Librement adapté de Coupable d’avoir été violée de Meriem BEN MOHAMED et Ava DJAMSHIDI Editions Michel Lafon
Lors d’une fête étudiante, Mariam, jeune Tunisienne, croise le regard de Youssef. Quelques heures plus tard, Mariam erre dans la rue en état de choc. Commence pour elle une longue nuit durant laquelle elle va devoir lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité. Mais comment peut-on obtenir justice quand celle-ci se trouve du côté des bourreaux ?
Sélection Un Certain Regard – Festival de Cannes 2017
Avec : Mariam Al Ferjani Mariam • Ghanem Zrelli Youssef • Noomane Hamda, Mohamed Akkari, Chedly Arfaoui, Anissa Daoud, Mourad Gharsalli
Réalisation Kaouther Ben Hania • Scénario Kaouther Ben Hania • Opérateur steadycam Nestor Salazar • Directeur photo Johan Holmquist • Montage Nadia Ben Rachid • Décors Moncef Hakouna • Son Moez Cheikh, Raphaël Sohier, Florent Denizot, Thierry Delor • Musique originale Amine Bouhafa • Costumes Nedra Gribaa • Maquillage Hajer Bouhawala • Premier assistant réalisateur Mehdi M. Barsaoui • Produit par Cinetelefilms Tanit Films • Directeur de production Khaled Walid Barsaoui • Producteurs délégués Habib Attia, Nadim Cheikhrouha • En coproduction avec Laika Film & Television, Film I Vast , Schortcut Films , Integral Film & Literature, Chimney • Producteurs associés Georges Schoucair, Nefise Ozkal Lorentzen, Jorgen Lorentzen , Andreas Rocksen , Tomas Eskilsson , Jon Mankell • Avec le soutien de Ministère des affaires culturelles & Centre National du Cinéma et de l’Image – Tunisie, Swedish Film Institute, Sorfond – Norway, Visions Sud Est – Suisse, Fonds Image de la Francophonie, Doha Film Institute, Aide aux Cinémas du Monde – Centre National du Cinéma et de l’Image Animée – Institut français, World Cinema Fund Europe, Hubert Bals Fund of the International Film Festival Rotterdam, la SACEM, Comune Image
Kaouther Ben Hania
Kaouther Ben Hania, réalisatrice et scénariste, est née à Sidi Bouzid (Tunisie). Etudes de cinéma à l’Ecole des Arts et du Cinéma à Tunis avant de suivre une formation de scénario à la Fémis à Paris. Titulaire d’un Master recherche en études cinématographiques et audiovisuelles de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3.
Filmographie
Courts métrages de fiction
2006 MOI, MA SOEUR ET LA CHOSE
2013 PEAU DE COLLE – Tanit d’or JCC plus une douzaine de prix internationaux.
Documentaires
2010 LES IMAMS VONT À L’ÉCOLE – Première à IDFA en compétition officielle.
2016 ZAINEB N’AIME PAS LA NEIGE – Tanit d’or JCC
Prix Ulysse au festival Cinemed.
Longs métrages de fiction
2014 LE CHALLAT DE TUNIS – Sélection à l’ACID – Festival de Cannes.
Bayard d’or de la meilleure première oeuvre au Festival francophone de Namur et une dizaine de prix internationaux.
2017 LA BELLE ET LA MEUTE
Sélection officielle Un Certain Regard Cannes 2017.
Actuellement en tournage de son troisième documentaire : OLFA ET SES
FILLES et en développement de son prochain long métrage : L’HOMME QUI
AVAIT VENDU SA PEAU.
ENTRETIEN AVEC KAOUTHER BEN HANIA
Du documentaire à la fiction, votre cinéma conserve toujours un lien étroit avec la réalité sociale.
