Film soutenu

Maman déchire

Émilie Brisavoine

Distribution : JHR Films

Date de sortie : 26/02/2025

France | 2025 | 1h20

Émilie fait un film pour tenter de saisir le plus grand mystère de l’univers : sa mère, Meaud. Enfant brisée, mère punk, grand-mère géniale, féministe spontanée, elle fascine autant qu’elle rend dingue. Une odyssée intime, un voyage dans le labyrinthe de la psyché.

Prix du public et Mention spéciale du jury long métrage au Festival du film de Belfort
Mention spéciale du jury au Festival 2 Valenciennes

Coup de coeur des exploitants aux Rencontres du Cinéma Indépendant, Marseille

Réalisation | Émilie Brisavoine · Image & son | Émilie Brisavoine · Montage | Karen Benainous · Montage son | Manuel Vidal · Musique originale | Benoît Daniel · Mixage | Simon Apostolou · Étalonnage | Gadiel Bendélac · Effets spéciaux | Clément Le Penven ·Production | Nicolas Anthomé, batysphere · Distribution | JHR Films

Émilie Brisavoine

Émilie Brisavoine a grandi sous un pilône à haute tension dans le sud de la France. Après une adolescence insomniaque passée aux côtés de Stephen King, elle monte à la capitale étudier les arts appliqués à l’École Duperré. À la suite d’une expérience de designer, elle fait des dessins sur le monde, les femmes et les chiens. Elle apparait dans La Bataille de Solférino de Justine Triet, puis joue dans Peine Perdue d’Arthur Harari.

FILMOGRAPHIE :

  • Pauline s’arrache , 2015, 88’ avec P. Lloret-Besson, Meaud Besson. Prod Batysphère.

ENTRETIEN AVEC ÉMILIE BRISAVOINE

Dix ans séparent votre premier long-métrage, Pauline s’arrache, de celui-ci. Qu’avez-vous vécu entre les deux ?

J’ai travaillé cinq ans sur l’écriture d’un scénario de fiction. C’était l’histoire d’une vétérinaire un peu freaky qui n’arrivait pas à avoir d’enfant et devait se réconcilier avec sa mère décédée pour espérer avancer dans la vie. J’ai passé quatre fois l’oral de l’Avance sur recettes du CNC et, au fil des réécritures, je ne savais plus ce qui m’appartenait. J’ai perdu le désir de ce projet. Et ça m’a permis de réaliser : « Pourquoi écrire finalement sur un rapport mère-fille théorique ? ». Concrètement, j’en ai eu marre de faire des fichiers word, ce n’est vraiment pas mon truc. Je me suis dit « Je vais reprendre ma caméra et filmer ma propre mère. Je ne vais pas attendre qu’on m’autorise à travailler ». Je n’ai pas fait d’études de cinéma. Je fais tout à l’instinct.
Dans Pauline s’arrache, je parlais de ma sœur et de sa Relation à ses parents. L’idée de travailler sur les transmissions transgénérationnelles était déjà là. Cette fois, j’ai remonté une génération, en filmant ma mère. Comme je venais d’avoir un enfant, elle était très présente et je pressentais qu’il pouvait y avoir quelque chose de fort à raconter sur notre relation. Ma mère, c’est une personne fascinante et mystérieuse pour moi, parce que c’est quelqu’un avec qui je n’ai pas grandi et nous vivons depuis toujours une histoire complexe.

Maman déchire a cette forme foisonnante, tremblante frontale. De quelle manière le film vous semble t-il défini par une forme d’urgence ?

