Le voyage au Groenland de Sébastien Betbeder
Film soutenu

Le Voyage au Groenland

Sébastien Betbeder

Distribution : Ufo Distribution

Date de sortie : 30/11/2016

France / 1h38 / DCP

Thomas et Thomas cumulent les difficultés. En effet, ils sont trentenaires, parisiens et comédiens… Un jour, ils décident de s’envoler pour Kullorsuaq, l’un des villages les plus reculés du Groenland où vit Nathan, le père de l’un d’eux. Au sein de la petite communauté inuit, ils découvriront les joies des traditions locales et éprouveront leur amitié.

SELECTION ACID – FESTIVAL DE CANNES 2016
FIFF Namur, Mention spéciale du Jury • Festival de La Rochelle • Festival de Lama • Festival de Gindou • FIFIB, Bordeaux • Hamburg Filmfest • Festa do Cinema Frances, Lisbonne • Thessaloniki Film Festival

Avec : Thomas Blanchard, Thomas Scimeca, François Chattot, Ole Eliassen, Adam Eskildsen, Benedikte Eliassen, Mathias Petersen, Judith Henry, Martin Jensen…

Scénario et réalisation Sébastien Betbeder • Image Sébastien Godefroy • Montage : Céline Canard • Son Roman Dymny • Musique Minizza • Production Envie de Tempête • Co-production UFO / Bobi Lux

Réalisateur

Sébastien Betbeder

Sébastien Betbeder, né en 1975 à Pau.

Filmographie

* 1999 : La Fragilité des revenants (court métrage)
* 2000 : Le Haut mal (court métrage)
* 2004  : Des voix alentour (court métrage)
* 2006 : Nu devant un fantôme (court métrage)
* 2006 : Les Mains d’Andrea (court métrage)
* 2007 : Nuage
* 2009  : Toutes les montagnes se ressemblent (court métrage)
* 2009  : La Vie lointaine (moyen métrage)
* 2010  : Yoshido (les autres vies) (moyen métrage)
* 2012  : Je suis une ville endormie (moyen métrage)
* 2012  : Les Nuits avec Théodore
* 2013  : 2 automnes 3 hivers
* 2014  : Inupiluk 
* 2016 : Voyage au Groenland

A l’occasion du tournage, un dispositif inédit a été mis en place :

un PROJET MULTIMEDIA sur internet

en simultané, le journal de bord du réalisateur, des documentaires sur la région et ses habitants, ainsi qu’une web série.
A VOIR :  http://www.levoyageaugroenland.fr


NOTE D’INTENTION DU RÉALISATEUR

Nous sommes à la fin du printemps 2013 et Nicolas Dubreuil, le frère de mon producteur, m’annonce que dans un mois, Ole et Adam, deux de ses meilleurs amis inuits, viendront en France pour une dizaine de jours. Nicolas est explorateur et vit la moitié de l’année à Kullorsuaq, l’un des villages les plus excentrés du Groenland. Ole et Adam n’ont jamais quitté Kullorsuaq. Nicolas souhaite garder une trace de ce séjour. Je lui propose de créer, à partir de cette venue, une fiction. Une fiction où le réel aurait la première place. Il ne me reste que peu de temps pour imaginer ce que sera ce film. Je décide alors d’inviter Thomas Blanchard et Thomas Scimeca à participer au projet. J’écris en deux semaines la trame d’un scénario les mettant en scène face à deux chasseurs d’ours débarquant pour la première fois à Paris. Nous sommes fin juin. Ole et Adam atterrissent à l’aéroport de Roissy. Nous ignorons si nous sommes prêts. Nous n’avons pas le temps de réfléchir. Ainsi commence le tournage d’Inupiluk. A la fin de ce moyen-métrage, Ole et Adam invitent les 2 Thomas à venir leur rendre visite à Kullorsuaq.
En avril 2015, après un très long voyage – quatre avions et un hélicoptère ! – nous débarquons avec les 2 Thomas, François Chattot (qui interprète le père de Thomas Blanchard) et la petite équipe d’Inupiluk aux confins du Groenland, à Kullorsuaq. C’est ici, au sein de ce village, confrontés à ses habitants et à leurs traditions, que nous nous installons pour vivre et raconter une histoire. Le Voyage au Groenland est le résultat de cette aventure inoubliable. C’est une comédie dans le Grand Nord, un film sur l’amitié et la transformation d’un peuple.
Sébastien Betbeder


MUSIQUE ORIGINALE

MINIZZA (Franck Marguin / Geoffroy Montel)

