Film soutenu

LE LAC DES OIES SAUVAGES

Diao Yinan

Distribution : Memento Films Distribution

Date de sortie : 25/12/2019

Chine, France | 2019 | 1h50

Un chef de gang en quête de rédemption et une prostituée prête à tout pour recouvrer sa liberté se retrouvent au cœur d’une chasse à l’homme. Ensemble, ils décident de jouer une dernière fois avec leur destin.

Festival de Cannes 2019, en compétition

Avec HU Ge, Lun Mei, LIAO Fan, WAN Qian, HUANG Jue, ZENG Meihuizi, ZHANG Yicong, CHEN Yongzhong

Réalisateur | DIAO Yinan · Producteur | LI Li · Producteur exécutif | SHEN Yang · Co-producteur | Alexandre MALLET-GUY · Scénariste | DIAO Yinan · Directeur de la photographie | DONG Jinsong · Décors | LIU Qiang · Maquillage et costumes | LIU Qiang, LI Hua · Son | ZHANG Yang · Gaffer | WONG Chi Ming · Musique | B6 · Montage | KONG Jinlei, Matthieu LACLAU ·

Présenté par | HE LI CHEN GUANG International Culture Media Co., Ltd. ; Omnijoi Media Corporation Co., Ltd. ; Tencent Pictures Culture Media Co., Ltd. ; Green Ray Films (Shanghai) Co., Ltd. ; China Film International Fund · Une production | Green Ray Films (Shanghai) Co., Ltd. ; Maisong Entertainment Investment (Shanghai) Co., Ltd. · En co-production avec | Memento Films Production ; ARTE France Cinéma · Avec le soutien de | ARTE France ; Aide aux Cinémas du Monde ; Centre National du Cinéma et de l’Image Animée – Institut Français ; Memento Films International · Ventes internationales | Memento Films International · Distribution France | Memento Films Distribution.

Diao Yinan

Diplômé de l’Académie centrale d’art dramatique de Pékin, Diao Yinan démarre sa carrière au cinéma en cosignant le scénario de Spicy Love Soup en 1997, puis de Shower en 1999, tous deux réalisés par Zhang Yang. Il écrit également All the Way qui sera mis en scène par Shi Runjiu en 2001. En 2003, Diao Yinan fait ses premiers pas comme comédien dans All Tomorrow’s Parties de Yu Lik Wai qui est présenté en sélection officielle au Festival de Cannes dans la section Un certain regard. La même année, il écrit et réalise Uniforme. Ce premier long métrage de fiction lui vaut le Grand Prix au Festival international du film de Vancouver. Il reçoit également le soutien du Hubert Bals Fund avant d’être présenté en compétition au festival de Rotterdam en 2004. En 2007, Diao Yinan signe son deuxième long métrage. Train de Nuit est sélectionné au Festival de Cannes où il est projeté dans la section Un certain regard. L’accueil enthousiaste de la critique, qui salue son style minimaliste, permet au film de trouver des distributeurs dans toute l’Europe. Train de Nuit sort en France en janvier 2008. En 2013, Diao Yinan s’attèle à son troisième long métrage. En compétition au dernier festival de Berlin, Black Coal remporte l’Ours d’or du meilleur film et l’Ours d’argent du meilleur acteur pour Liao Fan. En 2019, son nouveau long métrage, Le Lac aux Oies Sauvages, interprété notamment par les deux comédiens principaux de Black Coal , Gwei Lun Mei et Liao Fan, est présenté en sélection officielle en compétition au festival de Cannes. Diao Yinan est également une figure centrale du théâtre chinois d’avant-garde. Il a écrit plusieurs pièces dont A Fastrunner or Nowhere to Hide, Pavel Korchagin et Camarade Ah Q.