J’ai commencé avec le documentaire parce que je considérais la fiction
comme quelque chose d’extrêmement difficile. En effet, la fiction est
construite de plusieurs « éléments mensongers » et c’est pourtant à
partir du mensonge que doit émerger une certaine authenticité. Filmer le
réel à travers le documentaire m’a permis de reconsidérer cette idée et
d’avoir des outils qui m’ont aidée pour aborder la fiction. En ce sens
LE CHALLAT DE TUNIS est une transition car je traite d’une fiction avec
les outils et la stylistique du documentaire. Lorsque j’ai traité le
réel à partir des IMAMS VONT À L’ÉCOLE et dans les films suivants, j’ai
appris à faire des scènes comme on le fait dans la fiction, mais avec
des fragments de réel. Ainsi, lorsque je tournais, je pensais au montage
qui ne correspondait évidemment pas à la réalité telle qu’elle est
puisque c’était une recomposition du réel avec les outils connus de la
fiction. La réalisation de documentaires a été pour moi un véritable
apprentissage, notamment dans mon travail avec les acteurs. Ainsi, dans
LE CHALLAT DE TUNIS, il s’agissait d’acteurs amateurs et je ne voyais
pas comment je pouvais diriger un acteur pour obtenir quelque chose
d’aussi authentique que dans un documentaire. Non seulement le cinéma
documentaire m’a appris à diriger des acteurs mais aussi à construire
des personnages dans leurs ambiguïtés et leur complexité, loin des
clichés.
Comment dirige-t-on ses acteurs dans le
dispositif de plans-séquences considérés comme autant de « fragments du
réel », tel que vous l’avez pensé pour LA BELLE ET LA MEUTE ?
C’est une contrainte formelle de taille. Mais ce film en a besoin, car
le plan-séquence a cette vertu de nous plonger dans le temps réel. Celui
de la vie. Notre vie est un plan-séquence ininterrompu depuis la
naissance jusqu’à la mort. On ne peut exercer « le montage » que sur nos
souvenirs ou nos souhaitsd’avenir. La vie est linéaire et en
plan-séquence, on ne peut y échapper. Je veux remettre les spectateurs
dans ce même état d’esprit, le supplice que subit Mariam est en
plan-séquence et elle ne peut y échapper qu’en comptant sur elle-même.
Pour le réalisateur comme pour les acteurs, le plan-séquence constitue
une grande contrainte. En effet, je l’ai compris dans LE CHALLAT DE
TUNIS : ce qui sauve les acteurs, c’est le montage. Il crée le rythme et
permet de choisir lameilleure prise. En revanche, le plan-séquence met à
nu le travail de l’acteur : celui-ci doit dès lors créer le montage
avec son corps et ses répliques. L’usage du plan-séquence permettait de
générer une tension et de plonger le spectateur dans la sensation du
temps réel, même si le film est composé de neuf fragments. Le défi était
de mettre en cohérence le jeu d’acteur avec cette idée de fragment du
réel. Tout s’est préparé en amont dans une configuration proche du
théâtre. De nombreuses répétitions furent nécessaires pour coordonner le
jeu des acteurs et les mouvements de caméra. Je me suis longuement posé
cette question angoissante durant le tournage : est-ce que les
répétitions n’allaient pas épuiser les acteurs et rendre leur jeu plus
automatique et moins émotionnel ? Je pouvais perdre ainsi en
spontanéité. Le plan-séquence constituait vraiment un challenge pour
moi. J’aime bien explorer quelque chose que je ne connais pas car je
suis dans un apprentissage permanent. J’ai découvert par la suite que
les nombreuses répétitions n’épuisaient pas les acteurs, bien au
contraire, car cela leur donnait davantage d’outils. Cela me permettait
aussi d’explorer le personnage sous de multiples facettes et les acteurs
au moment du tournage étaient mieux armés.
À partir d’un fait divers, la mise en scène explore les codes
du cinéma de genre, notamment le thriller et le film d’horreur, à
travers le cauchemar vécu durant une nuit par le personnage principal.
J’aime beaucoup le cinéma de genre et notamment le film d’horreur que
je trouve vraiment passionnant. Le film n’est pas pour autant un film
d’horreur, il est en effet bien plus proche du cauchemar. Ce qui
n’empêche pas les nombreux clins d’oeil à un cinéma qui me passionne. En
travaillant avec les acteurs et dès l’écriture du scénario, j’avais en
tête ces références. J’aime beaucoup la tension dans les films : l’idée
était aussi de maintenir une tension qui soit à la fois réaliste
(l’administration peut amener à vivre un tel cauchemar kafkaïen) tout en
assumant les références au genre. Pour moi le cinéma d’horreur est très
réaliste. D’ailleurs le personnage de Youssef compare sa vie à un film
de zombies. Ces films peuvent en effet parler de sentiments très réels
de la vie quotidienne.