Minizza revient à ses premières amours électro-pop avec la bande originale du nouveau film de Sébastien Betbeder, lequel avait fait appel à Sylvain Chauveau sur Nuage (2007), Bertrand Betsch sur 2 automnes 3 hivers (2013) et Sébastien Tellier pour Marie et les naufragés (2016).
Virage à 180° par rapport aux deux albums précédents, pas de trace d’expérimentations dans cette suite électronique. Minizza opte ici pour une ligne claire, éminemment mélodique, tour à tour entraînante et mélancolique, réminiscences des musiques de films de François de Roubaix, Pierre Bachelet, Vladimir Cosma ou Ennio Morricone.

disponible en CD ou téléchargement


UNE EXPÉRIENCE DE CINÉMA COMMENTÉE PAR SÉBASTIEN BETBEDER

Un village où vivent un peu plus de 400 habitants. Une photo prise depuis les hauteurs, près de l’antenne satellite, là où les deux Thomas, lors d’une scène du film, cherchent désespérément du réseau. Le village est situé au bord de la banquise. Lorsqu’elle fond, en été, Kullorsuaq devient alors une île. Nous avons tourné en avril, sous des températures de – 30°, -35 °C. Je voulais filmer à cette époque de l’année avec cette banquise sur laquelle on se déplace en chiens de traîneau. Il faut savoir que le village est approvisionné en nourriture par bateau deux fois par an seulement. Le reste du temps les provisions sont acheminées depuis la ville d’Upernavik, par hélicoptère. Kullorsuaq est l’un des derniers villages de chasseurs du Groenland, l’un des plus extrêmes. Les habitants pêchent le narval, chassent le phoque et l’ours. Ils ne survivent que grâce à ça.   Pourquoi sommes-nous allés tourner à Kullorsuaq ? Il faut remonter un peu en arrière. Je venais de terminer la post-production de 2 automnes 3 hivers et, Nicolas Dubreuil, le frère de mon producteur, qui est explorateur et vit la moitié de l’année à Kullorsuaq, m’annonce la venue en France de deux de ses amis, Ole et Adam. C’est la première fois qu’ils quittent Kullorsuaq et Nicolas veut garder une trace de ce séjour. Il me propose alors de le filmer. Je lui réponds que je ne me sens pas légitime pour réaliser un documentaire, mais mettre en scène un  fiction qui convoquerait le réel m’apparaît comme un pari de cinéma extrêmement stimulant. J’écris donc un scénario en trois semaines, le temps dont je dispose avant leur arrivée. Je convoque Thomas  Blanchard et Thomas Scimeca, pressentant chez eux la possibilité d’un duo comique et leur propose d’être les hôtes d’Ole et Adam. C’est ainsi qu’est né Inupiluk
un moyen-métrage tourné en dix jours. A la fin du film, au moment des adieux, les deux Inuits invitent les deux Thomas à venir dans leur village. Nous gardons ça en tête, avec Frédéric, le producteur, comme un projet de cinéma un peu fou et excitant. Deux ans plus tard, nous réunissons l a petite équipe d’Inupiluk et partons à Kullorsuaq, avec les deux Thomas et un troisième personnage : François Chattot qui interprète le père de Thomas B.   Je n’aurais jamais eu l’idée de faire un film au Groenland, mais quand j’ai reçu cette proposition me sont venues à l’esprit des images fantastiques, comme celle de The Thing de John Carpenter : le film commence par l’arrivée d’un hélicoptère dans un territoire presque abandonné, éloigné de toute civilisation. J’aimais cette idée de commencer aussi mon film comme un film fantastique. Je savais que je ne pouvais pas partir en repérages : pour aller à Kullorsuaq, il faut cinq jours de voyage, enchaîner quatre avions et un hélicoptère, ça coûte beaucoup d’argent et je n’avais pas l’intention de faire un film cher. J’avais besoin de la liberté d’une production «légère», de partir avec une petite équipe. Pour parvenir à écrire le scénario, j’ai beaucoup interrogé Nicolas Dubreuil. Je lui ai demandé qu’il me parle des habitants de Kullorsuaq. J’avais besoin qu’il m’en dresse les portraits pour pouvoir ensuite inventer mes personnages. J’en ai tiré un scénario très écrit. Sa propre expérience a aussi nourri la fiction et en particulier le personnage de Nathan. Quand Thomas B raconte que son père s’est perdu sur la banquise et a été secouru par Ole, c’est une histoire qui est réellement arrivée à Nicolas.   