Déjà, dans Pauline s’arrache, il y avait cette nécessité d’utiliser l’outil cinématographique pour affronter le réel. J’ai une formation de plasticienne, j’ai fait des études d’arts appliqués, donc j’ai un rapport ultra organique à la matière. Je n’ai aucun tabou théorique, aucune limite dans l’expérimentation plastique. Et ma monteuse, Karen Benainous – qui a monté mon film précédent, les documentaires de Guillaume Brac, d’Emmanuel Gras… – encourage cette totale liberté tout en apportant son sens de la structure narrative. Ce qui m’intéresse, c’est de représenter les flux de la pensée, de la psyché. De faire surgir un tissage qui représenterait ce qui nous travaille tous intérieurement. Quand on est en train de vivre quelque chose, on a constamment des images qui nous viennent, du passé jusqu’aux conneries qu’on a regardées sur YouTube. J’ai voulu faire une sorte d’anthropologie des images domestiques avec toutes ces images décriées pour leur banalité qui ne sont pas censées être du cinéma. Avant, c’était du super 8 et de la VHS, là c’est l’iPhone, les visios sur Skype, YouTube…

Là où Pauline s’arrache ressemble à un conte de fées punk, Maman déchire tend plutôt vers le journal intime ésotérique. Comment réfléchissez vous à la forme de chaque film ? A quel moment ?

Tout l’enjeu était de créer un récit universel à partir d’une matière documentaire très intime, d’arriver à parler de ces relations familiales complexes, douloureuses, qui touchent tout le monde et que chacun traverse comme il peut. Pauline s’arrache, oui, c’était le conte de fées. La matière y était foisonnante, il fallait que le récit soit très simple, avec une héroïne qui avait un problème qu’elle devait réussir à résoudre en affrontant ses démons intérieurs. Ici, l’idée, c’était d’aller davantage vers l’Odyssée. Vers un voyage initiatique, mais à l’intérieur de la psyché. Et cela depuis les prémisses du film jusqu’au montage. Avec ma monteuse – qui m’a appris à monter, – on avait deux postes, on montait côte à côte : moi je m’occupais de tous les trucs un peu foufous, mentaux, Karen, des scènes plus réalistes.
Il y a une forme qui peut sembler très fantaisiste, très éclatée, mais pour que ça tienne, il fallait que ce soit hyper carré au niveau de la structure. La difficulté, c’est que nous avions trois personnages à traiter : ma mère, mon frère et moi, trois adultes, malades de leur enfance. Il a fallu trouver comment tricoter ces différentes trajectoires.

Comment vous avez discuté du film, avec votre mère ?

Elle connaissait mon travail puisqu’elle était déjà là dans Pauline s’arrache qui proposait aussi un regard frontal et tendre sur une vérité des rapports familiaux. On est allés à Cannes, à l’ACID, le film est sorti en salles, ça a été une aventure qui l’a enthousiasmée. Avec Maman déchire, il s’agissait d’aller plus loin, d’explorer notre relation, de parvenir à parler du passé. On s’est retrouvées avec une soixantaine d’heures de rushes, on a passé vraiment beaucoup de temps ensemble. Pour préparer le tournage, j’ai relu mes journaux intimes, ça a fait remonter des choses de manière extrêmement concrète et même physique.

Dans le film, quand vous osez « enfin » dialoguer avec elle, vous vous heurtez justement à son refus de communiquer – à ce moment, la caméra, elle, se heurte à un mur blanc. De quelle manière ce mur blanc évoque-t-il votre démarche ?

Effectivement, je suis littéralement face à un mur, l’espoir du dialogue s’écroule. Mais en même temps, c’était important pour moi de placer cette séquence à la fin : quand ma mère me donne ce conseil de « sauter par-dessus le mur », c’est une forme de résolution qu’elle m’offre. En me parlant de sa relation avec sa propre mère, elle me signifie qu’elle s’est aussi heurtée à un mur. La manière dont j’utilise ce mur, c’est en tant que support de création et de réparation : j’y fais apparaitre un dialogue entre nos deux enfants intérieurs, le sien racontant son enfance terrible. Pour moi, là, je lui fais une déclaration d’amour. Je la regarde et la reconnais telle qu’elle est, une enfant ravagée.

Ce qu’il y a de très beau c’est que le film nous apprend à composer avec l’irrésolu, le fait de ne pas avoir de réponse. Comment vous-même vous vous débrouillez avec ça ?

