Dans le bleu de la Méditerranée, au pied des luxueuses villas, les minots de Marseille défient les lois de la gravité.
Marco, Mehdi, Franck, Mélissa, Hamza, Mamaa, Julie : filles et garçons plongent, s’envolent, prennent des risques pour vivre plus fort.
Suzanne les dévore des yeux depuis sa villa chic. Leurs corps libres, leurs excès. Elle veut en être. Elle va en être.
Prix Claude Chabrol (coup de coeur du jury) au Festival du Film du Croisic – de la page à l’image.
Prix des spectateurs, Festival RENC’ART au Méliès à Montreuil.
Avec : Awa AÏSSA MAÏGA • Suzanne LOLA CRÉTON • Mehdi ALAIN DEMARIA • Marco KAMEL KADRI
Réalisation DOMINIQUE CABRERA • Scénario DOMINIQUE CABRERA d’après CORNICHE KENNEDY de MAYLIS DE KERANGAL Éditions Gallimard / Verticales, 2008 • Image ISABELLE RAZAVET • Ingénieur du son XAVIER GRIETTE • Montage SOPHIE BRUNET • Accessoiriste et décors CHRISTIAN ROUDIL • Directeur de production ISABELLE TILLOU • Musique originale BÉATRICE THIRIET • Produit par GAËLLE BAYSSIÈRE – EVERYBODY ON DECK
Dominique Cabrera
Filmographie
2017 Corniche Kennedy
Prix Claude Chabrol (coup de coeur du jury) au Festival du Film du Croisic – de la page à l’image.
Prix des spectateurs, Festival RENC’ART au Méliès à Montreuil.
2013 Grandir (Ex Ô Heureux Jours !)
Festival du Reel 2013 Prix Potemkine
2012 Ca ne peut pas continuer comme ça !
Rencontres de cinéma de Florence Cinema e Donne
Prix Gilda pour Sylvia Bergé
2009 Quand la ville mord
New York African Diaspora film festival 2O09
Rencontres de cinéma de Florence Cinema e Donne
Prix Gilda pour Aïssa Maïga
2004 Folle embellie
Sélection officielle Forum Berlin 2004
Prix du jury oecuménique
2001 Le lait de la tendresse humaine
Sélection officielle Festival de Locarno 2001
Mention spéciale pour l’interprétation collective
2000 Nadia et les hippopotames
Festival Cinéma Tout Ecran, Genève, 1999
Prix de la Meilleure Photographie à Hélène LouvartSélection Un certain regard Cannes 1999
1997 L’autre côté de la mer
Sélection Cinéma en France, Cannes 1997
Mostra de Valencia 1997
Prix pour le scénario et pour les dialogues
Festival de Perle Balte à Riga 1997
Prix d’Interprétation à Claude Brasseur
Nomine aux Césars 1998
Demain et encore demain
1er Prix aux Rencontres du cinéma documentaire de Vic-le-Comte 1997
1994 Une poste à la Courneuve
1er Prix aux Rencontres du cinéma documentaire de Vic-le-Comte 1997
1992 Rester là-bas
Chronique d’une banlieue ordinaire
ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE CABRERA
Pourquoi avez-vous eu le désir d’adapter Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal ?
Depuis longtemps, je voulais faire un film à Marseille, qui est une
ville que j’adore. J’y vais souvent et depuis longtemps. Je suis pied
noir, je crois que c’est l’écho avec l’Algérie qui me touche dans cette
ville, comme si elle était le miroir d’Alger, de l’autre côté de la
Méditerranée. J’aime la grande ville populaire au bord de la mer, le
brassage social, ethnique. À Marseille plus qu’ailleurs encore, je rêve à
l’histoire des passants, comme si dans ses rues les mythes et les
histoires se croisaient. J’ai donc cherché une histoire qui se passe
là-bas, lu beaucoup de romans et Corniche Kennedy m’a happée.
Au-delà de Marseille, qu’est-ce qui vous a plu dans le roman ?
D’abord le regard de Maylis de Kerangal sur « les minots de la Corniche »
et sur cet espace si particulier du bord de mer. Avec cette écriture
extrêmement documentaire ouverte sur une dimension poétique et
mythologique. Je me sentais très proche de sa perception des choses, je
voyais les possibilités de mise en scène qu’offrait le roman : le décor
unique, le ciel et la mer comme un fond, une couleur éclatante qui
magnifierait les jeunes des quartiers populaires, héros du récit.
Comment avez-vous écrit le scénario ?