Après Marie et les naufragés, j’avais envie d’un film «ligne claire», faire évoluer mes personnages dans un territoire vierge. Blanc. Loin du décorum parisien. Ce paysage me semblait idéal pour aborder différemment la comédie, pour – libéré de toute contextualisation – s’autoriser un travail particulier sur la direction d’acteur, en faisant du duo le moteur du comique. A Kullorsuaq, Thomas et Thomas sont, avec Nathan, les seuls occidentaux. Ils sont, en quelque sorte, confrontés pour la première fois à un monde inconnu, loin de leurs repères. Partir était aussi pour moi, une manière de me questionner sur la persistance de l’amitié et sa fragilité. Comment, lorsqu’on se connaît depuis plus de 10 ans, réinventer une relation, la mettre en danger pour continuer à être amis ? Quand j’ai imaginé Inupiluk, je n’avais eu que peu de temps pour construire mes personnages, pour leur inventer une vie. En commençant le travail sur le scénario du Voyage au Groenland, j’ai mesuré la possibilité que m’offrait le format long pour développer leur relation, leurs caractères. Pendant l’écriture, en plus des entretiens avec Nicolas Dubreuil, j’ai reçu une proposition de carte blanche de France Culture qui a été déterminante : réaliser un documentaire d’une heure, en étant totalement libre du sujet. J’ai choisi alors de réunir les deux Thomas, pour faire avec eux un « brainstorming » sur ce que pourrait être le film à venir. Ces séances, qui ont été filmées, ont donné lieu à un moyen-métrage intitulé Le Film que nous tournerons au Groenland dans lequel se trouve la genèse du Voyage au Groenland. C’est en effet lors de cet enregistrement que de nombreuses décisions concernant les enjeux narratifs du long-métrage ont été prises. C’est là, par exemple, que nous avons décidé que les personnages seraient comédiens, donc intermittents du spectacle. Face aux habitants du village, il me semblait indispensable que les Thomas soient eux aussi ancrés dans le réel ; ce réel, ce devait être leur propre vie. Ainsi, nous étions dans un rapport d’égalité avec nos hôtes puisque les Thomas interprétaient aussi (avec toutes les nuances que cela induit) leurs propres rôles. Même si, évidemment, je ne suis pas ethnologue, je sentais une responsabilité immense à aller filmer un village qui n’avait encore jamais été filmé, à un moment où il vit de façon cruciale l’arrivée des nouvelles technologies d’un côté, du pétrole, de l’autre. Il fallait inventer les moyens de créer un regard juste, en cela je me devais d’être aussi innocent que les Thomas.   C’est vraiment un duo : ce sont des amis proches, ils se ressemblent, ils ont chacun leurs faiblesses, mais ensemble c’est comme s’ils devenaient un seul corps. Thomas Blanchard, ou plutôt son personnage, est sans doute plus sensible, moins frondeur, il est plus dans l’hésitation et la retenue, là où Thomas Scimeca, ou du moins son personnage, provoque les événements avec une forme d’inconscience. Dans le film, il y a «les Thomas» face aux Inuits, et «les Thomas entre eux». Une séquence comme celle illustrée par cette photo les met en scène dans un ping-pong verbal qui échappe au registre de la pure comédie. Nous avons filmé cette scène vers la fin du voyage ; nous étions tous dans un état de nervosité et de tension assez élevé, ce qui en fait un moment presque documentaire (alors que paradoxalement, la scène était très écrite). Le film s’est tourné au moment où la nuit disparaissait pour laisser place au jour perpétuel, ce qui, au début, nous a plongés dans un état d’excitation (nous avions toujours de la lumière pour travailler !) mais qui, à la fin, s’est avéré assez difficile à vivre, avec un fort sentiment de claustrophobie et la perte de nos repères temporels. Pour revenir à la question de l’ethnologie, j’avais pour idée, en faisant ce film, d’inverser la situation, que l’objet d’étude soit aussi « les Thomas », en vis-à-vis de ce que vivent les habitants de Kullorsuaq. Un vis- à-vis qui révèle des choses sur l’absurdité de la vie occidentale. Mais si leurs discussions peuvent paraître dérisoires face à ce que vivent les Inuits, elles sont pour moi essentielles : le débat sur l’esprit critique, le choix de métiers artistiques, la place de la culture dans nos existences (un thème déjà abordé dans 2 automnes 3 hivers, mais encore plus crucial ici), c’est aussi une question de survie.   