Film soutenu

Menus-plaisirs

Frederick Wiseman

Distribution : Météore Films

Date de sortie : 20/12/2023

États-Unis – 2023 - documentaire - 3h58 - 1,85 - 5.1

Fondée en 1930, la maison Troisgros détient trois étoiles Michelin depuis 55 ans. Enfants de la quatrième génération, les fils de Marie-Pierre et Michel poursuivent la voie de l’entreprise familiale ; César dirige le restaurant étoilé, Le Bois sans Feuilles, et Léo est à la tête de l’un des deux autres restaurants Troisgros : la Colline du Colombier. Du marché quotidien aux caves d’affinage du fromage, en passant par le vignoble, l’élevage bovin et le potager contigu au restaurant, Menus-Plaisirs est un voyage intime et sensoriel dans les cuisines d’un des plus prestigieux restaurants du monde.

Mostra de Venise – sélection officielle (hors compétition)

Réalisation  Frederick Wiseman • Image : James Bishop • Montage : Frederick Wiseman • Son : Jean-Paul Mugel • Production : Frederick Wiseman • Presse France : Viviana Andriani – Aurélie Dard – RENDEZ- VOUS • Ventes internationales : The Party Film Sales

Frederick Wiseman

FILMOGRAPHIE
1967 TITICUT FOLLIES
1968 HIGH SCHOOL
1969 LAW AND ORDER
HOSPITAL
1971 BASIC TRAINING
1972 ESSENE
1973 JUVENILE COURT
1974 PRIMATE
1975 WELFARE
1976 MEAT
1977 CANAL ZONE
1978 SINAI FIELD MISSION
1979 MANŒUVRE
1980 MODEL
1982 SERAPHITA’S DIARY
1983 THE STORE
1985 RACETRACK
1986 DEAF – BLIND – ADJUSTMENT & WORK MULTI-HANDICAPPED
1987 MISSILE
1989 NEAR DEATH – CENTRAL PARK 1991 ASPEN
1993 ZOO
1994 HIGH SCHOOL II
1995 BALLET
1996 LA COMÉDIE FRANÇAISE
1997 PUBLIC HOUSING
1999 BELFAST, MAINE
2001 DOMESTIC VIOLENCE
2002 DOMESTIC VIOLENCE 2 – LA DERNIÈRE LETTRE
2004 THE GARDEN
2006 STATE LEGISLATURE
2009 LA DANSE, LE BALLET DE L’OPERA DE PARIS
2010 BOXING GYM
2011 CRAZY HORSE


Films soutenus par le GNCR

2013 AT BERKELEY
2014 NATIONAL GALLERY
2015 IN JACKSON HEIGHTS
2017 EX LIBRIS – THE NEW YORK PUBLIC LIBRARY
2018 MONROVIA, INDIANA
2020 CITY HALL
2023 MENUS PLAISIRS


note de FREDERICK WISEMAN

Durant l’été 2020, j’ai séjourné chez des amis en Bourgogne. J’en ai profité pour explorer les grands restaurants de la région. Parmi ceux-ci, nous sommes allés au Bois sans feuille, restaurant étoilé de la maison Troisgros.
À la fin du déjeuner, le chef César Troisgros est passé à notre table, nous l’avons remercié pour cet excellent et succulent déjeuner, je lui ai spontanément demandé s’il serait envisageable de réaliser un film documentaire sur leur institution familiale. Il m’a répondu qu’il devait y réfléchir et en parler avec son père Michel, puis il est revenu une demi-heure plus tard, en me disant : « pourquoi pas ? ».
Michel et César Troisgros ont réuni la famille sur ce projet, ils ont ensuite échangé lettres et courriels avec moi et m’ont donné leur accord officiel pour filmer. J’ai attendu le printemps 2022 que l’épidémie de COVID soit terminée pour venir tourner le film.
La maison Troisgros a trois étoiles au Michelin depuis cinquante- cinq ans. L’art culinaire fait partie du rayonnement de la France à l’international. La maison Troisgros est un exemple remarquable de cette tradition gastronomique française.
Quand je suis arrivé pour la première fois en France, dans les années cinquante, à Paris, mes premiers pas m’ont amené vers les musées, les théâtres et les grandes tables.
En regardant César, Léo et Michel Troisgros au travail dans leurs cuisines, c’est comme si je me trouvais dans l’atelier de grands artistes. J’ai pu observer comment l’imagination, le travail préparatoire, la sensibilité, l’intelligence, le sens de l’accueil et de l’organisation collective se combinaient pour produire dans la tradition et la modernité, les multiples œuvres éphémères que chaque combinaison d’ingrédients représente dans chacune des assiettes servies à leurs clients.
J’ai retrouvé chez les Troisgros, l’art de la création et du collectif que j’ai exploré dans des films tels que La Comédie-Française (ou l’Amour joué) et La Danse (Le Ballet de l’Opéra de Paris). Cette aventure gastronomique a aussi un lien avec les autres films de ma série sur les institutions.


