Des soldats atteints d’une mystérieuse maladie du sommeil sont transférés dans un hôpital provisoire installé dans une école abandonnée. Jenjira se porte volontaire pour s’occuper de Itt, un beau soldat auquel personne ne rend visite. Elle se lie d’amitié avec Keng, une jeune médium qui utilise ses pouvoirs pour aider les proches à communiquer avec les hommes endormis. Un jour, Jenjira trouve le journal intime de Itt, couvert d’écrits et de croquis étranges. Peut-être existe-t-il une connexion entre l’énigmatique syndrome des soldats et le site ancien mythique qui s’étend sous l’école ? La magie, la guérison, la romance et les rêves se mêlent sur la fragile route de Jenjira vers une conscience profonde d’elle-même et du monde qui l’entoure.
Sélection officielle – Un certain Regard
Avec : Jenjira Pongpas Widner : Jenjira • Banlop Lomnoi : Itt • Jarinpattra Rueangram : Keng • Petcharat Chaiburi : L‘infirmière Tet • Tawatchai Buawat : Le médiateur • Sujittraporn Wongsrikeaw : La déesse 1 • Bhattaratorn Senkraigul : La déesse 2 • Sakda Kaewbuadee : Tong • Pongsadhorn Lertsukon : Le directeur de la bibliothèque • Sasipim Piwansenee : L‘hôtesse à la crème • Apinya Unphanlam : La femme qui chante • Richard Abramson : Richard • Kammanit Sansuklerd : Le docteur parasite • Boonyarak Bodlakorn : Le docteur Prasan • Wacharee Nagvichien : La femme du soldat
Ecrit, réalisé et produit par Apichatpong Weerasethakul • Image : Diego Garcia • Montage : Lee Chatametikool • Son : Akritchalerm Kalayanamitr • Décors : Akekarat Homlaor • Directeur artistique : Pichan Muangdoung • Costumes : Phim U-mari • Producteur exécutif : Suchada Sirithanawuddhi • 1er assistant réalisateur : Sompot Chidgasornpongse • Une production : Kick the Machine Films (Thaïlande) et Illuminations Films Past Lives (Royaume-Uni) • En coproduction avec : Anna Sanders Films (France), Match Factory Productions (Allemagne), Geißendörfer Film-und Fernsehproduktion (Allemagne), ZDF/arte (Allemagne) Et : Astro Shaw (Malaisie), Asia Culture Centre-Asian Arts Theatre (Corée du Sud), Detalle Films (Mexique), Louverture Films (USA), Tordenfilm (Norvège) • Producteurs : Keith Griffiths, Simon Field, Charles de Meaux, Michael Weber, Hans Geißendörfer • Co-producteurs : Viola Fügen, Najwa Abu Bakar, Moisés Cosio Espinosa, Eric Vogel, Ingunn Sundelin et Joslyn Barnes, Caroleen Feeney, Danny Glover • Producteurs associés : Georges Schoucair, Susan Rockefeller, Holger Stern (ZDF/arte) • Avec la participation de : L‘Aide aux Cinéma du Monde, Centre National du Cinéma et de l‘Image Animée – Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International – Institut Français • Et avec le soutien de : Sørfond, World Cinema Fund, Hubert Bals Fund, Hong Kong – Asia Film Financing Forum
Apichatpong Weerasethakul
Apichatpong Weerasethakul est né à Bangkok en 1970 et a grandi à Khon Kaen, dans le nord-est de la Thaïlande.
Il a commencé à réaliser des courts-métrages en 1994 et a finalisé son
premier long-métrage en 2010. Il est aujourd’hui considéré comme
l’une des voix les plus originales du cinéma contemporain. Ses
six précédents longs-métrages et ses courts-métrages lui ont valu une
reconnaissance internationale et de nombreux prix, dont au festival de
Cannes la Palme d’Or en 2010 pour Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, le prix du jury en 2004 pour Tropical Malady et le prix Un Certain Regard en 2002 pour Blissfully yours. Syndromes and a century fut
en 2006 le premier film thaïlandais à être sélectionné en compétition à
la Mostra de Venise, et a été reconnu par de nombreux classements
internationaux comme un des meilleurs films de la décennie. Son premier
film, Mysterious object at noon, vient d’être
restauré par la fondation Martin Scorsese pour le cinéma mondial.
Apichatpong Weerasethakul crée aussi des installations artistiques qui
ont participé à de nombreuses expositions à travers le monde depuis
1998, et est également considéré comme un artiste visuel majeur. A ce
titre, il a remporté le prix de la biennale de Sharjah en 2013 et le
prestigieux prix Yanghyun en Corée du Sud en 2014. Lyriques et souvent
mystérieusement fascinantes, rarement linéaires, ses œuvres
entretiennent un rapport avec la mémoire et évoquent de façon subtile et
personnelle des questions sociales et politiques. Ses créations
incluent le projet multimédia PRIMITIVE (2009), acquis par des
collections majeures (dont la Tate Modern à Londres et la fondation
Louis Vuitton à Paris), une œuvre pour la Documenta de Kassel
(2012), et les installations vidéo DILBAR (2013) et FIREWORKS (ARCHIVE)
(2014), présentées dans des galeries importantes à Oslo, Londres, Mexico
et Kyoto.