Voilà quand la comédie s’empare des thèmes que je viens d’évoquer… Cette histoire de l’intermittence est née pendant le « brainstorming » du Film que nous tournerons au Groenland. En se demandant quel serait le pire truc qui puisse arriver à Thomas et Thomas au Groenland, a surgi l’idée de problèmes de connexion et de la perte possible des Assedic. Le décalage est forcément comique parce qu’ils deviennent l’objet d’étudedes villageois. Mais encore une fois il s’agit avant tout de quelque chose de très sérieux, qu’aucun film, jecrois, n’a pris le temps de traiter. C’est une mise en abyme : ils sont comédiens dans la fiction, mais aussi les personnages principaux d’un film qui va sortir en salles, et si ce film est là aujourd’hui, si on a du plaisir à les voir jouer, c’est que le statut d’intermittent existe… Les Inuits n’ont plus de « modem 56k ». J’ai emprunté cette idée sonore et vintage à Computer chess, un film d’Andrew Bujalski, tourné en caméra VHS, en noir et blanc. C’est un film « mumblecore », ce courant du cinéma indépendant américain qui a été déterminant dans mon envie et mon assurance à réaliser Le Voyage au Groenland. Comme dans le « mumblecore », je mets en scène, dans une esthétique revendiquée comme pauvre et en privilégiant la comédie, des jeunes gens confrontés aux difficultés de l’époque. Être dans la nécessité absolue de se connecter pour pouvoir toucher de l’argent, pour pouvoir vivre, c’est assez terrible et assez symbolique… On en arrive à cette comparaison complètement absurde – mais pas tant que ça en fait – entre le nombre de phoques tués et le nombre d’heures travaillées qu’il faut comptabiliser pour garder son statut.   Le film parle de la relation entre un fils et son père. Il y a deux aventures dans ce voyage : celle de l’amitié des deux Thomas et celle d’un père et un fils qui ne se sont pas vus depuis des années. Je crois que j’ai aussi réalisé ce film pour ce dernier regard que Thomas adresse à Nathan, juste avant qu’il ne reparte en hélicoptère. C’est certainement la dernière fois qu’ils se voient et tous les deux le savent. Avant ces adieux, il y aura eu de vraies retrouvailles. Des retrouvailles un peu particulières car laissant place à de nombreux non-dits. Je crois beaucoup dans les vertus du silence, dans la pudeur entre les membres d’une même famille, là où la parole prendrait le risque d’abîmer une relation. Je ne savais pas quel comédien jouerait Nathan, cela donne d’ailleurs lieu à une scène assez comique dans Le Film que nous tournerons au Groenland, où on lance des noms à l’emporte pièces. Tous les comédiens français de plus de 55 ans y passent ! A un moment, hors caméra, les deux Thomas me disent sérieusement avoir pensé à François Chattot, un immense acteur de théâtre, qu’ils admirent depuis leurs études au Conservatoire. J’ai donc décidé de rencontrer François. J’ai découvert quelqu’un de très impliqué, qui comprenait parfaitement les états d’âme qu’un tel personnage porte en lui. Il a complètement incarné ce que j’avais esquissé : un père taiseux, une force de la nature, rencontré à un moment de la vie où l’âge rend le corps et l’esprit fatigués. C’est François qui a proposé d’interpréter la chanson de Mouloudji, Faut vivre, à l’anniversaire d’Ole. Elle correspond incroyablement au film.   Le Voyage au Groenland est aussi le récit de la fin de « l’adulescence ». Les deux Thomas réalisent, au cours du film, une sorte de parcours initiatique qui les mènera peut-être à l’âge adulte. Dans ce parcours, Thomas S agit en passeur. Sans l’accompagnement de son ami, Thomas B n’aurait certainement pas «retrouvé» son père. Il y a une scène qui résume pour moi tous les enjeux du film. Il s’agit du moment où les personnages principaux se retrouvent autour du traîneau portant l’ours mort. C’est une séquence silencieuse où seuls les regards échangés font sens. Dans cette ronde des regards, il y a la certitude d’une amitié indéfectible entre les Thomas, il y a l’amour comme une quête d’absolu (c’est leregard porté par Thomas S sur la jeune fille qui lui a tapé dans l’œil), et puis il y a la conscience de la mort annoncée, représentée par cette gueule d’ours que regarde le fils avant de lever les yeux vers son père. «Aucun animal n’a été blessé ou tué pour les besoins du film.» Je tenais à cette phrase au générique de fin pour éviter toute ambiguïté. Pour les scènes de chasse, nous avons d’abord