Thomas et Thomas cumulent les difficultés. En effet, ils sont trentenaires, parisiens et comédiens… Un jour, ils décident de s’envoler pour Kullorsuaq, l’un des villages les plus reculés du Groenland où vit Nathan, le père de l’un d’eux. Au sein de la petite communauté inuit, ils découvriront les joies des traditions locales et éprouveront leur amitié.
SELECTION ACID – FESTIVAL DE CANNES 2016
FIFF Namur, Mention spéciale du Jury • Festival de La Rochelle • Festival de Lama • Festival de Gindou • FIFIB, Bordeaux • Hamburg Filmfest • Festa do Cinema Frances, Lisbonne • Thessaloniki Film Festival
Avec : Thomas Blanchard, Thomas Scimeca, François Chattot, Ole Eliassen, Adam Eskildsen, Benedikte Eliassen, Mathias Petersen, Judith Henry, Martin Jensen…
Scénario et réalisation Sébastien Betbeder • Image Sébastien Godefroy • Montage : Céline Canard • Son Roman Dymny • Musique Minizza • Production Envie de Tempête • Co-production UFO / Bobi Lux
Réalisateur
Sébastien Betbeder
Sébastien Betbeder, né en 1975 à Pau.
Filmographie
* 1999 : La Fragilité des revenants (court métrage)
* 2000 : Le Haut mal (court métrage)
* 2004 : Des voix alentour (court métrage)
* 2006 : Nu devant un fantôme (court métrage)
* 2006 : Les Mains d’Andrea (court métrage)
* 2007 : Nuage
* 2009 : Toutes les montagnes se ressemblent (court métrage)
* 2009 : La Vie lointaine (moyen métrage)
* 2010 : Yoshido (les autres vies) (moyen métrage)
* 2012 : Je suis une ville endormie (moyen métrage)
* 2012 : Les Nuits avec Théodore
* 2013 : 2 automnes 3 hivers
* 2014 : Inupiluk
* 2016 : Voyage au Groenland
A l’occasion du tournage, un dispositif inédit a été mis en place :
un PROJET MULTIMEDIA sur internet
en simultané, le journal de bord du réalisateur, des documentaires sur la région et ses habitants, ainsi qu’une web série.
A VOIR : http://www.levoyageaugroenland.fr
NOTE D’INTENTION DU RÉALISATEUR
Nous sommes à la fin du printemps 2013 et Nicolas Dubreuil, le frère
de mon producteur, m’annonce que dans un mois, Ole et Adam, deux de ses
meilleurs amis inuits, viendront en France pour une dizaine de jours.
Nicolas est explorateur et vit la moitié de l’année à Kullorsuaq, l’un
des villages les plus excentrés du Groenland. Ole et Adam n’ont jamais
quitté Kullorsuaq. Nicolas souhaite garder une trace de ce séjour. Je
lui propose de créer, à partir de cette venue, une fiction. Une fiction
où le réel aurait la première place. Il ne me reste que peu de temps
pour imaginer ce que sera ce film. Je décide alors d’inviter Thomas
Blanchard et Thomas Scimeca à participer au projet. J’écris en deux
semaines la trame d’un scénario les mettant en scène face à deux
chasseurs d’ours débarquant pour la première fois à Paris. Nous sommes
fin juin. Ole et Adam atterrissent à l’aéroport de Roissy. Nous ignorons
si nous sommes prêts. Nous n’avons pas le temps de réfléchir. Ainsi
commence le tournage d’Inupiluk. A la fin de ce moyen-métrage, Ole et
Adam invitent les 2 Thomas à venir leur rendre visite à Kullorsuaq.
En avril 2015, après un très long voyage – quatre avions et un
hélicoptère ! – nous débarquons avec les 2 Thomas, François Chattot (qui
interprète le père de Thomas Blanchard) et la petite équipe d’Inupiluk
aux confins du Groenland, à Kullorsuaq. C’est ici, au sein de ce
village, confrontés à ses habitants et à leurs traditions, que nous nous
installons pour vivre et raconter une histoire. Le Voyage au Groenland est
le résultat de cette aventure inoubliable. C’est une comédie dans le
Grand Nord, un film sur l’amitié et la transformation d’un peuple.
Sébastien Betbeder
MUSIQUE ORIGINALE
MINIZZA (Franck Marguin / Geoffroy Montel)
Minizza
revient à ses premières amours électro-pop avec la bande originale du
nouveau film de Sébastien Betbeder, lequel avait fait appel à Sylvain
Chauveau sur Nuage (2007), Bertrand Betsch sur 2 automnes 3 hivers (2013) et Sébastien Tellier pour Marie et les naufragés (2016).