La référence au cinéma d’horreur met au centre de LA BELLE ET
LA MEUTE la question de l’humanité des personnages dans un ordre social
où la dignité humaine n’est plus respectée.
Cette histoire est à la fois cruelle du point de vue de Mariam mais
aussi paradoxalement anodine du point de vue de la police, des hôpitaux.
Il s’agit de leur lot quotidien. Des victimes comme Mariam il y en a
tous les soirs. Le décalage entre ces deux attitudes, la tragédie
personnelle et la froideur des institutions, dessine le ton du film. Les
différents personnages secondaires du film justifient les raisons de
leurs comportements horribles, avec toutes les contraintes de leur
fonction, qu’il s’agisse du fonctionnement de l’administration, de la
solidarité inter policière ou du débordement dans le milieu hospitalier.
Une logique de fonctionnement dans laquelle tout un chacun pourrait se
trouver, qu’il s’agisse de petites lâchetés ou d’actes plus
répréhensibles. On peut facilement perdre involontairement son humanité
en multipliant les compromis. La tension du film est construite sur un
compte à rebours à l’envers qui n’aboutit pas à une explosion, celle du
personnage principal, mais plutôt à sa construction. Si Mariam ne perd
pas pied, c’est parce que les personnages beaucoup plus forts qui
l’entourent ne s’attendent pas à sa réaction. J’avais envie dès le
départ de construire un personnage de jeune femme tout à fait normal,
avec ses peurs, ses petits mensonges, son côté « oie blanche ». Elle
finit par se révéler à elle-même parce qu’elle est confrontée à des
situations exceptionnelles. Elle manifeste alors un instinct de survie
dont elle ignorait l’existence. Elle est au départ perdue et j’avais
besoin du personnage de Youssef qui était son soutien, même si on la
pousse à douter de lui. On ignore s’il s’intéresse vraiment à elle ou si
son comportement est la simple manifestation du militant qu’il incarne
pour lui-même comme aux yeux des autres. Lorsque Youssef n’est plus à
ses côtés, Mariam se retrouve toute seule face à la « meute » et elle
est contrainte de s’en sortir seule. Elle fait dès lors basculer un
ordre que tout le monde connaît et accepte.
Mariam incarne-t-elle la jeunesse qui croit fermement à un
État de droit issu du nouvel ordre apparu après la fin du régime de Ben
Ali en Tunisie ?
En fait, je ne voulais pas la charger d’un passé de militante. C’est
pourquoi je l’ai présentée comme un personnage naïf lorsqu’elle ment au
policier. Youssef est bien davantage politisé, c’est lui qui lui parle
de la Révolution. Lorsque l’on subit une injustice, de fait on devient
militant, comme un réflexe de survie. Mariam a besoin que les personnes
qui l’ont violée se retrouvent en prison. Si l’on parle d’un processus
de vengeance sous couvert de prise en charge de la justice civile, on
n’est pas du tout dans le militantisme. Mais celui-ci commence à
apparaître face à un ordre social qui dénie totalement le respect des
droits élémentaires d’un citoyen. Mariam suit un parcours où elle
souhaite seulement justice et réparation pour ce qu’elle a subi, en
réclamant un procès verbal. Elle devient militante à partir du moment où
elle s’aperçoit que cela est impossible. En face d’elle, la « meute »
devient violente, non pas à cause de ce que Mariam représente, mais
parce qu’elle ose porter plainte. Les policiers vont utiliser toutce
dont ils disposent pour la rabaisser en puisant dans un imaginaire
collectif de mépris pour tout ce qui est provincial. Cette manifestation
de dénigrement et de mépris de l’autre sont des armes psychologiques
dans le contexte d’une guerre où s’affrontent deux groupes.
Mariam lutte aussi contre la « banalisation du mal » lorsque ses interlocuteurs traitent le viol avec mépris et indifférence.