FILMOGRPHIE
2019 Le Lac aux oies sauvages
2014 Black Coal
2007Train de nuit
2003Uniforme

NOTES SUR LE FILM par Diao Yinan

De Train de nuit au Lac aux oies sauvages
Après Train de nuit, je songeais constamment à tourner un « polar ».
Je suis grand lecteur et spectateur « d’oeuvres noires » occidentales des années 40 et 50, et pour moi comme pour d’autres, ce genre se prête à l’expression personnelle d’observations sur les hommes et sur la société. J’avais imaginé l’histoire du Lac aux oies sauvages avant de tourner Black Oal, mais je ne la trouvais pas assez aboutie et je l’avais mise de côté. C’est alors que les médias ont rapporté une histoire similaire : mon idée n’était plus une hypothèse littéraire, elle était passée dans la réalité. Je me suis mis à l’écriture du scénario, qui a duré deux ans, en veillant beaucoup à l’ancrage de l’histoire dans la réalité. Un exemple : une « Assemblée nationale des voleurs » s’est vraiment tenue à Wuhan en 2012, avec des délégués venus de tout le pays. Ils ont été dénoncés, et quand la police est arrivée, ils étaient en pleine répartition des territoires devant une carte de la ville ! Quand j’ai lu cette histoire, j’ai éclaté de rire et j’ai trouvé que ça ferait une scène formidable, satirique au possible.

Récit et structure
La première image qui m’est venue en tête était celle de la rencontre d’un homme et d’une femme dans une petite gare de banlieue, un soir de pluie. Cette image donnait le ton et elle était devenue presque obsédante, si bien que je n’avais pas le choix, il fallait qu’elle ouvre le film. Pour dérouler la suite, les flashbacks se sont imposés. Ce qui d’ailleurs correspondait à une envie d’écriture que j’avais déjà. Le flashback permet une certaine distanciation, comme dans le cas des narrateurs de Brecht, qui interrompent le flux du récit pour nous rappeler à la raison. J’ai aussi repensé à la structure des Mille et une nuits, ce très vieux texte qui peut avoir un usage très moderne.
Je suis aussi influencé par la conception de l’espace dans l’opéra de Pékin, par la liberté de ses enchaînements entre scènes. Je m’intéresse moins à la description des contextes ou des paysages sociaux qu’à ce que dessinent le mouvement et le geste, même s’ils sont de natures différentes.
Dans un film, j’aime juxtaposer des styles différents, en accord avec ma perception de la réalité. Je voulais que le film soit très moderne, non-psychologique, et que l’idée s’incarne avant tout par le geste et le mouvement.

Deux mondes, deux cinémas de genre
Le jianghu, le monde des marges et de la pègre, existe dans ces vastes territoires à la périphérie de ces villes. Pour moi, cela a été un choix quasi instinctif, c’est le choix d’un certain romantisme, et pas de romantisme sans le jianghu !
Un film policier ne peut évidemment pas se passer de policiers – et le jianghu encore moins ! La différence, c’est que mes policiers sont en civil. On pourrait croire qu’ils appartiennent au jianghu. Ils ne portent pas les uniformes qui désignent la société « normale » et le pouvoir de la loi.
Ce sont donc moins deux mondes que deux réalités appartenant au même monde, des parallèles qui se croisent, indispensables l’une à l’autre.
Le film noir occidental comme le film de cape et d’épée chinois (wuxiapian) recherchent tous deux un certain romantisme, même si le wuxiapian privilégie une expression plus « poétique ». L’homme en fuite pourrait être un chevalier errant d’aujourd’hui, et la « baigneuse » une courtisane de l’ancien temps, mais surtout, mes héros ont des faiblesses et peurs. Chez eux, le « chevaleresque » (xia) et la « vertu » (yi) ne sont pas affaire de serment solennel, ni d’entraînement. Ce sont des choses qui surviennent dans la banalité du quotidien : le personnage est brusquement acculé à ce destin par une force qui le dépasse. La vertu chevaleresque n’est pas qu’affaire de « chevalier ». Elle se manifeste chez des personnages qu’on dirait « peu recommandables », sous la forme d’une exigence intérieure.