Virage à 180° par rapport aux deux albums précédents, pas de trace
d’expérimentations dans cette suite électronique. Minizza opte ici pour
une ligne claire, éminemment mélodique, tour à tour entraînante et
mélancolique, réminiscences des musiques de films de François de
Roubaix, Pierre Bachelet, Vladimir Cosma ou Ennio Morricone.
disponible en CD ou téléchargement
UNE EXPÉRIENCE DE CINÉMA COMMENTÉE PAR SÉBASTIEN BETBEDER
Un village où vivent un peu plus de 400 habitants.
Une photo prise depuis les hauteurs, près de l’antenne satellite, là où
les deux Thomas, lors d’une scène du film, cherchent désespérément du
réseau. Le village est situé au bord de la banquise. Lorsqu’elle fond,
en été, Kullorsuaq devient alors une île. Nous avons tourné en avril,
sous des températures de – 30°, -35 °C. Je voulais filmer à cette époque
de l’année avec cette banquise sur laquelle on se déplace en chiens de
traîneau. Il faut savoir que le village est approvisionné en nourriture
par bateau deux fois par an seulement. Le reste du temps les provisions
sont acheminées depuis la ville d’Upernavik, par hélicoptère. Kullorsuaq
est l’un des derniers villages de chasseurs du Groenland, l’un des plus
extrêmes. Les habitants pêchent le narval, chassent le phoque et
l’ours. Ils ne survivent que grâce à ça.
Pourquoi sommes-nous allés tourner à Kullorsuaq ?
Il faut remonter un peu en arrière. Je venais de terminer la post-production de 2 automnes 3 hivers
et, Nicolas Dubreuil, le frère de mon producteur, qui est explorateur
et vit la moitié de l’année à Kullorsuaq, m’annonce la venue en France
de deux de ses amis, Ole et Adam. C’est la première fois qu’ils quittent
Kullorsuaq et Nicolas veut garder une trace de ce séjour. Il me propose
alors de le filmer. Je lui réponds que je ne me sens pas légitime pour
réaliser un documentaire, mais mettre en scène un fiction qui
convoquerait le réel m’apparaît comme un pari de cinéma extrêmement
stimulant. J’écris donc un scénario en trois semaines, le temps dont je
dispose avant leur arrivée. Je convoque Thomas Blanchard et Thomas
Scimeca, pressentant chez eux la possibilité d’un duo comique et leur
propose d’être les hôtes d’Ole et Adam. C’est ainsi qu’est né Inupiluk
un
moyen-métrage tourné en dix jours. A la fin du film, au moment des
adieux, les deux Inuits invitent les deux Thomas à venir dans leur
village. Nous gardons ça en tête, avec Frédéric, le producteur, comme un
projet de cinéma un peu fou et excitant. Deux ans plus tard, nous
réunissons l a petite équipe d’Inupiluk et partons à Kullorsuaq, avec
les deux Thomas et un troisième personnage : François Chattot qui
interprète le père de Thomas B.
Je n’aurais jamais eu
l’idée de faire un film au Groenland, mais quand j’ai reçu cette
proposition me sont venues à l’esprit des images fantastiques, comme
celle de The Thing de John Carpenter : le film commence par
l’arrivée d’un hélicoptère dans un territoire presque abandonné, éloigné
de toute civilisation. J’aimais cette idée de commencer aussi mon film
comme un film fantastique.
Je savais que je ne
pouvais pas partir en repérages : pour aller à Kullorsuaq, il faut cinq
jours de voyage, enchaîner quatre avions et un hélicoptère, ça coûte
beaucoup d’argent et je n’avais pas l’intention de faire un film cher.
J’avais besoin de la liberté d’une production «légère», de partir avec
une petite équipe. Pour parvenir à écrire le scénario, j’ai beaucoup
interrogé Nicolas Dubreuil. Je lui ai demandé qu’il me parle des
habitants de Kullorsuaq. J’avais besoin qu’il m’en dresse les portraits
pour pouvoir ensuite inventer mes personnages. J’en ai tiré un scénario
très écrit. Sa propre expérience a aussi nourri la fiction et en
particulier le personnage de Nathan. Quand Thomas B raconte que son père
s’est perdu sur la banquise et a été secouru par Ole, c’est une
histoire qui est réellement arrivée à Nicolas.