Le film est à cet égard un constat de cette « banalisation du mal » non
seulement en Tunisie mais dans le monde entier. À cet égard, je fais
référence au documentaire THE HUNTING GROUND (Kirby Dick, 2015) qui
traite du cas des viols dans les prestigieuses universités américaines
(Columbia, Harvard, etc.) où les victimes féminines ne parviennent pas à
trouver justice au sein de l’administration de leur campus. En effet,
les universités sont des entreprises placées dans un système hyper
compétitif qui ne souhaitent pas voir leur réputation ternie. Aussi,
l’administration pousse les victimes de viol à se taire, d’autant que
les personnes incriminées sont des champions adulés de l’équipe de
football, objet de gros enjeux financiers. LA BELLE ET LA MEUTE est plus
un film sur le diktat de l’institution que sur le viol. C’est pourquoi
le viol est commis par des policiers, autrement dit ceux qui incarnent
le monopole de la violence symbolique dans la société. Les sociétés
modernes sont en effet construites sur cette idée que les individus sont
protégés par ces fonctionnaires. L’un des arguments d’un policier pour
faire taire Mariam consiste à mettre en valeur une société en
construction qui a besoin de l’institution policière et qui ne peut dès
lors être ternie. C’est toujours le chantage que l’on connaît tous qui
consiste à opposer la sécurité à la liberté, comme si on ne pouvait pas
avoir les deux. Dans cette logique, pour avoir une police forte, il faut
lui donner les pleins pouvoirs et se taire lorsqu’elle commet des
crimes. Ceci est à l’oeuvre aux États-Unis après le 11 septembre, on
retrouve cela en France et ailleurs autour du terme « lois d’exception
». Selon ce chantage, il vaut mieux se taire à propos des exactions
policières si l’on veut éviter la guerre civile et les menaces
terroristes.
Si le contexte du film est local à travers un portrait de la
Tunisie de l’après 2011, il dépasse très largement ces frontières.
Comment dialogue-t-on entre local et global dans la conception d’un film
?
Il faut toujours un contexte pour construire un film. Je connais bien
le contexte tunisien que je trouve passionnant car foisonnant, où tout
est remis en question. Tous mes films ont été conçus avec cette
possibilité de pouvoir dialoguer avec tout public, quel que soit le pays
d’origine. Je me rends compte aussi que, comme il y a très peu d’images
qui proviennent de la Tunisie, se forme une adhésion totale aux
quelques images véhiculées vers l’extérieur. À un réalisateur issu d’une
industrie cinématographique plus productive, on ne posera pas les mêmes
questions sur les préjugés associés à un pays.
Ce film est adapté d’un fait divers, quelles libertés ont été prises par rapport à la réalité des faits de celui-ci ?
J’ai pris beaucoup de libertés. C’est un fait divers qui m’avait
énormément touchée à l’époque et qui avait fait beaucoup de bruit, avec
de nombreuses manifestationsde soutien à la victime. J’ai pris
l’événement de départ qu’était leviol. Mais les personnages du film ne
ressemblent pas aux personnages réels.Tous les événements qui se
déroulent dans le scénario ne se sont pas produitscomme tels dans la
réalité : ainsi, la victime du viol croise ses bourreaux durant la nuit
même, mais pas pour les mêmes raisons que j’ai choisies dans le
scénario. Je ne souhaitais pas rencontrer la victime réelle de ce viol,
qui a écrit un livre dont la production du film a acheté les droits afin
de conserver ma liberté d’interprétation*.
La rencontre a pourtant eu lieu et la lecture du scénario ne l’a guère
satisfaite, ce que je comprends aisément : lorsque l’on a vécu une
expérience traumatique, on peut se sentir trahi de ne pas voir la
re-transposition fidèle de ce vécu. Or, je souhaitais, plus qu’adapter
fidèlement un fait divers, parler du courage de nombreuses femmes qui
luttent pour faire respecter leurs droits, en utilisant la fiction.
Derrière le courage qu’elle a eu à témoigner devant la Justice et par
son livre, je souhaitais aussi parler dans mon film de toutes ces femmes
dont on n’entendait pas la voix.
Mariam passe peu à peu
du statut de victime d’un viol qui a besoin d’être prise en charge, au
rôle de citoyenne agissante qui ne peut compter que sur elle, en
l’absence de groupes de pression, qu’il s’agisse de la famille, d’amis
ou d’institutions. Ceci constitue- t-il une vision politique de la
société d’aujourd’hui ?
En effet, je pense qu’il faut être suffisamment solide de l’intérieur
et se construire peu à peu pour s’affirmer et trouver sa place dans la
société. Or dans mon film, cette prise de conscience citoyenne (la
revendication des droits) passe par un événement fortement traumatique.
