passe, l’émotion, la beauté, le jeu aussi. Le
goût du jeu est d’ailleurs une composante importante de ma relation à
Cassandro, que l’on pourrait appeler aussi pudeur tant ces jeux sont le
plus souvent des révélateurs d’émotions profondes ou des occasions de
passer une étape douloureuse par la joie. C’est typiquement le cas quand
il évoque sa mort dans une sorte de tableau-vivant poétique.
Tu as toujours aimé ces jeux quand tu filmes, très loin du documentaire classique…
Chez Cassandro l’artifice ne dit pas moins sa réalité que le
documentaire pur ! Au contraire ! L’avantage des personnages que je
filme, et ici de Cassandro en particulier, est que leur univers est à la
base tellement coloré que l’on ne voit pas les coutures entre le « réel
sur le vif » et le reconstitué. Ce sont des existences si baroques dans
leur essence même que mes mises en scènes aussi fantaisistes
soient-elles s’y inscrivent comme une évidence. Ce sont autant de
tableaux vivants. Comme une forme de réponse à leur « oeuvre ». Et puis
je ne peux rien y faire, j’aime trop dessiner certains costumes, coudre,
rafistoler, installer des ateliers de fortune dans des garages, des
cuisines, des salons. Chiner des chapeaux, des tissus, des accessoires.
Motiver les amis pour aider, c’est l’un de mes plaisirs de fabrication.
Les scènes plus « fantasmées » ou plus « mises en scène » de ce film s’y
prêtent à nouveau. De toutes les façons, plus que de sa vie ou de sa
carrière, le film est avant tout le portrait de sa formidable énergie de
vie.
Dans quelle condition physique est-il aujourd’hui ?
Il a récemment survécu à une crise cardiaque et, après les fractures,
traumatismes crâniens et blessures en tout genre, le corps sonne
l’alarme, le poussant à se questionner. Au delà de l’opération, des mois
voire des années de repos seront nécessaires, et, à son âge, même s’il
ne veut pas l’entendre, il est fort peu probable qu’il puisse remonter
sur le ring de façon durable. Cette prise de conscience le rend parfois
un peu amer, et lui si affable, souriant et aimant, peut soudainement se
montrer sec ou un peu cassant. Tout cela le ronge. C’est un moment
difficile pour lui, très clairement. Je le comprends d’autant mieux
qu’il y a des douleurs qui se font écho dans nos parcours. J’étais
athlète à l’adolescence, gymnaste de compétition et trapéziste, et j’ai
du arrêter suite à un accident. Comme lui, j’ai du passer par ce moment
où tout ce qui constitue ta colonne vertébrale, t’es soudainement
enlevé. C’est un moment charnière.
Dès tes premiers rushs les mots « charnière », « frontière » revenaient souvent…
Mais des frontières il y en a d’ailleurs partout dans son univers !
Tout est double, chaque monde est à la porte d’un autre : il y a tout
autant la frontière des États-Unis et du Mexique où il habite depuis
toujours, celle entre l’homme et la femme qui habitent en lui, le bien
et le mal sur le ring, sa religion fervente, presque béate, opposée à la
violence des combats, la puissance d’un côté et le raffinement de son
corps de l’autre, le junkie qu’il a été et le Saint Cassandro qu’il est
devenu. Tout est binôme. Complexité. Richesse. Paradoxe. Hier victime
d’abus sexuels, perdu dans la drogue, en prison, battu jusqu’au sang
dans les bars, suicidaire, il est certes devenu un modèle de discipline,
de sérieux et de solidarité avec les autres mais garde cependant une
dualité en lui.
Ce film est l’une de tes premières excursions hors du milieu New Yorkais, du monde artistique et de la musique…
Mais c’est un univers très musical ! C’est une symphonie de cris, de cloches qui retentissent, de mélodies, d’hymnes kitchs, de langues mêlées (entre l’américain grommelé et le mexicain chantant) sans oublier la voix elle-même de Cassandro qui est digne des conteurs. D’ailleurs, les longs silences de sa maison, ses moments de solitude, ont une toute autre résonance après la folie furieuse des combats et ce contraste me plait beaucoup ! Non vraiment, je suis allée très loin de moi, géographiquement, thématiquement, mais je crois qu’au final je suis sur le coeur de ce qui m’intéresse. Peut-être plus que jamais.