Après Marie et les naufragés, j’avais
envie d’un film «ligne claire», faire évoluer mes personnages dans un
territoire vierge. Blanc. Loin du décorum parisien. Ce paysage me
semblait idéal pour aborder différemment la comédie, pour – libéré de
toute contextualisation – s’autoriser un travail particulier sur la
direction d’acteur, en faisant du duo le moteur du comique. A
Kullorsuaq, Thomas et Thomas sont, avec Nathan, les seuls occidentaux.
Ils sont, en quelque sorte, confrontés pour la première fois à un monde
inconnu, loin de leurs repères. Partir était aussi pour moi, une manière
de me questionner sur la persistance de l’amitié et sa fragilité.
Comment, lorsqu’on se connaît depuis plus de 10 ans, réinventer une
relation, la mettre en danger pour continuer à être amis ?
Quand j’ai imaginé Inupiluk,
je n’avais eu que peu de temps pour construire mes personnages, pour
leur inventer une vie. En commençant le travail sur le scénario du Voyage au Groenland,
j’ai mesuré la possibilité que m’offrait le format long pour développer
leur relation, leurs caractères. Pendant l’écriture, en plus des
entretiens avec Nicolas Dubreuil, j’ai reçu une proposition de carte
blanche de France Culture qui a été déterminante : réaliser un
documentaire d’une heure, en étant totalement libre du sujet. J’ai
choisi alors de réunir les deux Thomas, pour faire avec eux un «
brainstorming » sur ce que pourrait être le film à venir. Ces séances,
qui ont été filmées, ont donné lieu à un moyen-métrage intitulé
Le Film que nous tournerons au Groenland dans lequel se trouve la genèse du Voyage au Groenland.
C’est en effet lors de cet enregistrement que de nombreuses décisions
concernant les enjeux narratifs du long-métrage ont été prises. C’est
là, par exemple, que nous avons décidé que les personnages seraient
comédiens, donc intermittents du spectacle.
Face aux habitants du
village, il me semblait indispensable que les Thomas soient eux aussi
ancrés dans le réel ; ce réel, ce devait être leur propre vie. Ainsi,
nous étions dans un rapport d’égalité avec nos hôtes puisque les Thomas
interprétaient aussi (avec toutes les nuances que cela induit) leurs
propres rôles. Même si, évidemment, je ne suis pas ethnologue, je
sentais une responsabilité immense à aller filmer un village qui n’avait
encore jamais été filmé, à un moment où il vit de façon cruciale
l’arrivée des nouvelles technologies d’un côté, du pétrole, de l’autre.
Il fallait inventer les moyens de créer un regard juste, en cela je me
devais d’être aussi innocent que les Thomas.
C’est vraiment un duo : ce
sont des amis proches, ils se ressemblent, ils ont chacun leurs
faiblesses, mais ensemble c’est comme s’ils devenaient un seul corps.
Thomas Blanchard, ou plutôt son personnage, est sans doute plus
sensible, moins frondeur, il est plus dans l’hésitation et la retenue,
là où Thomas Scimeca, ou du moins son personnage, provoque les
événements avec une forme d’inconscience. Dans le film, il y a «les
Thomas» face aux Inuits, et «les Thomas entre eux». Une séquence comme
celle illustrée par cette photo les met en scène dans un ping-pong
verbal qui échappe au registre de la pure comédie. Nous avons filmé
cette scène vers la fin du voyage ; nous étions tous dans un état de
nervosité et de tension assez élevé, ce qui en fait un moment presque
documentaire (alors que paradoxalement, la scène était très écrite). Le
film s’est tourné au moment où la nuit disparaissait pour laisser place
au jour perpétuel, ce qui, au début, nous a plongés dans un état
d’excitation (nous avions toujours de la lumière pour travailler !) mais
qui, à la fin, s’est avéré assez difficile à vivre, avec un fort
sentiment de claustrophobie et la perte de nos repères temporels. Pour
revenir à la question de l’ethnologie, j’avais pour idée, en faisant ce
film, d’inverser la situation, que l’objet d’étude soit aussi « les
Thomas », en vis-à-vis de ce que vivent les habitants de Kullorsuaq. Un
vis- à-vis qui révèle des choses sur l’absurdité de la vie occidentale.
Mais si leurs discussions peuvent paraître dérisoires face à ce que
vivent les Inuits, elles sont pour moi essentielles : le débat sur
l’esprit critique, le choix de métiers artistiques, la place de la
culture dans nos existences (un thème déjà abordé dans 2 automnes 3 hivers, mais encore plus crucial ici), c’est aussi une question de survie.
