Film soutenu

Days

Tsai Ming-Liang

Distribution : Capricci Films

Date de sortie : 30/11/2022

Taïwan - 2020 - 2H06 - 1.85:1 - 5.1

Accablé par la maladie et les traitements, Kang erre dans les rues de Bangkok pour conjurer sa solitude. Il rencontre Non qui, contre de l’argent, lui prodigue massages et réconfort.

Berlinale 2020 – En compétition
Festival des 3 Continents – Séance Spéciale

KANG Lee Kang-Sheng NON Anong Houngheuangsy

Réalisation Réalisation Tsai Ming-Liang • Scénario Tsai Ming-Liang • Image Chang Jhong-Yuan • Prise de son Terry Lin, Lee Yu-Chih, Minshi Wang • Montage image Chang Jhong-Yuan • Design sonore Dennis Tsao • Mixage et effets sonores Ho Hsiang-Lin • Producteur Claude Wang • Production Homegreen Films En Association Avec Arte France – La Lucarne

Tsai Ming-Liang

Né en Malaisie en 1957, Tsai Ming-Liang s’installe à Taïwan à 20 anspour étudier le théâtre à l’Université Chinoise de la Culture. Il est remarqué dès son premier long-métrage Les Rebelles du Dieu Néon, sélectionné à la Berlinale 1992, dans lequel il met en scène Lee Kang-Sheng, qui deviendra son acteur fêtiche. Son deuxième film, Vive l’amour, remporte le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1994 tandis que le suivant, La Rivière, est récompensé par le Prix du jury de la Berlinale 1997, faisant de Tsai Ming-Liang une figure de proue de la deuxième génération du Nouveau Cinéma Taïwanais. Ses films suivants, Goodbye, Dragon Inn (2003) ou La Saveur de la Pastèque (2005) sont sélectionnés dans les plus grands festivals mondiaux et consacrent le cinéaste comme un auteur majeur, apprécié de la critique pour son style sensuel, sensoriel et sombre. Son œuvre, souvent dénuée de dialogues et composée de longs plans-séquence, se situe à mi-chemin entre le cinéma et l’art contemporain. En 2009, son film Visage est présenté en compétition au Festival de Cannes avant de devenir le premier film intégré aux collections du Musée du Louvre via le programme « Le Louvre s’offre aux cinéastes ». Ces dernières années, Tsai Ming-Liang s’est rapproché du monde des arts, participant à de nombreuses expositions à travers le monde avec sa série Slow Walk. Souhaitant s’écarter d’un processus de fabrication industriel des films, il promeut le concept de cinéma au sein même des galeries et musées d’art. Days, un long-métrage est présenté en compétition à la Berlinale 2020. Il marque en quelque sorte son retour au cinéma et continue d’explorer le désir, la solitude et l’impuissance de l’homme face au monde moderne.

Filmographie (longs métrages)

2020 DAYS
2018 YOUR FACE
2015 AFTERNOON
2013 LES CHIENS ERRANTS
2009 VISAGE
2006 I DON’T WANT TO SLEEP ALONE
2005 LA SAVEUR DE LA PASTÈQUE
2003 GOODBYE, DRAGON INN
2001 ET LÀ -BAS, QUELLE HEURE EST-IL ?
1998 THE HOLE
1997 LA RIVIÈRE
1994 VIVE L’AMOUR
1992 LES REBELLES DU DIEU NÉON

NOTE D’INTENTION

Après Les Chiens errants, j’ai arrêté d’écrire des scénarios Cependant, je n’ai jamais arrêté de faire des films.
Ces dernières années, j’ai fait huit films dont le concept était la lente démarche de Kang.
Entretemps, dans la vraie vie, Kang a souffert d’une étrange maladie physique.
Ça m’a fait mal de voir sa silhouette frêle.
Parce que son infirmité a duré tant de temps, je l’ai parfois filmée.
Mais je ne savais pas ce que je ferais de ces images.
Il y a trois ans, j’ai rencontré un ouvrier laotien à Bangkok.
Par notre conversation vidéo, je l’ai vu cuisiner des repas de son pays dans sa chambre assez miteuse.
J’ai eu une envie irrésistible de prendre l’avion pour le filmer.
Et juste comme ça, j’ai commencé un autre film.