Travaillant à l’écart de l’industrie cinématographique
thaïlandaise, il s’implique dans la promotion d’un cinéma indépendant
et expérimental via sa société Kick The Machine Films, fondée en 1999
(qui a aussi participé à la production de tous ses longs-métrages).
Filmographie
2015 : Cemetery of Splendour
2012 : Mekong Hotel (moyen métrage)
2010 : Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures
2006 : Syndromes and a Century
2004 : Tropical Malady
2003 : The Adventure of Iron Pussy
2002 : Blissfully Yours
2000 : Mysterious Object at Noon
INTERVIEW DE APICHATPONG WEERASETHAKUL
Cemetery of Splendour a pour cadre Khon Kaen, votre
ville natale. Vous avez écrit que le film était « un portrait personnel
de lieux collés à vous comme des parasites ». En quoi ces lieux
sont-ils si personnels à vos yeux ?
Le
film est une quête des anciens esprits de mon enfance. Mes parents
étaient médecins et nous vivions dans un logement attenant à l‘hôpital.
Mon univers se limitait alors aux salles de soins où travaillait ma
mère, à notre maison en bois, une école et un cinéma. Le film est une
combinaison de ces différents espaces. Cela faisait près de vingt ans
que je n‘avais pas séjourné dans ma ville natale. La ville a tellement
changé ! Quand j‘y suis retourné, je n‘y ai vu que mes vieux souvenirs
superposés sur de nouveaux bâtiments. Toutefois, l‘un de mes endroits
favoris, le lac de Khon Kaen, est resté inchangé.
Vous parliez de votre enfance dans un environnement
hospitalier. Quel impact cela a-t-il pu avoir sur vos films, qui
trahissent votre intérêt pour le matériel médical et votre obsession des
maladies ?
Pour moi,
écouter des battements de cœur avec un stéthoscope ou utiliser une loupe
avec éclairage intégré relevait déjà de la magie. En de rares
occasions, j‘ai même eu le droit de regarder dans un microscope, je m’en
souviens très bien.
Je me
souviens aussi de mon excitation quand j‘allais voir des films en 16
mm à l‘Institut américain de Khon Kaen. Il y avait plusieurs bases
américaines dans le Nord-Est du pays, destinées à faire obstacle au
communisme. Je me rappelle très bien King Kong en noir et blanc, entre
autres.
Le cinéma et le matériel médical étaient les plus belles inventions de mon enfance.
Comment est née l‘idée de raconter l‘histoire d‘hommes
endormis ? Qu‘est-ce qui vous a fait penser à cette mystérieuse maladie
du sommeil ?
Il y a
trois ans, on a beaucoup parlé d‘un hôpital dans le nord du pays qui
avait dû mettre en quarantaine près de quarante soldats atteints d‘une
maladie mystérieuse. J‘ai mélangé l‘image des soldats isolés avec celles
de mon hôpital et de mon école à Khon Kaen. J‘étais aussi fasciné par
le sommeil, et je notais mes rêves. Je pense que c‘était une façon
d‘échapper aux situations terribles que l‘on pouvait voir dans la rue,
car pendant ces trois ans, la situation politique en Thaïlande s‘est
retrouvée dans une impasse (c‘est toujours le cas aujourd‘hui).
Est-ce que la thérapie à base de lumières colorées s‘inspire
d‘un traitement existant ? On dirait aussi une nouvelle illustration de
votre intérêt pour la science-fiction.
À
une certaine période, j‘ai lu beaucoup d‘articles sur le cerveau et
les sciences cognitives. Un professeur du Massassuchets Institute of
Technology a manipulé des neurones pour faire revivre certains
souvenirs au moyen de faisceaux lumineux. À l‘en croire, ses découvertes
contredisent la théorie de Descartes selon laquelle le corps et
l‘esprit sont deux entités distinctes. Cette hypothèse rejoint mon idée
que la méditation n‘est rien de plus qu‘un processus biologique. On
peut toujours s‘introduire dans le sommeil ou la mémoire de
quelqu‘un. Si j‘étais médecin, je tenterais de guérir les maladies
du sommeil par des interférences lumineuses au niveau cellulaire.
Les lumières dans ce film reflètent plus ou moins cette idée. Elles
ne sont pas là seulement pour les soldats, mais aussi pour le
spectateur.
Jenjira découvre le carnet d‘Itt, couvert de dessins et de
plans étranges. Le film se déroule dans des lieux réels, mais on y
explore aussi d‘autres endroits, tout aussi « présents » à l‘écran :
l‘espace mythologique du palais et du cimetière.