Je suis partie vivre à Marseille aussi longtemps que possible. Je
marchais dans la ville, sur la Corniche, je prenais des photos… L’un des
problèmes était d’identifier les lieux où je pourrais tourner le film
car ceux du roman sont ima- ginaires. Je parlais avec les uns et les
autres, j’écoutais, j’allais à la rencontre d’associations, et bien sûr
des jeunes qui plongent depuis la Corniche. Et un jour, je vois de loin
un petit groupe à l’endroit exact où je pensais que pouvait se passer le
film. Je m’approche, je cherche à les photographier, ça ne leur plaît
pas mais quelque chose se passe, des atomes crochus, je ne sais pas, et
on se revoit. Je ne voulais pas de malentendus et je leur dis que ce
n’est pas un casting déguisé. Je leur parle du roman, de ma recherche
d’éléments justes et vrais. L’un d’eux me dit : « On a compris ce que tu veux, on va t’aider
.» Et c’est ce qu’ils ont fait. Ils m’ont raconté des histoires, aidée à
identifier des « spots » de plongée, à trouver les mots, donné leurs
mots… Plus tard, ils ont lu le roman, j’ai partagé le scénario avec eux,
on a travaillé sur les dialogues, les situations. Ils étaient quatre ou
cinq, parmi lesquels Alain et Kamel, qui jouent Mehdi et Marco dans le
film.
Pourquoi leur avoir finalement proposé de jouer ?
Quand tu travailles avec des gens, que tu passes du temps avec eux, que
tu les regardes avec amour, intérêt et sincérité, qu’ils te regardent
de la même façon et que des liens se créent, c’est un fait que des
fleurs poussent, que les talents s’épanouissent. Et puis peut-être,
juste parce que c’était eux, parce que c’était moi… Je les voyais dans
le film et ils s’y voyaient. On s’est entraînés mutuellement pour que ce
soit possible.
Alain m’a dit au départ : « Je ne peux pas jouer dans ton film, je suis dyslexique, je suis un âne, mais je te ferai tous les sauts que tu voudras. »
Mais quand je regardais ses photographies, quand je l’écoutais, il me
faisait fondre. Lors des essais avec Lola Créton qui allait jouer
Suzanne, il était tellement intimidé qu’on l’entendait à peine mais il
avait cette nature héroïque, enfantine, tête brûlée… Pour moi, Alain est
un poète, un diamant singulier et précieux. Il vit sa vie comme si
c’était une saga, un roman d’aventures.
Kamel, lui, avait un grand charme, une forte intelligence des
relations, de sa place dans la vie et dans le film. Il est comme un
danseur à l’écoute du tempo, d’ailleurs, il est musicien, il écrit des
chansons. Il savait tout de suite comment se placer dans l’espace et
dans l’histoire, il fallait juste l’encourager à se faire confiance
pour aller au-delà du naturel, pour se montrer, se laisser voir.Comment avez-vous trouvé les autres jeunes protagonistes de Corniche Kennedy ?
Depuis Nadia et les hippopotames, où des cheminots jouaient des rôles secondaires, je voulais faire un film entièrement avec des non-professionnels. Avec Corniche Kennedy,
c’était l’occasion d’aller plus loin. Il me semblait en effet plus
juste d’engager des jeunes de Marseille adeptes du plongeon auxquels il
faudrait apprendre à jouer que des jeunes acteurs venus d’ailleurs à qui
apprendre à plonger et à parler marseillais… Encore fallait-il les
trouver. Bania Medjbar, ma directrice de casting, a crapahuté au bord de
la mer, elle a repéré des jeunes gens et on a constitué ce groupe
d’adolescents. C’est devenu une bande au fil des ateliers, des séances
d’entraînement. Le miracle pour moi a été cette rencontre, son
intensité. J’ai été entraînée, et même dépassée par les sentiments. Et
eux aussi. On était contents d’être ensemble. Cela a demandé beaucoup de
travail, il y a eu des crises, des moments de doutes… Ça a été tout un
processus mais c’était magique.
Et pourquoi Lola Créton, une actrice professionnelle, pour jouer Suzanne la jeune fille des beaux quartiers ?
Au départ, je voulais trouver une jeune non-professionnelle mais je
n’avais le déclic pour aucune des jeunes filles formidables que Bania me
présentait. Et un jour, j’ai eu la vision de Lola Créton, que j’avais
remarquée dans Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Løve. Il m’a
semblé que la distance géographique et sociale serait bonne pour le
film. Je me souviens de la première fois où Lola est venue faire des
essais à Marseille. J’ai pensé : « Elle ne va jamais vouloir faire ce petit film avec des minots. » Et puis je l’ai emmenée sur la Corniche, je l’ai vue marcher dans cet endroit sublime et je me suis dit : « Elle comprend dans quel écrin elle va être filmée, elle va dire oui ! »
Le film se passe entièrement en extérieur, essentiellement
sur cette Corniche qui laisse hors-champ les différences de classes qui
sont pourtant un élément important du film…
Ce principe était déjà fort dans le roman et j’ai voulu le radicaliser
dans le film. Le fait que mes héros aient le ciel et la mer comme fond
de leur portrait les ennoblit. La question sociale est là très forte
dans le film mais dans les mots, dans les situations, pas dans le décor.