ENTRETIEN AVEC TSAI MING-LIANG


L’élément qui lie tous vos films est l’acteur Lee Kang-sheng, présent dans chacun d’eux et à l’origine de Days.
Quand j’ai commencé à tourner avec Lee, je ne savais bien sûr pas que j’allais continuer à le filmer pendant trente ans. Lorsque je l’ai rencontré, pour un téléfilm (All the Corners of the World, 1989), j’étais même assez dérangé par sa lenteur, par sa façon de jouer comme aucun autre acteur. Puis il m’a fasciné et il est devenu comme une projection de mon être intérieur. La forme de mes films, leur rythme, lui doivent beaucoup.

Plus qu’un acteur de composition, il apparaît comme un corps dont vous observez les transformations à l’intérieur de chaque film et au cours des années.
C’est avec La Rivière que j’ai réalisé combien j’étais ému par l’évolution de son corps, mais aussi combien il y avait une forme de cruauté dans cette manière d’observer son vieillissement progressif. Dans un film commercial, personne ne veut voir cet aspect cruel de la vie. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus vrai, c’est ce qui me touche le plus.

Dans Days, on retrouve des scènes qui rappellent fortement La Rivière : lorsque Lee se fait soigner de diverses manières pour des douleurs qui transforment ses postures et ses gestes.
Ça vient de ce qu’a vécu Lee. Pour La Rivière, je suis parti d’une douleur aux cervicales qui l’avait fait souffrir quelques années plus tôt, ça lui avait littéralement tordu le cou pendant des semaines. Je l’avais accompagné lorsqu’il était allé se faire soigner et j’ai utilisé cette expérience dans le film. Days est né d’un documentaire que tournait mon assistant pendant que je réalisais un autre film, il y a cinq ou six ans. Lee était malade depuis trois ou quatre ans, et c’est sur ces images documentaires tournées par un autre que j’ai constaté combien son état physique l’avait changé. J’ai été très ému de le voir coincé dans son corps malade.
Je lui ai alors à nouveau demandé la permission de le filmer lorsqu’il allait se faire soigner et lorsqu’il marchait pour faire de l’exercice.

C’est à partir de cela qu’est né le récit de Days ?
Au départ, ce n’était pas un projet de film. Je voulais présenter ces images dans un musée, où je devais faire quelque chose autour du voyage. Mais il s’est passé un autre événement : j’ai rencontré l’autre acteur du film, un Laotien travaillant en Thaïlande. Nous communiquions à travers de petites vidéos instantanées, et je trouvais ses gestes très beaux, notamment lorsqu’il cuisinait. Je suis parti le filmer en Thaïlande. Et au fil du temps, j’ai ressenti que l’on pouvait faire quelque chose avec ces deux hommes : l’un coincé dans son corps malade, l’autre ayant un corps très sain et habile mais coincé en Thaïlande. Ces images ont créé la fiction qui amène à leur rencontre finale.

Depuis quelques années, vous semblez aller de plus en plus vers l’épure, vers l’immobilité et le silence. Dans Days, il n’y a même plus de dialogues.
Pour moi, ce qui est primordial c’est l’image. C’est la forme qui parle bien plus que le contenu. Je veux mobiliser le regard, les sens, ne pas les parasiter avec trop de paroles. La lenteur, la fixité, mon souci de ne pas multiplier les points de vue, ce sont des manières de mieux laisser les spectateurs s’imprégner des images afin de s’y trouver une place.