Quand
nous étions petits, on nous a raconté l‘histoire de cet endroit
merveilleux où l‘eau regorge de poissons et où la terre est couverte de
champs de riz. Les symboles de richesse étaient toujours idylliques et
dénués de toute brutalité. Cette Histoire fabriquée est aujourd‘hui
notre fardeau. Elle affecte des générations : quelle image avons-nous de
nous-mêmes ? Je pense que le film joue avec ce sentiment instable
d‘appartenance.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le parcours de
Jenjira ? Vous avez travaillé avec elle à plusieurs reprises, mais ici
son rôle est encore plus central que par le passé…
Notre collaboration est née sur le tournage de Blissfully Yours
(2002). Suite à cela, elle s‘est mise à passer du temps dans nos
bureaux. J‘adore sa personnalité, ses filles et ses histoires.
J‘aimerais avoir un cerveau comme le sien, capable de tout mémoriser. Je
suis persuadé qu‘elle se souvient de ce que nous avons mangé au
déjeuner tel jour précis sur ce tournage il y a dix ans, par exemple.
Nous avons donc travaillé ensemble sur de nombreux projets, y compris un
recueil de ses écrits. Elle m‘a donné envie d‘en savoir plus sur
l‘histoire de l‘Isan, cette région du nord-est où je suis né mais que
je connaissais mal. Au fil du temps, le film est devenu mon rêve, le
sien, et un peu ce que devait être celui de ma mère.
La plupart des acteurs sont originaires de l‘Isan et les
dialogues sont en grande partie en dialecte local. L‘Isan possède-t-elle
des traditions et des croyances différentes de celles du reste de la
Thaïlande ?
La région de
l‘Isan se situait autrefois au carrefour de différents empires : le
Cambodge, le Lan Chang (Laos)… C‘était avant l‘unification (ou la «
thaïfication »), quand les autorités de Bangkok ont annexé le Nord-Est
du pays. Ma famille a quitté Bangkok pour s‘y installer, quelques années
avant ma naissance. C‘est une contrée aride, pas aussi majestueuse que
les grandes plaines centrales (où se trouve Bangkok). Malgré tout, cela
reste à mes yeux un territoire haut en couleur, grâce aux traces
d‘animisme khmer qu‘on y trouve encore. Les gens n‘y vivent pas
seulement dans un univers quotidien, mais aussi dans un monde
spirituel. Les choses les plus simples peuvent devenir magiques.
Parlez-nous de la distribution. Vous travaillez
régulièrement avec les mêmes acteurs, comme Jenjira, mais vous faites
aussi appel à des non professionnels.
Tout
à fait. Puisque nous allions tourner à Khon Kaen, nous avons fait une
séance de casting sur place. J‘ai été heureusement surpris de voir tant
de talent. Travailler avec des acteurs débutants m‘a aidé à trouver le
bon rythme. J‘ai eu l‘impression de tourner un premier film. J‘ai
essayé de changer mes habitudes de mise en scène, et de me fondre dans
l‘énergie de la ville.
Une exception, toutefois, sur le tournage : le directeur de
la photographie, Diego Garcia, avec qui vous avez travaillé pour la
première fois.
Miguel
Gomes m‘a volé mon directeur de la photographie habituel pour l‘emmener
au Portugal sur le tournage de son film fleuve, Les mille et une nuits.
J‘étais content pour lui, Gomes est l‘un des meilleurs. Mais ça m‘a mis
dans l‘embarras. J‘ai donc demandé conseil autour de moi. Carlos
Reygadas m‘a présenté Diego, qui est supposé travailler sur son
prochain film. Je suis peut-être le cobaye de Carlos ! Mais bien
entendu, j’ai été ravi de cette expérience. Ce que j‘admire le plus chez
Diego, c‘est sa personnalité. En plus d‘être très talentueux, il est
très calme. Je n‘aime pas quand on crie sur le plateau (moi-même pas
plus qu‘un autre). Toute l‘équipe l‘a adoré. Après quelques jours de
tournage, j‘avais l‘impression de travailler avec lui depuis toujours.
Cette fois-ci, j‘ai préféré profiter de la lumière naturelle, pour
donner une tonalité mélancolique au film. Diego a fait un travail
magnifique.
À certains égards, le film se rapproche plus d‘un récit linéaire que vos précédents longs-métrages.
À
l‘image de mes autres projets, Cemetery of Splendour a évolué de façon
très organique. En repensant à mes rêves, j‘ai réalisé qu‘ils étaient
plus narratifs que mes propres films. Je donne autant d‘importance à mon
existence onirique qu‘à ma vie réelle. Avec le recul, Cemetery of
Splendour peut être perçu autant comme un rêve éveillé que comme une réalité ressemblant à un rêve.
Vous avez décrit le film comme « une méditation sur la Thaïlande, cette nation fébrile » ?
Nous
avons connu des cycles interminables de coups d’État depuis 1932,
année où nous sommes passés de la monarchie absolue à la monarchie
constitutionnelle. Nous alternons des cycles de rêves et de coups
d’État. Au fil des années, la propagande a changé de forme. Des gens ont
été jetés en prison. Le cinéma est mon mode de communication de
prédilection. Je ne tiens pas à m‘exprimer au moyen d‘images de sang et
de fusils. Je partage mes pensées en utilisant l‘humour comme vecteur,
même si la peur et la tristesse sont les véritables forces motrices de
ce film.