Voilà quand la comédie
s’empare des thèmes que je viens d’évoquer… Cette histoire de
l’intermittence est née pendant le « brainstorming » du Film que nous
tournerons au Groenland. En se demandant quel serait le pire truc qui
puisse arriver à Thomas et Thomas au Groenland, a surgi l’idée de
problèmes de connexion et de la perte possible des Assedic. Le décalage
est forcément comique parce qu’ils deviennent l’objet d’étudedes
villageois. Mais encore une fois il s’agit avant tout de quelque chose
de très sérieux, qu’aucun film, jecrois, n’a pris le temps de traiter.
C’est une mise en abyme : ils sont comédiens dans la fiction, mais aussi
les personnages principaux d’un film qui va sortir en salles, et si ce
film est là aujourd’hui, si on a du plaisir à les voir jouer, c’est que
le statut d’intermittent existe… Les Inuits n’ont plus de « modem 56k
». J’ai emprunté cette idée sonore et vintage à Computer chess,
un film d’Andrew Bujalski, tourné en caméra VHS, en noir et blanc.
C’est un film « mumblecore », ce courant du cinéma indépendant américain
qui a été déterminant dans mon envie et mon assurance à réaliser Le Voyage au Groenland.
Comme dans le « mumblecore », je mets en scène, dans une esthétique
revendiquée comme pauvre et en privilégiant la comédie, des jeunes gens
confrontés aux difficultés de l’époque. Être dans la nécessité absolue
de se connecter pour pouvoir toucher de l’argent, pour pouvoir vivre,
c’est assez terrible et assez symbolique… On en arrive à cette
comparaison complètement absurde – mais pas tant que ça en fait – entre
le nombre de phoques tués et le nombre d’heures travaillées qu’il faut
comptabiliser pour garder son statut.
Le film parle de la relation entre un fils et son père.
Il y a deux aventures dans ce voyage : celle de l’amitié des deux
Thomas et celle d’un père et un fils qui ne se sont pas vus depuis des
années. Je crois que j’ai aussi réalisé ce film pour ce dernier regard
que Thomas adresse à Nathan, juste avant qu’il ne reparte en
hélicoptère. C’est certainement la dernière fois qu’ils se voient et
tous les deux le savent. Avant ces adieux, il y aura eu de vraies
retrouvailles. Des retrouvailles un peu particulières car laissant place
à de nombreux non-dits. Je crois beaucoup dans les vertus du silence,
dans la pudeur entre les membres d’une même famille, là où la parole
prendrait le risque d’abîmer une relation. Je ne savais pas quel
comédien jouerait Nathan, cela donne d’ailleurs lieu à une scène assez
comique dans Le Film que nous tournerons au Groenland, où on
lance des noms à l’emporte pièces. Tous les comédiens français de plus
de 55 ans y passent ! A un moment, hors caméra, les deux Thomas me
disent sérieusement avoir pensé à François Chattot, un immense acteur de
théâtre, qu’ils admirent depuis leurs études au Conservatoire. J’ai
donc décidé de rencontrer François. J’ai découvert quelqu’un de très
impliqué, qui comprenait parfaitement les états d’âme qu’un tel
personnage porte en lui. Il a complètement incarné ce que j’avais
esquissé : un père taiseux, une force de la nature, rencontré à un
moment de la vie où l’âge rend le corps et l’esprit fatigués. C’est
François qui a proposé d’interpréter la chanson de Mouloudji, Faut
vivre, à l’anniversaire d’Ole. Elle correspond incroyablement au film.