à propos de MENUS-PLAISIRS

La carte et le terroir d’une trilogie familiale

Frederick Wiseman n’est jamais là où on l’attend. L’année même où le festival d’Avignon s’est ouvert dans sa prestigieuse Cour d’Honneur avec une adaptation de son film Welfare, le cinéaste américain propose Menus-Plaisirs, une plongée dans une institution familiale de haut vol, un lieu hors du champs social commun : les maisons de la famille Troisgros et leur territoire gourmand, près de Roanne avec un restaurant gastronomique sous les étoiles et d’autres adresses (la Colline du Colombier, le Central à Roanne, le food truck, y compris celles des artisans et fournisseurs des Troisgros), à la portée de tous. Ne s’en étonneront que ceux qui oublient, volontairement ou non, que Wiseman s’est par le passé intéressé à la Comédie Française, à la boxe, au ballet de l’Opéra de Paris, comme il s’est penché sur un asile psychiatrique pénitentiaire de Boston ou d’autres institutions de la société américaine contemporaine (hôpitaux, écoles, armées, police, bibliothèques,…).

Du Texas au Forez, qu’importe. Ce qui compte c’est ce qui se joue face caméra d’une « comédie humaine » que n’auraient renié ni Balzac, ni Dickens. Le « grand restaurant » est un lieu comme un autre dès lors que Wiseman a décidé qu’il serait le sujet de sa nouvelle recette. On y trouverait les mêmes ingrédients que toujours : aucun bavardage qui viendrait surligner les images, un temps de cuisson long parce que dans une cuisine comme ailleurs le seul exercice profitable se fait sur le long terme et puis le soin apporté in fine à la « pièce montée » que constitue tout film digne de ce nom. Sans oublier des « acteurs » qui jouent leur vie devant nous, ici, en cuisine et en salle : des clients venus pour célébrer un office, un rituel, bien habillés, avides d’un pain, d’un vin et d’un Grand Couvert d’exception, avec ce qu’il faut dans le porte-monnaie pour le nécessaire moment de la quête. Et face aux fidèles, une petite armée de missionnaires prêts à tout pour les besoins de la foi : rigueur, précision, rapidité, efficacité, le tout dans un ballet qu’on dirait placé sur coussin d’air.

Au centre, un officiant, le maître d’œuvre qui a tout inspiré, allant de table en table pour s’assurer que le message divin est divulgué selon les règles établies. Et la structure du nouveau lieu, loin de ressembler à l’ancienne adresse roannaise, s’apparente désormais à une forêt entourée de vitres ouvrant sur l’extérieur : le culte s’exerce en pleine nature et face à elle parce que ce que l’on célèbre d’abord ici ce sont des terroirs nourriciers. Quant à la fameuse question de savoir si la caméra modifie le comportement de ceux qui sont filmés, Wiseman l’a un jour abordé de front et bien dans sa manière : « Il n’y a pas de réponse définitive à cette question autre que « peut-être », « par- fois », mais le plus souvent « non ». D’après mon expérience, la plupart des gens ne sont pas suffisamment bons acteurs pour pouvoir soudain changer leurs comportements parce qu’on les filme et qu’on enregistre leurs voix. »