Ces jeunes sont portés à se dépasser par ce paysage naturel sublime et…
gratuit. C’est une richesse que cette ville donne à ses habitants
d’être au bord de la mer, dans ce paysage d’autant plus merveilleux
quand il est filmé par le cinéma.
Je voulais montrer ces adolescents dans leur élan vital, leur beauté,
leur humanité, leur grâce, leur force, leur poésie, leur liberté. Ils
ont vingt ans, l’âge des possibles. Malheureusement, l’un de ces
possibles dans cette ville est d’être enrôlé dans le crime organisé.
Mais il y aussi d’autres possibles, y compris pour Suzanne, qui pourrait
bien partir en Italie avec Marco et se libérer de son destin social.
Les acteurs du film eux-mêmes avaient cet élan et cette créativité, ils
ont été capables de se déplacer dans leur vie au point de pouvoir jouer
un rôle, interpréter un texte, sauter dans l’eau et faire comme si on
était en plein été alors qu’il faisait quinze degrés dehors. Et Lola
aussi a fait preuve de créativité. Actrice depuis l’âge de 13 ans, sa
passion n’est pas l’improvisation, mais plutôt l’interprétation. Et là,
elle se retrouvait face à des non-acteurs, avec d’autres codes…
Comment a-t-elle appréhendé le tournage ?
Elle avait leur âge, cela a beaucoup compté et elle s’est glissée dans
cette histoire dès le premier instant avec une précision et une présence
qui m’ont épatée comme si elle était non pas l’actrice expérimentée
qu’elle est mais « the girl next door ». Elle a travaillé à établir un
rapport personnel avec chacun des autres acteurs. Elle n’a pas été
l’actrice qui débarque, elle a eu cette générosité de les aider sur le
plan du jeu. Il faut dire aussi que quand elle est revenue pour le film,
ils s’étaient entraînés et étaient devenus très bons ! Et puis leur
niveau sportif les mettait à égalité sur un autre plan.
Les scènes de sauts sont centrales dans le film, vous ne vous contentez pas d’en faire l’arrière-plan de l’histoire…
Les sauts sont effectivement le cœur du film. Ces jeunes gens exclus
très tôt du système scolaire et marginalisés socialement y sont passés
maîtres. Le saut de la Corniche est leur instant de gloire,
d’excellence. Il ne faut pas oublier que sauter de si haut dans la mer
est réellement dangereux. On a fait un énorme travail d’entraînement, de
sécurisation et de repérages avec le plongeur, champion de haut vol,
Lionel Franc. Mais au moment de tourner, on nous a dit : « Pas question
! On lutte contre les sauts sauvages donc vous n’aurez pas
d’autorisation. Jouez la comédie ici mais allez sauter à Cassis ! ». On a
donc tourné tous les sauts en douce en trois jours à la toute fin du
tournage, à la mi-octobre, dans une eau glaciale.
Comment comprenez-vous ce désir de prise de risque que prennent ces jeunes qui sautent ?
Entre le moment où ils sautent dans le vide et celui où ils arrivent
dans l’eau, ils racontent qu’il y a comme une explosion de plaisir. Ils
connaissent très bien le risque mais se surpasser et triompher de la
peur, de la mort, procure unedécharge intense d’adrénaline incomparable.
Les conduites à risque sont une manière de sentir qu’on est vivant. Et
de penser sa vie en action. Pourquoi faire des choses dangereuses et
difficiles ? Mais parce que la vie est dangereuse et difficile, en
particulier à cet âge-là et dans cette classe sociale-là. Sauter,
prendre des risques vitaux, c’est une manière métaphorique de chercher à
penser et à expérimenter ce qu’on peut faire de sa vie, se propulser
dans l’espace comme on se propulserait dans l’avenir.
