Après avoir travaillé des années aux États-Unis, Pedro rentre chez lui, dans un petit village de montagne à Guerrero, au Mexique. Il y retrouve ses filles, devenues plus âgées et sa femme, toujours aussi souriante. Cette année, les villageois s’attendent à une récolte abondante. Habitués à la précarité, leur intérêt se tourne principalement vers leurs familles ou les opportunités de travail plus au Nord, de l’autre côté de la frontière.
Grand Prix Nespresso – Semaine de la Critique – Festival de Cannes 2012
Interprètes : Teresa Ramírez Aguirre , Pedro De los Santos Juárez , Lorena Guadalupe Pantaleón Vázquez , Heidi Laura Solano Espinoza , Néstor Tepetate Medina , Carolina Prado Ángel
Scénario : Antonio Méndez Esparza – Image : Barbu Balasoiu – Montage : Filippo Conz – Son : Luis Argüelles Martínez, Allan Zaleski – Musique : Copa Kings, Bertín y su Condesa – Décors : Priscila Charles Calderón – Producteurs : Ori Dov Gratch, Pedro Hernández Santos, Antonio Méndez Esparza – Production : Aqui y Alla Films
Antonio Méndez Esparza
Antonio Méndez Esparza est né et a grandi à Madrid puis s’est s’installé au Mexique et a étudié le cinéma à New York. Il partage sa vie entre ces trois pays qui lui sont chers. En 2009, il écrit et réalise le court métrage, Una y Otra Vezqui remporte notamment le Prix du meilleur scénario au Festival du Film de Los Angeles. Ici et là-bas, produit par l’Espagne, est son premier long métrage qui a remporté le Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes 2012.
Entre documentaire et fiction, une variation délicate et attachante autour du thème de la frontière.
Une des raisons qui motivent la présence régulière de films mexicains à Cannes et dans d’autres festivals tient au renouvellement perpétuel du thème de la frontière. Traversé, c’est le cas de le dire, par cette malédiction sociale qui voit chaque jour des centaines de candidats risquer leur vie ou la prison pour tenter leur chance aux Etats-Unis, le cinéma mexicain n’en finit plus d’offrir des variations autour de ce contexte, devenu un genre à part entière.
Orchestre. Ici et Là-bas est une nouvelle proposition, délicate et attachante, dans un registre intimiste et quasi documentaire. Ici, pas de frontière physique, pas de barbelés et de minutemen fachos. Pedro en a terminé avec tout cela quand il rentre chez lui, dans les montagnes du Guerrero, après plusieurs années passées à New York.
Comme il n’est ni artiste plasticien ni génie de la haute couture, le film laisse le soin d’imaginer quelle fut son existence de bête de somme là-bas. Or une nouvelle épreuve l’attend. Reconstruire un foyer que son absence, via l’envoi de mandats, a permis de mettre à l’abri de la misère, mais au sein duquel il est devenu un étranger. Sa femme ne parvient pas tout à fait à se débarrasser de la solitude qui fut son quotidien et ses filles ne l’ont pas attendu pour grandir. Avec des trésors de patience et d’affection, Pedro parvient, peu à peu, à apprivoiser ce petit monde et à entamer une vie décente grâce à l’argent de son exil. Il s’autorise même un luxe microscopique, inconcevable auparavant : monter un petit orchestre de bal.
Pour Antonio Méndez Esparza, l’enjeu de ce premier long métrage tient dans la combinaison de deux exigences. En premier lieu, un travail documentaire mené pendant plusieurs années sur des habitants du sud du Mexique, avec lequel il a nourri le film. A intervalles réguliers, il fait intervenir des personnages dont on n’a aucun mal à croire qu’ils ne jouent aucun rôle autre que le leur. L’inconsolable femme qui a perdu son fils, mort en exil, la vieille dame qui prépare ses obsèques comme on fait la liste des commissions, les jeunes du village qui, à l’âge où on tombe amoureux, se méfient de leurs sentiments parce qu’ils savent qu’eux aussi rejoindront ce «là-bas», sans savoir quand et s’ils en reviendront.
L’autre contrainte que le film s’est imposée repose sur sa part de fiction qui, à petites touches impressionnistes, évoque la fragilité extrême de la notion de quiétude. Chaque imprévu, chaque trébuchement, est susceptible de faire voler en éclats cette illusion d’un bonheur aussi dérisoire que chèrement acquis. Comme la naissance d’un enfant prématuré qui replonge la petite famille dans d’inextricables ennuis d’argent ou comme cet orchestre du dimanche que ses membres – ouvriers, paysans ou maçons – doivent abandonner pour ne pas sacrifier une heure de leur exorbitant temps de travail.
Enfer. A force de refuser de trahir cette réalité brute qui a fait la chair de son film, le cinéaste a privilégié la vertu documentaire de la chronique intimiste, parfois un brin laborieuse, de cette petite famille sans autre aspérité qu’une fille aînée travaillée par sa crise d’adolescence. Un choix totalement assumé qui aurait sans doute gagné à être un peu plus équilibré mais qui atteint son but. Dans un passé récent, d’autres films, dont le saisissant Los Bastardos d’Amat Escalante en 2008, montraient l’enfer qui attendait les clandestins dans l’exil. Ici et Là-bas confirme que leur point de départ est loin d’être un paradis.
BRUNO ICHER, Libération 2 mai 2012