Seulement voilà, les temps changent même quand il s’agit de filmer l’un des lieux essentiels de la convivialité. Le dogme a évolué. Le rite aussi. On quitte les rives de la religion stricte pour passer à l’exercice d’un moment de poésie au sens propre du terme. Hier, Truffaut estimait que chacun devenait critique de cinéma. Aujourd’hui, tout le monde se fait cuisinier. À tort et à raison. Oubliée alors l’ancienne pratique du chef hurlant des ordres comme le capitaine au milieu de la tempête, chaque plat servi devenant le franchissement du Cap Horn. L’infinie douceur de la caméra de Wiseman entre en parfaite résonance avec l’extrême fluidité d’un service dont le maître-mot serait sérénité. Pas un mot plus haut que l’autre, pas un mot plus gros que le suivant, pas un ordre mais une information donnée un destinataire qui approuve sans se distraire de sa tâche.

Pour les menus plaisirs, il faut des petites mains d’une virtuosité remarquable. Au « tu cuisineras dans la douleur » des temps anciens, sous le regard de Wiseman, les Troisgros père et fils semblent substituer sans cesse une pratique alternative, un « soft tour de main » qui n’en finit pas d’étonner. Aux certitudes d’hier, les discours successifs du maître des lieux, de son épouse et de leurs héritiers répondent par des propos sans cesse modestes. Jusqu’à en oublier ou presque les prix des grands crus qui s’en- volent comme autant de bulles spéculatives pour vins tranquilles, tout comme les additions finales qui ne connaissent pas le ticket modérateur. À chacun ensuite de se faire son idée : ce lieu étoilé, Wiseman le filme avec le même objet-caméra qu’un restaurant social défavorisé. Tout se vaut ? Assurément non, mais il n’appartient pas au cinéaste de penser à notre place. Comme à son habitude, Wiseman montre tout cela. Avec quelques résolutions finales à la clé qui éclairent son menu d’un jour nouveau. Rien que de très normal : on ne comprend véritablement la complexité d’un plat que lorsqu’on a terminé d’en saucer la dernière goutte avec sa dernière tranche de pain.

Menus-Plaisirs, c’est peut-être l’histoire du passage d’un ancien à un nouveau monde, peut-être le récit d’enfants qui s’émancipent d’une forte tutelle patrimoniale au moment où le père qui leur transmet le relais qu’il a lui-même reçu de ses parents et grands-parents, peut-être la description fouillée d’une cuisine et de ses dépendances internes et externes. Ou tout cela à la fois, tant ces lieux recomposés semblent rassembler un grand nombre d’expériences humaines. Y compris dans la description d’un échange marchand pur et simple : comment organiser au mieux le contentement d’un « client » qui commande quelque chose à un « vendeur » ?

Dans cette relation singulière, on ne saurait passer sous silence le plateau de fromages qui envahit progressivement la narration. Ils ne sont pas 365 à la disposition des clients, mais presque. On aura connaissance de la provenance de certains. On approuvera ou non le choix sélectif de chaque assiette commandée à celui qui a la haute main sur ce chariot laitier. On devinera derrière chaque dernier fromage demandé le regret navré de ne pouvoir en prendre encore un autre. Ou comment dans ce lieu d’abondance fleurit une frustration. Comment un simple plateau roulant peut contenir autant d’animaux (des vaches, des chèvres et des brebis), de producteurs, de savoir-faire et de régions.

Et si le cœur battant de Menus-Plaisirs résidait dans cette joyeuse parade fromagère offerte aux yeux de chacun et à la gourmandise de tous ? Un retour direct à l’enfant émerveillé devant la vitrine de Noël. Un moment de grâce que la caméra de Wiseman surprend avec la certitude de tenir là comme la consécration de tout un travail d’équipes : la sienne, celle du restaurant celle de ses fournisseurs et celle du collectif que constituent les clients attablés. À point nommé, comme on le dit de la maturité parfaite d’un fromage longuement et amoureusement affiné.