Ceci dit, dans le véritable fait divers, la prise en charge sociale est
venue de la part de la société civile toujours vivante et active en
Tunisie. Évidemment, la première nuit a été très dure pour la victime
avant que le soutien n’arrive de l’extérieur. C’est pourquoi j’ai tenu à
présenter le rôle de la journaliste dans le film. Avant que ne
parvienne tout ce soutien de l’extérieur, le film montre la nécessité
urgente pour elle de se construire de l’intérieur tout au long de cette
nuit. Elle a en effet progressivement basculé dans un point de
non-retour. On imagine alors que ce soutien extérieur viendra par la
suite pour faire aboutir sa construction personnelle. Je pense que,
lorsque l’on est fragile de l’intérieur, les autres ne peuvent pas nous
aider. Toutes les personnes qui se construisent ainsi peuvent peu à peu
constituer le puzzle d’une société très forte.
Comment relève-t-on les diverses contraintes techniques de départ posées par ce film : quelle fut l’expérience de ce tournage ?
Je dois avouer que j’avais très peur de ce film avec cette contrainte
posée du plan-séquence. Il n’y a pas de secret : il faut se mettre au
travail pour dépasser cette peur. Il faut penser à tout, dès l’étape du
scénario. La préparation du film a été très longue et le film a
d’ailleurs été tourné quatre fois. J’ai commencé à tourner toute seule
avec ma caméra et les acteurs. J’avais exigé de répéter dans les décors
pour pouvoir choisir mes angles. À cette étape, j’ai pu obtenir une
esquisse globale des mouvements et angles de la caméra pour construire
le film. Ensuite, avec l’arrivée du chef opérateur, j’ai pu davantage
travailler avec les acteurs, avant l’arrivée dans un troisième temps du
steadycamer, de l’ingénieur du son et des autres techniciens qui doivent
rester à ses côtés pour ne pas entrer dans le champ. C’était compliqué à
mettre en place mais il était essentiel pour moi que ces mouvements de
caméra ne soient pas exhibitionnistes : il fallait que ce soit les
personnages qui fassent bouger la caméra et que le spectateur l’oublie.
Les acteurs, comme je l’ai déjà dit, devaient faire le montage du film :
c’est en ce sens qu’a été conduit le tournage. J’étais très attentive
aux personnages secondaires qui ne pouvaient pas non plus avoir droit à
l’erreur. Pour cette raison, j’ai effectué un casting très long et
cherché des acteurs de théâtre, car je savais qu’ils disposaient du
souffle nécessaire pour mener une scène dans sa longueur. En effet, une
représentation théâtrale est un long plan-séquence de 1h30 ou 2h. Le
personnage principal, en revanche, n’est pas joué par une comédienne de
théâtre. Il me fallait une personne qui porte sur son visage à la fois
la tragédie et l’innocence, qui mélange un côté enfantin et une
affirmation de femme adulte. Mariam Al Ferjani, l’actrice principale,
était très motivée pour jouer ce rôle alors qu’elle avait peu
d’expérience. Nous avons beaucoup travaillé ensemble et je suis heureuse
du résultat. Je suis également fière des rôles secondaires ; je trouve
que chacun d’entre eux incarne bien des personnages que je connais dans
la vie réelle avec toutes leurs ambiguïtés. Il est évident que ce film
n’aurait pas pu être réalisé avant 2011 en Tunisie. Le film, qui ne fait
pourtant pas un portrait tendre des garants de l’ordre en Tunisie, est
soutenu par le ministère de la Culture. C’est pour moi un symbole de
soutien fort à une époque où règne en Tunisie un pessimisme général.
C’est le signe que les choses sont en train de changer dans le pays.
Comme le personnage principal du film, désormais rien ne peut plus être
comme avant. Le film veut surtout dire aux personnes qui fonctionnent
encore comme sous le régime de Ben Ali, que l’ordre de la société ne
peut plus être le même.
Propos recueillis par Cédric Lépine, avril 2017.
* COUPABLE D’AVOIR ÉTÉ VIOLÉE de Meriem Ben Mohamed, avec la collaboration d’Ava Djamshidi. Editions Michel Lafon