Le Voyage au Groenland
est aussi le récit de la fin de « l’adulescence ». Les deux Thomas
réalisent, au cours du film, une sorte de parcours initiatique qui les
mènera peut-être à l’âge adulte. Dans ce parcours, Thomas S agit en
passeur. Sans l’accompagnement de son ami, Thomas B n’aurait
certainement pas «retrouvé» son père. Il y a une scène qui résume pour
moi tous les enjeux du film. Il s’agit du moment où les personnages
principaux se retrouvent autour du traîneau portant l’ours mort. C’est
une séquence silencieuse où seuls les regards échangés font sens. Dans
cette ronde des regards, il y a la certitude d’une amitié indéfectible
entre les Thomas, il y a l’amour comme une quête d’absolu (c’est
leregard porté par Thomas S sur la jeune fille qui lui a tapé dans
l’œil), et puis il y a la conscience de la mort annoncée, représentée
par cette gueule d’ours que regarde le fils avant de lever les yeux vers
son père. «Aucun animal n’a été blessé ou tué pour les besoins du
film.» Je tenais à cette phrase au générique de fin pour éviter toute
ambiguïté. Pour les scènes de chasse, nous avons d’abord suivi Adam, Ole
et Martika sur la banquise, à la recherche d’un phoque comme ils le
font presque quotidiennement pour survivre (et en respectant les quotas
qui sont imposés). Nous avons enregistré la mort de l’animal, de façon
documentaire, sans mise en scène. Puis, dans un second temps, nous avons
tourné les contrechamps avec les Thomas comme dans un film de fiction
habituel. Le montage a fait le reste. C’est un exemple assez parfait de
la façon dont le film mêle fiction et réalité. La scène avec la
dépouille de l’ours mort évoquée juste au-dessus était écrite. Nous
avons donc dû attendre qu’un chasseur revienne avec sa proie – sans
avoir la certitude qu’il y parvienne, ce qui était un peu inquiétant. Il
m’était important de montrer aussi ces scènes de la vie quotidienne. Je
n’ai jamais pensé à les occulter. Les Inuits attachent beaucoup
d’importance au regard que portent sur eux les Occidentaux et ils
souffrent terriblement de l’image de barbares tueurs de phoques,
véhiculée par certains médias. En participant à ce film, ils savaient
aussi qu’ils pourraient témoigner de qui ils sont réellement. De façon
générale et au-delà de la question de la chasse, Nicolas Dubreuil
servait de caution morale et le film aurait été impossible sans le
rapport de confiance qu’il a établi avec eux.
Martika est un vrai chasseur.
Au départ, ça devait être un autre villageois dénommé Pita, considéré
commele plus grand chasseur de Kullorsuaq, qui devait interpréter ce
rôle. Mais Pita a eu des problèmes de santé.Quand j’ai décidé que
Martika allait le remplacer, beaucoup de villageois sont devenus soudain
très jaloux :« Martika n’est pas un si bon chasseur », disaient-ils en
choeur !… Martika m’a fait très vite cette blague visuelle, passant en
un instant du sourire au sérieux absolu et inquiétant. Par son jeu et
son physique, il me fait penser à un mélange entre Takeshi Kitano et
Charles Bronson ! Je considère les habitants de Kullorsuaq qui ont
participé au film comme des comédiens : certes, ils jouent leurs propres
rôles, mais ils livrent bel et bien une interprétation. L’important
était de ne pas leur faire dire des choses contradictoires avec ce
qu’ils avaient envie d’exprimer. Je n’avais pas fait traduire le
scénario au préalable, cela n’aurait été d’aucune utilité, mais quand
nous sommes arrivés dans le village, toute l’équipe s’est présentée lors
d’une soirée dans la salle commune qui restera un moment inoubliable.
Nous avons expliqué le projet, l’envie de témoigner de leur vie, de
s’intégrer dans leur quotidien. Pour chaque
scène, on leur
expliquait la situation exacte, ses enjeux et on était à l’écoute de
leurs propositions. Comme je ne parle pas leur langue, Nicolas servait
de traducteur.
Le voyage aura été initiatique et
nous aura, l’équipe et moi-même, bousculé dans nos certitudes. Il y a
chez les hommes et femmes que nous avons côtoyés durant ces cinq
semaines, une conception simple et fondamentale des relations humaines,
du vivre ensemble, qui place l’amitié très haut. Qui met aussi les
enfants au coeur des préoccupations sociales. Je voulais témoigner du
côté très adulte des enfants inuits et de leur gravité dans la scène où
ils vont à l’église prier leur ami mort. Comme un écho à la gravité qui
saisit peu à peu les deux Thomas. Le film parle aussi de nos différences
et, de façon détournée, de la paternité : décider ou pas d’être père.
Avec cette scène comme une blague où un habitant propose de donner un
enfant à l’un des Thomas, qui répond poliment : « Non, merci ». Les
habitants de Kullorsuaq vivent un moment crucial de leur histoire.
D’abord avec l’arrivée des nouvelles technologies, des réseaux sociaux.
Aujourd’hui les jeunes sont hyper-connectés et voient via internet ce
qui était pour eux invisible avant, à savoir une vie occidentale faite
de plaisirs, d’abondance. Ils savent qu’ils ne vivront jamais ça, qu’ils
n’y auront jamais accès. Le taux de suicide a bondi chez les
adolescents – le film évoque la question par l’intermédiaire de Nathan.
Et puis on a découvert du pétrole près du village, et cela va assurément
bouleverser leur quotidien. Les plus âgés appréhendent cette révolution
et craignent la disparition de leurs traditions ; d’autres, plus jeunes
y voient l’espoir de sortir de la misère économique dans laquelle ils
se trouvent.