« Je n’aime ni parler de moi-même ni de mes films. Je ne suis pas sûr de comprendre les films et je sais que je ne me comprends pas moi-même. » Frederick Wiseman


la maison TROISGROS

De la gare de Roanne, à la campagne d’Ouches jusqu’aux prairies d’Iguerande.

Dans l’histoire de la cuisine, rares sont les établissements familiaux qui comme la Maison Troisgros témoignent de quatre générations d’existence et de reconnaissance.
Au sein de chacune d’elles, hommes et femmes ont su faire face avec audace aux bouleversements de leur temps, initier les changements pour tracer une voie nouvelle.

Les débuts

En 1930, Jean-Baptiste et Marie Troisgros quittent Chalon-sur-Saône et le café qu’ils y tenaient pour Roanne. Ils y reprennent l’Hôtel des Platanes, idéalement situé face à la gare et profitant de la dynamique touristique générée par la Nationale 7, la route des vacances. Plutôt prospère, la maison devient l’Hôtel Moderne, réputé pour sa table et sa cave. Forts de cette renommée locale, Jean-Baptiste et Marie envisagent pour leurs deux fils, Jean et Pierre, une carrière dans la cuisine. Ils apprennent leur métier dans les meilleures maisons, Maxim’s, Lucas-Carton, mais aussi à La Pyramide où ils côtoient Paul Bocuse et se lient d’amitié avec lui.

La deuxième génération

Au début des années 1950, Jean et Pierre prennent les fourneaux de la maison familiale. Ils acquièrent très vite une certaine réputation et obtiennent leur première étoile Michelin en 1956. Dès 1962, ils font parler d’eux en imaginant le fameux « Saumon à l’oseille », l’une des premières incarnations de la Nouvelle Cuisine qui leur vaudra en 1965 leur deuxième étoile. Ils obtiendront la troisième en 1968.

La troisième génération

Tout comme ses aînés, Michel, fils de Pierre, embrasse la profession. À la fin des années 1970, Michel rencontre Marie-Pierre à l’école hôtelière de Grenoble en 1976. Ensemble, ils partent faire un grand tour du monde culinaire : de New York à Berkeley, de Londres à Tokyo, de Bruxelles à Crissier et Eugénie-les-Bains… Après presque une décennie d’une vie nomade, le couple rejoint Roanne en 1983 et décide alors d’y rester et de trouver leur place dans la maison. En 1995, ils ouvrent le Central. L’année suivante, Michel et Marie-Pierre reprennent la direction de l’établissement.
Tandis que leurs enfants grandissent – Marion, César et Léo –, les années 2000 voient la réalisation de nouveaux projets, du plus loin au plus près. En 2003, Gault-Millau le désigne « Chef de l’année ».
En 2006, concrétisant l’attachement de la famille au Japon, le CMT– Cuisine [s] Michel Troisgros – est inauguré à Tokyo.
Deux ans plus tard, Michel et Marie-Pierre ouvrent La Colline du Colombier, une auberge en campagne située dans le brionnais.

La quatrième génération

César, le fils ainé, après un « grand tour » entre Paris, la Californie et la Catalogne, rejoint la maison en 2011.
Léo, à son tour, termine un périple qui l’a conduit de Crissier à Montreuil-sur-Mer, de Berlin jusqu’au Japon.
Après cela, la question de l’avenir de la maison Troisgros allait forcément se poser et pour transmettre ce savoir-faire unique, il fallait imaginer ensemble un projet d’une envergure inédite.
En février 2017, la maison s’implante à Ouches, au cœur d’une propriété magnifique. Les travaux sont conduits avec l’architecte Patrick Bouchain. En 2023, la maison célèbre ses 55 ans de3 étoiles Michelin.

Nouvelle étape
Après des années en tandem avec son père, César a repris en 2022 les rênes de la cuisine d’Ouches et s’apprête à reprendre la direction de la maison familiale. Léo et sa compagne Lisa poursuivent l’aventure de La Colline du Colombier à Iguerande et aspirent à une vie professionnelle indépendante.