Vous filmez le vertige au propre comme au figuré…
Quand on prend une décision importante, on est nu, fragile, seul, on
agit instinctivement, les repères se brouillent parce que c’est du
nouveau qui naît. C’est comme un saut mental dans un nouvel espace
biographique, imaginaire. Le vertige c’est aussi cela, un trac, une peur
avant de décoller de soi. Filmer le vide, la peur sur les visages
devant le vide… J’ai voulu organiser le récit et son dénouement autour
de cet instant. Concrètement avant le saut et moralement avant une
décision cruciale. Nos choix construisent notre identité, tracent notre
histoire. Ils nous définissent autant et peut-être davantage que notre
origine. C’était d’autant plus important à dire et à filmer dans cette
ville peuplée par une France métissée. Marco, Mehdi, Suzanne et la
capitaine, tous vont accomplir un acte neuf, libre, singulier qui
transformera la suite de leur histoire. Corniche Kennedy est un film sartrien, au fond !
Vous-même, comment avez-vous appréhendé ce risque des sauts pour le besoin du film ?
Bien sûr, dès le début cela a été un souci, une obsession ! Mais j’ai
choisi des jeunes gens qui sautaient déjà sans que je le leur demande.
Et qui ont du plaisir à le faire et m’ont beaucoup appris sur cette
pratique. Ce sont des « spécialistes » en ce domaine, ils voulaient
aussi témoigner de qui ils étaient et que leur excel- lence soit
immortalisée dans un film. Et puis on avait des conditions de sécurité
maximale : en bas, il y avait bateau, médecin, plongeur… Et puis même
s’ils sautaient déjà de la Corniche, ils se sont entraînés à le faire en
conscience avec Lionel Franc. Evidemment, il pouvait toujours arriver
quelque chose, à chaque saut on avait peur, mais on leur a toujours
donné la possibilité de se rétracter et d’avoir recours à des doublures…
Aucun n’a reculé, au contraire, ils m’entraînaient.
Et le travail sur la lumière ?
C’était d’autant plus important que le film est entièrement tourné en
extérieur, en lumière naturelle. Je connais Isabelle Razavet, la
directrice de la photo, depuis longtemps, je pensais qu’elle pourrait
avoir un regard documentaire tout en sublimant les personnages et les
paysages. Elle a fait un grand travail de repérage de la lumière, on a
tourné à des endroits et à des heures très précis, il ne suffit pas de
planter la caméra sur les rochers. C’est troublant pour moi car Corniche Kennedy
apparaît comme mon film le plus spontané alors qu’il a été peut-être le
plus compliqué à fabriquer ! Tout a été conquis, avec l’équipe on s’est
battus contre la matière tout le temps.
La figure du poulpe revient à plusieurs reprises.
Comme toutes les images, le poulpe miroite de plusieurs couleurs :
l’ombre de la mafia, le danger qui s’approche des jeunes mais aussi le
merveilleux. Sous l’eau, le poulpe est comme une apparition, un animal
marin représentant, comme les oursins, les nuages ou l’herbe mouvante,
ce monde naturel qui nous porte et nous dépasse. Puis le poulpe est
pêché, il perd ses couleurs précieuses, il est moqué, jeté dans une
flaque pour être cuisiné, mangé. C’est alors à la fois un élément réel
du bord de mer et une métaphore de la jeunesse, appelée à voir son élan
vital cadré, encadré, exploité. La scène de pêche dans Stromboli
de Rossellini était pour moi une source d’inspiration : l’explosion du
documentaire dans un film qui est aussi un documentaire sur les acteurs.
Avec une actrice magique dans un paysage sublime qui la sublime. Et
réciproquement. Stromboli était mon repère. Il y avait aussi Rohmer, sa
manière de filmer le moment présent. C’est aussi ce qu’insuffle le
risque des sauts : du pur présent car tu ne peux pas te permettre de
recommencer la prise quand Alain saute de 18 mètres. Ou Lola de 6 mètres
!
L’intrigue policière en filigrane permet d’exprimer le poids du social.
Le roman de Maylis de Kerangal me donnait cette possibilité grâce à la
simplicité de son intrigue policière, contrairement à d’autres romans,
où la part du polar empruntait une route plus complexe, détaillée.
Le nombre de jeunes de vingt ans et moins qui meurent tous les ans à
Marseille en marge du trafic de stupéfiants est affolant. C’est vraiment
Moloch dévorant les enfants. Et puis il y a le chômage, l’absence de
perspectives d’avenir… Le système ferme ses portes aux jeunes venus
des quartiers populaires, leur refuse la possibilité de réussir, c’est
une violence extrême qui leur est faite depuis la maternelle. Dans le
crime organisé, on les enrôle au contraire, on les fait travailler. Je
ne me voyais pas raconter cette jeunesse sans évoquer cette véritable
tragédie. Mais si mes héros côtoient et sont des proies éventuelles pour
le milieu, ils n’en font pas partie, ils sont sur le bord.