Après Les Chiens errants (2013), on dirait que vous avez définitivement cessé de croire en la fiction.
Je n’ai jamais pensé que le but premier du cinéma était de raconter des histoires. Ce qui m’a toujours intéressé avant tout, c’est de filmer des corps, des sensations. Après Les Chiens errants, j’ai ressenti une grande lassitude. J’en avais marre d’écrire des scénarios pour jouer le jeu de l’industrie. Même en tant que spectateur, les scénarios me donnent de plus en plus un sentiment d’artificialité, d’éloignement de l’essentiel. Je ne veux plus en écrire. Ce que je veux atteindre n’est pas du domaine de l’imagination.

Vous êtes allé vers l’épure, mais avec des films comme The Hole ou La Saveur de la pastèque, qui contenaient des scènes de comédie musicale et un humour plutôt excentrique, on sentait que vous étiez aussi tenté par l’inverse : la fantaisie, l’exubérance. Avez-vous définitivement abandonné cette voie ?
À cette époque, je voulais tenter de faire des films qui plaisaient à un public plus large, pas pour des raisons commerciales, mais pour voir si je pouvais être accepté par un plus grand nombre. Aujourd’hui, je me suis libéré de ça, je ne dépends plus du tout de l’industrie du cinéma. J’écoute toujours ces vieilles chansons et j’aime toujours autant les comédies musicales, je n’ai donc pas totalement abandonné ce type de cinéma, mais je tends désormais plus vers la simplicité. Et puis je veux être libre, ne plus dépendre d’un agenda,d’un plan de travail, d’un délai. Je ne cesse de me demander comment je vais pouvoir continuer à filmer. En me voyant travailler, le jeune homme qui a fait la photographie de Days, Chang Jhong-yuan, m’a poussé à me procurer une petite caméra pour filmer seul, ça m’a éclairé. Un bon exemple de ce que je cherche aujourd’hui est Your Face 1, où j’ai filmé treize personnes en me mettant face à elles : j’y observe longuement des visages sans les enfermer dans des personnages.

Vous avez filmé la mort d’une salle de cinéma dans Goodbye, Dragon Inn (2003), puis vous avez réalisé plusieurs films pour des musées ces dernières années. L’évolution de votre cinéma semble vous avoir conduit ailleurs que dans les lieux de projection classiques.
C’est précisément après Goodbye, Dragon Inn que des musées m’ont demandé de collaborer avec eux. J’aime les musées d’abord pour des raisons techniques : ils respectent totalement la perception désirée par l’auteur, ils permettent une immersion dans un espace et un temps à la fois maîtrisés et capables de varier facilement, et où le spectateur est plus libre de se trouver une place à lui. Ce que j’aime aussi dans un musée, c’est que la durée de visibilité des œuvres n’y dépend pas du box-office, on leur laisse le temps d’exister.

Days n’a été que peu vu sur grand écran, or c’est essentiel pour s’immerger pleinement dans la durée de vos plans. Le découvrir à la télévision, c’est y perdre forcément quelque chose.
Je n’ai pas pu contrôler grand-chose de la diffusion de Days, d’autant plus que tout a été remis en cause par la pandémie. Par exemple, aux États-Unis, il a été projeté dans des cinémas en plein air et des drive-in. Vous vous imaginez regarder ce film dans une voiture ! Tous les détails sonores doivent être perdus. L’idéal est que le film soit projeté dans une bonne salle de cinéma ou dans un musée, des lieux où l’on peut vraiment contrôler la qualité.

Vous qui avez beaucoup filmé la solitude, l’isolement et la contamination, seriez-vous tenté de faire un film sur la situation que traverse le monde actuellement ?
Je ne serais pas capable de filmer les acteurs avec des masques, j’aime trop les visages et ce qu’ils expriment. Pour moi, cette pandémie est plutôt du côté du vide, du néant. La seule chose que j’ai envie d’y faire, c’est de me reposer et de ne penser à rien.

Entretien par Marcos Uzal initialement paru dans Les Cahiers du cinéma n°772, janvier 2021

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