C’était un peu dur à supporter qu’il n’y ait pas de happy end. Mais ce que m’a appris cette expérience c’est d’être en paix avec le réel tel qu’il est et non comme je rêverais qu’il soit. Avoir travaillé ce film si intensément, avoir inventé une forme, cela a mené à une sorte d’acceptation, parce que j’ai posé quelque chose. Accepter l’irrésolu, c’est une manière de devenir adulte. Pauline s’arrache explorait les terrains de l’adolescence. Là, la question posée, c’est « Qu’est-ce qu’être adulte ? ». Avoir un enfant, c’est vertigineux, on n’est plus au bout de la chaîne. On est au milieu, entre sa propre mère et cet enfant à travers lequel on revit notre propre enfance, de manière très concrète et émotionnelle mais avec une conscience d’adulte. C’est aussi l’heure des bilans, qu’est-ce qu’on m’a transmis ? Et qu’est-ce que je vais transmettre à mon tour ?

Vos films tiennent de la psychanalyse personnelle mais aussi de la thérapie familiale. Que peut le cinéma sur la filiation et ses traumas ?

Quand je faisais le film, je n’avais pas d’attente particulière, j’étais simplement mue par cette nécessité implacable de le réaliser. Maintenant que je le montre, je suis vraiment surprise de constater à quel point les spectateurs s’identifient. J’ai des retours hallucinants. Plein de gens se confient « J’ai l’impression, d’avoir fait une thérapie express en 1h20 ». Il y a même une jeune fille qui m’a lancée : « C’est la première fois de ma vie que je me sens comprise, je vais emmener ma mère le voir! ». C’est la catharsis. Récemment, j’ai écouté une interview du neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Il parlait du pardon ainsi : « Mais qu’est-ce qu’elle en fait la victime, du pardon ? Ce qu’il faut, c’est de la prévention. » Et pour cela, les films, les histoires sont nécessaires, ils permettent d’incarner ça. Il n’y a pas plus banales et plus tabous que les relations familiales, que cette forme de violence totalement ordinaire.

Avec Maman déchire, les gens s’autorisent à en parler et ça c’est génial, cette libération de la parole.
Aussi, ce qui m’obsédait, c’était la question de la parole de l’enfant, de sa légitimité. Quand j’ai pensé à l’idée du film, j’ai relu mes journaux intimes, j’ai eu un flash : « Mais c’est elle, le personnage principal ! » Elle, moi, enfant. « Elle » m’est apparue tellement plus lucide et intelligente que moi adulte… C’est devenu une évidence que c’était « elle » qui allait structurer tout le récit parce qu’elle allait permettre de faire le pont entre le présent et le passé, de raconter aussi la vie intérieure. De donner une existence à chaque personnage à la fois en tant qu’adulte et qu’enfant, de cerner leur complexité propre. On se retrouve bien face à trois adultes qui ne s’en sortent pas aujourd’hui parce que leur enfant intérieur est en souffrance.

Comment est venue cette idée qui tire vers l’étrangeté, de filmer ces enfants intérieurs avec des masques Snapchat ?

On a testé plein des trucs, avec des Barbies, avec d’autres poupées… Pour tout ce qui était en lien avec l’enfance, il y a eu trois sources. Les VHS de mon grand-père paternel des années 1990, les images d’Épinal de l’enfance qu’on a tous. Ensuite, mes journaux intimes, la matière plus introspective et secrète. Et enfin, cet enfant intérieur, cette chose étrange que l’on a créée au fil du temps à l’intérieur de nous, qui nous fait peur, qui n’a pas mûri parce qu’il n’a pas pu s’exprimer. J’ai voulu reprendre ce marronnier du développement personnel mais à ma sauce, loin des clichés cucul et des images kitsch. En montrant que c’est un état qui nous rend tous barjots, une fêlure qu’il faut apaiser. Dans le film, ça part en sucette quand Pascale Piquet, la thérapeute, parle d’enfants intérieurs. C’est à partir de là que mon personnage s’endort et fait un cauchemar complètement vrillé.
Mais on voulait aussi injecter de l’humour. Comme ce qu’on aborde est assez dense, complexe, douloureux, c’était nécessaire. C’était aussi le moyen idéal pour parler de choses qui effraient, qui font honte. Ce qu’on doit explorer selon moi, en tant que réalisatrice.