Afin d’être le plus juste possible, je suis allée voir les flics mais
ils me délivraient un discours stéréotypé. Heureusement, j’ai rencontré
par la grâce de mon ange gardien marseillais, un policier très spécial.
On est devenus amis, il m’a donné des infos et aidée à écrire le
scénario. Il joue même dans le film… Quant à Moussa Maaskri qui joue
l’autre flic, c’est un acteur magnifique, plein de force et de
sensibilité, très touchant. Et il est de Marseille ! Il m’a beaucoup
parlé de sa ville, comme tous les acteurs marseillais, Rachid Hafassa,
Cyril Brunet, Agnès Régolo qui m’ont soutenue indéfectiblement et ouvert
beaucoup de portes. Cette ville suscite des passions.
La musique, tour à tour légère et plus inquiétante, fait le lien entre la chronique adolescente et l’intrigue policière.
Comme pour tous mes autres films, j’ai retrouvé Béatrice Thiriet, une
formidable musicienne. La musique originale de Corniche Kennedy célèbre
notre belle collaboration. Béatrice Thiriet / Dominique Cabrera : 20
ans, presque l’âge des héros du film ! La musique est un mélange
d’électro, de voix et de symphonie. On a eu la chance d’enregistrer avec
un orchestre dont les cordes se mêlent parfois à des couplets de slam
ou de rap, des mots de Kamel et de Dante. Des profondeurs de l’eau
jaillissent des voix synthétiques, l’appel des sirènes, les rifs d’une
trompette venus d’Orient accompagnent la ronde nocturne du personnage
d’Aïssa Maïga, c’est une partition riche en diversités et en couleurs
sonores. C’est une B.O. tour à tour joyeuse, mélancolique, sensuelle,
mystérieuse qui laisse éclater les rimes des chansons : la magnifique
N’selfik et la chanson de Kamel et Imhotep ou le slam de Dante. Sur le
générique de fin on retrouve les voix des Saïan Supa Crew que nous
avions rencontrés pour Nadia et les hippopotames. La musique
porte, agrandit le film. Elle a été parfois légère, jazzy, urbaine mais
aussi symphonique, savante, aspirant au large, à l’horizon immense. Ce
que l’on peut dire aussi peut-être de l’écriture de Maylis de Kerangal.
Ce n’est pas un hasard si je me trouve des atomes crochus avec Béatrice
et elle.
Comment ont été composés les morceaux de rap ?
Kamel écrivait des chansons, je voulais leur faire une place dans le
film. Il a travaillé avec Béatrice sur l’un de ses textes. Et ensuite,
la vie m’a apporté la rencontre avec Imhotep d’IAM, le groupe
marseillais de légende, qui a généreusement accepté de mettre en musique
une des chansons de Kamel. Celle-ci résonne comme les mots, les humeurs
changeantes d’un journal intime.
Dans le roman, le personnage de commissaire est un homme… Pourquoi l’avoir transformé en femme ?
Qui sait ? J’ai dû me projeter dans ce personnage de flic qui observe
ces jeunes… Et je l’ai écrit au féminin ! Et puis quand j’ai eu la
vision d’Aïssa Maïga pour jouer le rôle, j’ai adapté le rôle pour elle.
J’avais tourné avec Aïssa un téléfilm, Quand la ville mord, et beaucoup
aimé cette rencontre. C’est un bonheur de la filmer, elle a une grâce
fragile et une grande autorité. Dans Corniche Kennedy, elle est
le regard posé sur la jeunesse par une adulte définie par sa fonction
de flic – les adultes sont filmés dans leur rôle social, dans des cadres
rigides, comme bridés, déjà domestiqués en quelque sorte, en
contrepoint de la vitalité des jeunes. Mehdi dit d’ailleurs à la
capitaine : « Regarde-toi, tu es éteinte, moi je suis allumé, je suis à fond. »
Sans avoir besoin de raconter son histoire, il fallait qu’on puisse
partager sa soudaine émotion devant l’absurdité de son devoir à la fin
du film.
Justement, à la fin du film, Marco et Suzanne lui tendent la main…
Peut-être parce que ces jeunes eux aussi m’ont tendu la main… À ce
moment-là du film, dans ce lieu-là, ils ne sont plus les « délinquants »
et elle la « flic » mais des personnes. Ils aident quelqu’un qui a le
vertige. Ils sont déterminés par leur humanité et elle aussi, qui les
laisse partir alors que dans d’autres circonstances, elle les aurait
sans doute arrêtés. Dans cet espace ouvert sur la mer, ce lieu des
possibles, tout le monde peut prendre la liberté de sortir du cadre.Propos recueillis par Claire Vassé