L’eau, la femme, le Sud
J’avais envie d’un film où l’eau serait présente dans les scènes, et d’images associant la femme et l’eau. J’avais le souvenir de photographies en noir et blanc vues dans le passé, notamment la photo d’une femme avec un sourire mystérieux, étendue le long du bastingage d’une barque, tandis qu’en arrière-plan on voit scintiller une eau limpide. C’est comme ça que s’est naturellement imposée la figure de la « baigneuse ». Il y a quelques années, j’avais vu de ces baigneuses dans une ville balnéaire, et j’ai découvert plus tard que cette forme de prostitution bon marché existait aussi dans les villes en bordure du Fleuve bleu. Cette figure a été immédiatement intégrée à l’écriture du scénario.
Et donc, l’histoire supposait un lac à la lisière d’une ville. La région de Wuhan compte de très nombreux lacs, on surnomme même Wuhan « la ville aux cent lacs ». C’est aussi une ville gigantesque, où la culture portuaire, conjuguée à l’industrialisation et à la civilisation urbaine, a donné des paysages d’une incroyable variété. Mon directeur de la photographie Dong Jinsong et moi n’avons pas hésité longtemps avant de nous décider. Je ne souhaitais pas montrer une Wuhan « figurative », de type réalisme social.
Je voulais une ville du Sud, abstraite, réinventée. Nous avons fait des repérages dans un périmètre de 200 km autour de Wuhan, nous avons choisi les décors les plus justes, et nous les avons « montés » ensemble.

Nocturne
Un homme poursuivi par la police a besoin du « couvert de la nuit ». La nuit, c’est le mystère, et c’est aussi la mort qui rôde, des créatures insolites qui surgissent des ténèbres. L’indistinct, le vacillant et le vague augmentent la palette de la caméra, je dirais que la nuit ajoute des filtres à l’objectif, et on peut retrouver l’élégance et l’abstraction du noir et blanc. Les taches lumineuses, les couleurs plus denses et les rues désertes deviennent un rêve venu du fond des ténèbres. La nuit m’engage aussi à prendre des risques, à me confronter au mythe.
Sous les projecteurs, le monde prend une dimension surréelle, l’homme rôde comme un animal à la frontière mouvante entre rêve et réalité. J’adore les ombres qui naissent entre lumière et obscurité et je les filme obstinément.
Et puis, il y a le silence de la nuit, un silence où il semblerait qu’un trait de lumière lui-même soit sonore. Je traite généralement les sons réels en musique du monde et j’attends de la bande son qu’elle privilégie leur rythme et leur musicalité. Le frottement sur les rails des roues d’un train évoquera un roulement de tambour, et des chocs métalliques résonneront comme de la musique concrète. Les voix humaines peuvent être travaillées comme des appels d’animaux, ou de manière à ce qu’il soit impossible de distinguer un homme d’une bête. Je travaille aussi l’aspect psychologique du son : le son s’éloigne peu à peu de la réalité pour s’exacerber ou devenir abstrait, afin d’exprimer l’état d’âme d’un personnage à un moment donné.

Comédiens professionnels et non-professionnels
La recherche de comédiens a été longue, mais les décisions se sont prises très vite. Ensuite, Hu Ge (Zhou Zenong) et Gwei Lun Mei (Liu Ai’ai) ont dû apprendre le dialecte de Wuhan. Hu Ge s’est entraîné pour les scènes de bagarre, pour entrer physiquement dans le rôle, et Gwei Lun Mei, qui vient de Taïwan, a passé du temps à Wuhan pour s’imprégner de l’atmosphère locale. Liao Fan (le commandant de police), lui, est de la région, le dialecte lui est familier, et il est si naturel en policier qu’aucun des non-professionnels ne trouvait qu’il détonnait ! Les acteurs non-professionnels ont travaillé sans avoir l’ensemble du scénario en main, juste le plan de travail du lendemain. Je ne voulais pas qu’ils se « préparent », plutôt qu’ils marchent à l’intuition. Ils ont eu une influence décisive sur les comédiens professionnels, ils les ont amenés à eux, et non l’inverse. Nous avons globalement tourné dans l’ordre du scénario, ce qui est ma méthode de prédilection. Le tournage a duré 5 mois, ce que je trouve rétrospectivement bien long, mais nous avions 80% de scènes de nuit, en été, quand les nuits sont courtes, et beaucoup de scènes d’action qui demandaient de longues mises en place.