suivi Adam, Ole et Martika sur la banquise, à la recherche d’un phoque comme ils le font presque quotidiennement pour survivre (et en respectant les quotas qui sont imposés). Nous avons enregistré la mort de l’animal, de façon documentaire, sans mise en scène. Puis, dans un second temps, nous avons tourné les contrechamps avec les Thomas comme dans un film de fiction habituel. Le montage a fait le reste. C’est un exemple assez parfait de la façon dont le film mêle fiction et réalité. La scène avec la dépouille de l’ours mort évoquée juste au-dessus était écrite. Nous avons donc dû attendre qu’un chasseur revienne avec sa proie – sans avoir la certitude qu’il y parvienne, ce qui était un peu inquiétant. Il m’était important de montrer aussi ces scènes de la vie quotidienne. Je n’ai jamais pensé à les occulter. Les Inuits attachent beaucoup d’importance au regard que portent sur eux les Occidentaux et ils souffrent terriblement de l’image de barbares tueurs de phoques, véhiculée par certains médias. En participant à ce film, ils savaient aussi qu’ils pourraient témoigner de qui ils sont réellement. De façon générale et au-delà de la question de la chasse, Nicolas Dubreuil servait de caution morale et le film aurait été impossible sans le rapport de confiance qu’il a établi avec eux.   Martika est un vrai chasseur. Au départ, ça devait être un autre villageois dénommé Pita, considéré commele plus grand chasseur de Kullorsuaq, qui devait interpréter ce rôle. Mais Pita a eu des problèmes de santé.Quand j’ai décidé que Martika allait le remplacer, beaucoup de villageois sont devenus soudain très jaloux :« Martika n’est pas un si bon chasseur », disaient-ils en choeur !… Martika m’a fait très vite cette blague visuelle, passant en un instant du sourire au sérieux absolu et inquiétant. Par son jeu et son physique, il me fait penser à un mélange entre Takeshi Kitano et Charles Bronson ! Je considère les habitants de Kullorsuaq qui ont participé au film comme des comédiens : certes, ils jouent leurs propres rôles, mais ils livrent bel et bien une interprétation. L’important était de ne pas leur faire dire des choses contradictoires avec ce qu’ils avaient envie d’exprimer. Je n’avais pas fait traduire le scénario au préalable, cela n’aurait été d’aucune utilité, mais quand nous sommes arrivés dans le village, toute l’équipe s’est présentée lors d’une soirée dans la salle commune qui restera un moment inoubliable. Nous avons expliqué le projet, l’envie de témoigner de leur vie, de s’intégrer dans leur quotidien. Pour chaque scène, on leur expliquait la situation exacte, ses enjeux et on était à l’écoute de leurs propositions. Comme je ne parle pas leur langue, Nicolas servait de traducteur.   Le voyage aura été initiatique et nous aura, l’équipe et moi-même, bousculé dans nos certitudes. Il y a chez les hommes et femmes que nous avons côtoyés durant ces cinq semaines, une conception simple et fondamentale des relations humaines, du vivre ensemble, qui place l’amitié très haut. Qui met aussi les enfants au coeur des préoccupations sociales. Je voulais témoigner du côté très adulte des enfants inuits et de leur gravité dans la scène où ils vont à l’église prier leur ami mort. Comme un écho à la gravité qui saisit peu à peu les deux Thomas. Le film parle aussi de nos différences et, de façon détournée, de la paternité : décider ou pas d’être père. Avec cette scène comme une blague où un habitant propose de donner un enfant à l’un des Thomas, qui répond poliment : « Non, merci ». Les habitants de Kullorsuaq vivent un moment crucial de leur histoire. D’abord avec l’arrivée des nouvelles technologies, des réseaux sociaux. Aujourd’hui les jeunes sont hyper-connectés et voient via internet ce qui était pour eux invisible avant, à savoir une vie occidentale faite de plaisirs, d’abondance. Ils savent qu’ils ne vivront jamais ça, qu’ils n’y auront jamais accès. Le taux de suicide a bondi chez les adolescents – le film évoque la question par l’intermédiaire de Nathan. Et puis on a découvert du pétrole près du village, et cela va assurément bouleverser leur quotidien. Les plus âgés appréhendent cette révolution et craignent la disparition de leurs traditions ; d’autres, plus jeunes y voient l’espoir de sortir de la misère économique dans laquelle ils se trouvent.