La manière dont vous montrez les techniques de développement personnel est à la fois sérieuse et ironique. Comment vous situez-vous aujourd’hui, par rapport à tout ça ?

A titre personnel, j’aime bien tout tester, des thérapies les plus conventionnelles au plus alternatives ou fantaisistes. Mais ce qui m’intéresse en tant que cinéaste dans le développement personnel ou l’ésotérisme, c’est que ça crée du storytelling sur des choses qui nous étouffent, sur lesquelles on n’a pas de prise. On est dans une société ultra rationnelle qui nous offre peu de béquilles pour avancer. La vie de la psyché, la vie spirituelle ne sont pas mises en valeur – on ne nous propose pas grand-chose si on est athée, par exemple. Face à cette impuissance, il y a des tas de gens qui proposent des scénarios plus ou moins farfelus pour tenter d’apprivoiser nos angoisses. Et ça, ça m’intéresse. L’âme humaine a besoin d’une bouée, d’un langage symbolique. On s’en fout, que ça soit vrai ou faux, scientifique ou pas. On cherche la consolation. Bien sûr, il y a des charlatans ; mais il y a aussi des gens bienveillants, qui cherchent vraiment à apaiser. C’est quelque chose qui me touche.

Il y a cette question qui traverse le film : « Que faire de cette douleur ? » Comment a-t-elle guidé votre réflexion ?

Le fait de passer par le cinéma… c’est comme s’il devenait une sorte de bouclier protégeant de la douleur du réel, je peux la regarder en face. Ma réponse, c’est l’acte de création. C’est à dire que quand il y a quelque chose qui fait mal, il faut remettre de la vie. Et la vie, pour moi, c’est la poésie, c’est l’art, c’est le cinéma, c’est la représentation. Plutôt que de se laisser plomber, ce sont des moyens pour redéployer notre énergie sur quelque chose qui a trait à la vitalité. Et puis, ça permet de partager avec les autres.

Votre travail se rapproche beaucoup de l’œuvre de Jonathan Caouette. C’est l’un de vos modèles ?

On m’a parlé de Jonathan Caouette quand Pauline s’arrache est sorti : j’ai découvert Tarnation et j’ai adoré. J’aime les cinéastes plutôt plasticiens, Chris Marker, Agnès Varda, Jonas Mekas…. Aux antipodes, je suis aussi dingue de comédies de John Waters, des frères Farrelly, de comédies italiennes des années 70. J’ai été plutôt inspirée par la nécessité, la fulgurance de création qu’il y a dans l’art brut ou l’art thérapie. Moi-même, j’ai été prof d’arts appliqués, je faisais beaucoup d’arts plastiques avec mes élèves. J’aime vraiment découvrir ce qui sort spontanément des gens.

Les titres de vos deux films portent la notion de déchirure, d’arrachement.
Les relations familiales, à vos yeux, ça passe forcément par ça ?

Ce que j’aime dans le titre Maman déchire, c’est la sémantique. Elle est double. C’est « Maman déchire parce qu’elle est géniale ». Elle est comme un personnage punk, charismatique, avec du bagout que je trouve saisissant. Et en même temps, il y a l’idée que moi aussi je suis maman. Comment rompre avec un système toxique ? Comment tenter de briser les chaînes des traumas transgénérationnels ? C’est pour ça qu’il y a tout le temps cette idée d’arrachement, qui raconte à la fois la douleur et quelque de chose de vital.

Vos projets ?

Le documentaire intimiste, c’est passionnant, mais assez éprouvant. Désormais, j’ai envie de me retourner vers la fiction. L’enjeu c’est de trouver un dispositif d’écriture, de mise en scène et de production qui me permette de préserver ma liberté de création. On y réfléchit avec mon producteur Nicolas Anthomé. J’imagine une comédie. Ça sera encore une histoire de famille.