Rêves et fantastique
Les scènes qui prennent un ton presque onirique, y compris les scènes violentes, ne sont pas toutes sorties de mon imagination. Dans les années 1980, à Xi’an, ma ville natale, un criminel célèbre avait réussi à s’évader de prison peu avant d’être exécuté. Tous les policiers de la ville s’étaient lancés à ses trousses, en vain. Deux ans plus tard, il est repris, et l’on apprend alors ce qui s’est passé : il s’était caché dans le zoo de la ville, dans l’enclos des éléphants. Il avait dormi et mangé avec les éléphants pendant deux semaines, en observant avec méfiance les visiteurs du zoo, comme s’il était lui-même devenu un animal sauvage. J’aime beaucoup cette histoire, très contemporaine dans son mélange de réel et de surréel, et je n’ai pas résisté à l’envie de l’utiliser dans le film.
La scène où mes héros observent des phares au loin a aussi sa source dans mon expérience. Quand j’étais étudiant, alors que je voyageais dans le nord de ma province, j’ai manqué le dernier train et j’ai dû marcher de nuit entre deux sites que je devais visiter. C’est une zone de hauts plateaux de loess, avec des routes en lacets… En pleine nuit, dans un noir d’encre, j’étais perdu et effrayé. Soudain, à un tournant de la route, j’ai vu un rai de lumière transpercer le ciel pendant quelques secondes. En revenant à la réalité, j’ai vu qu’il s’agissait de phares de voitures au loin, face à moi. En contrebas, dans la vallée, j’ai aperçu une raffinerie brillamment éclairée, comme une effervescence lumineuse. Cette image a suscité en moi une émotion inexplicable.
En revanche, la scène où le héros se sert d’un parapluie comme arme vient d’une image qui m’est apparue dans une sorte de rêve éveillé. J’avais écrit dans le scénario que ce parapluie s’ouvrait « comme une fleur ensanglantée ». Quand on a tourné la scène, l’équipe a comparé l’image du mort à un ange de sang. Un ange qui irait en enfer, bien sûr, la conjonction de la beauté et de la violence.

Une vision chinoise
Le goût du pouvoir, l’avidité et la trahison existent dans toutes les sociétés, avec des différences de forme et de degré. Mes deux personnages principaux affrontent leurs peurs : la peur de la mort, la peur de la trahison. Ils conquièrent leur dignité d’êtres humains au péril de leurs vies, ils résistent à l’humiliation par la « droiture chevaleresque ». La Chine a traversé nombre de tragédies, et aujourd’hui, la course à la modernisation et l’angoisse générée par l’évolution de la société nous ont fait oublier cette noblesse d’âme, qui est présente dans la philosophie et la littérature chinoises classiques, et qui devrait tenir une place unique dans nos âmes.
C’est une quête de morale et de justice, dont j’admire et défends l’esprit, et je souhaite qu’il puisse se manifester par le cinéma.
Dans notre monde globalisé, aucune société ne peut éliminer le tragique de l’existence humaine, aucun système n’est en mesure d’effacer la souffrance et la peur de la mort. J’ai une vision à la fois tourmentée et positive de l’avenir, et je repense ici à une phrase d’Orson Welles dans le Troisième homme de Carol Reed : « L’Italie des Borgia a connu 30 ans de guerre civile, de terreur et de sang, mais elle a donné Michel-Ange, Léonard De Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu l’amour fraternel et 500 ans de démocratie et de paix, et ça a donné quoi ? Le coucou. »